• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 Contexte à l’étude : considération éthiques, épistémologiques et

2.3 Organisation du travail psychiatrique et psycho thérapeutique dans le Nord

2.3.2 Pour les Inuit

Depuis la ratification de la Convention de la Baie-James et du Nord-du-Québec (CBJNQ), le Nunavik est devenu région administrative dont les services sociosanitaires sont gérés par le Conseil régional de la santé et de services sociaux Kativik (CRSSSK), basé à Kuujjuaq. Cette instance, devenue la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik (RRSSSN) en 1995, s’occupe du recrutement du personnel et de l’administration des services et soutient les deux établissements de santé de la région : Centre de santé Inuultisivk à Puvirnituq et Centre Tulattavik à Kuujuaq (Lessard 2015). Le poste de directeur des centres de santé est réservé à un ou une Inuite, pour permettre un meilleur accord entre les besoins locaux, les intérêts de la communauté, les employées et les services promulgués. La division des services en secteurs rendrait parfois plus difficiles les remboursements, en raison de tension avec les

76

SSNA. Les thérapeutes rencontrés n’étaient pas tout à fait au courant de l’organisation des services, et de la provenance du financement en raison de séparation complexe des pouvoirs et des compétences.

Les villages du Nunavik sont regroupés en deux sous-groupes selon la côte qu’ils bordent : Ungava ou Hudson. Puvirnituq et Kuujjuaq sont les villages le plus populeux de chaque côte. Y sont situés les deux centres de services où des directeurs-rices gèrent l’embauche et les services. Les postes de services de chacune des communautés sont affiliés à l’un des deux centres, selon la côte. À l’hiver et au printemps 2017, au moment de tenir les entretiens, une informatrice me rapportait que les cinq psychiatres engagés se sont « divisé le Nord » lors d’une rencontre de coordination. C’est-à-dire qu’ils se sont partagé les villages à desservir. Les psychiatres signeraient des contrats de 60 jours par année et chaque psychiatre s’occuperait exclusivement de 2 ou 3 villages. Elles transitent par Kuujjuaq ou Puvirnituq où se trouve un petit hôpital d’environ 24 lits. Une des psychiatres a préféré ne s’occuper que d’une seule communauté. Elle m’expliquait ce choix pour des raisons d’efficacité, considérant qu’elle perdait trop de temps dans le voyagement, pour très peu de rencontres. Trois d’entre elles se partagent les patients au centre de santé de Kuujjuaq, où elles transitent. Elles éviteraient cependant de traiter le même dossier, sauf lors d’épisodes de crise ou de besoins urgents. Elles partent ensuite pour les autres villages à desservir, où elles y séjourneront d’un à trois jours. Il serait important pour elles de rester flexibles dans leur travail, considérant que les transports sont parfois interrompus par les conditions météorologiques.

Durant l’absence de psychiatres, les médecins omnipraticiens et les infirmières pallient le manque de service spécialisé en santé mentale. Elles ont parfois recours à des conseils à distance des psychiatres lorsque des patients nécessitent des soins durant leur absence. Lors d’épisode de crise ou lorsqu’une omnipraticienne ou une infirmière en ressent la nécessité, les patients peuvent être hospitalisés aux Centres de santé de Kuujjuaq ou de Puvirnituq, pour bénéficier d’un espace sécurisé intermédiaire entre la communauté et une hospitalisation dans le sud. Lorsqu’un des trois psytinérants qui dessert Kuujjuaq arrive, il les rencontrera en priorité et évaluera notamment la nécessité de les garder ou non au centre de santé. Il y aurait toujours une pression pour que des « lits soient libérés » dans les centres : « Habituellement, après 24-48h, si la personne ‘ne retombe pas sur ses pattes’, on va penser à la transférer à Puvurnituq [ou

77

Kuujjuaq, dépendamment de la côte], et après une semaine si ça ne va pas, ils vont les faire venir à Douglas » (Laurence, psychiatre). Le fait que l’accueil soit centralisé dans un seul hôpital dans le sud (Douglas) amènerait celui-ci à développer une certaine expertise par rapport à la manière de recevoir les patients du nord. Lorsque ceux-ci reçoivent leur congé de l’hôpital et retournent dans le nord, ils sont repris en charge par la psychiatre itinérante associée à leur communauté. Si le cas nécessite un suivi plus rapproché et ne peut attendre le retour du psytinérant, il y aurait un suivi avec une psychiatre de Douglas par téléconférence.

Il n’y aurait pas de psychologue engagé dans chaque village, malgré une occurrence élevée de trouble de santé mentale et de toxicomanie. Bien que la situation change apparemment très souvent, il n’y aurait qu’un seul psychologue, situé à Kuujjuaq, qui couvrirait l’ensemble des services psychologiques pour les villages inuit de la côte de l’Ungava. Ce sont les patients qui doivent se déplacer pour le rencontrer et non l’inverse, ce qui réduit beaucoup l’accessibilité. Il offrirait aussi des suivis téléphoniques au besoin à raison d’un rendez-vous par semaine. Plusieurs patients préféreront donc attendre le retour du psychiatre qui peut aussi offrir un soutien plus « psychothérapeutique ». D’autres auront recours aux services de première ligne. Laurence me disait justement : « aussi bizarre que tu peux l’imaginer, il n’y a pas de psychologue ni à Puvirnituq, ni à Inuqjuaq ». Il s’agirait de la volonté des autorités locales, mais la psychiatre se questionne à savoir s’il s’agit d’un cercle vicieux : n’en ressentent-ils pas le besoin, justement parce qu’ils n’en ont pas ? Ou s’agit-il d’un service exogène qui n’est pas essentiel ni adéquat dans ce milieu ? Toujours la même psychiatre répondait à la question à savoir si elle comblait le travail de psychologue, qui serait manquant : « Psychothérapie ? Oublie ça, on n’a pas l’temps… Une démarche d’inspiration psychothérapique : oui. Mais psychothérapie… On voit des gens une semaine, quand t’es là aux trois mois, ça ne va pas, ça n’existe pas ! » Le support psychologique plus quotidien ou hebdomadaire pourrait être apporté par les autres travailleurs sur place, mais d’autres défis émergent.

Dans les « petits villages » moins populeux, c’est-à-dire toutes les communautés à l’exception de Kuujjuaq et Puvirnituq, on retrouve comme professionnels de la santé :

 3 à 4 infirmières en permanence ;

78  1 travailleur-se social ;

 Travailleurs communautaires et agents culturels (des autochtones qui proviennent de la communauté et qui parlent la langue, servent souvent de médiateurs ou aident les thérapeutes pour des éclaircissements. Ils assistent le travailleur social et la DPJ, par exemple.) ;

 Un psychiatre (quelques jours aux trois mois lorsque le service est stable).

Très peu d’employés sont d’origine autochtone, à l’exception des travailleurs communautaires (aussi dits agents culturels). Les rôles du médecin omnipraticien et des infirmières sont dits « élargis » par rapport à leurs fonctions dans d’autres contextes moins isolés. Leur travail comporterait une plus grande composante en santé mentale, mais aussi dans presque toutes les autres spécialités médicales. L’expression de « rôle élargi » ne décrirait pas bien, selon certaines informatrices, l’ampleur des tâches que ces travailleuses doivent couvrir. Ce genre de rôle attire donc des gens à caractère fort « pas trop anxieux de prendre des responsabilités et des décisions difficiles » (Alix, informatrice).