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5. ANALYSE

5.4. D’après quels critères les grands pendulaires choisissent-ils leur mode de

5.4.2. Un gain de temps

Si la majorité des grands pendulaires rencontrés prennent le train, c'est aussi parce que ce mode de transport est jugé rapide et fiable. Même si certains déplorent parfois des retards liés à des problèmes techniques ou des accidents de personne, le temps de trajet est moins aléatoire qu'il

ne l'est avec la voiture. Les pendulaires qui ont déjà testé un Valais-Genève en voiture sont catégoriques : les mauvaises conditions de circulation, principalement entre Genève et Villeneuve (autoroute surchargé, embouteillages, travaux, accidents), ne permettent pas de savoir précisément combien de temps le trajet dure, ils peuvent en avoir pour deux heures, trois heures ou plus. D'après Bastien, cette incertitude est beaucoup plus grande qu'elle ne l'était au début des années 1990, lorsque les pendulaires et grands pendulaires étaient moins nombreux.

« Au moins, les CFF c'est fiable. En dix ans, il y a deux fois où je ne suis pas arrivé au travail, donc j'ai dû rebrousser chemin parce qu'il y avait des pannes importantes sur le réseau. Pour être souvent allé à l'étranger, les trains en Suisse, ça marche très bien. Après, les gens ici râlent quand il y a trois minutes de retard, mais ça marche très bien par rapport à la voiture. » (Bastien)

« Ça m'est arrivé de venir en voiture au tout début, mais j'ai vite renoncé. Ce n'est juste pas possible en voiture. En voiture, j'ai mis presque 4h. Je suis tombée sur un jour où il y avait un accident, ce n'était pas terrible, mais quand même, je suis partie à 5h30-45 de chez moi, je suis arrivée à 9h30 au bureau ! » (Evelyne)

La grande majorité des travailleurs habitant en Valais et pendulant vers Genève ne gagneraient pas de temps à se déplacer en voiture. La Vallée du Rhône est relativement bien desservie par les CFF, et la liaison vers Genève est de plus en plus directe et rapide : le train Sion-Genève le plus rapide ne s'arrête par exemple plus que quatre fois avant d'arriver à Genève (Martigny, Aigle, Montreux, Lausanne).13 Du coup, ceux qui habitent non loin d'une gare valaisanne qui dessert Genève et qui travaillent à proximité de la Gare Cornavin n'ont pas de raison de choisir la voiture. En revanche, à l'instar de ce que Schuler et al. (1996) soulignaient, le choix du mode de transport est moins évident pour ceux qui n'habitent pas à proximité des gares centrales, dans notre cas dans des vallées plus éloignées de la Vallée du Rhône. Sébastien pendule la plupart du temps en voiture, puisqu'il lui faudrait une heure de plus pour rejoindre son domicile en transports publics (train puis funiculaire). Le fait qu'il n'effectue pas les trajets tous les jours et qu'il puisse éviter les heures de pointe pèse aussi dans ces choix, puisqu'il évite une fatigue répétée et une incertitude liée aux conditions de circulation. Puisqu'elle pendule aux heures de pointe, Evelyne se déplace en transports publics, mais elle déplore le temps qu'elle perd entre son domicile et la gare de Sion et entre la Gare Cornavin et son lieu de travail :

« La connexion entre Genève et Meyrin me fait perdre beaucoup de temps. J'arrive le matin à 8h20, je dois attendre 8h50 pour avoir un train, parce que les connexions sont vraiment mal faites. Et en

13 Le trajet le plus court entre Sierre et Genève dure 1h58, entre Sion et Genève 1h43, entre Martigny et Genève 1h28, entre Aigle et Genève 1h10. Source : CFF, www.sbb.ch, consulté le 8 juillet 2019

bus et en tram, ça ne va pas plus vite, j'ai tout essayé. Parfois c'est long, quand on pense à l'ensemble du transport, le fait qu'il faut trouver un bus quand on arrive en Valais, c'est là que c'est plus compliqué. Dernièrement, le train avait 10 minutes de retard, donc j'ai loupé mon bus, et le suivant était 1h30 plus tard, c'est un petit peu rageant. Alors j'ai pris un taxi, mais ça coûte un peu cher. »

Les trois pendulaires de la région fribourgeoise rencontrés effectuent parfois ou tout le temps les trajets en voiture, surtout lorsqu'ils peuvent éviter les heures de pointe. Ils le font avant tout dans le but de gagner du temps, les correspondances entre Yverdon et leur domicile étant jugées insatisfaisantes :

« Au fait, je devrais prendre un train qui m'amène à Yverdon, et à Yverdon, je prends à ce moment-là le direct qui fait Yverdon-Morges-Genève. Celui-moment-là est rapide, simplement le train qui fait depuis chez moi jusqu'à Yverdon, je mets autant de temps que Yverdon-Genève. Et je ne peux pas aller en voiture à Yverdon, parce qu'il n'y a pas de solution de parking, ou alors il faut payer et ça me coûte deux fois plus cher. » (Laura)

Quelques mois avant notre entretien, Hervé se rendait à Genève en voiture uniquement parce que le train lui faisait perdre du temps. L'amélioration récente de la liaison entre son domicile et Genève l'a incité à privilégier de plus en plus le train.

Le train est un mode de transport qui attire les grands pendulaires aussi car ils peuvent faire quelque chose de leur temps de trajet, ce que ne permet pas la voiture. Certains pendulaires utilisent leur temps de trajet de manière totalement productive en avançant leurs dossiers professionnels. D'autres déploient des activités auxquelles ils n'ont pas de temps à consacrer en-dehors du temps de trajet, ou alors pour gagner du temps une fois arrivés sur leur lieu de travail ou chez eux. Ce moment est utilisé pour se reposer, lire ou écouter de la musique, mais aussi pour préparer sa journée professionnelle ou avancer sur des projets extra-professionnels.

« Le matin, je peux déjà étudier les mails, répondre à certaines choses. Lorsqu'il y a des soucis, je peux déjà régler certains soucis. Même si c'est tôt, quand les collègues se réveillent, ils ont tous les messages. Je travaille déjà un petit peu dans le train, ce qui fait que quand j'arrive à 8h, ce n'est pas comme les autres qui allument leur ordinateur et qui prennent connaissance de ce qu'ils vont devoir faire la journée, je sais déjà ce que je dois faire. » (Eric)

Le temps de trajet de plus d'une heure permet aux grands pendulaires de se plonger dans leurs activités, contrairement aux trajets travail-gare effectués en bus ou en tram, souvent jugés trop courts à cet effet. De plus, les outils informatiques, de plus en plus présents dans notre société, aident à utiliser le temps trajet de manière productive, que cela soit pour des raisons professionnelles ou pour les loisirs. Sans eux, pas certain qu'autant de pendulaires choisiraient

le train comme mode de transport, notamment ceux pour qui le trajet en voiture est plus court ou dure plus ou moins le même temps :

« En allant en voiture, la demi-heure que je gagnerais avant ou après chaque trajet, je pourrais la mettre à profit, si je ne pouvais rien faire dans le train. C'est un gain de temps le train au fait, parce qu'on peut travailler. Mais s'il n'y avait pas d'ordinateur, pas de connexion et rien du tout, et que j'étais condamné à lire le journal dans le train, c'est une évidence que je ne prendrais pas le train. » (Hervé)

Tout comme Vincent-Geslin et al. (2011), nous avons constaté que pas tous les grands pendulaires ne vivent de la même manière le temps de trajet. Nombreux sont ceux qui rendent productif ce laps de temps, ou du moins qui font en sorte de le faire passer plus vite en trouvant des occupations. Toutefois, ceux qui ne savent pas comment le rendre utile, minoritaires dans notre échantillon, ne considèrent pas le trajet comme un gain de temps, mais plutôt comme une perte de temps. Prendre la voiture n'est toutefois pas une option, avant tout pour des raisons de confort et de coût.

« C'est du temps purement perdu. 4h par jour de perdu. » (Valérie)

« C'est purement du déplacement, ce n'est pas du plaisir. C'est du temps qu'il faut passer, parce qu'il faut aller de là à là. » (Antoine)