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Chapitre I Un objet et une question de recherche fortement liés

1.3 Définir la participation visible

La participation visible, lors d’une interrogation orale ou quand elle est enregistrée par un SISMO, ne représente qu’une partie de la participation que Dancer et Kavounias (2005, p. 448) subdivisent en cinq composantes :

1. Préparation

2. Contribution à la discussion 3. Compétences de groupe 4. Aptitudes à la communication

5. Présence physique (dont la ponctualité).

L’interrogation orale permet de manifester les composantes 2, 4 et 5. Elle peut impliquer d’avoir effectué un travail préparatoire (composante 1).

63 Audience-paced Feedback (Poulis et al., 1998), Audience Group Response System (McCabe, 2006), Wireless Audience Response System (Salmon & Stahl, 2005) , Wireless Audience Response keypads (Schackow et al., 2004), Interactive Audience response System (Uhari et al., 2003), Audience Response Technology (Bombaro, 2007).

Avec un SISMO, lors des discussions entre pairs, la composante 3 entre en jeu, impliquant également la composante 4. La capacité à exposer son raisonnement à un pair pour le convaincre, composante 4, doit aussi se combiner avec les compétences de groupe (compétence 3), c’est-à-dire notamment savoir écouter, aider les autres à exprimer leur point de vue, exercer une pensée critique, faire évoluer son point de vue, etc.

Nous nous focalisons uniquement sur les formes de participation visibles et mesurables, une objectivation obtenue au prix d’un réduction du construit de la participation que critique Rocca (2010). À l’oral, il s’agit de la participation verbalisée et non verbalisée, mais manifestée par la demande de parole de l’apprenant.e. Avec un SISMO, nous nous en tenons à la participation enregistrée par l’artefact qui ne prend pas en compte les intentions de participer non actualisées.

Notons que la richesse du construit proposé par Dancer et al. (2005) explique des dissonances cognitives qui apparaissent du fait qu’étudiant.e.s et enseignant.e.s ont des représentations partielles et différentes de ce qu’est participer (Heaslip et al., 2014, p. 13), comme nous le montrerons avec les travaux de Faillet et al. et de Barr dans le chapitre II. Nous verrons que la participation visible, objectivée par un SISMO, n’est pas nécessairement assimilée à une participation par les apprenant.e.s.

Le terme de participation visible nous paraît meilleur que celui de participation enregistrée qui convient mal à l’observation orale. Par ailleurs, le terme de participation non-enregistrée

qu’on lui opposerait serait porteur d’une ambigüité indiquant d’éventuels

dysfonctionnements qui sont évoqués dans la littérature (cf. infra). Le terme de participation invisible nous semble également plus à même de susciter un changement de paradigme par rapport à l’assimilation fréquente entre participation non-visible et désengagement, ces deux comportements étant également qualifiés de passivité. Nous revenons sur cette absence de distinction sur la page suivante.

Lors d’une interrogation orale, une classe peut être divisée en quatre composantes : deux composantes de participation visible, totale ou partielle, une composante de participation non-visible qui ne se distingue pas de la non-participation des étudiant.e.s désengagé.e.s. Nous présentons ces quatre composantes ci-dessous :

La première composante rassemble ceux et celles qui ont pu verbaliser leur réponse lors d’une interrogation orale. Ces réponses énoncées sont peu nombreuses et peuvent même se réduire à une réponse unique si celle-ci satisfait l’enseignant.e ou si l’enseignant.e par impatience décide de donner la réponse après une première proposition erronée.

La deuxième composante concerne les étudiant.e.s qui manifestent leur intention de répondre (main levée) mais qui ne peuvent s’exprimer parce que la bonne réponse est divulguée, « divulgâchée » par les primo-répondant.e.s ou par l’enseignant.e. Cette composante, lors d’une interrogation orale, pourrait être décomptée.

La composante 3 est invisible. Son existence est présumée. Elle regroupe les étudiant.e.s qui conservent, lors d’une interrogation orale, leur réponse dans leur for intérieur, c’est-à-dire selon le Grand Robert dans le secret de leurs pensées. Ce silence a pour origine des raisons diverses : moindre rapidité dans l’élaboration de leur réponse que les dominant.e.s temporel(le)s, peur de monopoliser le temps collectif (Fies, 2005, p. 82), inhibition due au manque de maîtrise de la langue du cours (Gachago et al., 2011, p. 26264), refus de se

singulariser (Cheesman et al. 2010, p. 49) et de sortir du groupe en montrant sa compétence, protection de l’image de soi en cas de réponse fausse65, volonté de laisser les personnes

jugées meilleures ou plus audacieuses s’exprimer (Faillet et al., 2013, p. 19). Heaslip et al. (op. cit., p. 14) écrivent : “ Some learners may be more effective in learning while remaining quiet and attentive. Attempts to engage them in activities which only serve to suit a tutor concept of participation may lead to ineffective teaching66.”. C’est une manière de rappeler que

la participation visible relève aussi de la désirabilité sociale de l’enseignant.e, de sa capacité à susciter l’intérêt visible des apprenant.e.s.

Il ne faut surtout pas conclure que l’absence de participation visible équivaut à un

64 Gachago et al. rapportent le verbatim d’un(e) étudiant(e) issu.e. d’un milieu défavorisé en Afrique du

Sud : “ You can agree with something whether [or not] you have a reason ... you do agree in your heart… Because

you’re not that perfect in English. That’s why you feel so scared. But I have a reason in isiXhosa [one of the main African languages spoken in the Western Cape], but I don’t know how to say it in English.”

65 La littérature évoque la peur de l’humiliation (Barr, 2017, p. 623 ; Beekes, 2006, p. 28 ; Galal, Mayberry, Chan,

Hargis, & Halilovic, 2015, p. 591 ; Heaslip, Donovan & Cullen, 2014, p. 19 ; Martyn, 2007, p. 72 ; Perry, 2006, p. 21 ; Wit, 2003, p. 16) ou du ridicule (Bojinova & Oigara, 2011, p. 172 ; Poulis et al., 1998, p. 439 ; Stuart, Brown, & Draper, 2004, p. 98 ; Terrion & Aceti, 2012, p. 9 ; Wit, 2003, p. 16; Yu, 2015, p. 4. Le verbatim rapporté par Florenthal (2018, p. 11) décrit bien le vécu émotionnel habituel d’un étudiant et son soulagement dû au caractère non-traçable de sa réponse : «« Gone are the days of looking like a moron (crétin(e) !) in class and

being laughed at. Socrative [un SISMO] is going to save a lot of self-esteem worldwide !” (Male #4, age 30). ».” 66 Notre traduction : « Certains apprenant.e.s peuvent être plus efficaces dans leur apprentissage tout en restant

silencieux/silencieuses et attentifs/attentives. Les tentatives pour les engager dans des activités qui correspondent aux représentations de la participation pour l’enseignant.e peuvent conduire à un enseignement inefficace. ».

désengagement ainsi que le souligne Barr dans la citation dont nous proposons une traduction ci-après (2017, p. 630) : « Le manque de participation publique manifeste en classe n'équivaut pas nécessairement à un désengagement cognitif. Les participant.e.s ont indiqué qu'ils ou elles étaient engagé.e.s sur le plan cognitif en raison de la présence de questions durant le cours. La majorité d'entre eux ou elles ne lèveront probablement jamais la main pour répondre… La participation... était définie par certain.e.s comme le fait de répondre à des questions, alors que pour d'autres, c’était le fait d’y penser. ».

C’est pourquoi, à l’instar de Barr, nous ne partageons pas le point de vue d’auteur.e.s comme Pujade-Renaud qui qualifie de façon peu amène les étudiant.e.s de « zombies » (1983, p. 13), ou de Guthrie & Carlin qui, sur le même registre que Pujade-Renaud, considèrent que les étudiant.e.s sont des « mort.e.s vivant.e.s » qu’il s’agit de réveiller comme le suggère leur article programmatique intitulé Waking the Dead: Using interactive technology to engage passive listeners in the classroom (2004, p. 1). D’autres auteur.e.s considèrent également les SISMOs comme un remède contre la passivité67.

La composante 4 des étudiant.e.s désengagé.e.s ne peut être distinguée lors d’une interrogation orale de la composante 3. Ce sont des étudiant.e.s qui ne cherchent pas à répondre à la question et qui, peut-être, ne se la sont pas posée.

Un SISMO va jouer un rôle complexe lors d’une interrogation qui ne peut être simplement résumé en disant qu’il augmente la participation (visible) comme la littérature l’affirme68. Le

mot « augmentation » est trop peu qualifiant pour décrire différents types de participation visible enregistrée par l’artefact.

67 Lamine & Petit, 2014, p. 132 ; Mayer et al., 2009, p. 51 ; J. M. Mula & Kavanagh, 2009, p. 2 ; Preszler, Dawe,

Shuster, & Shuster, 2007, p. 30 ; Stuart, Brown, & Draper, 2004, p. 99 ; Trees & Jackson, 2007, p. 22 ; Younes, Soulier, & Detroz, 2015, p. 1.

68 Elle apparaît 99 fois dans notre corpus à partir d’une recherche effectuée avec Nvivo (recherche sur les deux

termes “increase participation”séparés au maximum par cinq mots. Voir : (Blasco-Arcas et al., 2013, p. 105 ; Carnaghan, Edmonds, Lechner, & Olds, 2011, p. 271 ; Christina Hoffman & Susan Goodwin, 2006, p. 424 ; Frick, Birt, & Waters, 2017, p. 6 ; Fryling, 2013, p. 6 ; Hedén & Ahlstrom, 2016, p. 202 ; Kay, 2009, p. 739 ; López- Quintero, Varo-Martínez, Ana, Laguna-Luna, & Pontes-Pedrajas, 2016, p. 187 ; Manke-Brady, 2012, p. 6 ; Mankowski, 2011, p. 14 ; Mula & Kavanagh, 2009, p. 1 ; O’Steen & O’Donoghue, 2007, p. 776 ; Rodriguez, 2010, p. 17 ; Quinn, 2010, p. 726; Williamson Sprague & Dahl, 2010; Zayac et al., 2016)69 Beatty et al. (2009, p. 147)

pointent ces limites en écrivant : “ The literature on CRSs [Classroom Response Systems] tends to fall into three

general (and often overlapping) categories: introductions to the technology, with advice for new or potential adopters… reports of individual efforts to teach with CRSs, largely anecdotal, sometimes buttressed with limited data… and compilations of recommendations and ‘‘best practices”. ’’.

Ce mot valise créé par les canadiens francophones, entré dans Petit Larousse en 2019, est défini comme suit par le Grand Dictionnaire Terminologique de l’Office québécois de la langue française, (http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26532507, consulté le 18/07/2019) ; il signifie : « Divulguer prématurément un élément clé de l'intrigue d'une œuvre de fiction, gâchant l'effet de surprise ou le plaisir de la découverte.». Bien que non-évoqué dans la définition, la pédagogie et les situations d’interrogation orales divulgâchent la réponse en donnant la parole, ou plutôt en laissant la parole aux dominant.e.s temporel(le)s. Si l’on considère comme Meirieu (1987, p. 92) dans son ouvrage

Apprendre…oui, mais comment ? « [qu’] enseigner, c’est ‘créer l’énigme’ ou plus exactement faire du savoir une énigme »., on peut considérer que le processus de l’interrogation orale,

instaurant une compétition temporelle, empêche la très grande majorité des apprenant.e.s de participer à sa résolution. L’analogie avec l’intrigue d’une œuvre de fiction ne nous paraît donc pas inappropriée.

Pour comprendre l’étendue du préjudice, passons par la langue anglaise pour mieux revenir au français. Divulgâcher est traduit par le Grand Dictionnaire Terminologique par « to spoil » . Or ce mot vient du vieux terme français espoillier (www.academie-francaise.fr/spoiler, consulté le 06/10/2018, mot issu du latin spoliare dont le français a conservé le verbe spolier. Ce divulgâchage n’est pas seulement inhérent au processus de l’interrogation orale et imputable aux apprenant.e.s. Il peut être le fait des enseignant.e.s eux/elles-mêmes quand ils/elles se se contentent de poser des questions rhétoriques qui n’attendent pas de réponse (Younes, Soulier, & Detroz, 2015, p. 1) ou que littéralement, les enseignant.e.s n’attendent pas la réponse des étudiant.e.s et la prennent en charge, par impatience comme l’explique Rowe dans son article consacré au temps d’attente (wait-time) accordé par les enseignant.e.s avant de répondre à leurs propres questions. Holme évoque cette auteure dans son article et écrit (1998, p. 576t : « Another aspect of this type of student interaction is that it provides

“wait time” for students. In many large lecture settings, questions asked by the instructor are perceived by students to be rhetorical.”. Nous avions insisté sur la notion de temps acquis

pour répondre , s’opposant au temps conquis par les plus rapides. Ce temps est également acquis par rapport à l’impatience des enseignant.e.s eux/elles-mêmes

On peut rattacher ces fausses questions rhétoriques et la prise en charge par l’enseignant(e) des questions et des réponses à la citation de Piaget (p. 37) ainsi qu’à la critique d’une pédagogie centrée sur l’enseignant(e) émise par Houssaye). L’enseignant(e) ne devrait-il /elle pas être comme le Dieu de Delphes dont Héraclite, cité par Choulet (2016, p. 153) écrit : « …Ce dieu…ne dissimule pas et ne révèle pas, il ne fait qu’indiquer”. Que vous indique-t-il ? .