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Le monde entier est en mouvement. Vacanciers, hommes d'affaires, jeunes retraités, sportifs d'élite, étudiants étrangers, demandeurs d'asile : tous remplissent voitures, bus, trams, trains, bateaux et avions du monde entier. Les questions de mobilité sont au centre des préoccupations.

L'accès massif à des moyens de transports plus performants et plus rapides permet aux individus de se rendre toujours plus loin en des temps record. Les rapports territoriaux se bouleversent : traverser la planète en l'espace d'une journée est devenue chose courante (Sheller et Urry 2006, Duchêne-Lacroix 2011). Les travailleurs n'échappent pas à ce phénomène de mobilité accrue.

Ainsi, de nombreux européens passent un temps considérable à se déplacer pour aller travailler et pour en revenir (Ravalet et al. 2014b). Le temps moyen de déplacement quotidien, qui dépasse l’heure, a tendance à augmenter, tout comme le nombre moyen de déplacements, souvent supérieur à 4 (Kaufmann 2005). Une augmentation est notamment constatée en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en France et en Suisse (Vincent-Geslin 2012). 7% de la population européenne parcourait même plus de deux heures par jour pour aller travailler (aller/retour) en 2010 (Lück et Ruppenthal 2010).

De plus en plus de travailleurs n’envisagent pas de déménager alors qu’ils obtiennent un emploi à des dizaines voire des centaines de kilomètres de leur lieu de résidence. Les formes irréversibles de mobilité que sont la migration et la mobilité résidentielle ne sont plus les seules utilisées par les citoyens européens mobiles. La pendularité quotidienne (aller-retour chaque jour entre le domicile et le lieu de travail) et la multi-résidence ou bi-résidentialité (aller/retours fréquents mais pas obligatoirement quotidiens, du fait que le travailleur peut également loger à proximité de son lieu de travail), que l’on peut qualifier de formes réversibles, prennent de plus en plus d’ampleur. Dans ce travail, nous appellerons pendulaires intensifs, grands pendulaires ou pendulaires de longue distance les individus mettant plus d'une heure pour se rendre sur leur lieu de travail et effectuant le trajet aller/retour entre leur domicile et ce lieu deux fois par semaine en moyenne au minimum.

En Suisse, 323'487 individus mettaient plus de 60 minutes pour se rendre sur leur lieu de travail en 2017 (donc plus de deux heures aller-retour), soit 9,1% des personnes actives occupées. En parallèle à une hausse de la mobilité de tous types, le nombre de pendulaires intensifs a connu une très forte hausse au cours de la décennie 2000. En effet, alors qu’en 1990 et en 2000, les pendulaires intensifs représentaient environ 2,5% des personnes actives occupées (un peu moins de 70'000 personnes), ils représentent depuis 2010 entre 8 et 10% de la population active

occupée, soit environ 300'000 personnes. (OFS 2019a, 2019c). Suite à une étude menée dans 8 villes européennes, Vincent-Geslin et al. (2011) signalent que 15 à 25% des pendulaires se déplacent pendant plus de 100 minutes, et que 10 à 15% des voyageurs passent plus de 120 minutes à se déplacer. Beaucoup de travailleurs connaissent un jour une phase de grande mobilité : plus d’une personne sur deux est concernée au cours de son parcours professionnel en France (Ravalet et al. 2014a).

Contrairement à l’image que l’on peut se faire, les grands mobiles ne sont pas tous des hommes d’affaires, vêtus d’un costume, porte-documents en main, tirant une valise et se déplaçant de gare en gare ou d’aéroport en aéroport. Les profils sont très variés. Après une étude menée dans six pays européens (l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Belgique, la Suisse et la Pologne), Ravalet et al. (2014a, p. 49) concluent :

« [l]es variables qui permettent le mieux de repérer les grands mobiles sont le genre et la structure familiale. En 2011, 13% des hommes entre 30 et 59 ans étaient de grands mobiles, contre 7% des femmes (notons que cette différence ne s’explique pas par le taux d’activité plus important des hommes). En ce qui concerne la structure familiale, ce sont les familles monoparentales qui se distinguent le plus. On trouve deux fois plus de grands mobiles dans ces familles que dans celles avec conjoints et enfants : 15%

contre 8% » .

Ils l’expliquent par le besoin, pour les femmes seules, de bénéficier de revenus continus pour pouvoir faire vivre leurs enfants (Ravalet et al. 2014a). Les autres variables expliquent moins bien la grande pendularité :

« Au-delà du genre et de la structure familiale, […] les revenus ne déterminent pas la pratique de la grande mobilité. En d’autres termes, et contrairement à une idée reçue, les grands mobiles se recrutent aussi bien parmi les personnes plutôt aisées […] que parmi les personnes plutôt pauvres […]. Les niveaux de formation n’ont, eux aussi, qu’un impact limité sur les pratiques de la grande mobilité. Quant à l’âge, nous avons pu constater que les grands mobiles ne se recrutaient pas nécessairement parmi les actifs les plus jeunes » (Ravalet et al. 2014a, p. 50).

Ce mémoire s'intéresse aux grands pendulaires habitant dans le Canton du Valais ou de Fribourg et travaillant à Genève, et plus particulièrement aux logiques sous-jacentes à leur pendularité.

Nous partons du principe que c'est en saisissant les intentions des acteurs (Kaufmann 2005) que nous pourrons comprendre leurs pratiques, et que celles-ci sont également dépendantes du

contexte dans lequel elles prennent place (p.ex. : réseau ferroviaire romand, contexte historique entre les cantons). Nous tenterons plus précisément de répondre aux trois questions suivantes :

• Pourquoi vont-ils travailler à Genève ?

• Pour quelles raisons décident-ils d’habiter à plus d’une heure de leur lieu de travail ? Pourquoi ne s’installent-ils pas à Genève ?

• D’après quels critères choisissent-ils leur mode de transport ?

Dans un premier temps, nous allons procéder à une revue de la littérature, qui formulera la problématique et les axes de travail énoncés ci-dessus ainsi que des hypothèses. Puis, nous mettrons en place un cadre méthodologie permettant de répondre à la problématique et aux hypothèses. Nous répondrons à ces questionnements lorsque nous présenterons les résultats de la recherche.