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Nous avons choisi de limiter notre étude au phénomène de l 'interruption des études, plus précisément aux exmatriculations des candidates et candidats inscrites et inscrits à la licence.

L'interruption des études nous semble être un moment-·

clé où convergent diverses motivations susceptibles d'orienter les conduites individuelles d'arrêt ou de poursu ite des études, voire de réorientation.

Nous pensons qu 'une trajectoire de formation ne se construit pas forcément sur le mode linéaire. EUe peut être l'objet de redéfinitions, donc de modifications par rapport ;'i l ' orienta tion empruntée initialement. Elle est également susceptible d'avoir été interrompue pour de multiples raisons, déjà avant l'immatriculation universitaire ou pendant la durée de la formation universi taire. U ne trc1jectoire de formation est donc pour nous un parcours dynami que et engcigé d a ns la durée.

Ainsi, le moment de l'exmatriculation universitaire nous paraît être particulièrement fécond pour saisir les courants, parfois contradictoires qui animent toute dynamique de formation.

Ajoutons à cela, que, si la trajectoire de formation relève d'une logique individuelle, propre à la personne en formation, elle s'inscrit aussi dans une nouvelle dynamique d'offre de formation universitaire. Aujourd'hui en effet, les universités suisses tentent de diversifier leurs offres de formation par de nouvelles possibilités de formation continue destinées à un public qui se trouve déjà au bénéfice d'une première formation et expérience professionnelles, voire inséré professionnellement. Ce nouveau public estudiantin universitaire, plus âgé, organise donc sa trajectoire de formation universitaire dans une dynamique nouvelle dont il conviendra également de tenir compte. Que savons-nous en effet des conditions dans lesquelles il effectue ses études? Par ailleurs les études universitaires sont-elles toujours réalisables dans toute situation? Nous ne le pensons pas. Quels éléments favorisent ou au contraire, freinent les mouvements de formation? Il nous paraît particulièrement utile d'élucider avec les personnes exmatriculées avant l'obtention de la licence, ce qui les a freinées, ce qui empêche et entrave la poursuite de la formation.

Dans ce contexte, nous voudrions voir se préciser deux grandes séries d'interrogations; celles-ci orientent d'ores et déjà la structure de notre projet de récolte de données :

3.1. Première partie

1.- connaître avec précision les moments des ruptures en terme de cycle universitaire (premier cycle ou deuxième cycle).A notre point de vue, le moment de la rupture pourrait avoir une incidence sur sa signification;

2.- connaître le nombre de ruptures dans un seul parcours (rupture unique ou ruptures multiples). En effet, la caractérisation de la rupture en événement unique ou en une forme de comportement répétitif nous paraît également avoir une incidence sur sa signification;

3.- rechercher s'il existe d'éventuels liens entre la rupture, le moment de la rupture et d'autres caractéristiques .individuelles telles que :

- le type de parcours de formation avant l'université, - la situation personnelle de l'étudiante ou de l'étudiant (plans psychoaffectif et santé, social - e.a. financier -, structure familiale, culture),

- la situation professionnelle (temps de travail, temps de formation, contraintes liées au. poste de travail),

- le sexe, l,�

- age,

4.- nommer les différentes significations des ruptures, 5.- quantifier ces données.

De plus, comme évoqué déjà précédemment, il nous paraît nécessaire de mettre ces dimensions en relation avec les facteurs (économiques, culturels et politiques) spécifiques au lieu de formation universitaire que nous choisirons comme terrain d'étude. Autrement dit, il s'agit d 'analyser dans quelle dynamique (possibilités, limites, contraintes) se trouvent placés les étudiantes et étudiants. Il est vraisemblable en effet que les études universitaires ne sont pas réafü:ables dans certaines situations de vie.

Du fai t de notre intérêt particulier pour la formation des femmes et les différences éventuelles dans Jeurs trajectoires de formation ainsi que pour les significations des ruptures, le facteur sexuel fera l'objet d'une attention plus soutenue. Pour articuler la problématique des trajectoires de formations avec celle de la diminution des effectifs féminins dans les études supérieures, il nous importe donc de connaître p lu s précisément:

1. / la proportion de ruptures dans les études universitaires des femmes par rapport à celle des hommes;

2/ les significations des ruptures dans les trajectoires de formation des femmes par rapport à celles des hommes.

La seconde question débouchera peu t--être 1;u r de nouvelles questions telles que : les femmes nouvellement arrivées en proportion plus importante au niveau u niversitaire rencontrent-elles des difficu l tés spécifiques à leur genre?

Investissent-elJes djfféremment la formation u niversi taire, largement conçue, est-il nécessaire de le rappeler, par des

hommes? Auraient-elles d'autres attentes face à la formation universitaire que celles des hommes?

Cette première partie de notre recherche devrait nous permettre de dresser une sorte de profil des personnes exmatriculées d'une faculté universitaire.

3.2. Deuxième partie

Nous voudrions plus particulièrement savoir si les femmes abandonnent leurs études universitaires plus fréquemment que les hommes. Dans la logique d'ouverture et d'offensive des femmes vers la formation, l'abandon des études paraît paradoxal. S'agit-il de mouvements de rétroactions propres aux femmes? Sont-ils liés à des difficultés personnelles ou existentielles? Symbolisent-ils une volonté d'affirmer d'autres valeurs et, le cas échéant, lesquelles? Existe-t-il des obstacles psychoaffectifs, sociaux, intellectuels et comment en mesurer l'importance? Quelles significations femmes et hommes en situation de rupture de leur trajectoire de formation universitaire apportent-ils eux-mêmes?

Il s'agit donc dans la seconde partie de notre travail d'approfondir le profil que nous aurons dressé dans un premier temps. Notre intention est de donner la parole aux personnes concernées par une exmatriculation pour qu'elles rendent compte des logiques internes et externes qui les ont conduites à s'exmatriculer et à renoncer au projet universitaire engagé.

La rupture est une pratique sociale consistant à

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universitaire, un cycle de formation conduisant à l'obtention de la licence. Nous choisissons délibérément d'approcher la rupture à partir du point de vue des étudiantes et des étudiants concernés.

Pour porter une réflexion sur les significations de cette pratique sociale qu'est la rupture dans une trajectoire de formation universitaire, il nous paraît nécessaire de reprendre un certain nombre de caractéristiques individuelles déjà mentionnées ci-dessus (3.1. première partie).

Qu'est-ce qui est susceptible d'avoir, sur une personne en formation, des effets tels que cette personne soit en définitive amenée, dans une étape de sa vie, à rompre une formation

engagée (parfois dans la même étape, parfois dans une étape préalable de sa vie)?

Nous pensons que deux types de facteurs méritent d'être pris en compte.

Il s'agit tout d'abord des contraintes de tout ordre susceptibles d'agir comme une charge et donc de peser sur une formation jusqu'à conduire la personne à la rupture.

De manière moins évidente, plus secondaire et peut-être plus sournoise aussi, il s'agit aussi des possibilités de réalisation de soi en dehors du projet de formation initialement mis en oeuvre. Nous supposons que ces possibilités nouvelles de se réaliser libèrent en quelque sorte l'effort de formation initialement entrepris de son inscription dans la durée.

Plus ou moins cumulées, plus ou moins fortes, plus ou moins conscientes, ces deux sources de tensions habitent l'individu tout au long de sa formation universitaire.

Les contraintes susceptibles de peser sur un individu en formation peuvent être :

- d'ordre personnel : santé déficiente, manque d'argent, logement inadéquat, éloignement du lieu ùe travail ou de vie, situation de famille chargée (nombre d'enfants, difficultés liées aux enfants, au conjoint , etc.);

- d'ordre professionnel : manque de temps, surcharge de travail, déplacements à l'étranger, absence d'une politique de formation continue;

- d'ordre institutionnel : poids du programme, du plan d'études et des exigences financières;

A l'inverse, les possibilités de réalisation de soi dans un autre lieu que celui de la formation entreprise agissant aussi sur la rupture peuvent être :

-- d'ordre personnel : mariage, maternité, changement de lieu de résidence, intérêts nouveaux, possibilité d'accéder à une formation plus prisée;

-- d'ordre professionnel : passage à u n poste plus qualifiant, à davantage de responsabilités, création de sa propre entreprise, passage au statut d'indépend;-rnt;

-- d'ordre institutionnel : statut social lié à la participation à la formation académique, réa lisation de soi indépendam ment de l'obtention d'une certification finale.

Ces facteurs diffèrent naturellement p our chaque individu et à chaque période de vie; de plus, ils peuvent se cumuler et s'imbriquer plus ou moins les uns aux autres.

L'obtention de la maturité s'inscrit dans une étape de la vie relativement identique aux deux sexes (à l'entrée dans la vie adulte) où l'organisation de la vie paraît relativement simple à gérer. Au fur et à mesure du développement de l'adulte, les choix qu'il lui incombe de gérer se complexifient. Les rôles sociaux de la femme et de l'homme sont susceptibles d'être plus différenciés. La perspective de la maternité peut conduire certaines femmes à privilégier leur rôle maternel moyennant un aménagement de leur vie professionnelle. Selon la même logique traditionnelle, l'homme est amené à privilégier son rôle de pourvoyeur de ressources, donc à investir sa formation et sa carrière professionnelle dans une perspective tout-à-fait linéaire et à long terme. Face à la paternité, investi en quelque sorte d'une responsabilité supplémentaire, l'homme se trouve renvoyé à ce rôle traditionnel de pourvoyeur des ressources de la famille et par conséquent renforcé dans son engagement professionnel. Anticipant de tels projets, il investit vraisemblablement d'autant plus sa formation. Donc la perspective familiale nous paraît avoir sur l'homme un effet de renforcement de l'investissement de sa carrière professionnelle et de sa formation. Face à la maternité, même si elle reste sur le plan purement symbolique, la femme se trouvera dans une situation inversée à celle de l'homme. Selon la tradition, elle se

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L'-perspective venant en quelque sorte déranger ses projets professionnels. La femme doit donc réélaborer son rôle maternel cumulé à une fonction professionnelle plus ou moins compatible avec la vie et l'éducation d'un ou de plusieurs enfants; de plus, elle doit affronter la situation existentielle pour y trouver des aménagements concrets. Son engagement professionnel et du même coup la formation qui le précède ou l'accompagne tendront à être disqualifiés en tant qu'ils constituent des freins à rejoindre la tradition de l'idéal maternel féminin.

Même si cette descrip tion de la tradition paraît aujourd'hui caricaturale, nous pensons qu'elle est encore largement agissante dans l'inconscient collectif féminin comme

masculin. De ce de fait, elle requiert un effort de la part de femmes et d'hommes désireux de construire d'autres rapports sociaux. De ce point de vue la construction de la vie professionnelle d'une femme qui désire avoir des enfants, et en particulier de celle qui s'engage dans une formation longue, nous paraît plus complexe.

Nous formulons ainsi une hypothèse générale qui nous servira de guide dans la compréhension et l'analyse des situations existentielles des femmes et des hommes :

Face à la formation universitaire, les femmes se trouvent dans une situation plus complexe que les hommes. Cette complexité peut les conduire plus fréquemment que les hommes à abandonner leurs études universitaires.

Pour définir la complexité, nous nous rapportons à Morin (1 990) :

Au premier abord, la complexité est un tissu (complexus : ce qui est tissé ensemble) de constituants hétérogènes inséparablement associés : elle pose le paradoxe de l 'un et du multiple. Au second abord, la complexité est effectivement le tissu d 'événements, actions, interactions, rétroactions, déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal.

Nous pensons en effet que si les possibilités relativement récentes offertes à un plus grand nombre de femmes d'acquérir une formation supérieure sont une chance, elles contribuent certainement à augmenter la complexité des événements, des choix qui vont organiser leur vie. Nous retenons comme indicateurs de cette complexité, les deux dimensions suivantes

1 / la situation personnelle et familiale, à savoir, - Je nombre d'enfants et leur âge,

- le fait d'être seule ou seul à porter la charge éducative des enfants,

- les événements relatifs à la santé de la personne ou de ses enfants;

2/ la situation professionnelle, à savoir, -· l'emploi et le taux d'emploi,

··· l'éloignement du lieu de travail par rapport au lieu de vie et par rapport au lieu d'études;

-les aléas liés à la situation conjoncturel le de l'emploi (chômage, contrai ntes t,ur la charge de travail, ternpr, de travail, absence de réelle poli tique de formation

continue, etc.).

Face à ces dimensions de la complexité, chacune et chacun peut conduire sa vie, privée ou professionnelle en faisant plus ou moins consciemment des choix et en se donnant plus ou moins consciemment les moyens de les réaliser. Ainsi, certains événements de la vie tels que mariage, naissance ne surviennent que rarement par hasard mais résultent de choix individuels. D'autres événements tels que le décès, la maladie, l'emploi ou le chômage sont susceptibles de peser plus particulièrement à certains moments de la vie. Toutefois, si chacun construit sa vie, idéalement, il devrait éviter de multiplier les contraintes susceptibles de le charger, voire de le dépasser en certaines périodes. Ceci nous paraît particulièrement important pour les femmes qui aujourd'hui tendent à cumuler les rôles et tâches au foyer, auprès des enfants en plus d'une insertion professionnelle; et nous l'avons vu dans notre partie introductive, elles aménagent bien souvent un engagement professionnel à temps partiel qui les écarte de possibilités d'avancement dans la carrière. Quel espace conservent-elles pour la formation continue ou supérieure?

Nous pouvons supposer que celles qui opteront pour une famille seront moins disponibles à se former durant la petite enfance de leurs enfants, à moins que justement, elles renoncent à l'emploi pour se former encore durant cette période. Peu d'études nous apportent des renseignements quant aux différentes stratégies inventées par les femmes prises dans ces situations. La nôtre est animée de cette intention de recherche.

Nous pensons que c'est dès le début de leur formation supérieure que les femmes sont susceptibles de construire des projets, d'anticiper divers scénarios à leur réalisation dans le but de conduire leur vie professionnelle et privée au travers de choix qui vont leur donner les moyens de réussir ou au contraire de se laisser submerger par des contraintes existentielles.