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C De la détermination de l’objet et du sujet étudiés, concernant la criminalité féminine.

21- Investigation et intervention clinique

Il en est théoriquement de l’objet d’investigation comme il en est pratiquement du sujet sur lequel porte l’intervention. Mais s’il y a une analogie entre l’objet d’investigation et le sujet d’intervention, en cela qu’ils sont communément contenu d’étude (en tant qu’objet) ou contenu de prise en compte (en tant que sujet), ils ne se confondent pas. D’où vient en cela, sans doute, le hiatus entre la pratique objectale de l’expert et la pratique subjective du thérapeute.

D’où vient en cela probablement le sentiment du thérapeute, que la personne dont il s’occupe, qu’il prend en charge diront certains, est réduite par l’expert à l’objet d’une autre question que la sienne, celle du magistrat ; qu’ainsi le pronostic médical de l’expert s’apparente de fait à une mantique juridique. Les débats sur la validité des cliniciens du soin, en tant qu’experts commis par le juridique et qui se soumettent, en général sans grand discernement à la Weltanschauung d’icelui, sur des sujets comme le risque de récidive définie pénalement, semblent rendre compte de cette confusion de l’objet d’investigation et du sujet d’intervention. Tant il semble que l’expert se sert de la description, de l’explication, de la construction, et de l’orientation thérapeutique pour répondre au lieu de la formalisation juridique, faisant ainsi un grand écart. Remarquons ironiquement que la question sexuelle est au centre des débats socio-pénaux, comme elle l’est en son versant organique de l’écartement : gare à la rupture de l’organe, hormis pour celui que le doute habite.

Cependant si l’analogie de l’objet d’étude et du sujet de la prise en compte est congrue, Il est possible de travailler sur l’analogie trinitaire de la prise en compte dans le pouvoir modulaire (didactique – thérapeutique – juridique). Ainsi si théoriquement la criminalité est structuralement épicène, malgré ses différences conjoncturales et contextuelles ; si l’objet humanisé est susceptible de renversement du fait de la dialectique (l’immanence contradictoire du principe), cela induit que le sujet humanisé l’est aussi. De fait le diagnostic ne peut se départir d’un pronostic prenant en compte la dialectique et la métastabilité (pour parler comme Sivondon) du principe.

Le caractère éminemment contradictoire du principe, la bipolarité chinoise et présocratique ainsi que son corollaire le renversement, induit la possible réversibilité des états de conscience, conduite, condition et comportements du sujet traité dans l’enseignement, le soin,

la sanction. Ce qui induit, de fait, à ne pas restreindre la personne à une position unique et focalisée du sujet. Le même principe, comme dit l’adage populaire, donne le meilleur et le pire, les défauts des qualités et les qualités des défauts. Pronostiquer une dangerosité à venir, parce que le sujet a été, en un moment – lieu – ambiance, en état d’infraction, renseigne plus sur l’impuissance heuristique ou la crainte de l’oracle que sur la pertinence de son propos. Ceci étant dit, ontiquement nous ne ferions pas mieux ; éthiquement, par contre, il est à espérer que nous ne consentions pas à prononcer de telles billevesées.

Certains tenant de la psychothérapie, et surtout de la psychopédagogie, du côté de l’intervention, dans une démarche allopathique, quelque fois cherchent à ramener l’impudent à la raison. Ils tiennent - à vrai dire- peu compte de la raison d’icelui, en lui inculquant des habiletés sociales concordantes et congrues en lieu et place de distorsions cognitives incongrues socialement. Ou ils cherchent une névrotisation empreinte de culpabilité (chrétienté platonicienne quand tu nous tiens !) afin de recouvrer une altérité de bon à loi et aloi. En cela, il participe comme guérisseur d’une focalisation identique à celle de l’oracle. Le fait que leurs actions puissent avoir une certaine efficacité n’est pas remis en cause. Mais comme le dit la réclame : tous le gagnants du Loto ont joué au moins une fois. D’autre part si l’on conçoit l’agression comme une rencontre mimétique où se met en branle et en acte un écho de vulnérabilité psychique, dans lequel les projections et les identifications entre vulnérant et vulnéré se mutualisent ; Celui qui a imposé une emprise à l’autre peut se laisser imposer l’emprise par un autre. Combien de mauvais garçons sont-ils bons garçons dans le conformisme de la carcéralité et l’adhérence au discours potentiaire ! Sans omettre que le dit bon garçon dans la légalité, peut dissimuler légitimement, une parfaite mauvaise foi, sous couvert du respect de la parole de l’autre.

En ferions nous, et plus, en faisons nous différemment en des circonstances professionnelles, conjugales, parentales, amicales, où nous sommes gênés aux entournures ? « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ! » nous transmettent les évangiles canoniques, en ce qui concerne le jugement à l’encontre de la femme adultère. Georges Brassens ajoutant : « Ne jetez pas la pierre à la femme adultère. Je suis derrière ! » ; et « Et si les chrétiens du pays, Sans vergogne, Jugent que cet homme a failli, Homme a failli. Ça laisse à penser que, pour eux, Sans vergogne, L'Evangile, c'est de l'hébreu, C'est de l'hébreu. »

« Cette parole [sur l’agression sexuelle] qui va être jugée, son existence même (vais-je parler ?), sa possibilité (puis-je parler ?), les conditions de sa tenue (quand et comment vais- je parler ?), sa nécessité (dois-je parler ?), son contenu (dois-je en parler ? Va-t-il en parler ? Qu’est ce que je veux qu’il entende ? Comment va-t-elle le prendre ?), ses effets et conséquences, judiciaires ou non, sont une préoccupation constante au temps de la procédure pour l’auteur comme pour la victime.

Or la procédure, le traitement processuel pèsent de multiples manières sur ces paroles et, en cela, l’auteur et la victime n’ont pas tort de s’inquiéter des conditions de leur tenue. Les règles de procédure organisent ces paroles, les formatent, les restreignent, les canalisent, elles les déforment, les reprennent, les répètent ou les négligent. Elles les transforment. La procédure les rapporte aux statuts successifs qu’elle donne aux protagonistes. Elle ne les appréhende qu’au regard de leurs possibles conséquences juridiques mais elle leur fait produire des effets sur des registres très différents : qualification des faits, orientation procédurale, culpabilité, personnalisation de la peine, appréciation du préjudice. Les paroles tenues durant la procédure produisent toutes sortes de conséquences judiciaires complexes qu’auteurs et victimes pressentent sans le plus souvent pouvoir bien les comprendre et encore moins les anticiper.

C’est qu’ils les vivent le plus souvent sur un tout autre registre, plus personnel, plus émotionnel et longtemps après le procès, les « paroles » que la justice pénale aura ainsi

mises en scène selon ses normes continueront d’être présentes pour eux comme des paroles

qui ont été librement tenues et au surplus lestées par la solennité du cadre dans lequel elles ont été prononcées. » 38

C’est ici où la mantique expertale est sujette à caution, car elle substantifie le sujet de sa clinique de à l’état de l’objet étudié dans le Hinc et Nunc et Sic du procès juridique (à l’instar de l’evidence based medecine envers laquelle le regretté Edouard Zarifian émettait de justes réserves). Encore une fois tous les experts ne sont pas à mettre dans le même panier de… Cependant seraient ils si affirmatifs dans leur exercice du pronostic thérapeutique, ces mêmes experts prompts à répondre aux questions magistrates ? Pour peu qu’ils soient enseignants dans leur champ de compétence, seraient ils si affirmatifs sur le devenir de leurs étudiants ? N’ont-ils jamais vu des étudiants d’abord laborieux épanouir leurs facultés ; des

38 Danet J. Parole de l’un contre parole de l’autre ? Statut de la parole et traitement processuel. in : IVème congrès

étudiants d’abord brillants s’accomplir dans la connaissance commune, le savoir endormi, et dévoyer la connaissance scientifique – pour reprendre les propos de Gaston Bachelard ? Seraient ils si affirmatifs dans le pronostic du devenir de leurs enfants, tenant compte de l’éducation dispensée dans leur paternité épicène ?

La nature a horreur du vide, la culture a horreur du plein. Aux innocents (qui ne peuplent pas seulement les prisons) les mains pleines !

Il serait vain de penser que seul en sa position d’expert, le clinicien réifie l’objet d’investigation et le sujet d’intervention. Les notions de restructuration cognitive, de vérité du sujet, de prise en charge de la globalité d’icelui, de l’universalité de l’Oedipe etc. de la part du thérapeute n’ont pas grand-chose à envier à la mantique expertale. Fort heureusement dans un cas comme dans l’autre la pragmatique (prisée à raison par les pensées chinoise et anglo- saxonne) se passe des grands principes et des grands sentiments. Et l’élève au sortir de l’école comme le patient au sortir de la thérapie ou le justiciable au sortir du parcours pénal, s’ils n’ont pratiquement rien retenu des contenus de ce pourquoi et en quoi leurs mentors pensaient leur apprendre, traiter ou diriger, peuvent néanmoins se transformer. Postulons qu’en tant qu’humain ils s’approprient les dons grâce à la capacité anthropologique de révolution. « Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers le, pour le posséder » : asserte Goethe.

Ce pourquoi répondre en oracle en terme d’évolution restreint l’humain à son animalité. Ce

n’est pas bien fin et même injurieux pour l’humanité, qui elle révolutionne sa Pensée par le

Signe, son Art par l’outil, son Histoire par la Personne, sa Liberté par la Norme. Les abus ne sont pas que sexuels en notre monde. Comme le dit Boris Cyrulnik39 : « Il existe aussi des abus textuels, qui ne sont pas moins problématiques pour le genre humain. » Pourtant les tenants actuels de la Pythie partagent l’inanité, avec leurs sujets, d’expliquer le devenir par l’évolution, que nous partageons certes avec l’animal, mais que nous révolutionnons dans l’équilibre du déséquilibre, l’Omalon de l’Anomalon pour paraphraser Aristote dans « L’homme de génie et la mélancolie » (au rebours de celle de Delphes, inscrite dans la théodicée). Quelque fois la Pythie est pitoyable, surtout quand elle se targue de répondre au lieu de questionner.

39 Cyrulnik B.