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3. CADRE CONCEPTUEL, PROBLÉMATIQUE, HYPOTHÈSES

3.2. Le contexte migratoire Valais-Genève

Les relations économiques et sociales entre Genève et le Canton du Valais ou de Fribourg ne datent pas d’hier. Elles ont pris de l’importance au début du XXème siècle sous la forme de migrations internes, migrations qui s’inscrivent dans un contexte conjugué de déclin de la société rurale (rapide effondrement de l’agriculture) et d’industrialisation des plus grandes villes du pays (Genève, Zürich, Bâle), qui recherchent de la main d’œuvre pour leur secteur tertiaire, en forte croissance. Depuis le XIXème siècle, la main d’œuvre afflue vers les centres économiques en provenance des cantons ruraux. En 1900 déjà, la population d’origine genevoise était minoritaire à Genève. Depuis lors, le pouvoir d’attraction du Canton n’a cessé d’augmenter (Rey 1974).

La population d’origine valaisanne habitant à Genève a quadruplé en l’espace de cinquante ans : alors qu’en 1910, 2'051 Valaisans étaient recensés à Genève, ils étaient près de 10'000 cinquante ans plus tard, en 1960. L'augmentation fut encore plus forte pour les Fribourgeois : ils étaient 3'634 à vivre à Genève en 1910, contre 18'209 en 1960 (OCSTAT 1960).

Prenons ici l'exemple du Valais pour expliquer ces migrations. D'abord, les facteurs économiques sont une explication à ces déplacements : contrairement à Sion, qui n’est pas parvenu à devenir une capitale économique, Genève connaît une rapide ascension sociale et économique. De plus, la situation favorable du logement entre 1920 et 1950 et la facilité d’obtenir ses droits de citoyen genevois sont des arguments qui ont attiré les Valaisans à Genève aux dépends d’autres centres économiques. Rey (1974) souligne toutefois un autre facteur, qui se manifesterait dès les années 1950 : les Valaisans auraient quitté leur canton d’origine pour se libérer de la société valaisanne, restée figée sur une vision désuète du monde, propre à son passé rural très stable. Le développement économique du Valais, bien existant même s’il n’est pas aussi marqué que celui de Genève, permettait aux individus de voir de près les améliorations matérielles, mais la société valaisanne, opposée ou indifférente à ces réalités, s’inscrivait en contradiction avec le développement économique.

« La migration Valais-Genève se situe dans ce contexte. Sa véritable nature : une migration de libération sociale. Le départ apparaît comme une réponse — consciente ou non — au conflit vécu par l'individu entre le monde réel et le monde « idéal » conçu par la société. Partir, c'est voter avec ses pieds, c'est échapper à une société inadaptée, étouffante — ou dont on a pris conscience du caractère d'inadaptation profonde. Le choix de Genève est d'ailleurs symbolique de cette situation, Genève étant traditionnellement définie à la fois comme ville de liberté et nouvelle «Babylone» » (Rey 1974, p. 143).

La bonne intégration des Valaisans dans la société genevoise, que Rey (1974) explique tant par l’attitude des Valaisans (qui veulent se distancier de leur société d’origine, donc qui n’ont pas de mal à adopter une autre vision du monde, bien au contraire), que par l’absence de clivages géographiques à Genève (pas de ghettos, par exemple), a permis de perpétuer la tradition migratoire entre le Valais et Genève. Les migrations internes en direction des plus grandes villes suisses, qui répondaient au besoin de main d'œuvre dans le domaine industriel et tertiaire et au recul de l'agriculture, étaient prépondérantes jusqu'aux années 1970. Dès lors, les migrations en

direction de la ville sont devenues minoritaires par rapport aux migrations vers la périphérie proche puis vers la périphérie plus éloignée (OFS 2001).

Aujourd'hui, des Valaisans et des Fribourgeois se déplacent toujours en direction du Canton de Genève. Ainsi, 1'961 personnes ont quitté le Valais pour rejoindre le Canton de Genève entre 2011 et 2017. Au cours de ces sept années, ce sont 1'140 résidents du Canton de Fribourg qui sont venus habiter à Genève. Toutefois, les flux Valais-Genève et Fribourg-Genève se sont inversés par rapport à la période d'après-guerre : davantage de personnes ont quitté Genève pour rejoindre un de ces deux cantons que le contraire. En effet, sur la période 2011-2017, 3'602 résidents genevois sont allés s'établir en Valais (solde de +1'641), et ils sont 1'876 à avoir rejoint le Canton de Fribourg (solde de +736).5 Les Cantons du Valais et de Fribourg présentent les soldes migratoires intercantonaux les plus élevés de Suisse derrière le Canton d'Argovie, tandis que le Canton de Genève est celui qui perd le plus d'habitants au profit d'autres cantons avec Bâle-Ville (Figure 1).

Figure 1 : Solde migratoire intercantonal, 2004-2013 (cumulé)

Source : OFS (2015)

Si les résidents valaisans déménagent moins à Genève, ils sont toutefois nombreux à y travailler, la concentration d'emplois dans le canton étant forte. Les migrations interrégionales,

5 Calculs personnels effectuées à partir de OFS 2018b

systématiques au début du XXème siècle, ont tendance à se transformer en pendularité de longue distance (Kaufmann 2005). La compression de l'espace-temps, permise par les améliorations routières et ferroviaires, rendent la pendularité entre le Valais ou Fribourg et Genève plus accessible puisque moins longue.

Actuellement, contrairement aux soldes migratoires, le solde de pendulaires du Canton de Genève est largement positif (18'861 en 2017), tandis ceux du Canton du Valais (-11'152) et de Fribourg (-24'023) sont négatifs. Plus de 28'000 personnes (sans compter les frontaliers) habitant hors du Canton de Genève viennent y travailler (contre presque 10'000 Genevois travaillant dans d’autres cantons), tandis que plus de 17'000 Valaisans et plus de 40'000 Fribourgeois travaillent dans un autre canton (contre « seulement » 6'000 personnes qui travaillent en Valais et vivent dans un autre canton et 17'000 personnes qui travaillent à Fribourg et vivent dans un autre canton) (OFS 2019b). Sur les 17'000 Valaisans qui travaillent dans un autre canton, 10'000 parcourent plus d'une heure pour se rendre sur leur lieu de travail. Les Fribourgeois ayant un trajet aller de plus d'une heure sont également 10'000 (OFS 2019a). Ils ne pendulent évidemment pas tous en direction de Genève, mais ce phénomène semble suffisamment important pour être pris au sérieux.

Si l'on se réfère à la carte de l'OFS (pendulaires : zone d'attraction de Genève) jointe en annexe (1), on constate que de nombreuses communes valaisannes comptaient entre 1 et 4,9% de personnes actives occupées travaillant dans la Ville de Genève (donc nous pouvons supposer qu'il y en a davantage qui travaillent dans le canton) en 2014. Cette carte ne nous dit pas combien de fois par semaine les travailleurs pendulent vers Genève : elle rassemble les personnes qui quittent leur domicile le lundi matin, qui ont un logement à Genève ou dans sa périphérie (bi-résidentialité) et qui rentrent chez eux le vendredi soir, les personnes qui ne pendulent pas tous les jours mais qui font plusieurs allers-retours par semaine et les personnes qui effectuent tous les jours les trajets entre leur domicile et Genève.