• Aucun résultat trouvé

Le besoin de relatedness (être relié.e, se relier, se délier, ne pas être délié.e)

Chapitre III Cadres conceptuels, méthode et hypothèses

3.1 Cadres conceptuels

3.1.1 La théorie de l’autodétermination

3.1.1.1 La théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan

3.1.1.1.3 Le besoin de relatedness (être relié.e, se relier, se délier, ne pas être délié.e)

La notion de relatedness est complexe à définir en français, ne serait-ce que parce il n’existe pas de substantif désignant le fait d’être en relation. Cette notion semble également complexe pour le Dictionnaire Cambridge qui indique qu’il fait partie de son corpus, mais n’a

219 Notre traduction : « Une propension à avoir un effet sur l'environnement ainsi qu'à atteindre des résultats

valorisés à l'intérieur de celui-ci ».

220 Carré, dans un article de synthèse intitulé Bandura : une psychologie pour le XXIe siècle ?, présente ces

concepts comme suit (2004, p. 41) : « L’auto-efficacité perçue concerne les croyances des gens dans leur capacité à agir de façon à maîtriser les événements qui affectent leur existence. Les croyances d’efficacité forment le fondement de l’agentivité humaine (human agency). Si les gens ne pensent pas qu’ils peuvent produire les résultats qu’ils désirent par leurs actions, ils ont peu de raisons pour agir ou persévérer en face des difficultés .».

pas encore reçu de définition221. Le mot est absent du dictionnaire Merriam-Webster en

ligne. Enfin, le dictionnaire Oxford la définit comme : « the fact of being connected with something/somebody in some way222. ». On voit que cette capacité d’être relié.e concerne

également les objets.

Nous allons dans un premier temps présenter les définitions proposées par Deci et Ryan dans le cadre de la TAD. Nous nous interrogerons ensuite sur une traduction en français fondée sur la forme grammaticale du terme et proposerons, enfin, d’enrichir le concept de relatedness, être relié.e, forme passive et donc subie d’un terme complémentaire, la reliance, un néologisme développé par Bol de Bal (1983) pour désigner les formes actives et pronominales de relation consistant à se relier activement.

3.1.1.1.3.1 La relatedness selon Deci et Ryan

Pour Deci et Ryan, ce besoin, apparu plus tardivement dans leur théorie, leur paraît moins primordial que l’autonomie et la compétence comme ils l’indiquent dans cette citation que nous traduisons ainsi (2000c, p. 235) : « … Nous croyons qu'il existe des situations où le besoin d'être en relation est moins essentiel à la motivation intrinsèque que l'autonomie et la compétence. Les gens adoptent souvent des comportements intrinsèquement motivés (p. ex., jouer au solitaire, faire de la randonnée pédestre) de façon isolée, ce qui laisse entendre que le soutien relationnel n'est peut-être pas nécessaire comme facteur proximal pour maintenir la motivation intrinsèque. ».

Deci et Ryan la définissent ainsi (2000c, p. 231) : “Relatedness refers to the desire to feel connected to others - to love and care, and to be loved and cared for (Baumeister & Leary, 1995 ; Bowlby, 1958 ; Harlow, 1958 ; Ryan, 1993).”.

Bien que Deci et Ryan utilisent des termes intimes comme love et care, la notion dépasse le cadre restreint des proches pour s’étendre à un groupe social dans lequel l’individu s’intègre, par exemple la communauté des joueurs de jeux vidéo dans l’article écrit par Ryan et al. (2006) quand bien même ceux et celles-ci n’apparaissent qu’à travers leurs avatars et leurs comportements durant le jeu.

221 «Relatedness isn’t in the Cambridge Dictionary yet. You can help !”, dictionary.cambridge.org/dictionary/english/relatedness, consulté le 17/09/2016).

Heutte rapporte une définition du mot dans un contexte scolaire en citant (p. 146) Goodenow (1993, p. 80) qui considère qu’elle est « la mesure dans laquelle les élèves se sentent personnellement acceptés, respectés, inclus et soutenus par les autres dans le milieu social de l'école223 ».

3.1.1.1.3.2 Comment traduire le terme de relatedness qui n’existe pas en en français ?

Heutte propose le terme d’affiliation tout en faisant remarquer qu’il existe dans la littérature d’autres traductions possibles (p. 146) : « attachement interpersonnel » (1963b224), « être en

relation avec autrui » (La Guardia & Ryan, 2000, p. 285), « relation sociale » (Fenouillet, 2009a, p. 24), « proximité sociale » (Tessier, Sarrazin & Trouilloud, 2006).

Carré et al. (2010, p. 139) proposent l’expression « socialement intégré.e » mais cette expression semble trop formelle par rapport aux termes love and care, utilisés par Deci et Ryan. L’expression utilisée par La Guardia et Ryan, « être en relation avec autrui », présente également un caractère formel puisque le CNRTL225 indique que l’expression veut dire

« être en rapport avec ». Peut-être devrait-on préférer l’auxiliaire avoir à l’auxiliaire être et dire que l’on a des relations avec autrui, ce qui couvre tout le continuum de l’intime à l’extime.

Etre relié.e est une forme passive, que l’on retrouve dans le mot relatedness, un composé du mot related, participe passé du verbe relier, auquel s’ajoute le suffixe ness, destiné à transformer le verbe en substantif226 et qui suggère une qualité, un état227. La relatedness

est subie si l’on considère qu’elle renvoie, comme l’indique le Short Oxford English Dictionnary, à des relations de parenté qui ne sont pas choisies228.

Cette forme passive, être relié.e, occulte partiellement, selon nous, le caractère actif des relations entre individus. Quand un.e étudiant.e répond avec un SISMO, il ou elle se relie

223« …the extent to which students feel personally accepted, respected, included, and supported by others in the school social environment. »

224 L’auteur(e) n’est pas cité(e).

225http://www.cnrtl.fr/definition/relation, consulté le 21/11/2018.

226 Ce processus constitue une nominalisation. Voir l’article de Neveux (2014) Métaphore grammaticale : le nom en –ness, une création lexicale à usage unique.

227https://www.etymonline.com/word/-ness, consulté le 15/2/2016.

228 Cela constitue une forme de traçabilité comme le montre l’article du Monde Le nouvel âge de l’identification

par l’ADN, daté du 31 octobre 2018, qui explique comment Joseph DeAngelo, un tueur en série, surnommé le Golden State Killer, a pu être arrêté en 2018 (voir annexe 2.2).

volontairement et activement à la classe en offrant le don de sa réponse, apportant sa contribution à une coopération qui produit un état de la compréhension collective. Des collaborations peuvent ensuite naître (voir annexe 1.3) aussi bien pendant le cours qu’après le cours, si les étudiant.e.s travaillent ensemble sur les rapports de réponse téléversés dans la plateforme d’apprentissage (Blackboard). Notons que dans la compétition, les compétiteurs/compétitrices se relient entre eux/elles mais c’est pour mieux se séparer, pour se délier les un.e.s des autres par un classement ; la compétition constitue ce que Deutsch (1949) appelle une interdépendance négative qui transforme les pairs en adversaires229

suscitant la défiance (voir l’Encadré 3.0.2, page 193).

Ce sont des relations actives que Bol de Balle a voulu distinguer comme telles par le concept de reliance. Il nous paraît constituer le complément de la forme passive qu’est la relatedness.

3.1.1.1.3.3 La reliance : le complément de la relatedness au service de l’autonomie

Bol de Balle (2003, p. 103) fait remarquer que le verbe relier, selon le dictionnaire, ne s’applique qu’aux choses, par exemple des villes ou des idées. Ainsi une route relie et deux villages sont reliés, passivement.

Bol de Balle a proposé en 1981, 33 ans avant la création de réseaux sociaux230 la notion de

reliance pour que le verbe « relier » ou plutôt le substantif qu’il propose puisse également s’appliquer à « au moins un être humain ». Il considère (p. 103) que la reliance, un

229 Il écrit (p. 132) : « In a competitive social situation… if a goal-region is entered by any individual or sub-unit, (or by any given portion of the individuals or sub-units under consideration) the other individuals or sub-units will, to some degree, be unable to reach their respective goals in the social situation under consideration. For convenience sake, the phrase "contriently interdependent goals" will be used to identify any situation in which the individuals or sub-units composing it have their goals interrelated by the characteristic defined immediately above. It should, perhaps, be noted that there are probably very few, if any, real-life situations which, according to the definitions offered above, are "purely" co-operative or competitive. » Deutsch introduit ce terme de contrient interdependence que l’on pourrait définir comme un conflit d’intérêt puisque l’intérêt des un.e.s n’est

satisfait qu’au détriment des autres. Johnson et al. dans leurs travaux prolongeant ceux de Deutsch ont parlé d‘interdépendance négative. Voir par exemple le chapitre présentant la théorie de Deutsch (Tjosvold & Johnson, 2000, p. 135) ou l’article Cooperative Learning: Improving University Instruction By Basing Practice On

Validated Theory (Johnson et al., 2013). La coopération est qualifiée d’interdépendance sociale positive. La

remarque de Deutsch selon laquelle il n’existe pas de situation totalement compétitive ou coopérative nous paraît particulièrement intéressante.

230 Facebook est le premier réseau social au monde et comptait au second trimestre 2015 1,31 milliards

d’utilisateurs. Source Statista consultée le 30/10/2015 à l’adresse :

néologisme, est « un acte ou… un état où au moins une personne humaine est directement concernée. … créer ou recréer des liens, établir ou rétablir une liaison entre une personne et soit un système dont elle fait partie, soit l’un de ses sous-systèmes. » (2003, p. 103). Il écrit également à propos de la reliance sociale231 (p. 103) : « La reliance entre une personne

et un autre acteur social, individuel (une personne) ou collectif (groupe, organisation, institution, mouvement social… ) est la reliance sociale proprement dite, dont la reliance psychosociale232 (entre deux personnes) constitue à la fois un cas particulier et un élément

de base. ».

Bol de Balle distingue une reliance agie, réalisée, c’est-à-dire l’acte de reliance » et « le résultat de cet acte : la reliance vécue, c’est-à-dire l’état de reliance »233. L’idée de reliance

agie, d’action active pour se relier aux autres fait du lien un choix effectué par l’individu, quand le fait d’être relié.e est imposé à l’individu. On peut penser par exemple au élèves d’une classe qui a été constituée par un algorithme programmé selon certains critères, et qui se retrouvent relié.e.s.

Il nous semble que la relatedness, pour les raisons évoquées plus haut se rapproche de la reliance vécue, une forme plus passive, celle qui consiste à se sentir relié(e). Au contraire, la reliance agie comme l’écrit Morin (2004, cité par Lemoigne, 2008, p. 48) « comble un vide conceptuel en donnant une nature substantive à ce qui n’était conçu qu’adjectivement, et en donnant un caractère actif à ce substantif. ‘Relié’ est passif, ‘reliant’ est participant, ’reliance’ est activant. ».

Quand Carré écrit (2013, p. 62) que l’apprenance est une pronominalisation de la formation, on pourrait dire que la reliance est une pronominalisation du fait d’être relié.e, ce que Bol de Balle appelle la reliance agie.

231 Bol de Balle évoque trois autres types de reliance : la reliance entre une personne et des éléments naturels,

la reliance entre une personne et l’espèce humaine (rites, mythes, etc., la reliance entre une personne et les différentes instances de sa personnalité qui constitue la reliance psychologique.

232 Bol de Balle rattache le concept à la sociologie mais il nous semble plutôt devoir être relié à la psychologie

sociale, notamment dans le contexte de notre recherche. Bol de Balle écrit également (2003, p. 100) : « le premier sociologue à avoir utilisé et probablement créé le terme de « reliance » en français est Roger Clausse, dans son ouvrage Les Nouvelles. Analysant le besoin social d’information, il en inventorie les diverses dimensions, notamment la dimension psychosociale : « Il est un besoin psychosocial de reliance en réponse à l’isolement. ».

233 Le suffixe –ance indique d’ailleurs cette idée que l’on va former un mot qui relèvera du processus et/ou du

résultat. Voir La Désinence "ance" dans le vocabulaire français : une pédale de la langue et du style (François, 1950).

Le verbatim suivant permet de distinguer le fait de se relier et celui d’être relié.e. Davis rapporte (2003, p. 303, notre traduction) : « Cela aide tout le monde à s'ouvrir, et tout le monde interagit, et cela ouvre vraiment la salle de classe parce que vous savez ce que vous avez besoin d'étudier, vous savez où vous en êtes et vous savez comment les autres se tiennent et vous vous sentez à l'aise parce que vous êtes impliqué.e avec les autres et savez comment cela se passe pour eux. Donc ça rapproche tout le monde dans la classe. Parce que je sais que dans les autres classes, je n'ai aucune idée de comment vont les autres. Parfois, j'ai l'impression d'être le/la seul.e à avoir de mauvaises notes, le/la seul.e à me faire distancer, mais ici je sais ce qui se passe et cela me rend plus à l'aise pour venir ici tous les jours. ». Le fait de répondre aux questions consiste à se relier de manière active aux autres. En voyant les résultats obtenus par tous les pairs, cet.te élève se sent relié.e à eux/elles. Il ou elle a le sentiment d’appartenir à un collectif et se sent notamment relié.e aux autres élèves rencontrant des difficultés, ce qui le/la prémunit, peut-être, contre des sentiments d’infériorité et d’isolement.

Il ne paraît pas infondé de parler de reliance pour comprendre le fonctionnement d’un SISMO car Bol de Balle écrit (2003, p. 104) : « La dimension sociologique du concept saute aux yeux dès que l’on désire prendre en considération le fait que l’acte de relier implique toujours une médiation, un système médiateur ». On peut voir le SISMO comme ce système médiateur.

La théorie de l’autodétermination en utilisant le terme de relatedness propose une approche passive de la relation comme nous l’avons indiqué précédemment. Cette forme passive de relation, se retrouve dans le terme networked qui apparaît dans la littérature des SISMOs. Ainsi Roschelle et Pea (2002, p. 149) écrivent à propos de leur SISMO ClassTalk qu’il constitue a Networked Classroom Communication System. Le même Roschelle signe avec Pesnuel et Abrahamson, deux chercheurs de l’UMPERG déjà évoquée, un article intitulé The Networked Classroom (2004b). Abrahamson va publier dans l’ouvrage de Banks intégralement consacré aux SISMO, un chapitre (2006) qui a pour titre A brief history of networked classrooms: Effects, cases,

pedagogy, and implications. Il prolonge avec Brady cette réflexion (2014) en reprenant

le titre du chapitre de 2006 introduisant simplement la date de 2013 pour indiquer qu’il se place 7 ans après son premier travail.

Le Cambridge dictionnary (dictionary.cambridge.org/dictionary/english/network, consulté le 01/12/2018) indique comme définition première du verbe to network : « to

connect computers together so that they can share information ». La définition est

illustrée par l’exemple d’utilisation suivant : «Our computer system consists of about

20 personal computers networked to a powerful file-server. » Les ordinateurs sont donc

reliés, passivement, sans qu’on leur en laisse le choix mais le Cambridge Dictionnary propose également un sens actif et pronominal qui s’applique aux êtres humains : « to

meet people who might be useful to know, especially in your job ». La définition est

dotée de l’illustration suivante qui semble tempérer le caractère choisi de ces relations à vocation utile : « I don't really enjoy these conferences, but they're a good

opportunity to network. »

* On retrouve le mot réseau dans l’article de Davis que nous avons analysé en détail dans notre revue de littérature (voir chapitre II). Cet article est intitulé Observations in classrooms using a network of handheld devices et le terme network est ici substantivé mais garde sa connotation passive pour indiquer que les terminaux sont reliés.