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Travailler à Genève, vivre à plus d'une heure de Genève. Une étude des grandes pendularités entre le canton de Genève et les cantons du Valais et de Fribourg

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Master

Reference

Travailler à Genève, vivre à plus d'une heure de Genève. Une étude des grandes pendularités entre le canton de Genève et les cantons

du Valais et de Fribourg

JUILLARD, Michaël

Abstract

L'accroissement des vitesses de déplacements a entrainé une hausse de la grande pendularité, soit des travailleurs se déplaçant plus de deux heures par jour, plusieurs jours par semaine entre leur domicile et leur lieu de travail. La Suisse romande n'échappe pas à cette tendance. Ce mémoire a pour objectif de comprendre les logiques des grands pendulaires habitant dans le Canton du Valais ou de Fribourg et travaillant à Genève. Nous constatons que ces individus viennent de différents horizons géographiques (tous n'étaient pas ancrés en Valais avant leur pendularité) et que chacun décide de penduler selon ses propres raisons et caractéristiques : situation familiale, professionnelle, compétences, histoire familiale, projets, perceptions. L'intérêt dans le travail, le salaire, le marché immobilier genevois défavorable et la possibilité de penduler en train, moyen de transport jugé fiable et rapide, sont les raisons principales qui poussent les travailleurs à favoriser la grande pendularité.

JUILLARD, Michaël. Travailler à Genève, vivre à plus d'une heure de Genève. Une étude des grandes pendularités entre le canton de Genève et les cantons du Valais et de Fribourg. Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:123014

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Travailler à Genève, vivre à plus d’une heure de Genève

Une étude des grandes pendularités entre le Canton de Genève et les Cantons du Valais et de Fribourg

Michaël Juillard

Sous la direction du Prof. Philippe Wanner

Mémoire de Master Master en Socioéconomie

Université de Genève Juillet 2019

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Table des matières

Résumé ... 4

Remerciements ... 5

1. INTRODUCTION ... 6

2. REVUE DE LA LITTÉRATURE ... 9

2.1. Contextualisation de la grande pendularité ... 9

2.1.1. Une compression de l’espace-temps ... 9

2.1.2. Flexibilisation et attraction des grandes villes ... 11

2.2. Pourquoi penduler ? Quelles sont les logiques des acteurs ? ... 13

2.2.1. Pourquoi travailler loin de son domicile ? ... 13

2.2.2. Pourquoi vivre loin de son lieu de travail ? ... 15

2.2.3. Un enchevêtrement des motifs professionnels et personnels ... 20

2.3. Quels moyens de transports ? ... 22

2.3.1. La voiture ou le train ? ... 22

2.3.2. Le train préféré pour des raisons environnementales ? ... 25

2.3.3. Comment choisir entre la voiture et le train ? ... 27

3. CADRE CONCEPTUEL, PROBLÉMATIQUE, HYPOTHÈSES ... 30

3.1. Une étude des grandes pendularités entre le Valais ou Fribourg et Genève ... 30

3.2. Le contexte migratoire Valais-Genève ... 30

3.3. Problématique, axes de travail et hypothèses ... 33

3.3.1. Pourquoi les Valaisans et les Fribourgeois vont-ils travailler à Genève ? ... 34

3.3.2. Pour quelles raisons décident-ils de s’installer à plus d’une heure de leur lieu de travail ? Pourquoi ne s’installent-ils pas à Genève ? ... 35

3.3.3. D’après quels critères choisissent-ils leur mode de transport ? ... 36

4. MÉTHODE ... 38

5. ANALYSE ... 41

(4)

5.1. Des parcours géographiques différents ... 41

5.1.1. Les « Genevois exilés » ... 42

5.1.2. Les « Valaisans » ... 44

5.1.3. Les « retournés aux sources » ... 45

5.1.4. Les difficilement classifiables ... 47

5.2. Pourquoi travailler à Genève alors qu’on habite dans le Canton du Valais ou de Fribourg ? ... 47

5.2.1. L’intérêt dans le travail et l’ambiance ... 48

5.2.2. Les conditions salariales ... 49

5.2.3. Une pendularité sous conditions ... 50

5.2.4. Discussion des hypothèses ... 56

5.3. Pour quelles raisons les grands pendulaires rencontrés décident-ils d’habiter à plus d’une heure de leur lieu de travail, dans le Canton du Valais ou de Fribourg ? .. 57

5.3.1. La situation défavorable sur le marché immobilier genevois ... 57

5.3.2. Une meilleure « qualité de vie » et un attachement à la région... 60

5.3.3. Un maintien des liens sociaux ... 61

5.3.4. Discussion des hypothèses ... 62

5.4. D’après quels critères les grands pendulaires choisissent-ils leur mode de transport ? ... 63

5.4.1. Un meilleur confort ... 63

5.4.2. Un gain de temps ... 64

5.4.3. Un choix économique ... 67

5.4.4. Un geste pour l’environnement ? ... 68

5.4.5. Discussion des hypothèses ... 69

6. CONCLUSION ... 71

BIBLIOGRAPHIE ... 76

Annexes ... 81

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Résumé

L’accroissement des vitesses de déplacements a entrainé une hausse de la grande pendularité, soit des travailleurs se déplaçant plus de deux heures par jour, plusieurs jours par semaine entre leur domicile et leur lieu de travail. La Suisse romande n’échappe pas à cette tendance. Ce mémoire a pour objectif de comprendre les logiques des grands pendulaires habitant dans le Canton du Valais ou de Fribourg et travaillant à Genève. Nous constatons que ces individus viennent de différents horizons géographiques (tous n’étaient pas ancrés en Valais avant leur pendularité) et que chacun décide de penduler selon ses propres raisons et caractéristiques : situation familiale, professionnelle, compétences, histoire familiale, projets, perceptions.

L’intérêt dans le travail, le salaire, le marché immobilier genevois défavorable et la possibilité de penduler en train, moyen de transport jugé fiable et rapide, sont les raisons principales qui poussent les travailleurs à favoriser la grande pendularité.

Mots clés : pendulaire ; grande pendularité ; pendularité intensive ; Genève ; Valais ; Fribourg ; logiques.

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Remerciements

Je souhaite remercier Monsieur Philippe Wanner pour sa disponibilité, son soutien et ses conseils.

Je remercie également les 15 répondants qui m’ont accordé du temps pour échanger au sujet de leur pendularité ainsi que toutes les personnes qui m’ont permis d’entrer en contact avec eux.

Note

Les noms des répondants ont été modifiés.

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1. INTRODUCTION

Le monde entier est en mouvement. Vacanciers, hommes d'affaires, jeunes retraités, sportifs d'élite, étudiants étrangers, demandeurs d'asile : tous remplissent voitures, bus, trams, trains, bateaux et avions du monde entier. Les questions de mobilité sont au centre des préoccupations.

L'accès massif à des moyens de transports plus performants et plus rapides permet aux individus de se rendre toujours plus loin en des temps record. Les rapports territoriaux se bouleversent : traverser la planète en l'espace d'une journée est devenue chose courante (Sheller et Urry 2006, Duchêne-Lacroix 2011). Les travailleurs n'échappent pas à ce phénomène de mobilité accrue.

Ainsi, de nombreux européens passent un temps considérable à se déplacer pour aller travailler et pour en revenir (Ravalet et al. 2014b). Le temps moyen de déplacement quotidien, qui dépasse l’heure, a tendance à augmenter, tout comme le nombre moyen de déplacements, souvent supérieur à 4 (Kaufmann 2005). Une augmentation est notamment constatée en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en France et en Suisse (Vincent-Geslin 2012). 7% de la population européenne parcourait même plus de deux heures par jour pour aller travailler (aller/retour) en 2010 (Lück et Ruppenthal 2010).

De plus en plus de travailleurs n’envisagent pas de déménager alors qu’ils obtiennent un emploi à des dizaines voire des centaines de kilomètres de leur lieu de résidence. Les formes irréversibles de mobilité que sont la migration et la mobilité résidentielle ne sont plus les seules utilisées par les citoyens européens mobiles. La pendularité quotidienne (aller-retour chaque jour entre le domicile et le lieu de travail) et la multi-résidence ou bi-résidentialité (aller/retours fréquents mais pas obligatoirement quotidiens, du fait que le travailleur peut également loger à proximité de son lieu de travail), que l’on peut qualifier de formes réversibles, prennent de plus en plus d’ampleur. Dans ce travail, nous appellerons pendulaires intensifs, grands pendulaires ou pendulaires de longue distance les individus mettant plus d'une heure pour se rendre sur leur lieu de travail et effectuant le trajet aller/retour entre leur domicile et ce lieu deux fois par semaine en moyenne au minimum.

En Suisse, 323'487 individus mettaient plus de 60 minutes pour se rendre sur leur lieu de travail en 2017 (donc plus de deux heures aller-retour), soit 9,1% des personnes actives occupées. En parallèle à une hausse de la mobilité de tous types, le nombre de pendulaires intensifs a connu une très forte hausse au cours de la décennie 2000. En effet, alors qu’en 1990 et en 2000, les pendulaires intensifs représentaient environ 2,5% des personnes actives occupées (un peu moins de 70'000 personnes), ils représentent depuis 2010 entre 8 et 10% de la population active

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occupée, soit environ 300'000 personnes. (OFS 2019a, 2019c). Suite à une étude menée dans 8 villes européennes, Vincent-Geslin et al. (2011) signalent que 15 à 25% des pendulaires se déplacent pendant plus de 100 minutes, et que 10 à 15% des voyageurs passent plus de 120 minutes à se déplacer. Beaucoup de travailleurs connaissent un jour une phase de grande mobilité : plus d’une personne sur deux est concernée au cours de son parcours professionnel en France (Ravalet et al. 2014a).

Contrairement à l’image que l’on peut se faire, les grands mobiles ne sont pas tous des hommes d’affaires, vêtus d’un costume, porte-documents en main, tirant une valise et se déplaçant de gare en gare ou d’aéroport en aéroport. Les profils sont très variés. Après une étude menée dans six pays européens (l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Belgique, la Suisse et la Pologne), Ravalet et al. (2014a, p. 49) concluent :

« [l]es variables qui permettent le mieux de repérer les grands mobiles sont le genre et la structure familiale. En 2011, 13% des hommes entre 30 et 59 ans étaient de grands mobiles, contre 7% des femmes (notons que cette différence ne s’explique pas par le taux d’activité plus important des hommes). En ce qui concerne la structure familiale, ce sont les familles monoparentales qui se distinguent le plus. On trouve deux fois plus de grands mobiles dans ces familles que dans celles avec conjoints et enfants : 15%

contre 8% » .

Ils l’expliquent par le besoin, pour les femmes seules, de bénéficier de revenus continus pour pouvoir faire vivre leurs enfants (Ravalet et al. 2014a). Les autres variables expliquent moins bien la grande pendularité :

« Au-delà du genre et de la structure familiale, […] les revenus ne déterminent pas la pratique de la grande mobilité. En d’autres termes, et contrairement à une idée reçue, les grands mobiles se recrutent aussi bien parmi les personnes plutôt aisées […] que parmi les personnes plutôt pauvres […]. Les niveaux de formation n’ont, eux aussi, qu’un impact limité sur les pratiques de la grande mobilité. Quant à l’âge, nous avons pu constater que les grands mobiles ne se recrutaient pas nécessairement parmi les actifs les plus jeunes » (Ravalet et al. 2014a, p. 50).

Ce mémoire s'intéresse aux grands pendulaires habitant dans le Canton du Valais ou de Fribourg et travaillant à Genève, et plus particulièrement aux logiques sous-jacentes à leur pendularité.

Nous partons du principe que c'est en saisissant les intentions des acteurs (Kaufmann 2005) que nous pourrons comprendre leurs pratiques, et que celles-ci sont également dépendantes du

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contexte dans lequel elles prennent place (p.ex. : réseau ferroviaire romand, contexte historique entre les cantons). Nous tenterons plus précisément de répondre aux trois questions suivantes :

• Pourquoi vont-ils travailler à Genève ?

• Pour quelles raisons décident-ils d’habiter à plus d’une heure de leur lieu de travail ? Pourquoi ne s’installent-ils pas à Genève ?

• D’après quels critères choisissent-ils leur mode de transport ?

Dans un premier temps, nous allons procéder à une revue de la littérature, qui formulera la problématique et les axes de travail énoncés ci-dessus ainsi que des hypothèses. Puis, nous mettrons en place un cadre méthodologie permettant de répondre à la problématique et aux hypothèses. Nous répondrons à ces questionnements lorsque nous présenterons les résultats de la recherche.

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2. REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.1. Contextualisation de la grande pendularité

2.1.1. Une compression de l’espace-temps

Depuis une cinquantaine d’années, nous avons assisté à une importante et croissante compression de l’espace-temps.

« [L]es barrières spatiales et temporelles deviennent poreuses sous l’effet de la mondialisation de l’économie. En effet, la dynamique capitaliste contemporaine a progressivement affaibli les barrières institutionnelles nationales pour globaliser les flux économiques et financiers. Parallèlement, les systèmes de transport, routiers, ferroviaires et aériens se sont considérablement améliorés, permettant de transporter plus de personnes et de marchandises, plus vite et à un moindre coût » (Ravalet et al.

2014b, p. 59).

La possession quasi universelle de la voiture a facilité et accéléré les déplacements, auparavant limités, coûteux et difficiles. Depuis les années 1970-80, les travailleurs ne cherchent plus à minimiser leurs temps de déplacement domicile-travail en voiture, devenus bon marché en comparaison avec d’autres contraintes de la vie (loyer, commodité du quartier, etc.) (Dessemontet 2010). De plus, la construction de routes et de raccordements a permis de réduire les temps de déplacements, et donc d’éviter à certains travailleurs de devoir déménager (Kaufmann 2005). Par exemple, en Suisse, la construction de tronçons autoroutiers entre Fribourg et Lausanne ainsi que le Gothard ont permis de relier plus rapidement les grandes agglomérations entre elles. De même, les contournements de Lausanne (inauguré en 1974) et de Genève (jusqu’à l’aéroport en 1987 et jusqu’à Bardonnex en 1993) ont favorisé l’utilisation de la voiture (Schuler et al. 1996). Selon l’OFS (2019c), il semble toutefois que le phénomène de pendularité intensive n’ait pas pris une très grande ampleur avant la décennie 2000. Les améliorations routières ne seraient donc pas le facteur explicatif déterminant des grandes pendularités.

Les investissements dans les réseaux ferroviaires nationaux sont probablement une explication plus convaincante des grandes pendularités. Par exemple, en Suisse, le Projet Rail 2000, qui avait pour but d’améliorer la performance ferroviaire des Chemins de Fer Fédéraux (CFF), ainsi que l’élargissement des offres de réseaux express régionaux, a favorisé la fréquentation des trains (Schuler et al. 1996). En effet, les personnes se rendant au travail ou sur leur lieu de

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formation en train sont de plus en plus nombreuses : 327'000 travailleurs en 1990 contre 655'000 en 2016 (OFS 2018a). Le réseau ferroviaire suisse, qui offre de nombreuses et fréquentes liaisons entre centres urbains, a tendance à favoriser la grande pendularité et la double résidence aux dépends de la migration interne (déménagements) (Kaufmann 2005). La Suisse dispose d’un réseau ferroviaire de 5200 km, à moitié géré par les CFF, qui ont mis sur pied les réseaux InterCity et InterRegio, réseaux qui relient les grandes agglomérations avec des trains toutes les 30 minutes. Le temps de trajet a drastiquement diminué avec les InterCity, ce qui contribue également à favoriser le transport ferroviaire, d’autant plus que les tarifs du train sont avantageux en comparaison avec le coût des trajets interurbains en voiture. En outre, grâce aux voitures-bars et à des espaces de travail équipés de tables et d’alimentation électrique, les passagers peuvent utiliser leur temps de trajet de manière productive et efficace (Dessemontet 2010). Si le train n’est pas le moyen de transport le plus utilisé par les pendulaires parcourant moins de 50 km (la voiture reste majoritaire), il est en revanche utilisé par 57% des pendulaires parcourant plus de 50 km, contre 42% qui utilisent leur voiture (OFS 2018a).

Pour le cas français, Legrand et Ortar (2008) soulignent également l’importance que prend le train pour les pendulaires intensifs, ce qu’ils expliquent par un « effet TGV ». Ainsi, les personnes qui habitent et travaillent à proximité d’agglomérations desservies par les TGV (par exemple à l’intérieur du triangle Lyon-Grenoble-Valence) sont incitées à utiliser ces trains.

Tout comme le réseau national ferroviaire suisse, le réseau français est de mieux en mieux connecté, ce qui favorise les pendularités de longue distance, notamment en direction de Paris.

L’accroissement des vitesses de déplacement donne donc l’opportunité à certains travailleurs d’exercer leur métier dans un lieu éloigné de leur domicile. Les migrations interrégionales ne sont plus systématiques comme elles l’étaient au début du XXème siècle : elles ont tendance à se transformer en pendularité de longue distance (Kaufmann 2005).

La Suisse dispose également de réseaux régionaux offrant une bonne desserte dans les périphéries. Dans le Canton de Genève, par exemple, 98,6% des citoyens ont accès aux transports collectifs dans un rayon de 500 mètres1. En l’espace de 12 ans (2002-2014), l’offre de transports publics du canton a doublé. Dans le Canton de Vaud, 95% des citoyens habitent dans un périmètre doté d’une desserte « raisonnable ». Entre 2010 et 2017, la qualité du réseau a peu évolué à Lausanne, chef-lieu du canton, tandis que dans les régions périphériques

1 Plan directeur des transports collectifs 2015-2018, Direction générale des transports, République et Canton de Genève, www.ge.ch/transports, consulté le 02.04.2019.

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(Morges, Broye-Vuilly, Gros-de-Vaud, Jura Nord-Vaudois), la desserte est significativement meilleure en 20172. En Valais, malgré la difficulté liée à la topographie montagneuse du territoire, environ 20% des déplacements se font en transports publics. Le réseau de transports publics du canton est long de plus de 1'750 kilomètres (chemins de fer, bus, téléphériques) et la quasi-totalité des communes est desservie.3

2.1.2 Flexibilisation et attraction des grandes villes

La pendularité intensive s’inscrit également dans un contexte de flexibilisation du marché du travail, qui peut inciter ou contraindre les travailleurs à une forte mobilité. Depuis plusieurs décennies, le marché du travail est devenu flexible. Comme les entreprises ont besoin de suivre les évolutions rapides des marchés pour rester compétitives, elles doivent pouvoir adapter leur nombre d’employés en fonction de la demande.

« Ceci peut se faire en modifiant la durée du travail, notamment au moyen des heures supplémentaires ou bien en annualisant la durée du travail ; et par la variation des effectifs en fonction de l’activité moyennant les contrats précaires, l’intérim. Dans cette perspective, les entreprises souhaitent fréquemment réduire la protection de l’emploi et, notamment, la protection contre les licenciements » (Germé 2011, p. 1127).

Les contraintes sur les employeurs (par exemple les coûts de licenciement) sont donc moins grandes, et les travailleurs sont plus souvent dans l’incertitude. La stabilité du marché du travail est moins bonne et les contrats à durée indéterminée sont plus rares, concurrencés par des contrats plus précaires et à court terme (contrats à durée déterminée, temps partiel, intérims) (Ravalet et al. 2014b) 4.

2 La qualité de la desserte est mesurée en fonction du type d’arrêt (routier, ferroviaire), de la fréquence à laquelle passent les transports publics, ainsi que de la distance qu’un citoyen doit parcourir pour accéder à un arrêt. La desserte est jugée bonne, très bonne ou excellente (61% des Vaudois), moyenne (21%), faible (13%) ou nulle (5%). Seuls les Vaudois n’ayant aucune desserte ne sont pas comptabilisés dans « raisonnable ».

Etat de Vaud, https://www.vd.ch/themes/environnement/developpement-durable/indicateurs/indicateurs- pour-le-canton-de-vaud/15-mobilite/153-indicateur/, consulté le 02.04.2019.

3 Canton du Valais, Stratégie de développement territorial, Fiche de coordination du plan directeur cantonal, https://www.vs.ch/web/sdt/fiches-de-coordination-du-plan-directeur, consulté le 02.04.2019.

4 En Suisse, 36,8% des personnes actives occupées le sont à temps partiel en 2018, contre 31,7% en 2005 et 24,4% en 1991. La hausse est donc relative (+12,4% en l’espace de 27 ans) (OFS 2019f).

En Suisse, 7,3% des personnes actives occupées ont un CDD en 2019, contre 6,5% en 2005 et 4,1% en 1991 (OFS 2019g). Le taux de travailleurs ayant un CDD dans les pays voisins est plus élevé : 16,7% en France, 12,6%

en Allemagne, 17,1% en Italie et 9,1% en Autriche (Eurostat 2019).

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Pour trouver un emploi, les citoyens doivent parfois se déplacer, et ils sont de plus en plus conscients du besoin de mobilité et de flexibilité, devenues des normes sociales (Bacqué et Fol 2007). Pour la Suisse, Ravalet et al. (2014b) soulignent que les personnes se disant « prêtes à bouger » en 2011 sont 21% plus nombreuses qu’en 2007, et que les personnes « réticentes à bouger » sont 15% moins nombreuses. Dans les six pays européens étudiés par Ravalet et al.

(2014a), 54% des grands mobiles considèrent leur mobilité comme normale en 2011, contre 44% en 2007, ce qui tend à confirmer que la mobilité devient une valeur sociale fondamentale.

Si les travailleurs se déplacent pendant plusieurs heures pour aller travailler, c’est aussi car les nouveaux emplois se concentrent dans les grandes agglomérations. Ainsi, en Suisse, les principales zones urbaines que sont Zurich, Bâle et l’arc lémanique (Genève-Lausanne) ont bénéficié d’une croissance du marché du travail, au détriment des agglomérations moyennes et des régions rurales. Ce phénomène est en partie lié au dynamisme de l’économie suisse, notamment des secteurs à forte valeur ajoutée (pharmacies, banques), qui favorisent un afflux considérable de travailleurs qualifiés dans les grandes villes (Dessemontet 2010). Les grandes villes nationales et leurs agglomérations attirent le plus grand nombre de pendulaires (actifs occupés). Ainsi, la ville de Zurich en accueille 223'000 en provenance d’autres communes suisses, devant les villes de Berne (103'000), de Bâle (69'000), de Genève (60'000) et de Lausanne (56'000). Ces chiffres ne tiennent pas compte des pendulaires frontaliers, nombreux à Bâle et Genève, villes situées à proximité de la frontière (OFS 2018a).

Dessemontet (2010) considère que la Suisse d’aujourd’hui contient quatre blocs métropolitains : Berne et le Tessin, qui sont des aires métropolitaines indépendantes, ainsi que l’agglomération zurichoise et le Léman (de Genève au col du Simplon). Ainsi, il y a moins d’échange entre ces blocs qu’au sein de ces blocs, ce que l’on peut en partie expliquer par la distance en kilomètres. Il existe également une hiérarchie urbaine, Genève étant par exemple plus attractive que Lausanne, ce qui veut dire qu’il y a davantage de Lausannois qui se déplacent à Genève pour travailler que de Genevois qui travaillent à Lausanne. Ce phénomène s’explique par un marché de l’emploi plus large et plus différencié dans les deux plus grandes villes du pays, et donc des niveaux de salaire plus élevés (Schuler et al. 1996).

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2.2 Pourquoi penduler ? Quelles sont les logiques des acteurs ?

L’amélioration des infrastructures à grande vitesse (routières et ferroviaires) couplée à la modification du marché du travail et à la spécialisation à outrance des centres économiques peuvent donc expliquer la hausse de la grande pendularité. Mais ces deux phénomènes, s’ils ont rendu la pendularité intensive plus favorable, ne tiennent pas compte des logiques des travailleurs. En effet, il ne suffit pas qu’un train s’arrête moins, aille plus vite et qu’une ville offre de meilleurs emplois pour que les travailleurs décident de consacrer plus de deux heures à se déplacer quotidiennement. Demandons-nous maintenant quelles sont les raisons qui peuvent motiver les grands pendulaires à travailler loin de leur domicile et à vivre éloignés de leur lieu de travail.

2.2.1 Pourquoi travailler loin de son domicile ? Le besoin d’avoir un emploi

Comme nous l’avons vu, les opportunités d’emploi sont inégalement réparties sur les territoires nationaux, ce qui entraine les travailleurs vers les grandes agglomérations, qui offrent davantage d’opportunités sur le marché du travail, surtout lorsque le chômage est élevé. En effet, lorsque le contexte social est défavorable aux travailleurs, ceux-ci sont contraints d’accepter un emploi à plusieurs dizaines de kilomètres de leur domicile. L’aire géographique dans laquelle ils recherchent des emplois s’agrandit. Par exemple, en France, un chômeur est contraint d’accepter des offres d’emplois en lien avec ses qualifications jusqu’à 100 km autour de sa demeure, sans quoi il risque de perdre les prestations de chômage qui lui sont offertes (Vincent- Geslin 2012). En Suisse, tout chômeur doit accepter une offre d’emploi jugée correcte par l’assurance-chômage qui le contraint de se déplacer jusqu’à quatre heures par jour (Ravalet et al. 2014b).

De plus, nous l’avons brièvement abordé, les marchés du travail ont connu une forte flexibilisation au cours de ces dernières décennies. Pour réagir plus rapidement à l’évolution du marché, les entreprises multiplient les contrats précaires (CDD, temps partiel). Le marché du travail est moins stable, en particulier pour les travailleurs les moins qualifiés. Ainsi, les changements d’emploi sont plus nombreux, et par conséquent les lieux de travail changent souvent. La mobilité devient nécessaire, et du fait de l’incertitude à court ou à moyen terme liée à l’emploi (planifier sa carrière à long terme devient plus difficile), la pendularité intensive est

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préférée au déménagement, car elle est considérée comme acceptable du fait qu’elle permet au travailleur et à sa famille de conserver un ancrage géographique. Un individu qui trouve un emploi pour une durée d’un an à plus d’une cinquantaine de kilomètres de son domicile aura tendance à privilégier la pendularité intensive ou la bi-résidentialité. Sa mobilité devient une condition sine qua non pour l’accession au marché du travail, elle est une forme d’assurance contre le chômage. Il tentera d’éviter la migration et un déménagement, formes de mobilité qui engagent sur le long terme et relativement irréversibles (Kaufmann 2005, Ravalet et al. 2014b).

Si les grands pendulaires ne sont plus des exceptions, ce serait également dû à l’information inexacte en possession des demandeurs d’emplois, information qui n’est ni pure, ni parfaite et qui empêcherait les travailleurs de trouver un emploi qui leur correspondrait parfaitement à proximité de leur domicile (Vincent-Geslin 2012). Toutefois, il paraît évident qu’avec les sites de recrutement en ligne (p.ex. Jobup.ch), l’employé a une meilleure connaissance des offres d’emplois, qu’elles soient à proximité de son domicile ou dans d’autres bassins d’emplois.

L’employeur a aussi un choix plus large : comme il privilégie les compétences à l’aspect

« proximité du lieu de vie », il ne va pas hésiter à engager des employés venant de plus loin.

Si la pendularité est subie, comme par exemple pour une grande partie des pendulaires, il y a de forts risques que le pendulaire la vive mal. C’est notamment le cas de personnes contraintes de se déplacer uniquement pour raisons économiques, principalement celles qui ont peu d’accès et de faibles compétences et qui ne trouvent pas un grand intérêt dans leur travail (Ravalet et al.

2014b). Cela peut aussi être le cas d’employés qui se voient contraints de répondre à une flexibilité exigée par leurs employeurs (Kaufmann 2005).

Un fort intérêt pour son travail, sa carrière et/ou son porte-monnaie

Certains pendulaires sont donc contraints d’effectuer une pendularité intensive. Mais d’autres ne considèrent pas uniquement leur emploi comme un salaire : ils ont du plaisir dans leur travail.

Certains évoquent un intérêt important, voire une passion développée pour leur travail, par exemple une activité de recherche (Vincent-Geslin 2012). Pour eux, le travail est considéré comme une vocation et il est placé volontairement au cœur de leur existence (Forest et al. 2010).

Dans ce cas, ils s’accommodent plus facilement des longs trajets, car changer de travail ou le perdre seraient considérés comme une perte d’identité. La mobilité est moins vue comme une contrainte qu’un changement professionnel (Vincent-Geslin 2012).

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D’autres pendulaires intensifs enchainent les trajets dans le but de conserver leur identité professionnelle, mais aussi pour monter dans la hiérarchie de leur entreprise, ou dans le domaine dans lequel ils travaillent. Leurs opportunités de carrière et/ou les gains financiers qui vont avec les incitent à penduler (Vincent-Geslin 2012). En effet, les pendulaires acceptent plus facilement des trajets plus longs lorsque les salaires sont plus élevés. Mais pour qu’un travailleur décide de penduler pour des raisons financières, il faut que le surplus salarial qu’il obtient en pendulant soit plus élevé que les coûts économiques du transport. De plus, si la grande pendularité d’un conjoint induit la réduction des heures de travail de l’autre conjoint, par exemple pour s’occuper des enfants, le salaire du navetteur doit être considérablement augmenté pour que la famille soit gagnante financièrement (Sandow 2011).

La flexibilité offerte par l’activité professionnelle

Malgré les contraintes liées à la pendularité intensive, certains navetteurs choisissent ce mode de vie car leur travail leur permet une certaine flexibilité sur les horaires de travail. Ainsi, en dépit des désavantages qu’implique la flexibilisation du marché du travail pour les travailleurs (contrats précaires, risques de licenciements plus grands), elle peut tout de même offrir quelques avantages, comme la possibilité de choisir ses horaires de travail, donc d’avoir une certaine marge de manœuvre dans leur organisation du quotidien. Les pendulaires qui ont cette opportunité auront plus tendance à choisir la grande pendularité (Vignal 2005, Sandow 2011, Vincent-Geslin 2012).

En outre, certains travailleurs ont désormais la possibilité de travailler à distance. La grande pendularité est alors mieux acceptée car elle n’est pas quotidienne (Vincent-Geslin 2012). Les charges liées aux déplacements sont moins fatigantes et stressantes, et par conséquent la qualité de vie et le bien-être de l’individu sont meilleurs. De plus, la charge collective des trajets quotidiens est allégée (trafic, pollution de l’air) (Aguilera et al. 2016a).

2.2.2 Pourquoi vivre loin de son lieu de travail ? L’attachement à la famille et aux proches

Généralement, les pendulaires intensifs, ceux qui dorment régulièrement à deux endroits (bi- résidentialité) et/ou ceux qui effectuent de fréquents trajets entre leur domicile et leur lieu de travail le font pour concilier leur vie privée et professionnelle (Ravalet et al. 2014b). Ils ne sont

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pas prêts à se couper de leurs amis et/ou de leur famille vivant proche de leur domicile (Kaufmann 2005), car ils y sont très attachés. Ainsi, certains pères jugent important de rentrer tous les soirs pour voir grandir leurs enfants, quitte à passer de nombreuses heures à se déplacer.

Ils ne souhaitent pas affaiblir leurs liens affectifs (Vincent-Geslin 2012). D’autres essaient de maximiser les temps passés auprès de leur famille, même si cela engendre une plus grande fatigue (Legrand et Ortar 2008). Le vivre-ensemble est considéré comme très important à leurs yeux. Ainsi, les proches influencent grandement le désir de continuer à vivre dans un lieu, d’autant plus si ce lieu est le lieu d’origine du pendulaire et l’endroit où vit la majeure partie de son réseau social. La pendularité intensive permet d’éviter une délocalisation géographique et l’affaiblissement ou la perte de ce lien (Vincent-Geslin 2012).

En plus d’une perte de contact, un déménagement implique de se passer d’un réseau de soutien.

Or, la présence et la disponibilité de proches simplifie la gestion quotidienne de la pendularité intensive. Par exemple, un pendulaire peut plus facilement s’appuyer sur ses parents, ses amis ou sur le voisinage pour s’occuper de ses enfants entre la fin de l’école et son retour du travail.

S’il devait déménager, il n’aurait pas cet appui logistique, en tout cas dans un premier temps (peu de connaissances) (Vincent-Geslin 2012).

De nombreux pendulaires intensifs choisissent ce mode de vie car il permet à leur famille de conserver leur ancrage. Garder son habitat permet aux enfants de conserver leurs camarades de jeu, de rester dans la même école, dans le même club de sport, etc. Ainsi, le bien-être familial et une certaine forme de stabilité sont maintenus (Legrand et Ortar 2008, Lück et Schneider 2010). La pendularité peut aussi résulter d’arrangements familiaux : certains pendulent parce qu’ils doivent s’occuper de parents âgés, donc ils doivent rester à proximité ; d’autres, comme des pères divorcés, pendulent pour rester à proximité de leurs enfants, dont la garde est confiée à leur ex-conjointe. Ces deux situations peuvent sembler marginales, mais avec les tendances sociétales que sont le vieillissement démographique et la fragilisation des liens conjugaux, on peut penser qu’elles prendront de plus en plus d’importance (Vincent-Geslin 2012).

La grande pendularité peut également être une stratégie pour des conjoints qui travaillent les deux dans des lieux relativement éloignés, situation qui a émergé en parallèle à la hausse du travail féminin. Chaque conjoint peut poursuivre sa carrière professionnelle, difficilement relocalisable, et vivre dans un lieu de vie commun. Dans ce cas, la double résidence n’est pas sérieusement envisagée, car elle fragiliserait le lien conjugal. La double pendularité est donc un arrangement géographique. Cette situation se produit surtout pour des personnes avec un niveau

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d’éducation élevé, pour qui il est difficile de trouver des emplois à proximité du domicile. Le logement se trouve plus ou moins à mi-chemin des lieux de travail des conjoints (par exemple : domicile à Yverdon et conjoints qui travaillent à Genève et Fribourg). Cette situation n’est toutefois pas considérée comme idéale par un ou les conjoint(s) (Vincent-Geslin 2012, Ravalet et al. 2014b).

Malgré ces arrangements, la situation familiale est naturellement imparfaite. Même s’ils vivent dans le ménage, les pendulaires intensifs sont fréquemment absents de leur domicile. Par exemple, il se peut qu’ils quittent la maison très tôt, avant le réveil des enfants, ce qui a pour conséquence qu’ils ne peuvent ni discuter avec eux pendant le petit-déjeuner, ni les emmener à l’école. De même, ils rentreront probablement plus tard le soir et ne pourront ni s’occuper des tâches ménagères, ni voir leurs enfants avant le coucher. Les absences irrégulières compliquent également le maintien de routines, importantes pour la continuité des relations familiales (par exemple : raconter une histoire aux enfants avant de dormir, sortir avec son conjoint un soir de semaine). Ainsi, puisque les contacts sont indirects, les liens familiaux sont altérés (Lück et Schneider 2010). Ceci est particulièrement le cas pour les pendulaires qui ne rentrent qu’en fin de semaine : ils déclarent avoir trop peu de temps à consacrer à leur famille. Ils regrettent le manque de moments spontanés. En outre, les autres membres du ménage ont davantage de responsabilités sur le dos, par exemple en ce qui concerne la gestion domestique. En effet, les courses et le ménage qui ne peuvent pas être assurés par le pendulaire se reportent sur le conjoint ou les autres membres du ménage, voire sur une personne extérieure. Cette pendularité, si elle est irrégulière et imprévisible, accentue encore les effets négatifs pour la vie familiale. Elle se répercute sur les programmes d’activités des autres membres du ménage (Viry et al. 2010).

De plus, les formes de pendularité peuvent être coûteuses financièrement. Les frais de déplacements ne sont que rarement pris en charge par l’employeur, ce qui peut contraindre certains pendulaires à rentrer chez eux moins souvent (Legrand et Ortar 2008).

En outre, dans le cas d’une bi-résidentialité, le pendulaire doit faire face aux dépenses liées au logement qui se trouve proche de son lieu de travail. Ces dépenses peuvent réduire le revenu disponible des ménages de manière significative, avec toutes les conséquences que cette différence de revenu peut avoir pour le ménage (par exemple : moins de possibilités de s’offrir une résidence première dans le quartier de son choix, moins d’accès aux jardins d’enfants, etc.) (Lück et Schneider 2010).

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Enfin, la pendularité intensive affecte la vie familiale car elle exige de l’énergie physique et mentale. L’énergie requise pour voyager varie selon les circonstances. Pour les automobilistes, les mauvaises conditions météo, routières ou les embouteillages peuvent rendre le voyage stressant. Pour ceux qui voyagent en train, plus d’énergie est requise s’il faut changer plusieurs fois de train et si les correspondances sont courtes, mais aussi si les bagages sont lourds, si les wagons sont pleins ou si les sièges sont inconfortables. La fatigue accumulée lors des temps de déplacement peut influer sur l’humeur des pendulaires (pas envie de faire la conversation une fois arrivés chez eux) ou sur leur productivité, par exemple leur aide pour les tâches ménagères.

Les relations et l’organisation familiales peuvent souffrir de cette situation (Lück et Schneider 2010).

La grande pendularité peut donc fragiliser le lien conjugal, surtout lorsqu’un des conjoints découche régulièrement. Ainsi, en l’espace de 4 ans (2007-2011), alors que 9% hommes non- mobiles ont divorcé, 13% des hommes mobiles qui vivaient en couple se sont séparés (Ravalet et al. 2014). Viry et al. (2010) notent néanmoins qu’en Suisse, lorsque la pendularité d’un conjoint est décidée en famille et qu’elle est considérée comme un investissement pour la famille. Lorsqu’elle est vue plutôt positivement, elle n’affecte pas négativement la dynamique du couple. Le maintien d’une relation conjugale de qualité dépend donc du processus qui a amené le pendulaire à devenir mobile, de l’acceptation ou pas de la pendularité par les deux conjoints.

Pour éviter de mettre leur famille entre parenthèses, les femmes arrêtent souvent de penduler intensivement avec la naissance d’un enfant. Ainsi, 83% des femmes qui étaient mobiles en 2007 ne le sont plus en 2011 si elles ont eu un enfant au cours de ces quatre années, tandis que 44% des femmes qui n’ont pas eu d’enfant entre 2007 et 2011 et qui étaient mobiles en 2007 ne le sont plus en 2011. Chez les hommes, même si certains stoppent leur pendularité, la différence est moindre (Ravalet et al 2014a).

L’attachement au lieu de vie, le détachement du lieu de travail

Bien souvent, les pendulaires intensifs ne déménagent pas car ils sont attachés à leur lieu de vie et à son environnement (Vincent-Geslin 2012). Cela pourrait expliquer pourquoi, selon Camenisch et al. (2011), les migrations internes en Suisse restent « prisonnières » de catégories : ceux qui vivent dans des zones de montagnes restent dans ces zones, ceux qui vivent dans les villes et les agglomérations y restent également, et ceux qui vivent « entre-deux »

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(Plateau) aussi. Ils éprouvent un fort attachement au contexte de leur lieu de vie, aux activités qu’ils peuvent déployer dans cet environnement (loisirs, poursuite d’une carrière politique, sports de plein air, engagement bénévole, etc.) et qui seraient impossible à réaliser ailleurs (Vincent-Geslin 2012). Le rythme de vie de la campagne et le désir d’être proche d’un environnement naturel, moins dégradé que celui des villes, enthousiasme les grands pendulaires (Legrand et Ortar 2008).

L’accès à la propriété explique également pourquoi les grands pendulaires ne souhaitent pas déménager. En effet, il est plus aisé de trouver un logement spacieux et meilleur marché en périphérie des villes. De plus, ceux qui possèdent une maison qu’ils ont réparée ou réaménagée ne se voient pas quitter ce lieu, empreint d’une forte valeur symbolique. De même, si la famille vient d’acquérir un bien immobilier, il peut lui sembler impossible de revendre immédiatement celui-ci. Ces raisons sont particulièrement mises en avant par la population ouvrière, qui se distingue par un fort attachement à la propriété. Si le projet familial a été construit autour de celle-ci, les pendulaires intensifs auront donc tendance à s’adapter, à faire eux les trajets quotidiens pour aller travailler, afin que la famille puisse poursuivre son histoire dans ce lieu (Legrand et Ortar 2008).

Legrand et Ortar (2008) notent également que le choix du milieu de vie (périurbain, zones rurales), le logement et la qualité de vie priment sur les contraintes liées à l’éloignement du lieu de travail. La planification difficile de son avenir sur le marché du travail, de plus en plus flexible et incertain, pousse les gens à ne pas déménager à chaque fois qu’ils vivent un changement professionnel. Contrairement au lieu de travail, le choix d’habitat se veut être un choix à long terme.

L’attachement au lieu de vie et à son environnement est également renforcé par un rejet des environs du lieu de travail, territoire sur lequel les pendulaires intensifs pourraient choisir de déménager pour être à proximité du lieu de travail. Legrand et Ortar (2008) nomment ce rejet

« l’effet repoussoir », qui, « tout comme l’attachement, prend des dimensions esthétiques, sociales ou culturelles. La répulsion pour le lieu de vie potentiel renforce alors l’attraction pour le lieu de vie actuel, donc l’arbitrage en faveur de la grande pendularité plutôt que du déménagement » (Vincent-Geslin 2012, pp. 8-9). La plupart des grands mobiles restent dans leur lieu de vie non-urbain pour fuir les grandes villes, leurs dangers, qu’ils soient réels ou supposés, et leurs désavantages (embouteillages et pertes de temps par exemple). Ils pensent

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également qu’en restant en-dehors des grandes villes, leurs enfants auront accès à des écoles dans lesquelles la violence est moins présente (Legrand et Ortar 2008).

Le choix du milieu (périurbain, zones rurales), le logement et la qualité de vie priment sur les contraintes liées à l’éloignement du lieu de travail.

2.2.3 Un enchevêtrement des motifs professionnels et personnels

Les chercheurs ayant travaillé sur la grande pendularité estiment que son principal facteur explicatif est l’activité professionnelle : les pendulaires intensifs consacrent plusieurs heures par jour pour parcourir les kilomètres reliant leur domicile et leur lieu de travail pour avoir un emploi ou le conserver. Or, récemment, plusieurs auteurs ont souligné l’impossibilité de dissocier la vie personnelle des grands pendulaires de leur vie professionnelle (Legrand et Ortar 2008, Vincent-Geslin 2012). En effet, d’autres éléments entrent en ligne de compte dans la décision de pendularité ou de bi-résidentialité. Plusieurs facteurs incitent les pendulaires intensifs à ne pas déménager, les retiennent chez eux. D’abord, les pendulaires ne souhaitent pas se détacher de leurs liens familiaux (conjoint, enfants, parents âgés) et/ou de leurs amis, ils souhaitent vivre proche d’eux. L’attachement social pèse donc plus lourd dans la balance que les heures passées à penduler. Ensuite, certains affirment ne pas déménager car ils aiment leur lieu de vie, par exemple parce qu’il est en pleine nature (et qu’ils ne songent pas vivre dans une grande ville) ou parce qu’ils vivent dans une maison leur appartenant et pour laquelle ils ont consacré beaucoup de temps. Dans ce cas, c’est l’attachement sensible ou cultuel qui prime sur les longs trajets. Enfin, la grande pendularité est expliquée par des motifs personnels, par exemple la poursuite d’une activité qui passionne le pendulaire ou la volonté de carrière professionnelle ascendante. Bien souvent, il est difficile de détacher les différents motifs de la grande pendularité, qui s’entremêlent. Ils peuvent également évoluer au fil du temps selon les changements individuels ou familiaux qui se produisent.

La pendularité intensive résulte donc souvent d’un compromis entre activité professionnelle, vie familiale et attachement au lieu de vie.

Elle « est toujours une décision prise sous contrainte, un arrangement nécessairement insatisfaisant. Résultat de choix cornéliens, d’arrangements et de bricolages, elle est au moins autant contrainte que liberté. De ce point de vue, la grande pendularité constitue

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bien une opportunité pour réconcilier des dimensions de vie géographiquement et socialement difficilement réconciliables » (Vincent-Geslin 2012, pp. 10-11).

Elle résulte également d’un compromis au sein de la famille. Il y a discussion, négociation entre les conjoints, les hommes ne sont pas les seuls à envisager la mobilité et à la décider. Ainsi, le type de mobilité peut être choisi en fonction de l’âge des enfants : si ceux-ci sont adolescents, le pendulaire va par exemple rentrer moins souvent en semaine et favoriser la bi-résidentialité, tandis que si ceux-ci sont plus jeunes, la présence des deux parents tous les soirs est davantage nécessaire (Legrand et Ortar 2008). De même, penduler intensivement n’est pas compatible avec la garde d’un enfant en bas âge, principalement pour les femmes, qui sont 83% à stopper leur grande pendularité lorsqu’elles mettent au monde un enfant, contre 59% des hommes (Ravalet et al. 2014a). La grande pendularité est également discutée au sein du couple en fonction des activités personnelles des conjoints et de la garde des enfants ou de leurs activités : le soir où le conjoint « non-mobile » a une activité, le pendulaire reviendra pour s’occuper des enfants par exemple. (Legrand et Ortar 2008). La grande pendularité et la bi-résidentialité (allers-retours plus rares) sont donc négociées en fonction de la présence d’enfants et de leurs âges, de la place du travailleur dans le cycle de vie, et des activités du conjoint (Vincent-Geslin 2012).

Quels que soient les motifs qui poussent les travailleurs à penduler pendant de longues heures,

« […] les pendularités intensives participent d’un paradoxe contemporain entre mobilité et ancrage. En effet, elles permettent de réconcilier, même si cela reste imparfait et insatisfaisant, deux tendances contradictoires : d’une part, l’injonction à la mobilité portée par le monde professionnel – employeurs, entreprises, etc. – et, d’autre part, l’ancrage nécessaire au couple, à la famille, au fait de fonder une famille.

Paradoxalement, les pendulaires intensifs deviennent mobiles pour mieux s’ancrer (Kaufmann, 2008). La mobilité, sous la forme de la pendularité tout du moins, n’est donc pas l’expression de la liberté de l’individu contemporain aux attaches sociales faibles, mais plutôt une stratégie pour saisir des opportunités tout en protégeant ses ancrages. La mobilité semble alors s’interpréter comme un compromis, voire une forme de réconciliation entre deux mondes que tout oppose : un monde mobile – dans lequel liberté et flexibilité sont de mises – et un monde davantage immobile – celui des attachements physiques et sociaux » (Vincent-Geslin 2012, p. 11).

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2.3. Quels moyens de transport ?

En Suisse, les grands pendulaires se déplacent quasi exclusivement en train (57% des pendulaires qui parcourent plus de 50 km pour aller travailler) ou en voiture (42%), les 1%

restants se déplaçant en transports publics routiers. La part du train a tendance à augmenter (OFS 2018a).

2.3.1 La voiture ou le train ?

Tout d’abord, l’usage du train et de la voiture ne sont pas exclusifs. Il n’est pas rare qu’une personne quitte son domicile périurbain ou rural en voiture en direction d’une gare afin d’emprunter un train qui l’emmènera sur son lieu de travail. De même, une fois arrivé dans la ville de son travail, cette personne peut recourir à d’autres moyens de transport (bus, tram) pour se rendre sur son lieu de travail (Legrand et Ortar 2008). Il faut donc tenir compte du fait que les grands pendulaires utilisent parfois plusieurs moyens de transport. Pour déterminer le moyen de transport principal utilisé, l’OFS a choisi de hiérarchiser les indications données par les pendulaires. Ainsi,

« les moyens de transport publics primaient sur les moyens de transport privés et les moyens de transport les plus rapides l’emportaient sur les plus lents. Si un pendulaire a par exemple utilisé le train et ensuite le bus pour rejoindre son lieu de travail, c’est le train qui a été considéré dans ce cas comme le principal moyen de transport. Le parcours effectué en bus par ce pendulaire a ici été laissé de côté » (OFS 2018a, p. 3).

Ceci explique donc pourquoi selon les chiffres de l’OFS, la quasi-totalité des pendulaires intensifs utilisent soit la voiture, soit le train.

Legrand et Ortar (2008) soulignent une différence notable dans l’utilisation des moyens de transport en fonction de la catégorie socio-professionnelle. En effet, les employés et les cadres ont davantage tendance à se déplacer en train, voire en avion pour le cas des Britanniques habitant en France et travaillant en Grande-Bretagne, tandis que les ouvriers privilégient leur voiture, du fait que les chantiers sur lesquels ils travaillent sont parfois décentralisés, assez loin des agglomérations bien desservies par le train. De plus, leur lieu de travail n’est pas fixe, il se peut qu’ils aient besoin de se déplacer au cours d’une même semaine ou de transporter des outils, ce qui rend l’utilisation des transports publics compliquée.

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A ce titre, la forte proportion de pendulaires effectuant leurs trajets en voiture peut s’expliquer par la construction de logements et la création d’emplois en dehors des centres-villes. Ainsi, la probabilité qu’une personne habite au centre d’une ville et qu’elle travaille au centre d’une autre ville diminue de plus en plus. Les personnes habitant ou travaillant loin des centres-villes n’ont donc pas d’incitation à utiliser le train, puisqu’il leur faut un temps supplémentaire pour rejoindre le train effectuant le trajet direct vers la ville de destination ou son agglomération. A la fin du XXème siècle, ce phénomène a entrainé une baisse de l’utilisation du train pour les liaisons Genève-Lausanne, ce que l’on peut donc expliquer par l’élargissement de la zone habitée aux alentours des centres-villes et la création d’emplois en périphérie des villes, mais également par la proximité spatiale des agglomérations genevoise et lausannoise. Le mode de transport dépend donc fortement de l’existence (ou pas) de liaison directe entre domicile et lieu de travail. Le train est privilégié lorsque cette liaison existe, la voiture est préférée lorsqu’elle n’existe pas, car elle est le mode de transport le plus rapide (Schuler et al. 1996). La distance importe donc moins que l’accessibilité. Les Britanniques habitant en France et travaillant en Grande-Bretagne se sentent proche de leur pays d’origine car ils habitent à proximité des différents points de passage (ports, aéroports) (Legrand et Ortar 2008).

Dans le même ordre d’idée, le choix du mode de transport dépend d’éventuelles activités après- travail et de la localisation de ces activités. Ainsi, si un pendulaire qui travaille au centre d’une ville et qui a l’habitude de prendre le train prévoit des activités en périphérie de cette ville ou de la ville dans laquelle il habite, mais qu’il n’y a pas de connexion ferroviaire entre son lieu de travail et le lieu de cette activité, il pourrait privilégier la voiture, pour des raisons pratiques.

Cet exemple montre en outre que les temps de déplacements et les modes de transports utilisés peuvent varier selon les jours et/ou les semaines (Vincent-Geslin et al. 2011).

Les raisons financières peuvent expliquer pourquoi certains préfèrent la voiture, même si le train est plus utilisé en Suisse. Pourtant, la voiture ne coûte pas toujours moins cher que le train, lorsque l’on considère son coût total (essence, entretien, etc.). Mais son coût instantané, ou ressenti, semble moins important aux yeux des travailleurs utilisant ce moyen de transport, donc plus facile à assumer à court terme pour les personnes à bas revenu, qui profitent moins des améliorations ferroviaires. D’une manière générale, les liaisons rapides existantes entre domicile et lieu de travail n’expliquent pas à elles seules le mode de transport utilisé par les pendulaires intensifs. Le prix des moyens de transport influence beaucoup le choix. Ce n’est par exemple pas parce qu’il existe une liaison directe que le pendulaire va forcément choisir le train si celui-ci lui coûte trop cher (Legrand et Ortar 2008).

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En outre, certains travailleurs se déplacent en voiture car ils préfèrent être seuls, ne pas avoir à subir les dérangements que peuvent occasionner les transports publics (bruit, manque de confort, etc.) (Vincent-Geslin et al. 2011). Pour de nombreux pendulaires, la voiture est synonyme de liberté. Tant que le coût du déplacement n’est pas un problème dans le budget et que le temps consacré aux trajets peut rivaliser avec celui des transports publics, elle est préférée (Legrand et Ortar 2008).

Pour d’autres pendulaires, lorsque les distances sont longues et que la durée est plus ou moins identique, le train est souvent préféré, et cela pour trois raisons selon Schuler et al. (1996).

Premièrement, conduire plus de deux heures par jour est fatiguant et pénible, le travailleur a besoin de concentration et d’énergie en continu, surtout sur l’autoroute. Deuxièmement, le train à grande vitesse est un moyen de transport « prestigieux » et désirable, particulièrement pour les travailleurs voyageant en première classe. Cette deuxième raison, avancée il y a plus de vingt ans, n’est peut-être plus d’actualité, ou en tous cas plus dans certains pays. Troisièmement, les pendulaires peuvent utiliser leur temps de manière productive lorsqu’ils voyagent en train, ce qui n’est pas possible lorsqu’ils conduisent. Le trajet n’est alors plus considéré comme une perte de temps. Il peut permettre de passer des appels téléphoniques pour le travail, de répondre à des mails, de préparer la journée en lisant des dossiers, etc. Les pendulaires appartenant aux catégories socioprofessionnelles élevées mettent particulièrement en avant ce troisième point (Schuler et al. 1996). Pour eux, le temps de trajet est considéré comme très positif. C’est un moment durant lequel le pendulaire réalise des activités qui ne pourraient pas être réalisées à d’autres moments (lecture, travail à distance), ou durant lequel il profite de se détendre en admirant le paysage par exemple. Le temps de trajet est considéré comme un plaisir. D’autres pendulaires considèrent plutôt le temps de trajet comme un moment à optimiser, par exemple en travaillant, en mangeant, en dormant, en se maquillant, en regardant des films ou en écoutant de la musique. Ils sont dans une logique de productivité : leur temps de trajet est rentabilisé, utilisé pour faire des activités qui pourraient être faites à d’autres moments. En ce sens, il permet aux pendulaires de gagner du temps (Vincent-Geslin et al. 2011).

Mais les temps de trajet ne sont pas vus positivement par l’ensemble des grands pendulaires.

Certains préfèrent changer d’emploi, déménager ou encore vivre à proximité de leur lieu de travail la semaine et rentrer chez eux le week-end. La façon dont ils perçoivent le temps de trajet peut influencer leur décision. Ainsi, les pendulaires qui considèrent ce moment comme du temps inutile et à tuer ont plus de difficultés à accepter leur pendularité. Certains d’entre eux trouvent le temps long et ne font rien dans le train, leur productivité étant rendue difficile par

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le bruit et/ou l’affluence. D’autres déploient des activités qui ne servent qu’à faire passer le temps (par exemple faire des jeux sur leur téléphone, écouter de la musique) (Vincent-Geslin et al. 2011).

Selon la perception que le travailleur a de son temps de déplacement (temps utile versus temps inutile), il choisira plutôt la voiture ou le train. Si le temps passé dans le train est considéré comme un temps inutile, il aura plus tendance à remettre en question son mode de transport, voire sa pendularité, pour autant que les autres moyens de transport n’entrainent pas trop d’autres contraintes (temps de transport trop élevé par exemple). En revanche, si le voyage en train est considéré comme un temps utile, le pendulaire aura tendance à laisser sa voiture de côté pour pouvoir profiter de ses temps de déplacements. Dans ce cas, la pendularité intensive n’est pas considérée comme un fardeau, ce qui pourrait en partie expliquer la récente hausse de ce phénomène (Vincent-Geslin et al. 2011). Nous pouvons également nous demander si la généralisation des outils informatiques (ordinateurs portables, tablettes, smartphones), qui permet aux pendulaires d’utiliser leur temps de trajet de manière productive, n’a pas contribué à accentuer la pendularité par train.

2.3.2 Le train préféré pour des raisons environnementales ?

Les convictions environnementales sont peut-être aussi une partie de l’explication à l’augmentation de la part du train (Vincent-Geslin et al. 2011). En effet, une voiture consomme beaucoup plus qu’un train. Une personne se déplaçant entre deux villes dans une voiture intermédiaire (8 litres/100 km) consomme 2800 kJ par kilomètre, tandis qu’un train consomme entre 300 et 800 kJ par passager par kilomètre. Les émissions de CO2 sont également largement moins élevées en train (par passager) (Martel Poliquin 2012).

Il y a dix ans, la protection de l’environnement et la limitation des gaz à effet de serre n’entraient pas ou peu en considération au moment du choix d’un mode de transport. Dans leur étude menée en France, Legrand et Ortar (2008) désignaient les critères logistiques et financiers comme prédominants. La plupart des pendulaires ignoraient les coûts environnementaux que peuvent causer une forte utilisation des moyens de transports, principalement la voiture. Aucun lien n’était fait entre leurs déplacements et l’environnement. Les pendulaires qui privilégiaient le train le faisaient pour des raisons économiques ou de fiabilité, plutôt que par désir de polluer le moins possible. Les quelques personnes conscientes de l’impact de leur pendularité sur l’environnement refusaient de croire qu’elles consommaient davantage que d’autres personnes.

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« De faux arguments sont alors avancés comme le fait que leur présence ou absence ne changera rien à l’existence de liaison de transports entre les territoires vécus et qu’il est donc tout aussi judicieux pour eux d’être à bord pour bénéficier du service qui leur facilite la vie. Certains Britanniques considèrent même que l’Etat instrumentalise la question de l’environnement pour imposer davantage encore les citoyens. Ils craignent de se voir retenir une partie de leurs revenus par le biais d’écotaxes de plus en plus nombreuses. Le fait que certains des interlocuteurs voient se développer des projets d’extension de dessertes – ou d’infrastructures – aéroportuaires n’est pas étranger à cette pensée. Les signaux envoyés par les collectivités contribuent à rendre l’information confuse quant à la volonté des pouvoirs publics de changer les modes et les pratiques de consommation à l’heure où circule de surcroît tout un ensemble d’injonctions à la mobilité » (Legrand et Ortar 2008, p. 46).

De part cette argumentation, les pendulaires intensifs montraient une réticence à devoir modifier leurs comportements individuels pour le bien collectif.

Aujourd’hui, la population est mieux informée de l’impact néfaste d’une consommation abusive de carburants. En effet, les transports sont responsables de 23% de toutes les émissions de gaz à effet de serre et ils sont le secteur qui connaît la croissance la plus rapide. De nombreux gouvernements du monde entier proposent un large éventail de politiques et de stratégies conçues dans le but de limiter les émissions de CO2. Il n’est donc pas surprenant que les individus soient de plus en plus enclins à réduire leur dépendance à la voiture et à privilégier les transports publics (Stanton et al. 2013), même s’il est possible de se donner « bonne conscience » en conduisant des voitures qui consomment moins, voire des voitures électriques ou hybrides. En Suisse, les « modes de vie valorisant davantage la proximité, le quartier urbain, l’utilisation des modes de transport alternatifs à l’automobile et la mise en pratique de valeurs écologiques » (Munafo et al. 2015, p. 756), mis principalement en avant par les classes moyennes supérieures, est entré en concurrence avec le modèle prônant la maison individuelle, la voiture individuelle et la consommation de masse. De plus, les discours louant la qualité de vie dans les centres-villes se sont intensifiés. Les politiques ont massivement investi dans la mobilité douce et dans les transports publics pour répondre aux demandes des citoyens à ce sujet (Munafo et al. 2015).

La perception des transports publics est meilleure en 2011 qu’en 1994. A Genève, 39% des personnes interrogées par Munafo et al. (2015) les percevaient positivement en 1994, contre

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52% en 2011. La hausse de la perception positive des transports publics est encore plus importante à Lausanne et à Berne. Pour les trois villes, des raisons pratiques sont le plus souvent citées par les individus qui perçoivent positivement les transports publics. Les raisons environnementales arrivent juste derrière à Genève et à Lausanne en 2011, alors qu’elles n’étaient pas mentionnées en 1994, ce qui tend à confirmer les conclusions de l’étude de Rubens et al. (2011), qui montrent que les raisons environnementales sont régulièrement citées par les pendulaires qui utilisent le train, même si elles ne sont pas en pole position (les raisons pratiques, de gestion du temps et les raisons économiques arrivent devant).

En parallèle à l’amélioration de l’image des transports publics, l’image de la voiture s’est un peu altérée (80% des Genevois la jugeaient positive en 1994 contre 71% en 2011, par exemple), ce que l’on peut probablement en partie expliquer par une prise de conscience des conséquences environnementales que son utilisation peut causer (Munafo et al. 2015). Si un nombre croissant de pendulaires choisissent de se déplacer en train, certains continuent néanmoins de privilégier le déplacement en voiture. Le train est laissé à quai à cause du coût, du manque de ponctualité, de liaisons pas assez fréquentes, du manque de confort ou de propreté, du temps de trajet plus long que celui de la voiture, de correspondances insatisfaisantes, etc. Pour ces pendulaires, le train n’est pas assez attractif, et ils n’envisagent pas de faire face à toutes ces contraintes individuelles pour des raisons environnementales (Stanton et al. 2013).

2.3.3 Comment choisir entre la voiture et le train ?

Le choix du mode de transport dépend de nombreux critères, reliés les uns aux autres. Un pendulaire intensif ne choisit généralement pas son mode de transport sur un critère unique. Le tableau 1 permet de lister de manière non-exhaustive les critères en faveur de la voiture et du train décrits dans la littérature.

Tableau 1 : Déterminants du choix du mode de transport

VOITURE TRAIN

Ouvriers Employés, cadres

Habiter et travailler en périphérie des villes (pas de liaison ferroviaire directe)

Habiter et travailler au centre d’une ville (liaison ferroviaire directe)

Raisons financières Raisons financières

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Prestige, confort Prestige (1e classe), confort

Plaisir de conduire Possibilité de se reposer

Relâchement de l’esprit avant/après le travail Utilisation productive du temps

Liberté individuelle Préservation de l’environnement

Imaginons qui seraient Monsieur Voiture et Monsieur Train, deux pendulaires intensifs ayant les caractéristiques typiques collant avec le mode de transport qu’ils utilisent.

D’un côté, nous avons Monsieur Voiture, un ouvrier de chantier, qui habite Fully (VS), commune qui n’offre pas de liaison directe vers les grandes villes romandes que sont Lausanne et Genève. Ce mois-ci, M. Voiture travaille à Jussy, dans la campagne genevoise. Son prochain lieu de travail sera un chantier à Bavois, situé entre Lausanne et Yverdon. M. Voiture se déplace en voiture, car il peut plus facilement se rendre sur les chantiers et car il n’a pas besoin de se réorganiser chaque mois voire chaque semaine. De plus, M. Voiture apprécie la conduite et le confort que lui apporte sa voiture, moyen de transport qu’il associe à une forme de liberté. Il estime que prendre le train lui coûtera plus cher. Même s’il est conscient des problèmes environnementaux, il pense qu’il ne pourra pas changer le monde tout seul.

De l’autre côté, nous avons Monsieur Train, un cadre de Rolex, qui travaille tous les jours à proximité du centre de Genève. Il habite à côté de la gare de Martigny et prend quotidiennement un train en direction de Genève. M. Train, qui voyage en première classe, utilise son temps de trajet pour préparer la journée à venir, répondre à ses mails et passer des appels professionnels.

Le soir, lorsqu’il rentre à Martigny, il apprécie pouvoir se détendre en observant le paysage, ou en dormant un moment. Il se dit content de ne pas trop impacter l’environnement en utilisant le train, qui consomme beaucoup moins que la voiture selon lui.

Evidemment, Monsieur Voiture et Monsieur Train sont des idéaux-types, leur profil permet de simplifier la complexité. Les pendulaires intensifs peuvent choisir leur mode de transport selon leur appartenance socioprofessionnelle, la localisation de leur domicile et de leur lieu de travail, mais également d’après leurs perceptions individuelles (financières, confort, prestige, environnement, etc.). C’est en mettant en balance les arguments en faveur de la voiture et ceux en faveur du train que les pendulaires choisissent un mode de transport, surtout lorsque tous penchent du même côté. Certains déterminants du choix du mode de transport se rejoignent.

Par exemple, être ouvrier impliquera plus fréquemment de prendre la voiture car les chantiers sont éloignés des centres-villes. De plus, un ouvrier aura moins besoin de réaliser des tâches

Références

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