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Les interactions bactériennes

Dans le document Le biofilm bactérien endodontique (Page 116-121)

i. Les conditions de survie canalaires

3. Les interactions bactériennes

La majorité des bactéries provenant de la cavité buccale pénètrent dans le canal endodontique nécrosé. Pourtant, seules certaines espèces bactériennes composent le biofilm bactérien endodontique (Fouad, 2009). Certaines espèces ne survivent pas dans ce milieu et d’autres

108 s’associent pour persister dans le canal. La coagrégation bactérienne est responsable de la diversité bactérienne du biofilm endodontique. Le biofilm bactérien endodontique est dit polymicrobien. La coagrégation bactérienne est une phase importante dans l’élaboration et la maturation du biofilm (invasion canalaire). Elle est dictée par les interactions bactériennes et aboutit à la formation de niches écologiques structurées.

La coagrégation bactérienne joue un rôle protecteur et nutritif. Elle est nécessaire aux interactions métaboliques et à la mise en place de chaînes nutritionnelles, indispensables à la survie de certaines espèces (non protéolytiques par exemple) (Sundqvist, 1992). Il se produit une compétition et une coopération bactérienne dans l’invasion des tubulis dentinaires radiculaires (Orstavik and Pitt Ford, 2008).

Les interactions bactériennes jouent un rôle déterminant dans la régulation de l’écosystème bactérien et le développement d’un habitat adapté pour la flore polymicrobienne endodontique. Le but majeur de ces interactions est la survie d’espèces bactériennes dans les conditions environnementales particulières que sont celles retrouvées dans le système endodontique.

Les interactions microbiennes influençant l’écosystème endodontique peuvent être positives (synergisme) et négatives (Cohen and al., 2006).

Les interactions positives permettent aux micro-organismes de survivre dans le canal où seuls (en monoculture), ils ne pourraient pas survivre. Ainsi, les bactéries s’entraident.

Les interactions positives sont essentiellement nutritionnelles et métaboliques (Sundqvist and Figdor, 2006).

Ainsi, une bactérie initiatrice peut synthétiser les produits nécessaires au métabolisme d’un micro-organisme « colonisateur secondaire » et induire son développement dans l’endodonte.

Treponema peut utiliser l’isobutyrate produit par les espèces pigmentaires

noires, Fusobacterium et Eubacterium ;

Veillonella utilise le lactate produit par les bactéries à Gram + anaérobies facultatives

telles que Streptococcus (Orstavik and Pitt Ford, 2008) ;

T. denticola a une croissance dépendante de l’activité conjuguée de P. intermedia,

Eubacterium nodatum, V. parvula et F. nucleatum. P. intermedia et E. nodatum clivent les protéines. Elles peuvent alors être utilisées par T. denticola. V. parvula présente une activité enzymatique complémentaire (peptidase) à celle de T. denticola pour dégrader ces fractions de protéines (Orstavik and Pitt Ford, 2008).

109 Figure 37 : interactions bactériennes nutritionnelles (Sundqvist, 1992)

Certaines bactéries inhibent les défenses de l’hôte (Ig, phagocytes). Cela permet à d’autres espèces bactériennes de se développer dans le canal endodontique infecté. On parle de synergisme bactérien (Bergenholtz and al, 2003).

Ainsi, certaines bactéries sont souvent retrouvées ensemble dans les niches écologiques. Se définissent alors des couples bactériens retrouvés très souvent dans les canaux radiculaires infectés. En fonction des bactéries restantes dans le canal, on en déduit que celles-ci interagissent ensemble pour survivre. Certaines associations bactériennes sont également plus virulentes que d’autres. Parmi les associations synergiques, on retrouve souvent:

F. nucleatum avec P. micros, P. endodontalis, S. sputigena, C. rectus ;

P. intermedia et P. micros ;

P. endodontalis et F. nucleatum, P. alactolyticus, Campilobacter ;

Propionibacterium propionicum et Actinomyces ;

P. intermedia et Prevotella oralis, Actinomyces odontolyticus, P. micros ;

T. malpophilum et T. forsythia, P. gingivalis;

D. pneumosintes et T. denticola, P. endodontalis, F. nucleatum, F. alocis, P. micros, C.

rectus, P. intermedia, Treponema pectiovoraum et T.vincentii (Orstavik and Pitt Ford, 2008; Sundqvist and Figdor, 2003).

Ce synergisme bactérien, moteur de l’élaboration du biofilm endodontique, est un facteur important dans les infections endodontiques polymicrobiennes. Fusobacterium nucleatum et Porphyromonas gingivalis sont deux composants majeurs de la flore canalaire.

110 Après formation d’un biofilm structuré, Fusobacterium nucleatum induit secondairement la coagrégation d’autres bactéries telles que Treponema denticola et Porphyromonas gingivalis. Porphyromonas gingivalis induit l’agrégation de Fusobacterium nucleatum dans le canal endodontique et la formation d’un biofilm bactérien structuré par la production de molécules de communication comme l’auto-inducteur-2 (signal inter-bactérien universel). Porphyromonas gingivalis induit également la coagrégation et la formation d’un biofilm par C. rectus, S. epidermidis et V. atypica. Porphyromonas gingivalis induit la croissance de Fusobacterium nucleatum. Ce synergisme a été mis en évidence dans un milieu pourvu d’oxygène (Saito and al., 2008).

Peptostreptococcus micros et Prevotella intermedia font également partie intégrante du biofilm bactérien endodontique. Ces deux bactéries sont souvent retrouvées ensemble et notamment dans les infections purulentes. On en déduit qu’il existe peut être un synergisme entre les deux micro-organismes. En effet, ces deux bactéries associées engendrent une résorption osseuse péri-apicale plus importante que chacune des bactéries séparément. S’il existe un synergisme bactérien, cela signifie que Peptostreptococcus micros contribue à développer la pathogénicité et la virulence de Prevotella intermedia et inversement. Ainsi, il a été démontré que la présence de micro-organismes vivants de l’espèce Peptostreptococcus micros contribue à développer la virulence de Prevotella intermedia. Parallèlement, les produits métaboliques de Prevotella intermedia sont nécessaires à la survie de Peptostreptococcus micros. De plus, Prevotella intermedia interagit avec les défenses immunitaires de l’hôte. Prevotella intermedia produit des petites chaînes d’acides gras qui inhibent les fonctions des polymorphonucléaires neutrophiles. Il s’agit également d’un bacille à Gram -, bactérie pigmentaire, donc les lipopolysaccharides membranaires inhibent la fonction de complément. En réduisant l’efficacité des défenses immunitaires de l’hôte, Prevotella intermedia promouvoit la croissance, la survie et la virulence de Peptostreptococcus micros. Sans Peptostreptococcus micros, Prevotella intermedia serait une bactérie moins pathogène. Ce synergisme bactérien contribue à la diversité des micro-organismes composant le biofilm endodontique (Araki and al., 2004).

D’après Sundqvist et Fidgor (2006), une niche écologique de Peptostreptococcus micros joue un rôle important dans la disponibilité des nutriments. Grâce à une peptidase, cette bactérie métabolise les glycoprotéines en peptides et en acides aminés, pouvant être utilisés comme source d’énergie par cette même bactérie ou par d’autres espèces ne possédant pas cette capacité protéolytique. Il y a donc formation de chaînes nutritionnelles inter-bactériennes.

111 Les interactions bactériennes sont donc nécessaires à la survie d’espèces bactériennes dans le canal endodontique et contribuent à rendre la structure bactérienne nouvellement formée plus pathogène (Bergenholtz and al., 2003).

Les interactions négatives sont basées sur l’amensalisme (ou antagonisme) et la compétition. Pour se protéger, les bactéries se cachent dans des endroits spécifiques ou bien synthétisent des substances toxiques antagonistes. Les produits du métabolisme bactérien (ammoniac ou sulfure d’hydrogène par exemple) peuvent être utilisés par d’autres espèces bactériennes ou devenir toxiques au delà d’une certaine concentration dans le canal et provoquer alors une inhibition de la croissance de certaines espèces. Les interactions négatives limitent la densité de la population bactérienne.

Les bactériocines, protéines bactériennes spécifiques, inhibent la croissance d’un nombre limité d’espèces bactériennes. La réduction de la croissance bactérienne minimise ainsi la compétition au sein de la niche écologique. En effet, les bactéries à pigmentation noire produisent des protéines capables de supprimer les bactéries à Gram + mais aussi certaines bactéries de la même espèce. Porphyromonas endodontalis inhibe le développement de Prevotella intermedia. Cela explique pourquoi ces deux bactéries ne sont jamais retrouvées ensemble dans les niches écologiques.

Streptococcus est capable d’inhiber la croissance de bactéries anaérobies strictes. Cette inhibition est médiée par la production de peroxyde d’hydrogène par Streptococcus. Ceci explique la prédominance de bactéries anaérobies facultatives dans la partie coronaire du canal endodontique où la quantité d’oxygène provenant de la cavité buccale est suffisante à leur survie.

Il a été démontré que Streptococcus, Propionibacterium propionicus, Capnocytophaga ochracea et Veillonella parvula ne participent à aucune association bactérienne (Sundqvist, 1992).

On associe souvent une symptomatologie particulière à certains couples bactériens fréquemment mis en évidence (douleur, œdème, exsudat canalaire…). On retrouve plus d’espèces bactériennes quand il s’agit d’une infection symptomatique. Le passage de la phase asymptomatique à la phase symptomatique est probablement dû à une modification de l’écosystème bactérien avec colonisation par de nouvelles espèces bactériennes. La symptomatologie est aussi certainement dépendante de la charge, la virulence et l’organisation bactérienne (Orstavik and Pitt Ford, 2008).

Certaines bactéries sont associées à certains symptômes mais sans grande certitude concernant le lien de causalité :

sensibilité à la percussion : T. denticola et P. micros ; douleur et œdème : P. nigescens ;

112 Les nombreuses études réalisées aujourd’hui permettent d’affirmer qu’un symptôme ne trouve pas son origine dans une seule bactérie. C’est l’association bactérienne qui rend la dent symptomatique. On retrouve souvent douleur, œdème et abcès, dans le cas d’infection mixte à espèces anaérobies, et notamment en présence de Porphyromonas, Prevotella et/ou Peptostreptococcus.

Parallèlement, la plupart des membres de la communauté microbienne régulent, par l’intermédiaire d’échanges de matériel génétique par exemple, leur catabolisme et anabolisme en fonction des nutriments disponibles. La mise en place progressive d’un pH alcalin au sein du canal endodontique contribue également à modifier certains profils enzymatiques bactériens. Les transferts d’ADN permettent aux bactéries d’étendre leurs capacités enzymatiques et de survivre dans le milieu endodontique (Orstavik and Pitt Ford, 2008). Elles acquièrent ainsi de nouvelles propriétés et notamment la synthèse d’enzyme leur permettant de dégrader les nutriments présents dans le canal endodontique, lors de la phase de maturation du biofilm. C’est l’agrégation bactérienne, dictée par les interactions bactériennes positives et négatives, qui permet ses adaptations phénotypiques. D’un point de vue métabolique et nutritionnel, soit les microorganismes présentent la capacité de dégrader les protéines et glycoprotéines canalaires, soit elles s’associent à d’autres bactéries afin de pouvoir se servir de leurs produits métaboliques ou bien tirer profits d’échanges de matériel génétique. Elles peuvent ainsi faire partie de la composante cellulaire du biofilm bactérien endodontique. Au cœur de cette structure si particulière, chaque micro-organisme exprime sa virulence en toute quiétude et rend le biofilm endodontique pathogène.

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