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b) Les effets à court terme de Mai 68 sur l’école Vitruve

2) L’école Ange-Guépin : une école née des bouleversements pédagogiques post-68

La dissymétrie des matériaux recueillis sur les deux écoles est en grande partie due à l’absence d’archives conservées à l’école Ange-Guépin54. L’historique présenté ici a néanmoins pu être reconstitué à partir des entretiens croisés d’une institutrice ayant participé à l’ouverture de l’école, des entretiens répétés avec Bernard qui fut directeur d’Ange-Guépin pendant la quasi-totalité des années qui nous intéressent, des entretiens de deux enquêtés, animateurs socio-culturel, qui ont participé au stage d’encadrement de la première équipe enseignante avant l’ouverture de l’école et enfin du précieux témoignage de Roger Boudy, inspecteur à l’origine de l’ouverture d’Ange-Guépin. Au-delà du témoignage oral de ce dernier, retrouvé tardivement dans l’enquête (en juin 2007), il faut souligner l’étonnant travail de reconstitution de l’histoire d’Ange-Guépin dans lequel Roger Boudy s’est lancé suite à notre premier entretien. Il a ainsi retrouvé diverses documents liés à la création de l’école, sollicité les témoignages de nombreux instituteurs et directeurs de l’école – de 1974 à aujourd’hui – et a consigné l’ensemble de ces archives sur son site personnel55.

53 On ne peut s’empêcher de faire ici le parallèle avec les processus d’importation et de transformation de la critique artiste dans les sphères capitalistes décrits par Luc Boltanski et Eve Chiapello dans Le Nouvel Esprit du Capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.

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Les « archives » de l’école auxquelles j’ai eu accès consistent en une armoire métallique contenant principalement des registres d’anciens élèves, des carnets et bulletins scolaires, quelques documents pédagogiques (relatifs à une période trop récente pour nous intéresser), et quelques articles de presse sur l’école (également récents pour la plupart).

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Nous n’avons pas anonymisé ce dernier dans la mesure où nous citerons à plusieurs reprises ce site : http://roger.boudy.free.fr/malako.htm, sur lequel R. Boudy a d’ailleurs publié – sans me prévenir – le courriel que je lui avais envoyé pour entrer en contact avec lui, ainsi que le document suivant : « Note de synthèse sur la création de l’école ouverte de la Zup Malakoff à Nantes de Roger Boudy IEN honoraire d’après ses souvenirs de 1973-1977 pour Julie Pagis. Le 3-08-2007 ».

a) De Mai 68 à Périgueux au projet d’école ouverte à Nantes : changement de décor politique et pédagogique

De même qu’à Vitruve, l’école Ange-Guépin doit donc son existence au projet d’un inspecteur atypique, Roger Boudy, qui s’investit en 1973 dans un projet de création d’« école ouverte » à Nantes.

Né en 1942 en Dordogne, R. Boudy est fils d’un receveur et d’une employée des postes, proches des radicaux socialistes mais non militants. Il reçoit une éducation catholique « minimale »56 selon ses termes et il est scolarisé dans le public. Après avoir obtenu le baccalauréat et commencé des études de mathématiques et de physique, il devient professeur de collège en Dordogne. Il est professeur dans un collège-lycée de Périgueux en 1968 et il suffit de s’attarder un instant sur son registre de participation aux événements de Mai-Juin 68 pour prendre la mesure de la différence entre les deux terrains enquêtés. En effet, dans cette ville de 35 000 habitants, R. Boudy raconte que :

« Mai 68 s’est passé très pacifiquement : y’a pas eu de voitures brûlées ou quoi que ce soit…y’a eu une manifestation « pour » et la traditionnelle manifestation « contre ». Sinon, c’était surtout

un mois de grève dans le lycée et la participation aux AG intersyndicales quotidiennes »57

Il est alors responsable du SNC (Syndicat National des Collèges) – « un peu dissident du SNI, parce que le SNI ne s’occupait pas des collèges »58 – et quand je lui demande comment il se situe politiquement dans ces AG, il répond : « Non, politiquement, j’ai jamais été encarté non…j’ai toujours été de gauche hein mais pas militant ». Ces quelques données, bien que lacunaires, suffisent à souligner que les représentations d’un Mai 68 parisien, extrêmement politisé, où les avant-gardes luttent pour le monopole de la radicalité, où les appartenances politiques sont très clivantes, ne correspondent en rien à la réalité du Mai 68 vécu par R. Boudy à Périgueux. Imprégnée du terrain parisien, il m’a fallu un certain temps pour cesser de poser des questions désajustées à R. Boudy, dont celle-ci n’est qu’un exemple :

« Est-ce que ces AG étaient le lieu de prises de positions politiques, d’oppositions entre maos,

trotskistes, communistes par exemple ?

Non, il n’y avait pas du tout ça, c’étaient des AG syndicales, on discutait des problèmes de l’époque en terme d’éducation : l’autogestion…Y’avaient des prises de parole brillantes, je me

56 Extrait de l’entretien téléphonique du 06/07/07. Il est utile de préciser ici que cet entretien a un statut informatif (sur l’histoire d’Ange-Guépin) et n’a pas du tout été mené dans le sens d’un entretien ethnographique approfondi (dans la mesure où R. Boudy ne fait pas partie du corpus enquêté et également du fait de la date tardive à laquelle nous l’avons contacté, date à laquelle le terrain était « terminé »).

57 Extrait de l’entretien téléphonique du 05/07/07. 58

souviens du gars du SGEN-CFDT, c’était passionnant, on avait aussi un prof brillant de la FEN,

c’était passionnant quoi… »59

Cette méprise de ma part doit être rapportée à l’inévitable influence des représentations de Mai 68 dont je disposais en amont de l’enquête sur la construction du corpus et des questionnaires. Mais élargir l’enquête à cette école que je pensais « similaire » à Vitruve a finalement permis d’accéder à un terrain différent mais néanmoins comparable, comme peuvent être comparés les formes prises par les événements de Mai-Juin 68 à Paris et dans différentes villes de province. Car Mai 68 a également infléchi la trajectoire de R. Boudy qui se présente au concours d’inspecteur en 1972 :

« J’avais l’impression, dans la foulée de 68, qu’il y avait moyen de changer les choses, qu’on pouvait trouver des façons de faire autrement, de changer le système…En étant inspecteur je

pourrais participer à cet élan »60

Reçu au concours, il suit la même année un stage sur les « écoles ouvertes »61 au cours duquel il visite l’école de St Fons dans la banlieue de Lyon et celle du quartier de la Villeneuve à Grenoble où il rencontre son fondateur, Raymond Millot, qui se trouve être un des instituteurs pionniers de l’école Vitruve62. Inspiré par l’expérience grenobloise, Roger Boudy projette de construire une école ouverte au cœur d’une cité ouvrière de Nantes, au pied des tours HLM du quartier de Malakoff, qui travaillerait étroitement avec le centre socio-culturel du quartier, lui-même animé par des membres des « Francs et franches camarades »63. On retrouve l’objectif initial de lutte contre l’échec scolaire (cf. Document 1 ci-dessous64) qui avait également motivé Robert Gloton dans le quartier populaire de Vitruve. Mais quand je demande à R. Boudy s’il qualifierait de « politique » son projet d’école, il réfléchit un moment avant de répondre :

59 Ibid.

60 Extrait d’un courriel daté du 15/07/07.

61 Le principe des « écoles ouvertes » résidait dans l’ouverture du « scolaire » sur la vie quotidienne des enfants : le quartier, les familles, la vie sociale, les loisirs, etc, l’ouverture étant concrètement facilitée par une architecture appropriée et l’ouverture de l’équipe pédagogique à des animateurs de centres socio-culturels. Leur statut fut réglementé par une circulaire de 1976.

62 Raymond et Rolande Millot ont en effet participé à la première équipe enseignante de Vitruve, avant 1968 et sont partis fonder l’école ouverte de la Villeneuve en 1972.

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Les Francas (anciennement Francs et franches camarades) sont un mouvement d’éducation populaire créé en 1944 par des militants provenant des Eclaireuses et éclaireurs de France, des Cemea et des Auberges de Jeunesse, reconnus d’utilité publique et agréés par différents ministères. Ils rassemblent des associations départementales formées d’adhérents, de personnes morales, de centres de loisirs et de collectivités territoriales. Les références bibliographiques concernant les mouvements d’éducation populaires seront mobilisés au fil de l’argumentation (chapitre 1, chapitre 4)

64 Roger Boudy nous a envoyé ce document (et d’autres) par courriel, le 22/07/07. Il l’a également mis en ligne, avec d’autres, sur la page internet précitée.

« Oh non, je dirais plutôt que c’était de la pédagogie expérimentale…Mais dans toute pédagogie

il y a de la politique bien sûr, c’est pas Platon qui disait déjà ça ? (il rit) »65

Et de manière assez similaire, les référents pédagogiques sont sensiblement différents de ceux ayant motivé la création de Vitruve:

« Vous participiez à des mouvements pédagogiques comme le GFEN ?

Oh non… tout ça, c’était des « pré-carrés » réservés à des militants qui y trouvaient surtout du pouvoir, qui se cooptaient entre eux. (….) Je faisais des études à Bordeaux-3 et par la suite à Rennes-2, des recherches sur l’enseignement des mathématiques au CM2 et dans les collèges.

Malakoff a été l’un de mes terrains d’expérimentation66 (…). On avait trois références

principales : le concept d’école à aire ouverte ; les Francas et les CLAE67 ; et puis les méthodes

actives, Freinet et aussi la Recherche-action »68

65

Extrait de l’entretien téléphonique du 05/07/07.

66 Roger Boudy a consigné des documents et des photographies de cette « recherche-action » sur les méthodes actives en mathématiques auprès d’élèves de CM2 à Ange-Guépin : cf. http://roger.boudy.free.fr/report.htm 67 Centre de Loisir Associé à l’École. Nous en reparlons dans le chapitre 4.

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b) Histoire de l’école au travers de l’histoire de Bernard

Après avoir repéré plusieurs instituteurs – au cours d’inspections dans la région de Nantes –, R. Boudy constitue une première équipe enseignante pour participer à l’expérience. C’est ainsi que Gwenaëlle69 est invitée à rejoindre l’équipe :

« J’avais fait pas mal de classes de mers, des trucs qui sortaient un peu de l’ordinaire pour l’époque, et là j’ai été inspectée et mon inspecteur m’a proposé : voilà, j’ai un projet d’ouverture d’une école à aire ouverte sur Malakoff, il nous avait expliqué un peu ce que c’était, et il

m’avait dit : je vous y verrais très bien…Et j’ai donc participé à un stage »70

L’équipe réunie suit un stage de formation aux écoles ouvertes animé entre autre par R. Boudy, des animateurs Francas du centre socioculturel de Malakoff et des formateurs de l’école normale du Mans. Les différentes expériences d’écoles ouvertes leur sont présentées au cours de ce stage, dont celle de Vitruve, qui n’avait d’ailleurs pas séduit Gwenaëlle71

. L’école est construite au cours de l’année 1973, selon une architecture « ouverte » consistant à penser l’espace scolaire autour de la bibliothèque, centrale sur laquelle l’ensemble des classes converge. Les cloisons entre les classes et avec la bibliothèque sont mobiles, rendant ainsi l’espace modulable selon les activités entreprises. Les premiers élèves sont scolarisés à la rentrée 1974, et le projet d’intégrer le centre socioculturel à l’école passe par l’animation de la pause-déjeuner et de la cantine par des animateurs. Ces derniers n’arriveront cependant jamais à mettre en place un véritable CLAE72 (Centre de loisir associé à l’école).

Et ce n’est qu’avec le départ en retraite du premier directeur et l’arrivée de Bernard à Ange-Guépin, à la rentrée 1975, que le fonctionnement de l’école devient réellement différent des écoles classiques :

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Née en 1944 dans une famille de petits artisans bretons, Gwenaëlle reçoit une éducation catholique. Élève chahuteuse, elle est renvoyée à plusieurs reprises des institutions religieuses dans lesquelles elle poursuit ses études secondaires, mais finit par obtenir son baccalauréat et fait une première année en sciences économiques à l’université de Rouen. Elle commence sa carrière d’institutrice à Paris où son mari est muté en 1964, et rentre en Bretagne en 69.

70 Extrait de l’entretien réalisé au domicile de Gwenaëlle le 09/02/06.

71 Celle-ci se rappelle : « J’ai vu un film qui avait été fait sur Vitruve, qui m’avait pas convaincu si ma mémoire est bonne : c’était trop fouillis… Si tu connaissais pas l’objectif de l’équipe pédagogique, le film ne donnait pas d’idées…tu voyais des enfants partout sans savoir ce qu’ils allaient faire », Ibid.

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Louis explique à ce propos : « On a beaucoup participé, ne serait-ce qu’en tant qu’animateur du quartier, on disposait de moyens mis au service de l’école, mais quand on a abordé avec les enseignants comment on pourrait collaborer parce que normalement « ouvert » c’est dans les deux sens, donc elle est ouverte sur l’extérieur, et l’extérieur doit pouvoir rentrer… Donc nous on se positionnait en tant que co-éducateurs, c’était un terme des Francas notamment (…) Et bon, y’a jamais vraiment eu d’entrée du centre culturel dans l’école… », extrait de l’entretien réalisé au domicile de Louis le 08/02/06. La trajectoire de Louis, représentative d’un profil de reconversion de dispositions contestataire dans le secteur de l’animation socioculturelle, fait l’objet d’un long développement dans le chapitre 4.

« Après mon arrivée, on a organisé le travail d’une façon complètement différente, avec : partage des responsabilités ; définition de postes de responsabilités : gestion de la bibliothèque, l’animation des ateliers de lecture, y’avait la coopérative scolaire, les relations avec les parents, la mairie, et ça repose toujours sur le directeur donc on a dit : on définit des postes et on se répartit les tâches : direction collégiale. Et j’ai même été plus loin dans la cohérence : j’ai décidé que les indemnités de direction, versées par la ville, soient partagées, et donc je les ai partagées avec tous les autres collègues pendant toutes ces années, et même avec la personne de la cantine

scolaire et avec le gardien de l’école, qui participait aussi à l’animation. »73

J’ai mis du temps à comprendre comment situer l’école Ange-Guépin, tant les appartenances politiques et pédagogiques ne semblaient pas centrales dans les identités des instituteurs d’Ange-Guépin. Si Annette74 était militante Freinet, Gwenaëlle, « très peu politisée », répond ainsi à ma question concernant ses références pédagogiques :

« Ma pédagogie c’était de surtout ne pas faire aux enfants ce qu’on m’a fait à moi : l’humiliation, « tu sais pas faire », « c’est pas bien »… Il paraît qu’on perpétue souvent ce qu’on

t’a fait à toi, moi ça a été l’inverse. Et 68, ça a été ma petite réaction, ça a permis ça aussi… »75

Mes questions concernant la mise en place d’un conseil d’école, l’ouverture aux parents, les pédagogues de référence à Ange-Guépin, les effets éventuels de Mai 68 sur l’école n’ont pas plus inspiré Éric76, instituteur de la première équipe : « Pour tout ça, faut demander à Bernard, c’est lui qui a apporté tout ça ». Le premier terrain à Nantes en novembre 2004, m’a permis de comprendre que l’histoire de cette école77 et de son recrutement était fortement liée à la figure centrale de Bernard, peu évidente à cerner au premier abord, comme l’atteste ses propos censés m’éclairer sur ses références pédagogiques :

« Je suis arrivé en 1975, avec mon histoire, mon passé, et donc j’avais un peu de ressentiment, et fallait que je l’exprime (il rit) ! J’avais pas forcément l’étiquette Freinet, mais avec tout mon passé de recherche, j’avais la pédagogie du projet, Rudolf Steiner, Montessori, j’avais approché tous ces grands pédagogues, et puis la dynamique des groupes, et l’énergétique chinoise, la sociologie… C’était mes références, je n’avais pas d’étiquette »

73 Extrait du premier entretien réalisé au domicile d’Hubert le 22/11/04, durant 8h00 ! Tous les extraits d’entretiens avec Bernard cités par la suite sont issus de cette journée.

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Annette, institutrice Freinet, a participé à l’enquête par questionnaire mais nous ne l’avons pas rencontrée. 75 Extrait de l’entretien du 09/02/06.

76 Après avoir accepté de répondre au questionnaire, Éric n’a finalement pas participé à l’enquête. J’analyse aujourd’hui ce refus, qui m’a d’abord étonné de la part d’un ancien instituteur de l’école, par le décalage entre mes questionnements concernant les effets de Mai 68 sur la trajectoire des enquêtés et sa trajectoire d’instituteur qui n’a semble-t-il pas vraiment croisé les événements (d’après les récits des autres instituteurs rencontrés). 77 Au-delà de sa création par R. Boudy, découverte ultérieurement. Celui-ci quitte d’ailleurs assez rapidement la région (1977).

On ne peut ainsi comprendre l’histoire de l’école Ange-Guépin sans faire le détour par la trajectoire de Bernard et l’analyse des effets biographiques – notamment professionnels – de sa participation à Mai 68.

Bernard, un instituteur atypique, maître de Chi-Kong et spécialiste de médecine chinoise

Bernard est né en 1936, dans un petit village à 30 km de Nantes, de parents boulanger-pâtissier, catholiques et politiquement de droite. Bon élève, il part à dix ans suivre des études secondaires dans un collège catholique où il souffre de l’internat : « J’ai mal vécu l’enfermement ; faut dire que ce collège c’était vraiment une prison… ». Le baccalauréat en poche, il s’inscrit en psychologie à l’université de Montpellier, tout en enseignant parallèlement dans une école privée pour gagner sa vie :

« Sortant d’un milieu fermé où c’était très rigoureux, j’avais besoin d’espace donc je m’en vais dans le midi ! Là on se marrait bien : la vie d’étudiants, après huit années de collège en internat ! Découvrir la Méditerranée, la garrigue, les copains les copines, la liberté… »

Après deux années de psychologie, devant l’absence de perspectives professionnelles dans cette voie, il devient instituteur remplaçant en Loire-Atlantique. Mobilisé en 1959, il fait 28 mois de service militaire dont une année en Algérie, de laquelle il rentre « dégoûté et plutôt découragé » : « certains de mes copains étaient blessés, d’autres ont été tués, d’autres ont perdu la tête…moi j’étais plutôt démotivé, j’ai pas mal flotté ». Il enseigne de 1962 à 1967 dans une petite école de campagne entre St Malo et Nantes où il dit retrouver peu à peu goût à la vie dans la perspective d’améliorer le niveau « désastreux » des élèves par la mise en œuvre de pratiques pédagogiques différentes. Il suit parallèlement une formation d’animateur de centres de vacances jusqu’à l’obtention du diplôme de directeur, et se syndique au SNI dans la tendance « Unité action » (proche du parti communiste).

Il est instituteur dans une école primaire de Nantes en 1968, et les événements des mois de mai et juin vont jouer un rôle de socialisation de prise de conscience :

« Mai 68 arrive et alors là, ça a été un grand bouleversement…pas l’illumination, mais le tapage qui éveille...cette espèce de bouleversement intérieur qui révèle des choses qu’on a en soi, intérieurement, confusément, dans le cœur, et qui n’attendent qu’une petite étincelle…Pour moi c’est le mouvement de Mai 68 : j’avais avancé peu à peu dans un métier que je ne faisais pas bien (…) et avec l’Algérie, j’étais quand même dans l’obscur, mais avec quelques grains de lumière qui me disaient : ça serait bien si on faisait ça…Et mai 68 a été un grand réveil, un surgissement…J’ai pas les mots, mais une ouverture parce que j’ai vu que ce que je pensais, que

j’exprimais plus ou moins bien avec les collègues, à travers le syndicat…eh bien les autres pensaient comme moi, c’est à dire qu’il y avait un besoin de balayer beaucoup de poussière, de lourdeur […] Tout d’un coup, les collègues déballaient leur sac et ils en disaient de toutes les couleurs ! J’ai découvert qu’il y avait un enfermement de la parole, dans les habitudes, dans des craintes et là y’avait un plaisir incroyable dans cette libération, et cette contestation qui était alors exprimée ! Ça m’allait bien parce que j’allais vers quelque chose de plus dynamique avec les centres de vacances, plein de techniques avec les moniteurs formés aux CEMEA et Mai 68 arrive et ça renforce mes convictions de changement, de changer ma façon de faire ».

Si Bernard participe peu aux manifestations au cours des événements, il s’implique intensément dans le militantisme syndical enseignant. Au cours des AG enseignantes quotidiennes qui se tiennent dans une grande salle mise à leur disposition par la FAL (Fédération des Amicales Laïques), il prend conscience qu’il n’est pas le seul à être animé du désir de réformer profondément sa profession et cela participe de sa radicalisation78. Mais son activité militante principale en Mai 68 consiste à aller à la rencontre d’instituteurs et de

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