• Aucun résultat trouvé

Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68. Une enquête sur deux générations familiales : des « soixante-huitards » et leurs enfants scolarisés dans deux écoles expérimentales.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68. Une enquête sur deux générations familiales : des « soixante-huitards » et leurs enfants scolarisés dans deux écoles expérimentales."

Copied!
928
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: tel-00443077

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00443077

Submitted on 28 Dec 2009

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68.

Une enquête sur deux générations familiales : des “ soixante-huitards ” et leurs enfants scolarisés dans deux

écoles expérimentales.

Julie Pagis

To cite this version:

Julie Pagis. Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68. Une enquête sur deux générations familiales : des “ soixante-huitards ” et leurs enfants scolarisés dans deux écoles expérimentales..

Sociologie. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), 2009. Français. �tel-00443077�

(2)

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES Formation doctorale Sciences de la Société

LES INCIDENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME EN MAI 68

Une enquête sur deux générations familiales : des « soixante- huitards » et leurs enfants scolarisés dans deux écoles

expérimentales (Vitruve et Ange-Guépin)

Thèse pour l’obtention du titre de Docteur de l’EHESS Discipline : Sociologie

Présentée par

Julie PAGIS

Le 13 octobre 2009

Sous la direction de Gérard MAUGER Jury :

Mme Muriel DARMON Chargée de recherche au CNRS M. Olivier FILLIEULE Professeur à l’Université de Lausanne Mme Danièle HERVIEU-LEGER Directrice d’études à l’École des

Hautes Études en Sciences Sociales M. Gérard MAUGER Directeur de recherche au CNRS M. Michel OFFERLE Professeur à l’École Normale

Supérieure de Paris

M. Bernard PUDAL Professeur à l’Université de Paris X

(3)

« L’École des Hautes Études en Sciences Sociales n’entend donner ni approbation ni improbation aux opinions exprimées dans cette thèse. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteure. »

(4)

À Agnès et Jean-Jacques, mes parents

À Mathilde et à tous les enfants de l’utopie

(5)
(6)

Remerciements

Cette thèse est l’aboutissement d’une aventure personnelle et collective nourrie de multiples rencontres et d’échanges sans lesquels elle n’aurait pas pu voir le jour. Les premières personnes que je voudrais remercier sont toutes celles qui ont participé à l’enquête et plus particulièrement celles qui se sont prêtées au « jeu » de l’entretien. A défaut de pouvoir toutes les nommer ici – ne serait-ce que par souci d’anonymisation –, je tiens à leur (re)dire à quel point leur disponibilité, leur gentillesse, leur accueil et leur confiance ont constitué un réel moteur de ce travail. Je ne sais comment remercier Gaël, Barbara, Marc, Joseph ou Dominique pour leur véritable engagement dans cette recherche : je garde précieusement nos correspondances dont cette thèse ne pourra rendre compte tant leur richesse et leur contenu dépassent largement le cadre académique. Au terme de ce travail, j’ai également une pensée émue pour les « enfants de soixante-huitards » rencontrés qui m’ont fait savoir – par des lettres, des appels téléphoniques, des courriels voire des pleurs – tout ce qu’ils attendaient de cette recherche pour « comprendre ». A défaut d’apporter des réponses ou des leçons, j’espère que cette thèse, en imputant à des causes sociales bien souvent occultées vos joies, vos malheurs, vos incompréhensions et vos sentiments souvent complexes et contradictoires vis- à-vis des « héritages soixante-huitards », apportera un regard objectivant et compréhensif.

Je n’aurais pu mener à bien ce travail sans la confiance de Christiane Alinc, de Roger Boudy, d’Annick Corlay, de Hubert Lemée et de toute l’équipe enseignante, passée et présente, de l’école Vitruve et de l’école Ange-Guépin à qui je tiens à exprimer ma gratitude ; sans oublier Gégé, mon informateur privilégié, qui par sa finesse, sa joie de vivre et sa confiance m’a ouvert bien des portes, dont celle de l’amitié. Merci également à Henry et à Maïté que j’ai embarqués dans l’aventure du documentaire pour Arte, et qui m’ont toujours assurée de leur confiance jusque dans les moments les plus tendus. Maïté : la photo des confitures et des tomates de ton jardin occupe le fond de mon écran depuis que tu me l’as envoyée en guise d’encouragements. Un grand merci à toutes celles et ceux qui ont participé à cette expérience collective de documentaire : j’ai vécu à travers et avec vous, des moments d’une intensité et d’une chaleur humaine rares.

Je désire également remercier vivement les différentes personnes qui m’ont assistée dans l’élaboration de cette thèse, et en premier lieu mon directeur, Gérard Mauger. Merci pour l’intérêt que vous avez porté à mon travail, pour votre disponibilité, vos conseils, vos critiques et votre patience : nos échanges, parfois vifs, ont toujours été féconds et n’ont cessé d’enrichir mon travail. Merci de m’avoir accompagnée tout au long de cette aventure qui était aussi pour moi une conversion à la sociologie.

Christian Baudelot a également joué un rôle central dans mon apprentissage du « métier de sociologue », depuis des débuts houleux jusqu’à la fin de la rédaction de cette thèse, m’apprenant beaucoup par ses conseils, par ses cours, mais peut-être principalement par sa joie de vivre et sa façon d’être enseignant-chercheur, qui restera pour moi un modèle. Merci Christian pour cela, et pour tout le reste.

Au cours de ces années de thèse, le laboratoire de sciences sociales, devenu équipe « Enquêtes Terrains Théories » du Centre Maurice Halbwachs, a constitué un cadre collectif de travail qui a nourri tant intellectuellement qu’humainement ma recherche, par le biais des séminaires, de

(7)

l’atelier des doctorants et des discussions quotidiennes avec des chercheurs (non-titulaires et titulaires) de diverses disciplines. C’est ainsi que j’ai découvert la science politique, grâce au séminaire d’histoire sociale des idées politiques de Frédérique Matonti. Merci à elle d’avoir aiguillé les débuts de cette recherche.

Outre l’encadrement scientifique de grande qualité, le « labo » fut un lieu d’encouragement, d’émulation intellectuelle et de soutien amical, autant de conditions essentielles de réussite des thèses. Je tiens ainsi à remercier chaleureusement mes ami-e-s des « bureaux des doctorants » : Aude, Audrey, Béatrice, Benoit, Céline, Émilie, Etienne, Jean-Sébastien, Laure, Lucie, Paul, Pierre-Emmanuel, Sarah, Séverine, Sibylle, Solène, Stéphanie, Violaine, Wilfried. Un grand merci également à Stéphane Beaud et Michel Offerlé pour leur soutien (scientifique et musical) sans faille et aux âmes de feu le Laboratoire de sciences sociales : Myriam et Nicole. Je dois surtout une « spéciale dédicace » à Emilie Biland et Stéphanie Guyon qui ont relu, avec courage et attention, quasiment toute la thèse : notre trio de relecture fut aussi stimulant et efficace que chaleureux, merci les filles !

D’autres personnes ont accepté de relire certains chapitres et les ont ainsi enrichis de leurs remarques : je remercie vivement Olivier Fillieule, Sylvain Laurens, Nicolas Mariot et Florence Weber. Et c’est avec toute mon amitié que je remercie Johanna Siméant qui, au-delà de ses relectures et de ses conseils précieux, a été pour moi un soutien intellectuel et affectif sans pareil.

Merci aux petites mains – mais grands cœurs – qui ont accepté de « traquer » les fautes d’orthographe : Jacqueline, Jean-Jacques, Jean-Luc, Joséphine, Nanou et Patrick.

Sur un autre plan, je tiens à remercier la MiRe et son chef, Stéphane Le Bouler, de m’avoir engagée comme chargée de mission pendant la dernière année de ma thèse, me permettant de terminer celle-ci dans de bonnes conditions matérielles. Au sein de cette équipe, merci particulièrement à Jérôme pour sa compréhension, à mes collègues de bureaux, à Isabelle (pour les graines de radis), à Jie et à Joséphine pour leur aide précieuse ainsi qu’à François pour son attention et sa présence à des heures tardives dans la dernière ligne droite. Je réserve un petit clin d’œil à Nanou : merci pour les fous rires, sans toi la MiRe serait moins gaie.

Il y a enfin ceux que je voudrais remercier sur un plan plus personnel.

François, je ne sais pas si tu liras un jour ces lignes, mais la lecture de ton exemplaire de Questions de sociologie au cours d’un stage de géologie (tu étais alors en thèse avec Jean- Claude Chamboredon) a sûrement initié ma conversion à la sociologie : merci d’avoir été là et de m’avoir fait découvrir un monde que tu allais bientôt quitter.

Merci enfin à ma famille – parents, tantes et oncles et grand-mère d’adoption – pour sa contribution précieuse à la garde de Nino et son affection indéfectible. Je ne trouverai pas les mots pour remercier mes parents, Agnès et Jean-Jacques, sans lesquels cette thèse n’aurait pas de sens : je vous la dédie, avec tout mon amour.

La personne à qui je dois le plus est sans aucun doute Fabrice, qui a rendu cette thèse possible en me déchargeant de nombreuses tâches quotidiennes, en s’occupant de Nino – pour qui il est un père exceptionnel – mais aussi et surtout en m’apportant son amour : merci pour cet inestimable cadeau.

(8)

Sommaire

Introduction générale ... 9 Chapitre préliminaire : Les conséquences de Mai 68 sur les écoles primaires

expérimentales de Vitruve et d’Ange-Guépin ... 81 Première partie : Faire l'événement : qui ? pourquoi ? comment ? ... 123

Chapitre I : Sociogenèse des dispositions au militantisme en Mai 68 : ... 125 Chapitre II : Registres de participation à Mai 68 et formes de socialisation politique induites par l’événement ... 201 Deuxième partie : Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68 ... 295

Chapitre III : L’espace social des incidences politiques, professionnelles et privées du militantisme en Mai 68 ... 305 Chapitre IV : Perpétuer l’ouverture des possibles dans une société

resectorisée : trajectoires post-soixante-huitardes ... 377 Chapitre V : Contribution à une histoire sociale des micro-unités de générations de 68 ... 511

Troisième partie : Des « héritiers de Mai 68 » ? Les incidences de Mai 68 sur la

« deuxième génération » ... 569

Chapitre VI : Socialisations contre-culturelles et genèse d’une « génération

dyssocialisée » ... 589 Chapitre VII : On naît "enfant de soixante-huitards" mais que devient-on? Profils d’héritiers ... 657 Chapitre VIII : Epilogue : retour sur l’année du « cirque étoilé » à Vitruve, trente- deux ans plus tard ... 741 Conclusion générale : Générations et rapports de générations ... 821

(9)
(10)

Introduction générale

Juillet 2008, au Chavoul, la ferme dans laquelle j’ai grandi, au pied du Mont Ventoux.

J’ai passé l’été 2008 chez mes parents, pour rédiger une partie de cette thèse. Isolée dans une grange, je n’en sortais qu’aux heures des repas, pour déjeuner ou dîner avec eux, mon conjoint et mon fils, ainsi que les hôtes louant une chambre à la ferme et les amis de passage, toujours nombreux dans la période estivale, invités ou passant à l’improviste manger avec nous sur la « grande table » sous le tilleul. Je racontais parfois, lors de ces repas, ce que j’écrivais dans la grange. Un midi de juillet, j’évoque ainsi les trajectoires marquées par diverses utopies communautaires et me risque à parler d’« habitus utopiques », me rendant vite compte de la résistance de mes parents (surtout de ma mère) à cette analyse sociologique de parcours assez comparables aux leurs (cf. infra). Alors que je me suis réinstallée devant mon ordinateur, ma mère frappe à la porte de la grange en début d’après-midi, entre et me dit, sur un ton enjoué et chaleureux mais avec une pointe de défiance : « J’ai peut-être un habitus utopique, mais tu ne pourras pas dire que je ne fais pas tout pour le réaliser ! », ce à quoi je ne trouve pas d’autre réponse que : « Oui, Agnès1, je sais… ». Ajoutant intérieurement :

« justement… »2, alors qu’elle est déjà repartie arroser son jardin ou s’occuper des hôtes, avec son sourire et sa joie de vivre.

Cette scène familiale et le bref échange qui s’en suit me paraissent pouvoir dévoiler les motivations autobiographiques de l’entreprise intellectuelle à laquelle j’ai consacré plus de six années. Sans perdre de vue « l’illusion biographique » qui me porte sans aucun doute à reconstruire a posteriori des rationalisations logiques de mes actions passées3, les fondements de mon intérêt pour la question des incidences biographiques du militantisme en Mai 68 sont à chercher, pour partie, dans mon histoire familiale. Ce n’est donc pas par narcissisme que je vais m’attarder sur ma trajectoire dès les premières lignes de la thèse mais dans le but de

1 J’appelle en effet mes parents par leurs prénoms, caractéristique que je partage avec la moitié des « enfants de soixante-huitards » enquêtés, sur laquelle je reviendrai dans la troisième partie de la thèse.

2 Dans le sens où mon enfance, ma trajectoire scolaire et sociale, mes schèmes de perception du monde social, jusqu’à ce doctorat sont « justement » liés aux stratégies utopiques de mes parents (cf. infra).

3 Pierre Bourdieu reconnaît que, dans son cas, « [il a] bien conscience que, analysés dans cette perspective [socio-analytique] et conformément au “principe de charité”, tous les moments de [son] histoire, et en particulier tous les partis qu[’il a] pu prendre en matière de recherche, peuvent apparaître comme rendus à leur nécessité sociologique, c’est-à-dire, sous ce rapport, justifiés, et, en tous cas, comme beaucoup plus rationnels ou même raisonnés et raisonnables qu’ils ne l’ont été en réalité, un peu comme s’ils étaient sortis d’un projet conscient de soi dès l’origine », dans Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d'agir, 2004, p. 12.

(11)

rendre compréhensibles les origines de cette recherche et de permettre ainsi l’objectivation de mon rapport à l’objet. Ce n’est pas non plus pour me « débarrasser » de la question du rapport aux enquêtés et à l’enquête en introduction sans y revenir par la suite, mais pour donner les éléments biographiques nécessaires à « une analyse réflexive de [mon] propre travail d’enquête, d’observation et d’analyse »4, seule à même de rendre compte des conditions de construction de l’objet et de production des données.

A - Les origines autobiographiques de la recherche : éléments d’auto- analyse et objectivation du rapport à l’objet

C’est parce que mon5 parcours a une incidence directe non seulement sur le choix de l’objet, mais plus encore sur les modalités de construction et en particulier sur l’entrée singulière par la « deuxième génération », que j’en dévoilerai, en les objectivant, quelques clefs biographiques. Dans le but, non seulement de pouvoir contrôler les matériaux et résultats produits, mais également d’objectiver mes propres représentations de « Mai 68 » et, en particulier, des « soixante-huitards » et des « enfants de soixante-huitards ».

Ma trajectoire est celle d’une fille de « néo-ruraux »6 née en 1980 dans une ferme provençale au pied du Mont Ventoux. Mes parents, tous deux ingénieurs agronomes, ont démissionné en 1974 des directions départementales7 dans lesquelles ils travaillaient à Marseille pour s’installer dans une ferme drômoise. D’ingénieurs travaillant en ville et principalement dans des bureaux, ils deviennent ainsi apprentis paysans dans un village rural de cinq cent habitants. Ils y élèveront des chèvres pendant près de vingt-cinq ans, vivant de la vente des fromages (à la ferme et sur les marchés), de l’élevage de quelques cochons et des chambres d’hôtes qu’ils ouvrent quelques années après leur installation. Or cette rupture professionnelle et, plus largement, biographique peut être imputée (entre autres) aux « événements de Mai 68 » auxquels ma mère a participé activement à Toulouse mais que mon père n’a pas vécus directement. Après un engagement de jeunesse à la « Fédé » protestante, ma mère s’est

4 Beaud S., Weber F., Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, « Repères », 1998 [1997], p. 294.

5 Bien qu’ayant adopté la forme impersonnelle dans la thèse, j’utiliserai la première personne dans cette partie autobiographique et y aurai recours à chaque fois que certaines propriétés ou pratiques constitutives de mon identité sociale d’enquêtrice seront mobilisées dans l’analyse des matériaux recueillis.

6 Léger D., « Les utopies du "retour" », Actes de la recherche en sciences sociales, 1979, Vol. 29, 1, pp. 45-63 ; Léger D., Hervieu B., Le retour à la terre. Au fond de la forêt…l’État, Paris, Ed. du Seuil, 1979.

7 Mon père, né en 1944, travaillait depuis quelques années à la direction départementale de l’équipement (DDE), comme ingénieur chargé d’études (contractuel de la fonction publique), et ma mère, née en 1948, travaillait à la direction départementale de l’agriculture (DDA), dans les mêmes conditions.

(12)

rapprochée d’amis situationnistes auprès desquels elle se politise dans les années précédant Mai 68. En Mai 68, elle est étudiante dans une école d’ingénieurs à Toulouse et, sans être militante d’une organisation, elle participe activement, avec divers « gauchistes », au comité de liaison étudiants ouvriers paysans (CLEOP), recueillant auprès d’agriculteurs argent et nourriture pour le soutien aux ouvriers en grève. Elle n’adhèrera jamais à une organisation politique, participant ponctuellement, dans les années suivantes, aux différents mouvements

« post-soixante-huitards » (écologie, anti-nucléaire, féminisme, Larzac, etc.), ainsi qu’à la

« rénovation critique de la vie quotidienne »8 en vivant en communauté au début des années 1970 à Marseille. C’est là qu’elle rencontre mon père, qui avait assisté aux événements de Mai-Juin 68 en spectateur9, se politisant via l’anti-impérialisme, dans les années suivantes, lors de sa coopération au Nicaragua10. Il vit également en communauté au début des années 1970 à Marseille et tente, par sa profession, d’intégrer les questions environnementales dans le développement urbain : « c’était comme pisser dans un violon : je faisais de belles études pour conseiller d’enterrer les fils électriques dans le bassin marseillais, qui étaient aussitôt rangées dans des placards »11. Leurs espoirs d’agir politiquement en exerçant leurs professions12 se heurtent assez rapidement à la rigidité des institutions dans lesquelles ils travaillent et le projet de « retour à la terre » trouve ses origines (pour partie du moins) dans le désajustement entre leurs aspirations et les possibilités effectives de les satisfaire13. Le parcours de mes parents doit ainsi être replacé dans cette famille d’expériences post-soixante- huitardes pour laquelle Danielle Léger parle de « trahison des « héritiers » qui, à défaut de changer la vie, réussissent au moins à modifier le cours de la leur »14. En effet, enfants de la bourgeoisie intellectuelle15, leur trajectoire est marquée par une rupture durable (définitive)

8 Voir Mauger G., « Gauchismes » in Emmanuel de Waresquiel (dir.), Le Siècle rebelle. Dictionnaire de la contestation au XXe siècle, Paris, Larousse, 1999, p. 235.

9 Il était alors étudiant à l’école d’horticulture de Versailles.

10 Le Nicaragua est alors un des pays les plus pauvres d’Amérique latine, dirigé par le dictateur A. Somoza, soutenu par les Etats-Unis. Jean-Jacques y découvre le mouvement sandiniste et se politise via l’anti- impérialisme.

11 C’est ce qu’il m’a souvent raconté quand je l’interrogeais sur sa vie « d’avant ».

12 Ma mère espérait participer à la réforme agraire à Cuba et faire ainsi de la politique par l’agronomie.

13 Ce qui correspond à une des hypothèses mises en avant par D. Léger et B. Hervieu qui détectent dans la population de néo-ruraux étudiés « une distorsion insupportable entre les aspirations sociales auxquelles lui donnent accès sa formation culturelle et les conditions pratiques de sa domination, d’absence d’initiative, d’absence de prise sur le réel, de contraintes bureaucratiques, qu’elle subit surtout dans sa vie professionnelle », dans « Les immigrés de l’utopie », Autrement, numéro spécial « Avec nos sabots… La campagne rêvée et convoitée. », 14, 1978, p. 66.

14 Ibid, p. 69.

15 Mon grand-père paternel, normalien, athée et de gauche, était professeur de latin et de grec puis proviseur de lycée et sa femme n’a jamais travaillé. Mon grand-père maternel, juif hongrois réfugié en France dans la deuxième moitié des années 1930 a rencontré ma grand-mère (issue de la bourgeoisie lyonnaise), résistante,

(13)

avec leurs « destinées probables »16, cette inflexion se répercutant sur la « deuxième génération ».

Mon frère (né en 1982) et moi avons été scolarisés dans l’école du village où nous étions, pour nombre de nos camarades des « enfants de hippies » (reprenant des termes utilisés par leurs parents). Peu étaient enfants de paysans17, la plupart étant issus des classes moyennes rurales18 ou de la petite bourgeoisie locale. Nous faisions l’objet (avec les autres enfants de néo-ruraux du village) d’humiliations très fréquentes de la part des enfants d’« établis »19 pour lesquels nous étions des « marginaux » : ils nous répétaient régulièrement que l’on « puait la chèvre », que l’on était « sales », que l’on « dormait avec les cochons » ou encore que l’on amenait les poux à l’école20. Mon investissement scolaire de « première de classe » peut être assimilé à un moyen d’insurrection contre cette forme singulière d’exclusion sociale dont nous étions victimes. L’usage du capital culturel hérité au service de l’excellence scolaire, consécration d’une institution légitime, s’est donc avéré un moyen plus ou moins conscient de me « venger » du stigmate de l’illégitimité, de la marginalité, que me renvoyaient les autres élèves : j’avais trouvé un moyen d’échapper à – voire de retourner – la domination sociale que j’éprouvais. Je n’ai trouvé les termes pour exprimer ce vécu que tardivement, à la lecture notamment des romans d’Annie Ernaux qui, enfant, s’insurge contre la domination (de classe) par l’excellence scolaire :

pendant la guerre. Après divers échecs professionnels, son rêve d’ascension sociale (intrinsèquement lié au rêve d’intégration à la « bonne société française ») se réalise dans la réussite économique d’une entreprise de fabrication d’enveloppes dont il est à l’origine, et il termine sa carrière comme PDG d’une filiale d’un important fournisseur en papeterie. Sympathisant communiste au sortir de la deuxième Guerre Mondiale et inséré dans les réseaux intellectuels d’ex-résistants, son habitus est plus proche de la bourgeoisie intellectuelle de gauche (qu’il fréquente) que de la bourgeoisie économique.

16 Cf. Bourdieu P., « Avenir de classe et causalité du probable », Revue française de sociologie, Vol. 15, 1, janvier-mars 1974, pp. 3-42.

17 En effet, comme la plupart des « néo-ruraux », mes parents se sont installés dans des villages désertés par les agriculteurs du fait de la très faible fertilité des terres, de l’absence d’eau et de la difficulté à vivre de l’agriculture. Cf. Hervieu-Léger D., Hervieu B., Des communautés pour les temps difficiles. Néo-ruraux ou nouveaux moines Paris, Centurion, 1983.

18 Leurs parents étaient artisans ou employés d’une des deux entreprises locales (de fabrication de cagettes et de plantes aromatiques).

19 Au sens que donne N. Elias à ce terme quand il analyse les configurations et les logiques d’exclusion des

« marginaux » par les « établis » : cf. Elias N., Scotson J. L., Logiques de l’exclusion. Enquête sociologique au cœur des problèmes d’une communauté, Paris, Fayard, 1997 [1965].

20 Ces accusations autour de la saleté et/ou de l’odeur sont très similaires aux accusations récurrentes autour du bruit entre voisins des « grands ensembles » étudiés par J.C Chamboredon et M. Lemaire. Et derrière ces thèmes autour desquels se focalisent les critiques se joue la question de la coexistence, dans la promiscuité, de groupes sociaux étrangers : cf. Chamboredon J-C, Lemaire M., « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », Revue française de sociologie, Vol. XI, n°1, 1970, pp. 19-20.

(14)

« C’est comme ça que j’ai commencé à vouloir réussir, contre les filles, toutes les autres filles, les crâneuses, les chochotes, les gnangnans… Ma revanche, elle était là, dans les exercices de grammaire, de vocabulaire (…) Pour conserver ma supériorité, ma vengeance, je pénétrais de plus en plus dans le jeu léger de l’école. »21

J’ai ainsi toujours adoré l’école et celle-ci me l’a bien « rendu » puisque je n’ai jamais cessé d’être première de classe jusqu’à mon entrée à l’Ecole Normale Supérieure d’Ulm, en biologie. Mais j’ai toujours entretenu un rapport ambivalent à l’institution scolaire qui me permettait une forme de « revanche sociale » mais qui restait toujours l’arme des « autres », des établis, auxquels je ne souhaitais jamais ressembler22. Ainsi, une fois entrée dans cette

« noble institution » de l’ENS, j’ai vite éprouvé toute la distance sociale qui me séparait des autres normaliens, et le sentiment de ne « pas être à ma place »23 a été, me semble-t-il, à l’origine de ma reconversion à la sociologie. Un retour en arrière s’impose pour rendre compte de cette « conversion ».

Ayant connu une socialisation primaire anti-conformiste, le conformisme social (sous toutes ses formes) a toujours été un repoussoir ; en même temps, l’acculturation scolaire et le désir de « revanche sociale » m’ont, à l’inverse, socialisée aux normes dominantes, largement contradictoires par rapport à des dispositions « primaires » anti-conformistes. L’intériorisation de systèmes de dispositions partiellement contradictoires du fait de la dissonance entre une socialisation familiale primaire (que je qualifierai de « contre-culturelle »24 dans la troisième partie de la thèse consacrée aux « enfants de soixante-huitards ») et la socialisation scolaire entraîne une forme de dyssocialisation25 pouvant générer un « habitus clivé »26. Dans mon cas, le clivage qui sous-tend mes schèmes de perception et d’action n’est pas un clivage de

21.Ernaux A., Les armoires vides, Paris, Éditions Gallimard, 1974, p. 66-67.

22 On retrouve ce rapport ambivalent à l’institution scolaire chez les transfuges de classe pour qui la réussite scolaire représente à la fois un moyen d’émancipation sociale et une forme de trahison des origines. Nous renvoyons au premier chapitre de la thèse pour une argumentation étayée de ces trajectoires.

23 Sentiment que j’avais ressenti à de nombreuses reprises tout au long de mon parcours scolaire.

24 En référence tout à la fois au type de militantisme que Gérard Mauger a qualifié de « gauchisme contre- culturel » et aux questionnements d’Annick Percheron sur le refus des normes dominantes : « Derrière l’idée de contre-culture, il y a celle de refus des valeurs qui, implicitement ou explicitement, sont reconnues comme dominantes, et de discontinuité dans leur transmission », dans Percheron A., Subileau F., « Mode de transmission des valeurs politiques et sociales : enquête sur des préadolescents français de 10 à 16 ans », Revue Française de Science Politique, 1974, Vol. 24, 1, p. 33.

25 Concept emprunté à Louis Chauvel (et librement adapté) qui l’utilise pour parler « d’un risque inédit de (…) non-correspondance, voire d’incohérence, entre d’une part la formation, les valeurs et les formes d’apprentissage de l’entrée dans la vie, et d’autre part les contraintes réelles, la société véritable et les enjeux exacts que cette nouvelle génération va vivre concrètement », in Chauvel L., Le destin des générations, Paris, PUF, 1998, p. 16.

26 Expression que P. Bourdieu s’applique à lui-même, et qui renvoie à son expérience de transfuge de classe et aux tensions liées à sa double appartenance, sociale et culturelle (à sa classe d’origine et à sa classe d’« accueil ») : cf. Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d'agir, 2004, p. 124.

(15)

classe mais un clivage dans le rapport aux normes dominantes27 : clivage entre anti- conformisme et conformisme ou pour utiliser des concepts éliasiens, entre établis et marginaux. Or ces deux dimensions de mon identité sociale ne trouvaient pas à s’exprimer dans les sciences dites « dures » à l’ENS et j’ai progressivement vécu la perspective d’une carrière scientifique – certes des plus légitimes – comme une amputation symbolique. Par ailleurs, si je savais alors ce que je ne voulais pas devenir, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire ni être et si le diplôme de l’ENS était pour moi le symbole d’une revanche sociale réussie, il n’était en rien une clef pour « élucider ma place ». Je crois que le « choix » de la sociologie n’est pas sans lien avec la quête d’une place ajustée à mes aspirations et qu’entreprendre une thèse sur les incidences biographiques du militantisme en Mai 68 était un moyen de dénouer les tensions contradictoires qui me constituent. En effet, cela me permettait tout à la fois de continuer une trajectoire universitaire et de me réconcilier (avec moi-même) en mettant mes compétences scolaires et intellectuelles au service d’une recherche visant à

« réhabiliter » une histoire sociale qui m’est chère. Autrement dit, cette entreprise intellectuelle était un moyen (parmi d’autres, comme nous le montrerons au cours de la troisième partie) de rendre possible la coexistence de dispositions clivées.

Ces questionnements personnels m’ont amenée à poser la question du devenir des « enfants de soixante-huitards » qui pouvaient partager avec moi un « habitus clivé » : Comment

« géraient »-ils leurs héritages soixante-huitards ? Que devenaient-ils et sur quelles formes de dénouements la dyssocialisation pouvait-elle déboucher ? Etaient-ils militants ? Que devenaient leurs parents ? Autant de questions qui m’ont poussée à vouloir « convertir certains de mes affects en entreprise intellectuelle »28, en prenant pour objet de recherche des familles dans lesquelles l’un des parents – au moins – avait participé aux « événements de Mai 68 » et en analysant les incidences qu’ils avaient pu avoir sur les trajectoires politiques, professionnelles mais également privées de ces acteurs et de leurs enfants.

Autrement dit, la question qui a motivé mon investissement dans cette longue entreprise qu’est la thèse n’est autre que la fascinante – et peu originale – question du changement social (à l’échelle biographique et à l’échelle de la société) : alors que j’aurais « dû » grandir

27 Cependant, ce clivage n’est pas indépendant des clivages de classes. En effet les enfants du village qui se moquaient de nous – les enfants de néo-ruraux – appartenaient aux classes populaires, pour certaines en voie d’ascension sociale, ou bien à la bourgeoisie économique des villages ruraux, tandis que nos parents étaient des enfants de bourgeois en rupture avec leur groupe d’origine.

28 Hmed C., Loger les étrangers “isolés” en France. Socio-histoire d’une institution d’Etat : la Sonacotra (1956-2006), Thèse de doctorat en science politique, Université de Paris-I, sous la dir. de M. Offerlé, 2006, p. 43

(16)

en ville dans une famille bourgeoise, j’ai connu la campagne, les chèvres, le dénuement matériel, le rejet de la consommation, j’ai vendu les fromages sur le marché et j’écrivais

« paysans » à toutes les rentrées de classe sur la ligne correspondant à la « profession des parents » des fiches signalétiques que l’on rendait aux professeurs, ne comprenant que tardivement qu’ils étaient des paysans « atypiques ». Plus généralement, alors que les

« choix » des acteurs ont habituellement pour effet de confirmer et renforcer « l’ordre des choses », je voulais comprendre pourquoi, dans certains contextes, il en allait différemment avec pour conséquence des trajectoires déviées de leurs cours prévisibles. J’avais l’intuition que les crises politiques jouaient un rôle dans ces inflexions (plus ou moins durables) du cours

« habituel » des choses.

B - Des représentations partiellement insatisfaisantes de Mai 68

Si les motivations biographiques ont été centrales dans la genèse de cette recherche, mon intérêt scientifique pour l’objet « Mai 68 » s’est également construit sur le constat d’une étonnante dissonance entre mon « expérience » des « soixante-huitards » et de l’appartenance supposée à la catégorie de « fille de soixante-huitards », et les représentations de ces catégories dans les productions médiatiques, littéraires, mais également scientifiques. La tension née de cette dissonance étant à l’origine du questionnement de la catégorie de

« soixante-huitards », une présentation (synthétique) de ce dont nous – « deuxième génération » – disposons en termes de représentations, d’interprétations et d’analyse des événements de Mai-Juin 68 s’impose. Il ne s’agit donc pas de faire une revue exhaustive de la littérature sur le sujet29, encore moins une sociologie des interprètes de Mai 68, mais de dessiner peu à peu notre positionnement problématique et méthodologique au travers d’une rapide présentation critique de cette production « sur Mai 68 », aussi foisonnante qu’hétérogène.

A l’exception d’un regain d’intérêt et d’enquêtes récentes30, la rareté des travaux scientifiques empiriquement fondés sur Mai 6831 contraste avec l’abondance d’écrits, d’essais, et

29 Nous renvoyons pour cela au premier chapitre de la thèse de Boris Gobille, Crise politique et incertitude : régimes de problématisation et logiques de mobilisation des écrivains en Mai 68, Thèse de Science Politique, EHESS, 2003, sur laquelle nous nous appuyons ici.

30 Sur lesquelles nous revenons à la fin de cette partie.

31 Déjà souligné par Michelle Zancarini-Fournel dans « 1968 : histoire, mémoires et commémoration », Espace- Temps, 59-60-61, 1995, pp. 146-156 ; mais également par Gérard Mauger (cf. infra) ou encore Boris Gobille qui parle de « déficit historiographique » : Gobille B., Crise politique et incertitude…, op. cit., p. 6.

(17)

d’interprétations des événements32, qui concourent à l’ensevelissement progressif d’une réalité historique et sociale sous ses strates interprétatives successives.

1) Dire le « sens de Mai 68 » : témoignages, interprétations et essais Les multiples témoignages et essais journalistiques qui fleurissent au lendemain des événements, révèlent davantage les dispositions de leurs auteurs à l’égard des « soixante- huitards » qu’elles ne nous renseignent sur ce qui s’est effectivement passé33. Face au désarroi interprétatif provoqué par l’irruption et par l’ampleur de la crise politique et son ampleur, on trouve un premier lot d’interprétations hostiles, en termes de complot34, ou de psychodrame juvénile35, qui se fondent sur l’aversion du désordre et/ou sur la réduction du social au psychologique, et dénoncent des responsables, qu’il s’agisse de « Pékin (…) la Havane (…) la C.I.A. »36 ou de jeunes « barbares, inconscients de leur barbarie »37. D’un autre côté, les interprétations sympathisantes investissent Mai 68 de vertus et de pouvoirs confortant leurs propres schèmes d’interprétation du monde social, dans une approche réductrice de la crise politique à l’une de ses dimensions38. Ces interprétations reflètent les intérêts politiques et symboliques de leurs auteurs qui cherchent à imposer, « à chaud », un sens et une lecture

32 Et ce dès la fin des événements. Philippe Bénéton et Jean Touchard en recensent ainsi plus d’une centaine en 1970 : cf., « Les interprétations de la crise de Mai-Juin 1968 », Revue Française de Sociologie Politique, 3, 1970, pp. 504-516. Chaque commémoration décennale de « Mai 68 » est ensuite marquée par un regain de production interprétative, et J.P. Rioux montre à ce propos que les commémorations décennales ont totalement reconstruit et mythifié l’histoire de Mai 68, en détournant « peu à peu le regard de l’événement lui-même » : cf.

Rioux J.P., « A propos des célébrations décennales du Mai français », Vingtième Siècle, n°23, juillet-septembre 1989, p. 57.

33 Nous renvoyons au premier chapitre de la thèse de Boris Gobille pour une présentation et une discussion critique et exhaustive de ces interprétations « à chaud », op. cit., p. 8-15.

34 Les interprétations en termes de complot sont principalement le fait des forces politiques de droite (cf.

allocution télévisée du Général De Gaulle, du 30 mai 1968) et d’extrême droite : cf. Duprat F., Les journées de Mai 68, les dessous d’une révolution, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1968.

35 Cf. Aron R., La révolution introuvable, Paris, Fayard, 1968 ; Stéphane A., L’univers contestationnaire, Paris, Payot, 1969.

36 Bénéton P., Touchard J., art. cit., p.506.

37 Aron R., op. cit., p. 13.

38 Qu’il s’agisse des interprétations en termes de « crise spirituelle », issues de penseurs chrétiens de gauche, à l’image du comité de rédaction de la revue Esprit (cf. numéro : « Mai 68 », Esprit, juin-juillet 1968), ou encore en termes de « nouvelle classe ouvrière », à l’image de celle d’Alain Touraine dans Le Mouvement de mai ou le communisme utopique, Paris, Seuil, 1968. Cf. également les multiples interprétations politiquement situées d’acteurs des événements dont on ne citera que quelques exemples : Geismar A., July S., Morane E., Vers la guerre civile, Éditions et publications premières, Paris, 1969 ; Cohn-Bendit Daniel et Gabriel, Le gauchisme, remède à la maladie sénile du communisme, Paris, Editions du Seuil, 1968 ; Kravetz M., Bellour R., Karsenty A., L’insurrection étudiante, 2-13 mai, Paris, Union Générale d’éditions, 1968 ; Sauvageot J., Geismar A., Cohn-Bendit D., Duteuil J-P., La révolte étudiante, les animateurs parlent, Paris, Editions du Seuil, 1968 ; Epistemon (Anzieu Didier), Ces idées qui ont ébranlé la France, Nanterre novembre 1967- juin 1968, Paris, Fayard, 1968 ; Lefebre H., L’irruption de Nanterre au sommet, Paris, Editions Anthropos, 1968.

(18)

univoques39 de Mai 68, inaugurant ainsi la lutte pour le monopole de la définition légitime des événements qui ne cessera d’être alimentée, avec un regain de productions à chaque commémoration décennale.

Une deuxième série d’interprétations voit le jour dans la deuxième moitié des années 1970.

Ce sont principalement d’anciens « soixante-huitards » qui contribuent alors à alimenter la production sur Mai 68, en livrant des interprétations fondées sur leur expérience personnelle des événements et des années suivantes. On assiste alors à une entreprise de construction d’une mémoire de Mai 68 et d’une figure idéale-typique du « soixante-huitard », fondée sur le devenir d’une petite poignée d’entre eux40. Isabelle Sommier analyse les caractéristiques socio-politiques de ces nouveaux « entrepreneurs de morale »41 et montre qu’il s’agit principalement d’ex-militants de la Gauche Prolétarienne reconvertis dans le champ littéraire ou journalistique42. Lancés dans une « campagne d’exorcisation de leur passé militant »43, ils livrent une interprétation univoque de Mai 68 qui prend les traits d’une « doxa intellectuelle »44 qui vient principalement légitimer et ériger en généralité leurs trajectoires singulières. Toujours selon l’auteure, la reconstruction de l’histoire de 68 et la solidification de cette doxa se fonde sur l’opposition entre un versant célébré des événements, celui du

« joli mois de mai, sympathique et indolore », et le versant dénoncé du gauchisme et de l’idéologie marxiste45, si bien que « l’exclusion du gauchisme devient le prix du sauvetage de Mai »46. Cette dénonciation (et délégitimation) du gauchisme politique participe d’une relecture finalisée de l’histoire de Mai 68 qui en propose (impose) une représentation pacifiée et ludique. Les événements de Mai 68 ne sont plus interprétés en termes de rupture mais en termes d’adaptation culturelle d’une société archaïque, certains allant jusqu’à attribuer à Mai 68 l’origine de l’individualisme contemporain47.

39 Il faut souligner ici une exception dans l’ouvrage collectif, Mai 68 : La Brèche, qui insiste au contraire sur le caractère multidimensionnel et complexe de la crise de Mai 68 et ne cherche pas à en livrer une interprétation unique : cf. Morin E., Lefort C., Coudray J-M. [Castoriadis Cornelius], Mai 68 : La Brèche. Premières réflexions sur les événements, Paris, Fayard, 1968

40 Ce qu’Isabelle Sommier qualifie de « mise en ordre d’une mémoire à travers les récits ex-post du soixante- huitard-type », « Mai 68 : sous les pavés d’une page officielle », Sociétés Contemporaines, n°20, 1994, p. 66.

41 Becker H. S., Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance, Paris, Métaillié, 1985 [1963], p. 171.

42 Sommier I., « Mai 68 : sous les pavés… », art. cit., p. 70-75.

43 Ibid, p. 64.

44 Pinto L., « La doxa intellectuelle », Actes de la recherche en sciences sociales, n°90, déc. 1991, pp. 95-100.

45 Sommier I., « Mai 68 : sous les pavés… », art. cit., p. 65.

46 Pisier E., « Paradoxes du gauchisme », Pouvoirs, n° 29, 1986, pp. 15-23, cité par Isabelle Sommier dans l’article précité, p. 65.

47 Cf. entre autre Lipovetsky G., L’ère du vide, Paris, Gallimard, 1983 ; Ferry L., « Interpréter Mai 68 », Pouvoirs, n°39, 1986, pp. 5-13. Isabelle Sommier distingue ainsi les transfuges « optimistes » et les transfuges

« pessimistes ». Les premiers sont caractérisés par une reconversion réussie et une trajectoire ascendante (à

(19)

On retrouve un mouvement similaire aux Etats Unis où les portraits d’anciens militants des années 1960 fleurissent dans la sphère médiatique des années 1970 et 1980, desquels ressortent l’image du « Yuppy opportuniste ». Les figures de Jerry Rubin, Eldridge Cleaver ou Tom Hayden font ainsi écran aux devenirs de tous les autres, qui, parce qu’ils n’ont pas accédé à la célébrité et/ou à des postes dans l’édition ou le journalisme, n’ont pas fait parler d’eux48. S’étonnant de la rareté des travaux scientifiques sur les générations militantes des années 1960, Doug McAdam tente de comprendre pourquoi ces figures médiatiques sont reprises et « fonctionnent » dans l’imaginaire collectif49. Cela permettrait selon l’auteur, de disqualifier un passé à moindre frais et de justifier la dépolitisation en renvoyant un militantisme radical à des activités « pas sérieuses » ou « de jeunesse »50. Ce schème est bien évidemment transposable en France pour les événements de Mai 68.

Au cours des années 1980, ce travail de reconstruction d’une mémoire de Mai 68 fondé sur la sélection d’une partie des faits et des devenirs et la relégation des autres se renforce autour de l’invention d’une « génération 68 ». La publication de Génération51, à la fin des années 1980, contribue à banaliser et médiatiser le label de « génération soixante-huitarde », gommant les parcours de soixante-huitards « ordinaires »52 et renforçant le lieu commun d’une génération

l’image de Serge July) et portent un regard positif sur des événements ayant « modernisé » la France, reconstruits à l’image de leurs stratégies individuelles de reclassement. Les seconds (dont font partie nombre des

« nouveaux philosophes ») se caractérisent au contraire par des ambitions contrariées et une relecture disqualifiante de Mai 68 : « Mai 68 : sous les pavés… », art. cit., p. 76-77.

48 En reprenant les travaux de Gitlin, Olivier Fillieule rappelle ainsi que « ceux qui, dans les années 70 et 80, sont en situation de « dire » le sens du mouvement des années 1960 – journalistes, commentateurs patentés, chercheurs et universitaires – sont souvent d’anciens militants, qui, sans forcément avoir renoncé à tous leurs idéaux, sont rentrés dans le rang et ont atteint des positions enviables » : Fillieule O., « Temps biographique, temps social et variabilité des rétributions », dans Fillieule O. (dir.), Le désengagement militant, Paris, Belin, 2005, p. 23 ; Cf. Gitlin T., « SDS around the Camp Fire », The Nation, 22 octobre 1977, p. 400-444 et Gitlin T., The Sixties. Years of Hope, Days of Rage, New York, Bantam, 1987. Cf. également le numéro consacré aux

« Youth Protest in the 60s », Sociological Focus, vol. 13, 3, août 1980.

49 Doug McAdam écrit ainsi: « their lives now serve as a general account of the contemporary biographies of yesterday’s activists », dans « The biographical consequences of activism », American Sociological Review, October 1989, n°54, p. 745.

50 Ibid, p. 745-746.

51 Hamon H., Rotman P. Génération, t.1. Les années de rêve, 1987 ; t.2. Les années de plomb, 1988, Seuil, Paris.

52 Bernard Lacroix écrit à ce propos que « cette mémoire globale (…) gomme les subjectivités et les parcours antérieurs et postérieurs à une expérience supposée commune. Elle ne fait pas la distinction entre militants et non militants, participants occasionnels ou simples spectateurs, voire opposants, pas de distinction non plus entre mouvement (…) et groupes politiques plus ou moins structurés », dans « D’aujourd’hui à hier et d’hier à aujourd’hui : le chercheur et son objet », Scalpel, dossier « Trente ans après comment expliquer Mai 68 », vol. 4- 5, 1999, p. 157. A propos de la saga de Génération, J.P. Rioux souligne qu’en se focalisant sur des militants emblématiques aux propriétés singulières (et non représentatives de l’ensemble) et insérés depuis dans le champ littéraire ou médiatique, les auteurs ont négligé « les échecs, les retours désespérés à la grisaille ou les destins professionnels communs. » : dans Rioux J-P., « A propos des célébrations décennales du mai français », Vingtième Siècle, n°23, juillet-septembre 1989, p. 54.

(20)

opportuniste, bien reconvertie, occupant des postes de pouvoir dans les champs politiques, médiatiques et littéraires53, et unanimement convertie au « libéral-libertarisme »54.

Sans rechercher l’exhaustivité, nous voulions montrer ici que ces diverses interprétations partagent un « double évitement de l’événement par le privilège accordé à ses racines ou par l’interprétation de ses conséquences supposées »55, et des postures rhétoriciennes non fondées empiriquement. Face à cette littérature largement insatisfaisante, voire nuisible à une histoire sociale ou une sociologie des événements de Mai-Juin 68, une des motivations initiales de notre enquête était de déconstruire la catégorie de « génération soixante-huitarde » par la mise en évidence empirique de plusieurs micro-unités de générations56, assez largement dissemblables et irréductibles à une interprétation univoque.

2) Analyser Mai 68 : les interprétations en sciences sociales

Nous ne rechercherons pas davantage l’exhaustivité dans la présentation des analyses sociologiques et historiennes des événements de Mai-Juin 68 que dans la partie précédente, et ne chercherons pas à développer une critique argumentée des thèses qu’elles défendent57. Ce survol servira plutôt à contextualiser (dans le temps et dans le champ universitaire) les différents travaux sur Mai 68, pour situer enfin le nôtre dans un ensemble de recherches récentes qui, face à la multiplication des analyses interprétatives, repartent des événements eux-mêmes (et non plus des causes ou des conséquences présumées) et ré-ouvrent ainsi un chantier de recherche en l’alimentant de matériaux empiriques.

53 Cette caractérisation de la « génération 68 » imprégnera de manière durable les représentations de l’événement, alimentant les essais hagiographiques mais également les pamphlets telle la Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary (Cf. Hocquenghem Guy, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, Marseille, Agone, 2003 [1986]). D’une autre manière, l’article de Gérard Mauger, « Gauchisme, contre-culture et néo-libéralisme : pour une histoire de la ‘génération 68’» (dans J.Chevallier (dir.), L’identité politique, Paris, CURAPP, PUF, 1994, pp. 206-226) nous semble également tomber par moment dans une interprétation réductrice des devenirs « soixante-huitards ».

54 Cf. July S., « De la politique au journalisme. Libération et la génération de 68 », Esprit n°5, mai 1978

55 Gobille B., « L’événement mai 68. Pour une socio-histoire du temps court », art. cit., p. 324.

56 Nous revenons plus loin dans l’introduction sur la définition précise de ce concept et de notre démarche empirique.

57 Dans la mesure où cela constitue un programme de recherche en soi, qui, s’il n’est pas dénué d’intérêts, ne correspond pas à mes motivations (cf. infra). Par ailleurs, cela a pour partie été déjà fait : Cf. Mauger G., « Pour une sociologie du mouvement étudiant de Mai-Juin 1968 », Nouveaux regards, 40-41, avril-mai 2008, p. 27-32 ; Gobille B., Crise politique et incertitude…, op. cit., chapitre 1 ; Gruel L., La rébellion 68. Une relecture sociologique, PUR, 2004, chapitre 1. Je m’appuie sur ces références dans les lignes qui suivent.

(21)

a) Des événements analysés « à chaud » puis étrangement oubliés Au lendemain des événements, les interprétations fleurissent également dans le champ universitaire58. La plupart d’entre elles tentent d’expliquer et de rapporter la crise à ses (son) déterminant(s), sans recul et dans des approches peu documentées empiriquement. Là aussi, leurs auteurs ont tendance à chercher (trouver devrait-on dire) dans les événements récents la confirmation de schèmes d’analyses développés dans les années précédentes59, ou du moins à rapporter le caractère inattendu, singulier et indéfinissable de la crise à des déterminants connus. Il en va ainsi de l’interprétation des événements en termes de « soulèvement de la jeunesse » que fait par exemple Edgar Morin60, dans le prolongement de ses analyses antérieures61 sur l’évènement d’une « culture adolescente » au début des années 1950. De manière similaire, Alain Touraine voit dans le Mouvement de mai62 l’avènement d’une

« nouvelle classe ouvrière », qui vient prouver le bien-fondé de ses travaux63.

Peu de temps après les événements, Raymond Boudon reprend à son compte la thèse des

« intellectuels frustrés »64 pour expliquer les mobilisations étudiantes de Mai-Juin 68 par la

« crise des débouchés »65. Et quinze ans plus tard, Pierre Bourdieu propose une interprétation des événements assez similaire66, du moins dans la mobilisation du schème du déclassement et de la « déqualification structurale des diplômes »67. Pour celui-ci, le décalage entre les aspirations liées aux diplômes obtenus (relatives à l’état antérieur du système) et les chances effectives de les satisfaire (largement diminuées par rapport à cet état antérieur) est à l’origine de « l’humeur anti-institutionnelle » des étudiants soixante-huitards, recrutés principalement

58 Nous ne traiterons pas ici des ouvrages (d’historiens principalement) qui portent sur les événements de Mai- Juin 68 sans chercher à les expliquer et en livrant par contre, de précieux matériaux archivistiques : cf. entre autre Perrot M., Perrot J-C., Reberioux M., Maitron J., « Mai-juin 1968, La Sorbonne par elle-même », Le Mouvement Social, n°64, Editions ouvrières, 1968 ; Vidal-Naquet P., Schnapp A., Journal de la Commune étudiante. Textes et documents. Novembre 1967 – juin 1968, Paris, Seuil, « L’Univers Historique », 1969 ; ou encore des ouvrage réunissant des slogans et/ou des tracts comme : Les murs ont la parole, Tchou, 1968 ; U.N.E.F./S.N.E.-S.U.P., Le livre noir des journées de mai, Paris, Seuil, 1968.

59 Comme le soulignent Boris Gobille et Gérard Mauger dans les travaux précités.

60 Morin E., « Culture adolescente et révolte étudiante », Annales ESC, mai-juin 1969, pp. 765-776.

61 Morin E., L’Esprit du temps, Paris, Grasset, 1962.

62 Touraine A., Le Mouvement de mai ou le communisme utopique, Paris, Seuil, 1968.

63 Touraine A., La Conscience ouvrière, Seuil, Paris, 1966

64 Roger Chartier met en évidence la récurrence de ce type d’interprétation en termes de frustration relative due à la discordance entre des aspirations, un niveau de diplôme et des postes devenus accessibles du fait de la surproduction des diplômés. Cf. Chartier R., « Espace social et imaginaire social : les intellectuels frustrés au XVIIème siècle », Annales ESC, 37-2, 1982, pp. 389-400.

65 Boudon R., « La crise universitaire française : essai de diagnostic sociologique », Annales ESC, 24-3, 1969, pp. 738-764.

66 Nous ne rentrerons pas ici dans le détail des divergences entre ces deux interprétations de la révolte étudiante.

(22)

dans la bourgeoisie et dans des disciplines « incertaines », au premier rang desquelles, la sociologie. Le schème du déclassement est également le fait d’historiens : Antoine Prost68 décrit l’état du système universitaire en termes d’inadéquation des structures à la croissance des effectifs et à l’évolution sociologique du recrutement (du fait de la démocratisation du système scolaire), et souligne aussi la surproduction de diplômés69. Ce schème interprétatif est également repris par Bernard Lacroix70 et Gérard Mauger71, bien que ce dernier soit revenu récemment sur cette position72.

Sans rentrer ici dans une critique argumentée du schème du déclassement, rappelons que sa validité a été mise en cause, tant sur le plan de la pertinence statistique73, que sur celui de la (non) perception du déclassement structurel à la fin des années 196074, mais également sur le plan du légitimisme qui sous-tend potentiellement les interprétations en terme de frustration relative75, ou enfin sur le plan du lien problématique entre la déception, le mécontentement, et la protestation ouverte76. En soulignant l’absence quasi-totale d’enquêtés correspondant au profil de l’étudiant déclassé issu des classes supérieures, et en mettant en évidence, au

67 Bourdieu P., Homo Academicus, Paris, Minuit, 1984, « Le moment critique », pp. 207-250. Pour une mise en perspective détaillée des différents recours au schème du déclassement, cf. Gobille B., Crise politique et incertitude…, op. cit., p. 73-79.

68 Prost A., Education, société et politiques. Une histoire de l’enseignement de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1992

69 Nous renvoyons ici au premier chapitre de la thèse où le travail d’Antoine Prost est mobilisé dans l’analyse des trajectoires d’intellectuels de première génération enquêtés.

70 Lacroix B., L’utopie communautaire, op. cit., ; « Trente ans après, comment expliquer Mai 68… », art. cit.

71 Mauger G., « Gauchisme, contre-culture et néo-libéralisme : pour une histoire de la ‘génération 68’», dans J.Chevallier (dir.), L’identité politique, Paris, CURAPP, PUF, 1994, pp. 206-226..

72 Il écrit en effet : « J’avais, trop hâtivement, repris ce schème d’interprétation à mon compte », dans « Pour une sociologie du mouvement étudiant de Mai-Juin 1968 », Nouveaux regards, 40-41, avril-mai 2008, note 17.

73 Cf. Gruel L., La rébellion 68. Une relecture sociologique, PUR, 2004, p. 23-66.

74 Ibid.

75 Sur le modèle de la frustration relative qui explique la mobilisation par un écart « trop grand » entre les attentes et la satisfaction réelle des besoins, cf. notamment Davies J.C., « Toward a Theory of Revolution », The American Sociological Review, fév. 1962, n° 1, pp. 5-19 ; Gurr T., Why Men Rebel, Princeton University Press, Princeton, 1970. Sur le légitimisme consistant à prêter aux dominés l’aspiration d’être et d’avoir ce que les dominants sont et possèdent, cf. Gobille B., Crise politique et incertitude…, op. cit., pp. 89-112. Nous serons néanmoins amenés à revisiter le modèle de la frustration relative au cours de la thèse et à souligner son intérêt pour analyser des situations produites par le militantisme.

76 En effet, comme l’ont montré de nombreux travaux en sociologie des mobilisations, il y a toujours assez de frustrations pour expliquer une mobilisation. Cf. entre autres Fillieule O., Péchu C., Lutter ensemble. Les théories de l’action collective, Paris, l’Harmattan, 1993, p. 62-63; Jenkins J. C., Perrow C., « Insurgency of the Powerless : Farm Worker Movements (1946-1972) », American Sociological Review, 42, 2, p. 249-266. Par ailleurs, le mécontentement suscite des stratégies diverses, dont la protestation (Voice, pour reprendre les termes d’Hirschman) n’est qu’une des issues possibles (à côté du repli, de la fuite ou encore du réajustement des aspirations aux positions occupées). Cf. Hirschman A. O., Défection et prise de parole : théorie et applications, Paris, Fayard, 1995 [1970] ; Michel Dobry dénonce également une utilisation tautologique du schème de la frustration qui est à la fois la cause de la mobilisation, et que la mobilisation met en évidence : Dobry M., Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de la FNSP,

Références

Documents relatifs

Même si ces neurotransmetteurs et leurs structures associées ne sont pas directement impliqués dans les mécanismes à l’origine des psychoses, l’action des antipsychotiques et

Voir l’exemple de la feuille de cours « Probabilités conditionnelles », et plusieurs exemples de « Probabilités condition- nelles : exemples de modélisation », en

[r]

Deux événements A et B sont indépendants s’il n’y aucun lien de causalité entre eux, c’est à dire si la réalisation de l’un n’a aucun impact sur la réalisation de

[...] Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu’on entende bâillonner le peuple français tout entier,

LES STRUCTURES ENGENDRÉES PAR DES INDISCERNABLES : THÉORIE ÉLÉ№NTAIREi Dans le but de motiver la définition d'ensemble d'indiscernables considérons d'abord la construction

Dans le cadre du programme TERRELIT (« Les disparités territoriales dans l’accès aux formations d’élite. La situation des Pays de la Loire au regard des autres régions

nelles et d 'une petite école orientée vers les conceptions nouvelles, d es maîtres ont par- fois enseigné en deux clnsses sans changer leur méthode, séduits