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Les interactions inter-BM : la notion de portefeuille de BM

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Section II.1 La dynamique du business model

1.1 Les interactions de BM au niveau de l’entreprise focale

1.1.2 Les interactions inter-BM : la notion de portefeuille de BM

La perspective dynamique inter-BM au niveau d’une entreprise focale implique l’existence d’au moins deux BM au sein de cette entreprise et l’existence de relations entre une ou plusieurs composantes de ces BM. Cette approche peut être mobilisée dans le cas d’une entreprise diversifiée possédant au moins deux domaines d’activités stratégiques, autrement dit un portefeuille d’activités. Chaque activité correspond à une combinaison particulière de facteurs clés de succès et donc à une logique de création de valeur spécifique. Par conséquent,

la présence de plusieurs activités suppose l’existence d’un BM spécifique pour chacune d’elles. Nous pouvons ainsi parler de portefeuille de BM (Sabatier et al., 2010). La fréquence et la densité des interactions seront plus importantes dans le cadre d’une diversification liée, permettant l’activation de synergies entre activités et donc entre BM.

La figure 14 ci-après représente deux BM (BM 1. et 2.) d’une entreprise quelconque composés de six (6) composantes chacun (A, B, C, D, E et F ; et A’, B’, C’, D’, E’ et F’). La perspective dynamique inter-BM au sein d’une entreprise focale consiste à appréhender les différentes interactions entre les différentes composantes respectives de deux BM. Par exemple, il s’agit d’étudier les interactions entre la composante A et la composante A’ et/ou la composante B’, etc. Il se peut qu’il n’existe aucune interaction entre deux composantes des deux BM de l’entreprise focale. Par exemple, la composante B peut n’avoir aucune interaction avec les composantes du BM 2.

Figure 14. Dynamique inter-BM au sein d’une entreprise focale

Certains chercheurs ont étudié les interactions entre différents BM au sein d’une entreprise focale (Casadesus-Masanell et Tarziján, 2012 ; Casadesus-Masanell et Ricart, 2007 ; Sabatier et al., 2010). Sabatier et al. (2010) introduisent le concept de portefeuille de BM qu’ils définissent comme : « the range of different ways a firm delivers value to its customers to ensure both its medium term viability and future development » (Sabatier et al., 2010 : 432) ou encore comme : « a way to articulate and finance the firm’s activities in the medium run and to ensure idiosyncrasy to protect its future health » (Sabatier et al., 2010 : 432). Une entreprise peut détenir différentes logiques de création de valeur pour assurer sa viabilité à moyen et long terme.

Moingeon et Lehmann-Ortega (2010) ont étudié l’émergence et le déploiement d’un nouveau BM au sein d’une entreprise existante, nommée Axytrans, dans le secteur du transport de fonds. L’émergence du nouveau BM n’a pas impliqué la suppression de l’ancien. Par conséquent, deux BM co-existent au sein de l’entreprise. L’entreprise possède ainsi un portefeuille de BM. Les auteurs proposent une méthode qui vise à démontrer le caractère effectivement novateur du BM émergent. Il s’agit d’analyser les différences entre les composantes respectives des deux BM. Les auteurs retiennent trois principales composantes du BM, à savoir la proposition de valeur, l’architecture de valeur et l’équation de profit. Leur méthode se décline en trois étapes. La première étape consiste à identifier les différences entre les propositions de valeurs respectives des deux BM. Moingeon et Lehmann-Ortega (2010) mobilisent un outil d’analyse stratégique (cf. figure 15, ci-après) proposé par Kim et Mauborgne (2005) appelé « courbe de valeur ». Cet outil « représente sous une forme schématique la performance relative de l’entreprise par rapport à tous les critères autour desquels la concurrence se joue dans son secteur. » (p.33). A l’aide de la courbe de valeur, les auteurs déterminent le caractère radical d’une modification en fonction du degré d’atténuation, du degré de renforcement, de la suppression ou de la création d’un critère à forte valeur ajoutée pour le client.

Figure 15. Comparaisons des courbes de valeur du nouveau et de l’ancien BM d’une entreprise de transport de fonds (d’après Moingeon et Lehmann-Ortega, 2010 : 273)

Nous observons des différences significatives entre les deux propositions de valeur. Non seulement il existe des phénomènes d’atténuation ou de renforcement de certaines variables

clés de la proposition de valeur (niveau de prix, de simplicité du système et de flexibilité), mais nous constatons la création de deux nouvelles caractéristiques (absence d’armes et la facilité de respect du décret). Il y a donc bien la création d’une nouvelle proposition de valeur.

La deuxième étape consiste à identifier les différences entre les architectures de valeur respectives des deux BM. Dans ce cadre, Moingeon et Lehmann-Ortega (2010) mobilisent la chaîne de valeur de Porter (1985). D’après Lehmann-Ortega (2006), la nouveauté peut provenir de la création ou la suppression de plusieurs maillons, la modification de l’ordre des maillons, et/ou la modification de plusieurs maillons.

Nous observons des différences significatives entre les deux architectures de valeur présentes dans cette entreprise de transport de fonds (cf. tableau 13, p.80). Non seulement il existe des modifications de plusieurs maillons de la chaîne de valeur (tournée réalisée par un seul homme dans une voiture banalisée et sans armes), mais nous constatons également la création ou la suppression de plusieurs maillons (Installations d’infrastructures, formation externalisée du personnel, programmation informatique des tournées). Il y a donc bien la création d’une nouvelle architecture de valeur. La troisième étape consiste à apprécier l’influence combinée de la nouvelle proposition et de la nouvelle architecture de valeur sur l’équation de profit.

Dans cette optique, les auteurs analysent d’une part l’évolution du chiffre d’affaires de l’entreprise en volume et en valeur, et d’autre part les modifications en termes de structure de coûts et de capitaux engagés.

Tableau 13. Eléments justifiant l’analyse de l’architecture de valeur du nouveau BM chez Axytrans (d’après Moingeon et Lehmann-Ortega, 2010 : 274)

,*$*-.#$%+.%/0(+!6#:#$*4(+! l’introduction du BM innovant (cf. tableau 14, p.81). Le chiffre d’affaires et la structure des

coûts ont évolué. Il existe bien une nouvelle équation de profit. Nous observons des différences significatives entre l’ensemble des composantes respectives des deux BM. Nous sommes donc en présence de deux BM différents.

Tableau 14. Analyse de l’équation de profit du système innovant chez Axytrans (Moingeon et Lehmann-Ortega, 2010 : 275)

Moingeon et Lehmann-Ortega (2010) n’explicitent que très partiellement les interactions entre les composantes des deux BM au sein de l’entreprise focale. Cela est dû au caractère conflictuel des deux BM (Markides et Charitou, 2004). Les BM sont conflictuels dans la mesure où ils reposent sur des visions totalement différentes, voire antagonistes, du métier de convoyeurs de fonds. En effet, l’ancien BM repose sur un système de sécurité ostentatoire et dissuasif tandis que le nouveau BM repose sur un système de sécurité basé sur la discrétion et l’absence de convoitise. Ces antagonismes génèrent des résistances au sein de l’entreprise et plus largement du secteur. Ces résistances sont liées à des phénomènes de « blocages cognitifs » (Chesbrough, 2010) et « d’orthodoxie sectorielle » (Hamel et Prahalad, 1994).

Pourtant, le BM innovant est beaucoup plus performant que l’ancien, et pourrait théoriquement se substituer à lui. Deux raisons poussent l’entreprise à conserver l’ancien BM.

D’une part, les transports en blindés permettent d’assurer le transport des pièces métalliques qui ne peuvent pas être maculées. D’autre part, la Banque de France, en situation de monopole, refuse de s’équiper du nouveau système. Ceci contraint les entreprises de transport

de fonds converties à la nouvelle technique de convoyage à conserver leurs blindés pour assurer le transport des billets jusqu’à ses dépôts, ainsi que pour le transport des pièces métalliques. En raison de ces contraintes, l’entreprise doit faire co-exister deux BM conflictuels et gérer une situation « d’ambidextrie » au sens de Burgelman (1985, 1991).

L’ambidextrie peut se définir comme la recherche d’un équilibre entre les logiques d’exploration et d’exploitation. Dans le cas de BM conflictuels, certains auteurs plaident pour une séparation de l’ancien et du nouveau BM en deux entités bien distinctes (Bower, 1995;

Burgelman et Sayles, 1986; Christensen et Overdorf, 2000). Dans des recherches plus récentes, d’autres auteurs privilégient l’idée d’une solution contingente (Foster et Kaplan, 2001 ; Gilbert et Bower, 2002; Govindarajan et Trimble, 2005; Iansiti et al., 2003 ; Markides et Charitou, 2004). Une approche contingente suppose la mise en relation des composantes respectives des deux BM afin qu’elles puissent se renforcer mutuellement et inscrire l’entreprise dans une situation d’ambidextrie.

Cette approche renvoie à la gestion du portefeuille d’activités d’une entreprise et notamment à la matrice BCG développée par le Boston Consulting Group à la fin des années 1960. Il s’agit d’un outil d'analyse utilisé en stratégie pour justifier des choix d'allocation de ressources entre les différentes activités d'un entreprise diversifiée, présente sur plusieurs domaines d'activité stratégique (DAS). La matrice BCG (cf. figure 16, ci-après) permet de classer les activités en fonction de leur aptitude à générer du cash, en prenant en compte la croissance du marché et leur part de marché relative. La matrice BCG distingue ainsi quatre (4) types d’activités : activités « dilemme », activités « star », activités « vache à lait », activités « poids mort ».

Figure 16. Matrice BCG (Boston Consulting Group)

Les activités « dilemme » et « star » sont théoriquement les activités d’avenir. Les taux de croissance du marché sur ces activités sont élevés. Par conséquent, même si ces activités ne génèrent pas nécessairement beaucoup de cash, celles-ci réclament une allocation importante de ressources. Les activités « vache à lait » sont les activités qui génèrent le plus de cash mais qui se situent sur un marché mature. Ces activités permettent entre autres de financer les activités d’avenir. Enfin les activités « poids mort » sont les activités en déclin et qui seront théoriquement abandonnées au profit des activités en croissance. L’approche de Sabatier et al.

(2010) est assimilable à celle de la matrice BCG. Tout d’abord, les deux approches offrent une réflexion sur la complémentarité et l’interdépendance de plusieurs éléments en interaction : « A firm’s portfolio can help balance the levels of promise and interdependency with other firms of its different business models, and help it articulate and finance its activities in the medium run to ensure idiosyncrasy to protect its future health » (Sabatier et al., 2010 : 431). Ensuite, les deux approches apportent une réflexion sur la stratégie corporate de l’entreprise, c’est à dire sur son périmètre d’activité : « The business model is one element of firm strategy: at the corporate level, the analogy for the business model portfolio is the dinner, which can be defined as a combination of dishes in the same way a firm selects and combines different business models into a portfolio to implement its corporate strategy.

(…) the most noticeable function of business models is to operate as a descriptor at the generic level » (Sabatier et al., 2010 : 432-433). Enfin, la gestion de ces complémentarités et interdépendances est destinée à assurer la pérennité d’un système plus large : « The business models portfolios built by OpteX, OphSmart and Emics balance time lags and business model interdependencies, offering these entrepreneurial firms a range of strategic options » (Sabatier et al., 2010 : 444).

Dans le cas de Moingeon et Lehmann-Ortega (2010), malgré le caractère conflictuel des deux BM, nous envisageons certains phénomènes de complémentarité et d’interdépendance. Tout d’abord, le cash généré par l’ancien BM a permis d’offrir des conditions favorables à l’expérimentation du nouveau BM. Nous envisageons une relation entre l’équation de profit (ici, au singulier) de l’ancien BM et les ressources et les compétences du nouveau BM, sous la forme d’un transfert de ressources. La logique d’exploitation à l’œuvre dans l’ancien BM favorise la logique d’exploration inhérente à l’expérimentation du nouveau BM. Ensuite, certains clients intégrés à la proposition de valeur de l’ancien BM ont pu se constituer clients du nouveau BM. La base client a pu être mobilisée comme ressource pour le nouveau BM.

Enfin, le nouveau BM ne pourrait pas exister sans l’ancien. Des raisons techniques et

institutionnelles contraignent l’entreprise à conserver son ancien BM. Par conséquent, la préservation de l’ancien BM peut être perçue comme une condition sine qua non au bon déploiement du nouveau.

Par ailleurs, les chercheurs qui ont étudié la dynamique inter-BM au niveau d’une entreprise focale, n’abordent pas la question de l’évolution des différents BM induite par les relations inter-BM. En effet, nous considérons que certains transferts inter-BM peuvent avoir une incidence sur la composition des différents BM dans le temps. Dans le cadre de notre recherche, nous veillerons à prendre en compte ce phénomène. Il nous semblerait pertinent d’apprécier le rôle que peuvent jouer les POE dans la dynamique inter-BM, afin d’appréhender plus finement leur contribution à l’évolution d’un seul ou plusieurs BM.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 88-95)