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La construction du champ de recherche sur les BM

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 36-41)

Section I.1 Vers une approche socio-économique du business model

1.1 Le concept de business model en stratégie

1.1.1 La construction du champ de recherche sur les BM

Lecocq et al. (2010), dans leur article « Business Models as a Research Program in Strategic Management : An Appraisal based on Lakatos », décrivent le processus de structuration du champ de recherche consacré au concept de BM15. Les auteurs considèrent que le champ a mis du temps à émerger malgré l’utilisation très fréquente de ce concept parmi les praticiens et que ce champ s’est structuré progressivement. Lecocq et al. (2010) distinguent cinq phases de ce processus de structuration : la phase d’émergence, la phase de définition du concept, la phase empirique, la phase de décomposition et la phase de théorisation.

Figure 2. Phases de structuration du champ de recherche sur les BM (construction personnelle d’après Lecocq et al., 2010)

La phase d’émergence débute au cours des années 1990. Cette phase est caractérisée par une utilisation du concept de BM basée sur un savoir tacite, sans précisions sur son contenu ni sur ses contours. A ce stade, la notion est très couramment employée dans le monde des affaires, notamment par les investisseurs, les entrepreneurs, les consultants ou encore les journalistes, mais rarement dans le domaine académique. Pour les auteurs, l’utilisation généralisée et

15 Lecocq et al. (2010) reconnaissent le caractère « caricatural » de leur segmentation : « Although some contribution may address several issues simultaneously and such phasing may be a caricature […] » (p.219). Cependant, celle-ci permet de retracer le processus de structuration du champ dans ses grandes lignes et de façon chronologique. Chaque étape correspond à une problématique dominante du programme de recherche à un moment donné. : « […] we can identify seveval typical stages in the

parfois excessive de ce concept par les praticiens témoigne de son attrait et de son intérêt par rapport à d’autres concepts en stratégie des organisations, notamment dans le contexte de la

« nouvelle économie » (Ghaziani et Ventresca, 2005).

A partir de 1995, l’engouement des praticiens pour cette notion peut s’expliquer par le besoin de petites entreprises innovantes de modéliser leur activité. Tout d’abord, les entrepreneurs de la « nouvelle économie » avaient besoin de convaincre les investisseurs pour développer leurs idées (Verstraete et Jouison, 2007). Dans un contexte où le financement direct représente une opportunité souvent privilégiée par les start-ups, la viabilité et le potentiel de développement pouvaient être appréciés dans un cadre moins rigide que celui du business plan, ce dernier étant exigé par le système de financement intermédié. Ensuite, la nature particulièrement innovante des projets nécessitait d’en produire une représentation intelligible pour les investisseurs.

Il était donc utile pour les entrepreneurs de modéliser leur projet et d’en offrir une description simplifiée. Cette pratique permettait également de comparer les projets dans un contexte de concurrence accrue dans la recherche de financements ou d’opportunités d’investissement. Le caractère flexible de l’outil que représente le BM répondait notamment au besoin de développer les idées le plus rapidement possible.

La deuxième étape, nommée « phase de définition », démarre également dans le courant des années 1990. Cette étape est caractérisée par l’intérêt naissant de la part de certains auteurs pour cette notion de BM qui vont chercher à en donner une définition explicite. Les auteurs, académiques et/ou praticiens, discutent également le statut de la notion de BM en tant que concept (Porter, 2001 ; Magretta, 2002). Le terme « concept » est emprunté au latin conceptus, c’est à dire « action de contenir, de recevoir ». Ce terme peut se définir comme

« une représentation mentale abstraite et générale, objective, stable, munie d'un support verbal » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, 2012). Par conséquent, le concept est une représentation abstraite, contenant et recevant du sens. Celle-ci est relativement partagée par une certaine communauté. Les réflexions livrées par les auteurs sur le statut de la notion de BM posent donc la question de la légitimité de cette notion dans le domaine des Sciences de Gestion. Deux conceptions semblent s’affronter : celle de Porter (2001 : 12) qui considère que le BM fait référence à une conception appauvrie et « molle » de la stratégie : « The definition of a business model is murky at best. Most often, it seems to refer to a loose conception of how a company does business and generate revenue. The

business model approach to management becomes an invitation for faulty thinking and self-delusion » ; et celle de Magretta (2002 : 86), qui dans son article au titre évocateur « Why Business Models Matter ? », confère une certaine légitimité au concept de BM : « the concept of business model fell out of fashion nearly as quickly as the .com appendage itself. That’s a shame. For while it’s true that a lot of capital was raised to fund flawed business models, the fault lies not with the concept of the business model but with the distortion and misuse ». La notion de BM s’est finalement imposée comme un véritable concept dans le champ du management stratégique.

La phase empirique, qui constitue la troisième étape du processus de structuration du champ de recherche sur les BM, démarre au début des années 2000. Cette étape se caractérise par l’apparition de recherches empiriques sur les BM. Ces recherches constituent, pour la plupart, de petites études de cas illustratives sur divers types de BM identifiés dans les domaines du e-business (Christensen et Tedlow, 2000 ; Kopczak et Johnson, 2003) ou dans d’autres industries (Dahan et al., 2010 ; Moingeon et Lehmann-Ortega, 2010).

Ensuite, la phase de décomposition correspond à l’identification des différentes composantes en interaction au sein d’un BM. Si nous considérons les racines étymologiques du terme

« concept », le BM constitue le contenant et le réceptacle d’un certain nombre d’éléments, qui dans une conception systémique (Bertalanffy, 1968), sont en interrelation. L’identification et la caractérisation des différentes composantes principales du BM permettent de définir une modélisation et de mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement du construit. Cette modélisation permet également d’orienter les décisions et/ou de guider l’action des praticiens.

Le BM devient en quelque sorte un outil de représentation visuelle des activités d’une organisation. Le modèle « RCOV » de Lecocq et al. (2006) est un exemple de contribution scientifique dans ce domaine. En effet, ce modèle (ou configuration) comporte trois composantes en interaction : les ressources et les compétences mobilisées, l’organisation déployée, et la proposition de valeur faite aux bénéficiaires. Les lettres de l’acronyme

« RCOV » correspondent aux trois composantes identifiées : Ressources et Compétences (RC), Organisation (O) et la proposition de Valeur (V). D’après les auteurs, les interactions entre ces trois composantes vont déterminer d’une part la structure et le volume des coûts et d’autre part la structure et le volume des revenus. La différence entre ces deux éléments détermine in fine la marge dégagée par l’organisation.

La cinquième et dernière étape, nommée « phase de théorisation », correspond à deux types de travaux qui contribuent à l’enrichissement théorique et conceptuel de la notion de BM. Le premier type de travaux cherche à bâtir les fondements théoriques du concept de BM à travers différents ancrages, comme celui de la théorie des coûts de transaction, des théories de l’entreprenariat, ou encore des théories fondées sur les ressources et les compétences de l’entreprise. Ces recherches mettent ainsi en relation différents champs de recherche en stratégie des organisations. Le deuxième type de travaux correspond à l’étude de différentes problématiques concernant l’articulation entre la stratégie et l’organisation sous l’angle du BM, comme celles du changement (Sosna et al., 2010), de la performance (Amit et Zott, 2001), de l’innovation (Chesbrough et Rosenbloom, 2002), etc.

Le tableau 1 ci-après synthétise les caractéristiques des cinq phases du processus de structuration du champ de recherche sur les BM. Pour chacune de ces phases, nous mentionnons le nom d’auteurs ayant contribués à leur développement.

Tableau 1. Les 5 phases du processus de structuration du champ de recherche sur les BM (d’après Lecocq et al., 2010)

16 La délimitation des deux périodes est arbitraire : certaines références mentionnées dans la colonne

« auteurs impliqués » peuvent sortir légèrement du cadre temporel posé.

17 Slywotzky (1995) commence à évoquer la notion de BM sans la nommer explicitement : « The business system is the totality of how a company selects its customers, defines and differenciate its offerings […], defines the tasks […], configures its resources, […], captures profits ». Nous

&###$%$ concept de BM met en lumière un phénomène d’enrichissement progressif. Les chercheurs en Sciences de Gestion se sont emparés de ce concept pour en préciser la définition et en construire les fondements conceptuels et théoriques. Ce concept est également régulièrement utilisé dans le cadre de recherches empiriques. En témoigne la parution de quatre numéros spéciaux dédiés aux BM parus entre 2008 et 2010 dans des revues à comité de lecture18. Nous déduisons de cet historique des spécificités relatives à la construction du champ. Tout d’abord, ce champ de recherche est né de l’intérêt précurseur des praticiens pour ce concept.

Ce concept en cours de théorisation a donc émergé d’un processus globalement inductif.

Ensuite, le statut du concept de BM a fait l’objet de débats au sein de la communauté de chercheurs, ce qui a sans doute ralenti l’émergence du champ. Enfin, par son caractère innovant, ce concept permet d’envisager un renouvellement de la pensée stratégique en apportant de nouveaux cadres conceptuels et théoriques pour l’analyse de phénomènes qui se situent à l’articulation entre la stratégie et l’organisation.

18 Revue Française de Gestion (2008) ; Harvard Business Review (2010) ; Long Range Planning

Selon nous, les spécificités de ce processus de structuration génèrent néanmoins des difficultés dans l’appropriation de la littérature dédiée à l’étude du concept de BM. En effet, l’utilisation parfois abusive de ce concept par les praticiens et le manque de consensus parmi les chercheurs quant à son statut académique ont provoqué des confusions dans la définition du BM. Nous proposons ainsi de montrer la légitimité de ce concept en stratégie. Ceci implique une clarification de son positionnement par rapport à d’autres notions et concepts dans le champ de la stratégie. Une analyse de son articulation avec le concept de stratégie permettrait également d’asseoir la légitimité du concept de BM. Par ailleurs, de nombreux chercheurs ont tenté de définir le BM selon leur propre conception et leur propre compréhension du concept (Timmers, 1998 ; Venkatraman et Henderson, 1998 ; Maître et Aladjidi, 2000 ; Applegate ; 2000 ; Porter, 2001 ; Magretta, 2002). Une multitude de définitions sont proposées dans la littérature, ces dernières ne recouvrant pas nécessairement la même réalité. Moingeon et Lehmann-Ortega (2010) recensent une cinquantaine de définitions différentes sur une période de 15 ans, ce qui témoigne de ce flou conceptuel. Nous proposons d’étudier cet ensemble hétérogène de définitions pour faire ressortir les caractéristiques structurantes de délimitation du concept. Dans la continuité de ce travail, une étude des différentes typologies de BM identifiées dans la littérature est réalisée. Cette démarche aboutit à une reformulation partielle de la définition du concept de BM telle que nous la rencontrons généralement dans la littérature.

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