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Interactions entre l’enseignant.e et les apprenant.e.s durant l’interrogation

Chapitre I Un objet et une question de recherche fortement liés

1.2 De l’Audience Response System au Système d’interactions Synchrones Médiatisées par Ordinateurs

1.2.2.1.2 Interactions entre l’enseignant.e et les apprenant.e.s durant l’interrogation

La médiatisation d’un questionnaire, contrairement à une évaluation traditionnelle sur papier, permet de dévoiler des questions séquentiellement en interdisant, au besoin, le retour en arrière. Le caractère séquentiel des questions présentées permet d’introduire des informations supplémentaires (indices), et de proposer une progression s’appuyant sur une réflexivité proposée à l’apprenant.e.

46 On n’afficherait selon les unités expérimentales :

1) la participation identifiée individuellement comme nous le faisons aujourd’hui ;

2) la participation agrégée, nombre de réponses ou pourcentage, abolissant les identifiants des répondants ; 3) aucune information concernant la participation enregistrée dans le dispositif.

L’enseignant.e peut donc interagir au fur et à mesure de l’évaluation par les questions posées avec les apprenant.e.s. L’évaluation ne sert alors plus à vérifier qu’un niveau a été atteint grâce au travail préparatoire effectué par les apprenant.e.s. Il s’agit dès lors d’une évaluation dynamique dont le but est de faire progresser les apprenant.e.s durant l’évaluation elle- même (voir annexe 1.3).

Dans certaines séquences, nous avons proposé aux apprenant.e.s, quelles que soient leurs réponses, des questions qui pouvaient les inciter à remettre en question des réponses antérieurement apportées durant la séquence. Nous nous sommes inspiré pour ces séquences de Beatty et al. (2006, p. 34) qui décrivent cette pratique dans leur article intitulé Designing Effective Questions For Classroom Response System Teaching. Amener un.e élève à se raviser, si possible à bon escient, revient à travailleur sur l’essence de l’apprentissage que Bjork et al. (2011, p. 57) définissent comme « un changement plus ou moins permanent de la connaissance ou de la compréhension ».

Lamine et Petit (2014, p. 131) ont rapporté un des rares témoignages de l’utilisation de boîtiers de réponse dans le monde francophone. Ils écrivent : « Ainsi un étudiant aura des difficultés à intégrer et ‘prendre pour soi ‘ un nouveau contenu si sa compréhension initiale n’est pas engagée. Le plus souvent, l’étudiant.e se contentera d’apprendre le nouveau contenu en vue de l’examen puis retombera dans sa conception initiale… ».

Il s’agit donc de proposer des indices, des orientations plutôt qu’un « surguidage » (Jorro & Mercier-Brunel, 2011, pp. 34-38). À l’extrême, comme l’écrivent Noël et al. (2016, p. 132), « des gestes de surguidage conduisent des élèves à tenter de deviner ce que l’enseignant souhaite leur faire dire plutôt que de chercher à comprendre ». Il nous semble possible de reprendre la distinction utilisée par Ryan et Pintrich (2001) ; cités par Hattie & Timperley, 2007, p. 96) qui opposent l’aide instrumentale qui consiste en des indices et non des réponses et l’aide exécutive qui fournit la réponse et épargne à l’apprenant.e tout travail. Ils écrivent ainsi selon notre traduction : « Les niveaux supérieurs de l’aide instrumentale élèvent la rétroaction au niveau de l’autorégulation. ».

Certains SISMOs permettent d’envoyer aux apprenant.e.s cette aide exécutive, leur indiquant immédiatement si leur réponse est juste ou non ; ceci nous paraît galvauder les riches situations d’autorégulation que l’on peut faire naître avec ces artefacts. Nous partageons la conception autodéterminée et autorégulée que propose Audran (2010, p. 45) d’un dispositif

pédagogique. Selon lui, il devrait s’agir de « l’organisation d’espaces-temps ou d’environnements dont le but est au moins autant une façon sociale de permettre d’orienter l’individu de manière instrumentale, que de lui permettre de s’orienter par lui-même. ». L’aide instrumentale qui peut être fournie aux apprenant.e.s par des indications ou par la séquence des questions qui se révèlent une par une permet de créer des situations d’auto- remédiation qui font des apprenant.e.s les premiers destinataires des informations produites par le SISMO. Dehon et al. (2008) considèrent comme souhaitable que les apprenant.e.s reçoivent une rétroaction immédiate, durant l’interrogation avant même que l’enseignant.e ne puisse voir, à l‘issue de celle-ci, les synthétiques d’apprentissage/enseignement47. Ce sont

les orientations, le jalonnement s’appuyant sur les indices proposés dans les questions48 qui

doivent permettre aux apprenant.e.s de corriger eux/elles-mêmes leurs erreurs et d’arriver à « bon port » à l’issue de la séquence. Comme l’écrivent Charlier et Peeters (1999, p. 19) : « On n'oriente plus l'individu, c'est l'individu qui s'oriente dans le dispositif… qui se définit comme une fonction… de balise. ».

1.2.2.2 Les interactions entre apprenant.e.s à l’issue du processus d’interrogation

Ce sont des interactions qui peuvent être compétitives, coopératives et/ou collaboratives.

1.2.2.2.1 L’affichage des résultats agrégés à l’issue de l’interrogation : interaction entre les apprenant.e.s et l’artefact

L’affichage quasi instantané des réponses collectées que découvrent simultanément la classe et l’enseignant.e constitue également une interaction majeure et inédite qui met en évidence le résultat du travail coopératif effectué par les participant.e.s.

La coopération diffère de la collaboration quand les étudiant.e travaillent indépendamment et non ensemble (Deaudelin & Nault, 2005, p. 3 ; Dillenbourg et al., 1995, p. 8 ; Roschelle & Teasley, 1995, p. 70). La limite de l’indépendance entre les apprenant.e.s tient au fait qu’ils/elles doivent répondre à l’intérieur d’un temps alloué par l’enseignant.e.

47 Zilberberg et Davino (2018, p. 392) proposent d’enrichir la terminologie d’analytiques d’apprentissage en

distinguant, d’une part, des analytiques et des synthétiques d’apprentissage et d’autre part, des analytiques/synthétiques d’enseignement qu’il et elle différencient des analytiques et synthétiques d’apprentissage. Cette distinction revient à se demander qui est le destinataire des données fournies par les étudiant.e.s et quels rôles elles peuvent jouer.

Il s’agit d’une coopération non spécialisée, puisque chaque participant.e effectue une tâche identique dont le but est la co-construction entre les apprenant.e.s et l’enseignant.e d’un état instantané de la compréhension collective (Hedén & Ahlstrom, 2016, p. 205 ; Popper, 1972, cité par Palincsar, 1998, p. 369). Comme le soulignent Campbell et al. (2015, p. 32) dans notre traduction : « … En lisant les réponses... affichées à l'écran… chacun.e s'est rendu.e compte qu'il ou elle avait contribué à la " collecte " d'idées... ».

Cette idée d’une connaissance (co-)construite explique probablement pourquoi les SISMOs sont qualifiés de constructivistes par plusieurs auteur.e.s49.

On peut considérer l’affichage tabulaire et/ou graphique des réponses agrégées comme une nouvelle médiation, que Raynal et al. désignent par « re-médiation » (2014, p. 426, article remédiation). Les auteur.e.s en donnent la définition suivante : « nouvelle médiation, puisque la première a échoué. ».

Quand l’artefact affiche l’ensemble des réponses collectées, celles-ci peuvent converger vers une réponse qui peut être juste ou non, ou bien diverger, mais cet ensemble de réponses fournit aux apprenant.e.s une nouvelle perspective, inédite, sur la question posée.

Cette information collectée auprès de la classe quand bien même elle serait majoritairement erronée n’est donc jamais à nos yeux un « échec » ; elle suscite un nouveau travail cognitif en proposant des informations supplémentaires, apportées par les apprenant.e.s. Cette nouvelle médiation50 permet aux apprenant.e.s de découvrir ce que pensent leurs pairs et comment

leur réponse individuelle les situe dans le groupe. Est-elle majoritaire, minoritaire ? Les réponses se partagent-elles équitablement entre certains items proposés dans la question fermée ?

Certains SISMOs permettent de susciter une compétition entre apprenant.e.s par exemple en affichant les scores cumulés des apprenant.e.s au fil des interrogations pratiquées. Faillet et al. (2013) dont nous détaillerons le travail dans le chapitre II mettent notamment en œuvre ces pratiques.

49 Boyle & Nicol, 2003a, p. 2; Detroz & Younes, 2014, p. 4; Dufresne et al., 1996, p. 5; MacArthur & Jones, 2008,

p. 192; Mollborn & Hoekstra, 2010a, p. 5; W.R. Penuel et al., 2005, p. 227; Reay et al., 2008, p. 171; Wit, 2003, p. 16) alors qu’ils relèvent également du behaviorisme comme l’indiquent Judson et Sawada (2002, pp. 169‑170.

50 Nous utilisons dans l’annexe 1.3 qui approfondit cette question le terme proposé par Raynal et al. de re-

Ce premier niveau de débriefing permet d’enchaîner de nouvelles interactions selon que les réponses convergent ou non.

1.2.2.2.2 Débriefing de l’enseignant.e quand les réponses convergent : interaction entre les apprenant.e.s et l’enseignant.e

L’état des réponses collectées influe sur la nature de l’interaction. Si la réponse est majoritairement juste ou fausse, rassemblant, par exemple plus de 70 % des réponses collectées (Lamine et Petit, 2014, p. 133), l’enseignant.e peut proposer une remédiation « agile » (Beatty et al., 2006, p. 101 ; Bruff, 2009, pp. 39‑41) en (in)validant la réponse, expliquant les « méconceptions51 résiduelles » (Lamine & Petit, 2014 p. 133). Draper et Brown

(2004, p. 82) utilisent le terme « contingent teaching » qu’ils définissent, selon notre traduction, comme un enseignement où “ ce qui est présenté dans une classe dépend davantage des réponses de l'auditoire et pas seulement d'un script figé ".

Bruff considère que ce moment constitue un « time for telling », un moment propice au dénouement, et écrit (2009, p. 27) : ” Many instructors use classroom response systems to prepare students for “times for telling,” a term Schwartz and Bransford (1998) use to describe moments in a learning experience when students are ready and interested to learn from a lecture or reading. ”. Freeman et al. évoquent des « moments appropriés pour enseigner » (teachable moments, 2006, p. 570).

Quand la classe converge vers la réponse juste, l’enseignant.e peut valider rapidement la réponse. La convergence de la classe vers une réponse fausse, souvent signe d’une préconception erronée, peut susciter une interaction ludique, un « coup de théâtre », que le SISMO a rendu possible.

Dans ces deux situations de convergence des réponses collectées vers une réponse juste ou erronée, le dispositif renforce le caractère normatif et l’efficacité de l’enseignant.e (Aussel, 2014) en accélérant la rétroaction qui suit immédiatement la collecte des réponses, comme le préconisent Dehon et al. (2008). On peut donc parler d’une catalyse accélératrice de la remédiation (Zilberberg, 2019, p. 104) qui est l’essence même de l’évaluation formative. Le

51 Le mot « méconception » constitue, pour l’instant, un barbarisme venant de l’anglais misconception qui

désigne selon le dictionnaire Merriam-Webster (https://www.merriam-webster.com/dictionary/misconception) , consultée le 23/09/2019) une conception erronée, une idée inappropriée.

terme de catalyse nous est inspiré par la dénomination de ces artefacts proposée par Roschelle (2004, p. 2) que nous avons déjà cité et qui les appelle CATAALYST (voir page 23). Notons que le qualificatif d’accélératrice appliqué au mot catalyse n’est pas pléonastique car une catalyse peut également être décélératrice52, c’est-à-dire retarder un processus. Nous

verrons que la remédiation peut au contraire être différée quand les réponses des étudiant.e.s sont divergentes.

Ce processus de remédiation mis en œuvre immédiatement par l’enseignant.e à l’issue de l’interrogation correspond à une évaluation formative que nous présentons de façon détaillée dans l’annexe 1.3 en expliquant notamment le contresens répandu qui oppose l’évaluation formative et l’évaluation sommative.

Parfois, les réponses divergent. La citation suivante restitue bien l’enthousiasme que peut éprouver un.e enseignant.e en découvrant les résultats d’une évaluation formative, quand une partie de l’invisible ne l’est plus. Wood écrit ces mots que nous traduisons ainsi (2004, p. 797) : « À la vue de l'histogramme, (a) 48 %, (b) 52 %, des rires nerveux se firent entendre. Pour moi, ce fut un moment de révélation. Je n’étais pas déçu du résultat, mais ravi de constater que, pour la première fois en plus de 20 ans de cours magistraux, je savais instantanément (plutôt qu'après l'examen de mi-session suivant) que plus de la moitié de la classe n’avait pas "compris". ».

Notons que Wood fait référence à la possibilité d’utiliser les résultats d’un examen intermédiaire pour pratiquer une remédiation appropriée. Si un tel examen n’existe pas, l’enseignant.e découvre l’incompréhension d’une partie des étudiant.e.s, après le contrôle justement qualifié de terminal, quand il est trop tard.

Cette situation de partage des réponses en deux (ou plusieurs) items, illustrant un désaccord, un conflit sociocognitif, entre les participant.e.s est objectivé par l’artefact et ne peut, dès lors, faire l’objet d’une dénégation qui le rendrait stérile (Astolfi et al., 2008, p. 36). La mise en évidence de ce conflit permet deux formes d’exploitation possibles : interroger des répondant.e.s en désaccord pour leur faire jouer un rôle de porte-parole

52 La catalyse est définie comme suit par le CNRTL (https://www.cnrtl.fr/definition/catalyse, consulté le

02/03/2016) : « Modification de la vitesse d'une réaction chimique sous l'influence d'une substance capable, par sa seule présence, de déclencher cette réaction sans subir elle-même d'altération finale ». Le dictionnaire parle de catalyse positive ou négative mais nous préférons, dans une société de l’accélération (Rosa, 2012), ne pas connoter les qualificatifs et nous en tenir à une description objective avec les termes accélératrice et décélératrice.

quant aux raisons de leurs choix ou organiser une discussion entre pairs. Cette seconde option délègue aux apprenant.e.s l’essentiel du processus de remédiation.

1.2.2.2.3 Débriefing de l’enseignant.e quand les réponses divergent : interactions entre les apprenant.e.s et l’enseignant.e

L’enseignant.e peut s’appuyer sur ses réponses agrégées pour inciter les apprenant.e.s à exprimer les arguments étayant leur choix. Il ou elle peut faire émerger des porte-parole d’une réponse donnée, qu’elle soit juste ou non, de façon à « dé-singulariser » la prise de parole qui devient alors collective, ou plus exactement au nom d’un collectif et donc plus impersonnelle. Ce comportement est décrit par la théorie de la dépersonnalisation que décrivent Ainsworth et al. , dans notre traduction, comme suit (2011, p. 366) : « La dépersonnalisation fait référence à la tendance à se considérer et à considérer les autres comme des représentants de groupes sociaux plutôt que comme des individus (Turner, Hogg, Oakes, Reicher, & Wetherell, 1987). ».

Rioux et Couture illustrent ce fonctionnement théorique (2014, p. 16) en écrivant : « la compilation des réponses fournies […] conduisait les étudiants à réaliser qu’ils n’étaient pas seuls à avoir opté pour un choix de réponse particulier. Cela les incitait bien souvent à sortir de l’anonymat et à oser défendre publiquement leur point de vue. ». Hoekstra et al. (2012, p. 308) indiquent des comportements similaires.

Cette dépersonnalisation ne s’arrête pas aux questions que pose l’enseignant.e aux apprenant.e.s. Elle concerne également les questions posées à l’enseignant.e comme l’écrivent Doucet et al. (2009, p. e574) : « [students] ask questions more confidently when they know that others share similar opinions (Slain et al., 2004 ; Molgaard, 2005 ; Nayak & Erinjeri, 2008). ».

Notons que les différents collectifs se regroupant sur chaque item sont décomptés mais l’apparence d’anonymat des réponses agrégées les rend non-traçables. Les porte-parole auto- désignés sont donc des représentant.e.s d’un groupe dont ils connaissent l’effectif mais non la composition. Si le groupe représenté est caractérisé par l’identité de la réponse fournie, les causes qui l’ont suscitée peuvent différer.

Davis (2003, p. 301) pousse l’idée de dépersonnalisation au service des interactions encore plus loin puisqu’elle demande aux étudiant.e.s : « Que pensez-vous que la personne qui a

envoyé ce texte pensait ?53 » ou « Qui peut défendre cette réponse ? ». Elle ajoute : « les

élèves pouvaient discuter l'idée d'une réponse indépendamment de l'attribution de cette réponse à une personne en particulier. En étant ignorant.e.s de la personne à l'origine de la réponse, ils/elles étaient plus à même d'explorer la réponse.

Notre expérience nous a montré, cependant, qu’il est plus difficile de faire émerger un.e porte-parole quand un item est minoritairement choisi. Notons qu’un SISMO permet néanmoins aux réponses minoritaires d’émerger alors qu’elles sont statistiquement moins susceptibles d’être énoncées lors d’une interrogation orale, notamment pour la raison suivante exposée dans un verbatim collecté par Davis (2003, p. 304) que nous traduisons comme suit : « Sans l’artefact, celui ou celle qui s'exprime le premier ou la première remporte la bataille. Si la personne qui parle en premier semble être d'accord avec la majorité de la classe, les autres se sentent en insécurité et ne veulent pas discuter de propositions alternatives. ».

Cette auto-censure est encore plus forte lors d’une interrogation à main levée où les points de vue minoritaires risquent d’être abandonnés par leurs tenant.e.s pour être en conformité avec l’opinion dominante. Ils permettent donc des points de vue minoritaires, qui auraient été tus ou abandonnés, de devenir visibles.

Les SISMOs permettent d’autres interactions inédites par rapport à une interrogation orale telles que les discussions entre pairs après avoir affiché les réponses de la classe.

1.2.2.2.4 Discussion (débriefing entre pairs) quand les réponses divergent : Interactions entre apprenant.e.s

La littérature, lorsque les apprenants se répartissent d’une manière relativement homogène sur deux ou plusieurs items proposés dans une question à choix unique, suggère de susciter des discussions entre pairs (Crouch et Mazur, 2001 ; Crouch et al., 2007). Le conflit sociocognitif coproduit par la question et les réponses des participants devient alors un « matériau » pédagogique.

Cette coproduction d’un matériau pédagogique illustre pour nous les propos de Charlier et Peeters (1999, p. 17) pour lesquel(le)s un « … dispositif apparait comme l'occasion d'une distribution de l'intelligence, celle du dispositif se partageant avec celle de l'individu ». La création d’un conflit sociocognitif authentique, fondé sur les opinions des apprenant.e.s, et non sur une discussion rhétorique suscitée par l’enseignant.e, nous paraît à même de donner du sens aux discussions entre pairs. Or pour Limón (2001, p. 365), le conflit sociocognitif doit avoir du sens pour produire un changement conceptuel.

Notons que la confrontation avec les réponses discordantes des pairs, dès lors qu’elles sont affichées sur l’écran et éventuellement lors des discussions entre pairs, peuvent contribuer à faire émerger une forme d’humilité chez les étudiant.e.s. Ainsi Brookfield et Preskill (1999, p. 12) considèrent que « … l’humilité dans le cadre de l’apprentissage relève de la volonté d’admettre que notre connaissance et notre expérience sont limitées et incomplètes… que d’autres dans un groupe ont des idées à exprimer… qu’ils peuvent être des enseignants potentiels ». Le débat autour de l’ensemble des réponses compilées dans le dispositif peut contribuer à faire naître un esprit démocratique en faisant de la classe un forum. En adoptant une attitude ouverte, les étudiant.e.s peuvent faire évoluer leur position et se relier à d’autres répondant.e.s que ceux et celles auxquel.le.s le dispositif les a relié.e.s du fait de l’identité de leur réponse.

Les discussions entre pairs permettent de changer le mode de communication conventionnel centré sur un échange entre un.e apprenant.e et l’enseignant.e que déplore Gutiérrez (2002, p. 538) quand il écrit dans la traduction que nous proposons: « … les élèves s'écoutent rarement les uns les autres... La plupart de ces étudiant.e.s semblent se concentrer sur ce que l’enseignant.e communique, et lorsque leurs camarades de classe prennent la parole à tour de rôle, ils ou elles se mettent en pause. Dans quelle mesure une image d'élite intellectuelle, sourde à tous et à toutes, sauf aux figures d'autorité dominantes, est-elle cultivée dans une classe ? »

Tondeur et al. (2016) signalent que certains étudiant.e.s peuvent être en désaccord avec une approche constructiviste, ce que nous avons ressenti dans nos expérimentations qui ont occasionné des verbatim tels que « le professeur ne fait plus cours. ». Pour certain.e.s étudiant.e.s, l’enseignant.e doit rester dans son rôle traditionnel de « magister … où la

maîtrise de la discipline prend le pas sur la compétence pédagogique » (Alves & Hélène, 2016, p. 42).

Selon Topping et al., ces discussions entre pairs induisent des avantages, tant pour celui ou celle qui explique, que pour celui ou celle qui reçoit l’explication. Les auteur.e.s écrivent selon notre traduction (2017, p. 30) : « L'argumentation oblige les apprenant.e.s à rendre explicites et publiques leurs positions tout en les justifiant devant une autre personne. Les apprenant.e.s sont encouragé.e.s à considérer la question sous différents angles et à tester la validité de toutes les idées et positions, et à justifier leur propre position54. ».

Dans le même esprit, Beatty et al. écrivent (2006, pp. 101-102) : ” The very act of articulating an idea or argument, whether correct or incorrect, is of value to both the speaker and to listeners. Analysis of such articulations and resolution of conflicts between different students’ statements adds significant value, even when an instructor is not participating55.”. Ce point de

vue est partagé par Doise et Mugny (1981, p. 41), des chercheurs liés à Piaget, mais qui ont, en s’inspirant de Vygotsky56, développé le concept de conflit sociocognitif. Ils écrivent dans Le

développement social de l’intelligence : « L’observation d’une approche cognitive de niveau inférieur peut également faire progresser… Il est possible d’apprendre à partir des erreurs d’autrui. ». Ploetzner et al. (1999, p. 103) observent par ailleurs que les rôles dans la discussion peuvent évoluer selon les questions et selon les dyades qui se forment durant les sessions.

54 « Argumentation forces learners to make explicit and public their positions while justifying them for another