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Comprendre les dimensions de la traçabilité /non-traçabilité

Chapitre II Revue de littérature

2.2 L’anonymat dans la littérature des SISMO

2.2.3 Comprendre les dimensions de la traçabilité /non-traçabilité

Commençons par fournir une définition de la traçabilité. Le dictionnaire Larousse en ligne144

en propose la définition suivante : « Possibilité de suivre un produit aux différents stades de sa production, de sa transformation et de sa commercialisation, notamment dans les filières

alimentaires ». Le grand dictionnaire terminologique de l’office québécois de la langue française considère également comme le dictionnaire Larousse que la traçabilité concerne les produits notamment alimentaires145mais ce dictionnaire propose aussi de définir comme

suit la traçabilité des données146 : « Possibilité de connaître l'origine, l'utilisation, le chemin

parcouru et l'emplacement d'un élément de données qui ont été mises en mémoire. ». Cette définition convient parfaitement pour les réponses/données que collectent les SISMOs. Notons que le dictionnaire Cambridge147 généralise la notion de traçabilité au-delà des

produits et des données pour l’appliquer au champ de la communication en la définissant comme « la possibilité de trouver ou de suivre quelque chose ».

L’anonymat ne laisse pas de trace car il produit, comme l’indique le dictionnaire Merriam- Webster ; « de l’indistinct ». Si toutes les personnes qui foulent un chemin de terre portent les mêmes chaussures et chaussent la même pointure », rien ne permet de distinguer leurs traces. La non-traçabilité n’annihile pas l’individu. Elle lui permet même, comme nous l’évoquions dans le chapitre I avec les trolls de l’Internet, d’obtenir une notoriété au lieu d’être anonyme.

La traçabilité est multidimensionnelle comme le montre la Figure 2.0.9 ci-dessous :

145http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8369893, consulté le 01/03/2016. 146http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26529852, consulté le 01/03/2016. 147dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/traceability, consulté le 01/03/2016.

Figure 2.0.9 - Les 4 dimensions de la traçabilité / non-traçabilité lors de l’utilisation d’un SISMO

Explorons les quatre dimensions de cette figure : Temporalité de la traçabilité

La littérature évoque la temporalité de la traçabilité quand elle indique que les enseignant.e.s peuvent exploiter la traçabilité des données collectées après le cours pour pointer les absences, attribuer une note de participation, faire évoluer le cours en fonction des difficultés éprouvées par les apprenant.e.s. Cette traçabilité utilisée après le cours s’oppose à l’apparence anonyme des réponses collectées affichées durant le cours, ce dont nous avons parlé dans la sous-partie 2.2.2 p. 101.

Nous avons déjà signalé que peu d’auteur.e.s148 évoquent la mise à disposition des

apprenant.e.s des données collectées à l’issue du cours, et ceux/celles qui en parlent n’abordent pas la question de la traçabilité de ces informations. Ces réponses mises à la disposition des apprenant.e.s, si elles sont traçables, peuvent permettre d’identifier des pairs compétents pour chacune des questions posées. C’est donc une ressource inédite et de grande valeur du point de vue cognitif et métacognitif, que nous mettons systématiquement à disposition des apprenantes sur la plateforme d’apprentissage Blackboard. Nous enrichissons, de surcroît, le fichier Excel exporté par l’artefact avec des commentaires quand les questions ont suscité des difficultés.

Le paragraphe précédent nous permet d’aborder la question du contenu concerné par la traçabilité.

Contenu concerné par la traçabilité

Dans un contexte d’utilisation conventionnelle des SISMOs, il s’agit des réponses collectées par l’artefact, la question étant comme nous l’indiquions dans le paragraphe précédent de décider, éventuellement selon les moments, si cette information sera synthétique et donc d’apparence anonyme, ou bien analytique en présentant pour chaque identifiant enregistré dans le système les réponses fournies et/ou149 en fournissant pour chaque question posée

les réponses collectées pour chaque personne/identifiant ayant répondu à la question. Certains fournisseurs de SISMOs se proposent de réintroduire dans les schèmes d’utilisation de ces artefacts un esprit de compétition en intégrant des fonctionnalités destinées à la gamification150 pour classer les apprenant.e.s selon la justesse de leurs réponses et les temps

de réponses combinant parfois les deux variables151 à un niveau individuel ou par groupes.

148 DeBourgh, 2008, p. 80 ; Doucet, Vrins, & Harvey, 2009, p. e571 ; Fernandez-Aleman, Belen Sanchez Garcia,

Lopez Montesinos, & Lopez Jimenez, 2014, p. 208 ; Rimland, 2013, p. 390.

149 Le premier artefact que nous avons utilisé, celui fourni pat la société Promethean, génère les deux états par

identifiant, et par question.

150 L’Office québécois de la langue française traduit ce terme par ludification et le définit comme suit :

« Application des mécaniques propres aux jeux, notamment aux jeux vidéo, à diverses disciplines telles la publicité, la commercialisation ou l'éducation, pour inciter de façon ludique les utilisateurs à adopter un comportement souhaité." Voir http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26519806, consulté le 16/07/2019.

Contrôle de la traçabilité

La question du contrôle de la traçabilité/anonymat n’est pas évoquée dans la littérature. Nous verrons plus loin qu’elle interroge, parfois, les apprenant.e.s, a posteriori152, sur leurs

préférences en matière d’identification mais ces préférences sont d’ordre déclaratif. Ce sont les enseignant.e.s qui définissent la traçabilité/non-traçabilité des apprenant.e.s dans le dispositif, tant envers leurs pairs que par rapport à eux/elles. Ce contrôle est implicitement l’apanage des enseignant.e.s.

Nous n’avons pas rencontré de situations où les apprenant.e.s disposeraient du contrôle partiel ou total de la traçabilité de leurs réponses. Aucune expérimentation ne décrit un choix qui leur serait proposé. Personne, à notre connaissance, ne leur propose de choisir leur identifiant, donc le degré de traçabilité auquel ils/elles souhaitent être exposées.e.s.

Le contrôle de la traçabilité, dans la littérature, est donc exclusivement l’affaire de l’enseignant.e qui différencie, dans la plupart des cas, les destinataires de la traçabilité établissant une asymétrie de traçabilité.

Destinataires de la traçabilité

41 références de notre corpus évoquent explicitement les apprenant.e.s et les enseignant.e.s, pour indiquer une asymétrie de traçabilité en faveur des enseignant.e.s, ainsi que nous l’avons indiqué dans le premier chapitre. Cette asymétrie, comme nous le mentionnions, est rarement justifiée par des considérations pédagogiques et/ou administratives : attestation de présence, octroi de notes de participation, mise à disposition des étudiant.e.s de leurs réponses individuelles, aide proactive aux étudiant.e.s en difficulté. Elle semble « aller d’elle-même » alors qu’elle relève pourtant d’un choix du fait de la versatilité permise par l’instrument.

Pour Kennedy et Cutts (2005, non paginée), cette asymétrie n’est pas gênante pour la plupart des étudiant.e.s, car ils ou elles « aiment le caractère anonyme des réponses, dans la mesure où leurs pairs ne peuvent pas voir leurs réponses individuelles. Ils/elles sont

152 Ainsworth et al. indiquent (2011, p. 367) avoir choisi l’asymétrie de traçabilité en concertation avec les

conscient.e.s que l’enseignant.e peut accéder aux réponses individuelles et plus de 80 % d'entre eux ou elles ne sont pas préoccupé.e.s par cette situation. » (notre traduction). Nous retrouvons cette idée chez Guthrie et Carlin (2004, non paginée) quand les auteur.e.s écrivent : “Students thought the system was easy to use, ‘moderately’ anonymous (how each person answered any particular question) was anonymous to peers but not the instructor.”. L’expression « modérément anonyme », comme nous l’avons signalé, constitue un oxymore. Les élèves ne sont pas du tout anonymes mais l’adverbe modérément semble indiquer que les étudiant.e.s s’en accommodent. Pour Mathiasen (2015, p. 5), seule la non-traçabilité entre pairs présente de l’importance. Il nuance cependant son propos (p. 6), faisant écho aux verbatim de Cardoso déjà cités (page 102), en écrivant ce que nous traduisons ainsi : « Les étudiant.e.s danois.e.s n'étaient pas opposé.e.s à l'option de l'anonymat, dans la mesure où l'intention des enseignant.e.s était d'utiliser l'information d'une manière qui soutiendrait le développement scolaire des étudiant.e.s. Ils ou elles devaient également avoir l'assurance que ces informations ne seraient pas utilisées à des fins de contrôle ou d'attribution de "crédits" pour la participation aux cours. ». Notons le point de vue dissonant de Freeman et al. (2006, p. 576) qui se fondent sur un rapport d’attitude pour déclarer que la non- traçabilité envers l’enseignant.e prime sur la non-traçabilité entre pairs.

Certain.e.s auteur.e.s s’emploient cependant à étendre la non-traçabilité à toutes les parties prenantes. Stuart et al. (2004, p. 97) insistent sur la distribution aléatoire des terminaux à chaque session car « si les étudiant.e.s utilisaient le même terminal à chaque session, il serait possible de tracer leurs réponses en les reliant au numéro de série du terminal et l’anonymat serait perdu.

La redistribution des terminaux d’une session à l’autre atténue la traçabilité mais elle ne créé pas, selon nous, l’anonymat. Chaque réponse provenant d’un terminal doté d’un identifiant du constructeur, aucune réponse n’est anonyme. Pendant une session donnée, toutes les réponses d’un.e étudiant.e se rattachent à ce numéro d’identifiant, et à la session suivante, la distribution aléatoire des terminaux va leur assigner un nouveau terminal

Pour la plateforme Lime Survey, le fait de pouvoir répondre à une question sans identifiant ne suffit pas à garantir l’anonymat ainsi que le montre la capture d’écran ci-dessous.

La boîte de dialogue ci-dessus montre que le fait de cocher la case « réponses anonymes » assure l’anonymat. Autrement dit quel que soit l’identifiant du ou de la répondant.e utilisé pour accéder au questionnaire, s’il existe, il ne sera pas connu par ceux et celles qui administrent le questionnaire.

La disparition totale de l’identifiant dans les réponses correspond à une situation d’anonymat, mais pour Lime Survey, celui-ci ne garantit pas la non-traçabilité dès lors que l’on peut associer à une réponse une date et un lieu, en l’occurrence l’adresse IP du terminal connecté ayant permis la réponse. Un paramètre supplémentaires, referrer URL, illustre parfaitement le concept de traçabilité puisqu’il s’agit du site et de la page sources qui ont dirigé le ou la répondante vers le questionnaire.

Cette plateforme fait donc réfléchir ceux et celles l’utilisent en soulignant que l’anonymat n’est ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante de la non-traçabilité. Une telle conception de la traçabilité surprendrait les auteur.e.s recensé.e.s dans notre corpus qui confondent ces deux notions.

Lime Survey corrobore par son point de vue les illustrations proposées dans l’annexe 2.2 qui présentent des situations où des individus anonymes finissent par être identifiés à cause des traces numériques qu’ils laissent par rapport au temps et au lieu investis par leur présence numérique.

Ce qui prime pour Lime Survey du point de vue de la protection des données des répondant.e.s n’est pas la modalité d’identification.

POUR LA PLATEFORME LIME SURVEY, L’ANONYMAT NE GARANTIT PAS LA NON-TRAÇABILITE

La traçabilité ne disparaît cependant pas totalement même si un.e étudiant.e va disposer de plusieurs identifiants sur la durée d’un cours. C’est donc un protocole153 qui n’est pas

anonyme mais qui cherche à renforcer la non-traçabilité envers les pairs et l’enseignante. Prather et al. (2009, p. non paginé) ainsi que Hoekstra et al. (2012, p. 308) utilisent des protocoles similaires. Quant à Hedén et al., elles laissent choisir aux apprenant.e.s un code numérique (2016, Op. cit., p. 203). Cet identifiant créé une non-traçabilité totale ne permettant donc, faute d’une saisie alphanumérique possible, ni dosage de la traçabilité, ni affirmation identitaire.

Deux références (Poole, 2012 ; Faillet et al., 2013) mettent en œuvre une distribution aléatoire des terminaux pour la comparer à une modalité assignant en permanence un même terminal à chaque étudiant.e. Nous les traitons plus loin car elles font partie des huit références qui se sont focalisées sur « l’anonymat ».

Dans les quatre autres références, si l’on exclue les deux articles mentionnés dans le paragraphe précédent, seules Hoekstra et al. justifient le recours à la non-traçabilité totale, c’est-à-dire à la symétrie de non-traçabilité entre enseignant.e et apprenant.e.s. Ce choix répond à des besoins pédagogiques évoqués dans un autre article dans lequel les auteures expliquent (2010, p. 14) que pour poser des questions sur des sujets tel que le viol, il est absolument nécessaire de rendre les réponses “privées”. Lauridsen (2018, p. 299) évoque également l’utilité de l’anonymat, qu’elle ne définit pas et dont on ne sait comment il a été opérationnalisé, pour aborder des sujets qu’elle qualifie de difficiles, tels que « les idéaux corporels, la nudité, la culture alimentaire, l’obésité ».

D’autres auteur.e.s, dans des contextes analogues à ceux que nous venons de décrire, prennent le parti-pris opposé de renforcer la traçabilité des réponses des apprenant.e.s, s’imposant des contraintes non-envisageables dans de grandes classes. Barr (2017, p. 625) décrit ainsi le protocole suivi consistant à faire écrire sur chaque terminal dédié le nom et

153 Burnstein et al. suggèrent une alternative possible et écrivent (2003, p. 274) : « In some systems an

anonymous response mode is built into the software. In other systems this can be accomplished by having the students temporarily trade keypads. » Bien que chaque réponse puisse être rattachée à un terminal, la réallocation dynamique permanente des terminaux rend les réponses véritablement non-traçables et c’est donc un protocole extrêmement simple à mettre en œuvre, y compris si les terminaux dédiés sont la propriété des apprenant.e.s.

prénom de l’étudiant.e pour qu’à chaque session, celui/celle-ci soit en mesure de le retrouver.

Nous voyons donc que la littérature :

- définit très rarement l’anonymat, que les définitions proposées ne s’accordent pas ; - assimile l’anonymat, une modalité d’identification, à la non-traçabilité qui est une qualité d’un identifiant et non une modalité d’identification ;

- confond la réalité et l’apparence de l’anonymat due à un affichage synthétique, durant le cours, des données agrégées ;

- se focalise de manière asymétrique sur la non-traçabilité pour les apprenant.e.s, dont elle plébiscite le caractère inédit, conservant, sans justification, la traçabilité des réponses par l’enseignant.e ;

- ne s’intéresse quasiment pas aux situations pédagogiques où la traçabilité serait totale, tant pour les apprenant.e.s donc, que pour les enseignant.e.s ;

- montre un biais d’intérêt en faveur de la non-traçabilité des réponses par

l’apprenant.e, faussant même la perception de l’artefact, puisque le schème d’utilisation privilégié, non-traçabilité, des apprenant.e.s, incite de nombreux enseignant.e.s à affirmer que les SISMOs sont des artefacts « par nature anonyme », ce qui n’est aucunement le cas, réduisant les affordances de ces instruments versatiles.

Les huit références qui se sont consacrées à l’étude de l’anonymat, et que nous allons analyser en détail sont parfois concernées par les limites dont nous venons de parler. Nous en faisons une analyse critique détaillée, tout en montrant les apports de ces recherches.

2.3 Analyse des huit références du corpus se focalisant sur l’anonymat et la participation