• Aucun résultat trouvé

Définitions : la finalité économique et financière du BM

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 47-56)

Section I.1 Vers une approche socio-économique du business model

1.2 Une redéfinition du concept de BM

1.2.1 Définitions : la finalité économique et financière du BM

Les définitions du concept de BM permettent principalement d’en cerner les frontières et d’en appréhender le contenu. Il s’agit d’être capable de distinguer la réalité couverte par le concept de BM de celle couverte par d'autres concepts, qu'ils soient concurrents ou bien simplement différents. Pour Warnier et al. (2004), la question à se poser est la suivante : « A quels besoins répond le BM que des objets ou outils préexistants ne pouvaient pas combler ? ». Mais la difficulté propre à la définition du BM dans la littérature en gestion est liée à la quantité et

l’hétérogénéité des approches : « There is no one clear and consistent definition of a business model […]. » (Dahan et al., 2010). Pateli et Giaglis (2004) affirment qu’il s’agit d’un des sujets de discussions les plus fréquemment abordés dans la littérature sur les BM. Certains auteurs (Moingeon et Lehmann-Ortega, 2010 ; Moyon, 2011) ont cherché a développer une approche « consensuelle » de la définition du BM.

Une conception dominante de la finalité du BM : la performance économique Moingeon et Lehmann-Ortega (2010) identifient pas moins de 50 définitions différentes du concept de BM dans la littérature sur une période de 15 ans. Les auteurs proposent une définition dite « synthétique et consensuelle » issue d’une revue exhaustive et critique de la littérature : « Le business model est la description pour une entreprise des mécanismes lui permettant de créer de la valeur à travers la proposition de valeur faite à ses clients, son architecture de valeur et de capter cette valeur pour la transformer en profits (équation de profits) » (Moingeon et Lehmann-Ortega, 2010 : 271). Cette définition témoigne de l’existence d’une conception dominante de la finalité du BM, basée sur une vision essentiellement économique de la valeur : « capter cette valeur pour la transformer en profits (équation de profits) ». Moyon (2011) propose dans sa thèse une revue de la littérature relative à la définition du concept de BM. Cette synthèse débouche également sur la proposition d’une définition « exhaustive », basée sur une conception économique de la performance. Moyon (2011) distingue néanmoins quatre (4) approches : descriptive, opérationnelle, planification et processuelle (cf. tableau 3, p.38). La diversité des approches nécessite que nous nous positionnions.

La perspective descriptive, la plus souvent relevée dans la littérature, regroupe les définitions qui présentent le BM comme un outil de représentation. Plusieurs niveaux d’abstraction ont été identifiés. Certains auteurs soulignent la capacité du BM à simplifier la réalité en ne représentant que ses principales caractéristiques. Pour Magretta (2002 : 4) par exemple, les BM sont des « stories that explain how enterprise works. A good business model answers Peter Drucker’s age old questions : Who is the customer ? And what does the customer value ? It also answers the fundamental questions every manager must ask : How do we make money in this business ? What is the underlying economic logic that explains how we can deliver value to customers at an appropriate cost ? ». Les termes clés employés par les auteurs pour qualifier le BM selon cette perspective sont « abstraction » (Betz, 2002 : 1),

« essential » (Gordijn et al., 2000 : 40), « logic » (Chesbrough et Rosenbloom, 2002 : 529 ;

Klueber, 2000 : 2 ; Linder et Cantrell, 2000 : 1 ; Mangematin et al., 2003 : 622), « statement » (Stewart et Zhao, 2000 : 290) ou encore « stories » (Magretta, 2002 : 4). D’autres auteurs revendiquent une plus grande granularité en présentant le BM comme une représentation plus détaillée de la réalité. Par exemple, Tapscott (2001 : 5) définit BM comme « the core architecture of a firm, specifically how it deploys all relevant resources (not just those within its corporate boundaries) to create differentiated value for customers ». Les termes clés utilisés par les auteurs pour qualifier le BM selon cette perspective sont « architecture » (Dubosson-Torbay et al., 2002 : 7 ; Klueber, 2000 : 2 ; Tapscott, 2001 : 5 ; Timmers, 1998 : 4), « blueprint » (Osterwalder et al., 2005 : 2), « set » (Seelos et Mair, 2007 : 53 ; Winter et Szulanski, 2001 : 731), « structural template » (Amit et Zott, 2001 : 511) ou « system » (Zott et al., 2010 : 216).

La perspective opérationnelle regroupe les définitions qui présentent le BM comme un outil opérationnel. Les auteurs conçoivent le BM comme une façon de mettre en œuvre une série d’actions ou de pratiques en entreprise. Pour Afuah et Tucci (2001 : 3) par exemple, un BM est « The method by which a firm builds and uses its resources to offer its customers better value than its competitors and to make money doing so ». Les termes clés utilisés pour qualifier le BM selon cette perspective sont « méthode » (Afuah et Tucci, 2001 : 3 ; Rappa, 2000 ; Turban et al., 2002 : 6), « approche » (Gambardella et McGahan, 2010 : 263) ou encore « design » (Mayo et Brown, 1999).

La perspective de planification, proposée par Venkatraman et Henderson (1998), présente le BM comme « un outil guidant le raisonnement des entrepreneurs et des dirigeants. » (Moyon, 2011). Pour les auteurs, le BM « is a coordinated plan to design strategy along three vectors : (…) customer interaction, asset sourcing, and knowledge leverage. » (Venkatraman et Henderson, 1998 : 12).

La perspective processuelle, proposée par Krishnamurthy (2003), définit le BM comme « a path to a company’s profitability, an integrated application of diverse concepts to ensure the business objectives are met. A business model consists of business objectives, a value delivery system, and a revenue model » (Krishnamurthy, 2003 : 14).

Le tableau 3 (p.39) synthétise l’ensemble des perspectives présentes dans les définitions de BM.

Tableau 3. Les différentes perspectives présentes dans les définitions du BM (Moyon,

,7$ Y*371,99$ J&###'$i$ >*32,0*783$ ,7$ *9\$ J&##W'A$ (,71:@84$ ,7$

*9\$J&##!'A$E)*B,1$,7$*9\$J&##K'A$P,,4,$J&#!#'$

« consensuelle » : « Une configuration de choix qui déterminent la façon dont une entreprise crée de la valeur et réalise du profit ». Sa définition s’inscrit dans la perspective descriptive, la plus régulièrement mobilisée. L’approche descriptive semble adaptée à notre projet de recherche. Nous souhaitons faire état d’une évolution du BM de la grande entreprise. Une description des caractéristiques du BM à deux moments différents est nécessaire pour identifier ces changements. Le terme « choix » inscrit la définition dans la catégorie « faible degré d’abstraction » ce qui offre une plus grande granularité et éloigne le concept de BM de celui de stratégie.

Ensuite, la définition a pour ambition de se détacher de toute connotation contextuelle pour pouvoir être généralisable. Il n’est pas fait référence à un secteur comme cela est parfois le cas dans les définitions sur les BM, notamment pour le secteur du e-business (Gordijn et al., 2000 ; McGann et Lyytinen, 2002). L’approche de Moyon présente l’avantage d’intégrer une plus grande diversité d’organisations, également concernées par le concept de BM.

Enfin, la définition a pour ambition d’insister indifféremment sur les notions de revenus ou de coûts. Il s’agit selon l’auteur de ne pas tomber dans l’écueil qui est régulièrement fait dans la littérature de souligner uniquement la notion de création de valeur. D’après Moyon (2011), sur 20 définitions abordant la question de la valeur, seize (16) définitions évoquent les sources de revenus et seulement cinq (5) définitions mentionnent les « coûts » (Elliot, 2002 ; Fiet et Patel, 2008 ; Gambardella et McGahan, 2010 ; Magretta, 2002 ; Teece, 2010). Notons qu’en évoquant l’équation de profit, Moingeon et Lehmann-Ortega (2010) mentionnent implicitement les coûts et les revenus. Cette approche offre ainsi une conception plus riche de l’équation de profit.

Malgré sa vocation fédératrice et les nombreux avantages qu’elle présente, la définition dite

« consensuelle » de Moyon (2011) ne nous semble pas couvrir l’ensemble des principaux enjeux du BM. En effet, la définition se focalise uniquement sur la notion de performance économique et élude la question de la performance sociale : « business model research has traditionally identified the purpose of the business model as generation and delivery of economic value : here we extend the notion to argue that business model scan be viewed as generators of social value, and that economic and social value creation can be mutually reinforcing » (Dahan et al., 2010 : 3). Pourtant, les recherches portant sur les innovations de BM dans les pays en développement montrent l’importance de la dimension sociétale de la valeur (Eyring et al., 2011 ; Yunus et al., 2010 ; Dahan et al., 2010 ; Thompson et MacMillan, 2010 ; Sanchez et Ricart, 2010 ; Manglik et al., 2010 ; Gradl et al., 2010 ; Seelos et Mair, 2007). Yunus et al. (2010) proposent par ailleurs le concept de « social business model ».

Cette approche sépare la valeur sociale et la valeur économique, occultant ainsi les liens potentiels entre ces deux dimensions. Maguire (2009) propose quant à lui une réflexion sur les BM non marchands et à but non lucratif. Par conséquent, nous optons pour une intégration de la notion de performance sociale dans la définition du BM afin que le concept puisse couvrir l’ensemble des enjeux auxquels les organisations ont à faire face.

Ensuite, la définition de Moyon (2011) ne considère qu’un seul type d’organisation : les entreprises. Nous considérons que ce concept doit pouvoir s’appliquer à tous types d’organisations, notamment aux organisations non marchandes à but non lucratif comme les organisations publiques ou bien les ONG. De plus, le concept doit pouvoir s’appliquer à des formes plus micro ou hybrides d’organisations telles que les partenariats ou les projets. Dahan et al. (2010) montrent qu’un POE peut constituer un BM en soi, avec une proposition de valeur, une organisation et un système de ressources et de compétences propres. Par conséquent, nous optons pour une intégration des autres types et formes d’organisations.

Cette intégration est rendue possible par la mobilisation du terme « organisation » dans sa définition générique. Pour Romelaer (2002 : 3), « une organisation est un ensemble de personnes qui ont entre elles des relations en partie régulières et prévisibles ».

Enfin, la définition de Moyon (2011) se focalise sur le processus de création de valeur et néglige la problématique de la captation ou de la redistribution de la valeur présente dans certaines définitions sur les BM : « choices must be connected to value creation and value capture » (Sanchez et Ricart, 2010). Il nous semble pertinent d’intégrer la notion de captation de valeur dans la mesure où le concept de BM, par sa connexion avec la stratégie, intègre l’environnement, et donc les parties prenantes externes.

En synthèse, nous considérons que la définition du concept de BM doit intégrer trois éléments non présents dans la définition « consensuelle » de Moyon (2011) :

1. Les différents types d’organisations ;

2. Le processus de captation/redistribution de valeur ; 3. La notion de performance sociale.

Cette revue critique de la littérature débouche sur la définition suivante : « Le business model est une configuration de choix intermédiaires entre la stratégie et les pratiques qui influence la façon dont une organisation crée et redistribue de la valeur économique et sociale ».

Si notre proposition semble faire échos à celle de Yunus et al. (2010), celle-ci se distingue par la prise en compte des liens potentiels entre la performance économique et la performance sociale. L’exploration des typologies de BM confirme la congruence d’une approche intégrant la dimension sociale. Mais que recouvre la notion de performance sociale ?

Caractériser la dimension sociale de la performance du BM

La question de la performance sociale, appliquée aux entreprises, renvoie inévitablement à celle de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). La réflexion sur la RSE, initiée par Bowen en 1953, invite à concevoir l’intégration par l’entreprise des attentes et des valeurs recherchées par les différentes composantes de la société civile. Dans un contexte entrepreneurial, une telle intégration suppose l’évaluation des pratiques développées en matière de RSE. La notion de performance sociale est abondamment traitée dans la littérature et fait l’objet de nombreuses approches différentes.

Carroll (1979) propose un modèle tridimensionnel de la performance sociale. Ce modèle intègre l’ensemble des approches existantes (en 1979) en matière de performance et de responsabilité sociale. Le type de performance sociale dépend du type de responsabilité sociale sur lequel l’entreprise se positionne (« social responsability category »), du type de problématique traitée (« social issue involved ») et de la philosophie de l’action sociétale (« philosophy of social responsiveness »). Ces dimensions se déclinent en sous-catégories. La RSE peut recouvrir des enjeux économiques, légaux, éthiques ou discrétionnaires. La problématique traitée peut porter sur le consumérisme, l’environnement, les discriminations, la sécurité des produits, la sécurité au travail ou les parties prenantes. La philosophie peut être réactive, défensive, adaptative ou bien proactive.

Dans cette perspective, Sethi (1979) distingue trois approches du comportement organisationnel en termes de RSE et de performance sociale. Dans le premier cas, l’entreprise répond aux pressions coercitives du marché et de la législation (« corporate behavior as social obligation »). Dans le deuxième cas, l’entreprise répond aux pressions normatives de son environnement (« corporate behavior as social responsability »). Dans le troisième cas, l’entreprise se situe dans une logique proactive en anticipant les évolutions de son environnement en matière de RSE (« social responsiveness »). Le modèle tridimensionnel de Carroll (1979) articule l’ensemble de ces variables pour appréhender plus finement la spécificité de l’approche retenue par une organisation.

Wood (1991) reformule les modèles préexistants en matière de performance sociale des entreprises. Le modèle qu’il propose articule trois variables intégrant notamment les modalités de mise en œuvre de la RSE. L’auteur distingue tout d’abord trois niveaux d’analyse de la performance sociale des entreprises : institutionnel, organisationnel et

individuel. Ensuite, trois processus de RSE sont identifiés : la réponse aux enjeux sociaux ou environnementaux et le management des parties prenantes. Enfin, trois modalités de réponse aux enjeux de RSE sont détectés : les impacts sociaux, les programmes et les politiques. Les liens entre ces différentes variables sont explicités et autorisent une compréhension plus fine des pratiques des entreprises en matière de performance sociale.

D’après Allouche et Laroche (2005), une conception actuelle de la performance sociale intègre trois fondements : « honorer des obligations à l’égard de la pluralité des parties prenantes ; répondre aux demandes sociales émises par l’environnement socio-économique ; utiliser le concept et son champ d’application comme outil de gestion » (p.6). Nous adhérons à une conception intégratrice de la performance sociale, couvrant les logiques coercitives, normatives et proactives du comportement des entreprises. Nous focalisons en revanche notre observation au niveau organisationnel, interne et externe.

La question de l’évaluation des pratiques en matière de RSE est également traitée par la littérature. Les chercheurs se sont munis d’instruments de mesure de la performance sociale selon des approches hétérogènes. Allouche et Laroche (2005) recensent sept (7) principaux apports que nous représentons dans le tableau suivant :

Tableau 4. Les mesures de la performance sociale des entreprises (d’après Allouche et Laroche, 2005)

>*12:98+$,7$

Si ces mesures se focalisent essentiellement sur les enjeux sociaux et environnementaux, nous constatons leur grande disparité. Il demeure donc difficile de se positionner dans une approche plutôt qu’une autre, d’autant que le choix des critères n’est généralement pas justifié théoriquement. Les référentiels professionnels sont par ailleurs très nombreux et font l’objet d’une intense concurrence : KLD, Innovest, Ethibel, BITC, Arese/Vigéo, etc. (Allouche et Laroche, 2005 : 9).

Iserte et Lapenu (2003) identifient par ailleurs quatre dimensions de la performance sociale pour les bailleurs de fonds institutionnels :

• Ciblage des pauvres et des exclus ;

• Adaptation des services et des produits à la population cible ;

• Amélioration du capital social et du capital politique des clients ;

• Responsabilité sociale de l’institution.

Le point de vue des bailleurs de fonds institutionnels nous intéresse particulièrement dans la mesure où ces acteurs jouent un rôle crucial dans le secteur des ONG et dans le domaine des POE. Nous décidons néanmoins de ne pas nous positionner a priori sur une méthode d’évaluation de la performance sociale. Les critères d’évaluation semblent spécifiques aux situations auxquelles les entreprises sont confrontées, et aux contextes dans lesquelles ces dernières s’insèrent. Nous comptons, dans ce cadre, adopter une démarche inductive.

La question du lien entre la performance sociale et la performance économique fait également l’objet de débats théoriques. Preston et O’Bannon (1997) recensent trois types de relations positives entre la performance économique et la performance sociale. Le premier type suggère que la performance sociale favorise la performance économique (Freeman 1984 ; Waddock et

Graves, 1997 ; Preston et Sapienza, 1990). Cette conception repose sur l’hypothèse que la satisfaction par l’entreprise des objectifs des parties prenantes favorise la performance économique et financière. Le deuxième type repose sur l’idée que la performance économique favorise la performance sociale (McGuire et al., 1988 ; Kraft et Hage, 1990 ; Preston et al., 1991). Cette conception repose sur l’hypothèse que la performance sociale dépend de la capacité de l’organisation à dégager un surplus financier ou un « slack organisationnel », lui permettant de s’engager dans des pratiques de RSE. Le troisième type suggère l’existence de liens positifs réciproques (Waddock et Graves, 1997) : « un niveau élevé de performance sociale conduit à une amélioration de la performance financière qui offrent la possibilité de réinvestir dans des actions socialement responsables » (Allouche et Laroche, 2005).

Nous décidons de nous positionner dans cette dernière approche, fondée sur l’idée que les deux types de performance sont indissociables. Ce choix est cohérent avec la spécificité du secteur d’activité que nous étudions dans cette recherche, à savoir la gestion privée des services d’eau et d’assainissement. D’après l’OMS (2004), l’accès à l’eau et à l’assainissement pour les populations génèrent de nombreuses externalités positives dans les autres domaines du développement. Une approche socio-économique du BM doit donc intégrer une réflexion sur les liens entre performance économique et performance sociale dans le cadre d’une analyse intra-dimension de l’équation de profits (au pluriel).

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 47-56)