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i. La déminéralisation amélaire

Dans le document Le biofilm bactérien endodontique (Page 75-79)

La carie de l’émail peut s’étendre d’une perte minérale initiale, indétectable cliniquement, à la destruction totale de ce tissu minéralisé. Ce sont les acides, produits par la plaque bactérienne (acide lactique, acétique, formique, pyruvique et propionique), en apportant des ions H⁺, qui engendrent la dissolution du calcium et du phosphate de l’hydroxyapatite.

Dans un environnement à pH neutre, l’hydroxyapatite amélaire, de formule chimique Ca₁₀(PO₄)₆(OH)₂, est en équilibre avec l’environnement aqueux local, salive et plaque dentaire, qui est saturé en ions Ca²⁺ et PO₄³¯. L’hydroxyapatite est soluble dans l’acide, sous certaines conditions, comme le sont également les phosphates de calcium salivaires du même type. Pour que la dissolution ait lieu, il faut que l’acide dérivant du métabolisme bactérien diffuse d’abord dans la

67 matrice poreuse de l’émail (Séguier and Le May, 2002). Les ions acides, d’origine bactérienne, pénètrent profondément par des voies de passage à travers les structures de l’émail de surface. Chaque cristallite est séparé de ses voisins par des espaces intercristallins remplis d’eau et de matière organique (leur conférant une porosité relative). Ces derniers représentent une voie de pénétration potentielle pour les acides bactériens et sont appelés parfois micropores (Piette and Goldberg, 2001).

Le pH de la surface amélaire est de l’ordre de 7. La déminéralisation de l’émail débute dans un intervalle de pH compris entre 5 et 5,5. Il s’agit du pH critique de déminéralisation amélaire. La déminéralisation naît dès l’apparition du contexte carieux. Dès qu’il y a ingestion de sucre, le pH chute entre 5 et 5,5 grâce à la libération progressive des polysaccharides extracellulaires puis polysaccharides intracellulaires bactériens servant de ressources aux micro-organismes cariogènes. Cependant, le pH ne diminue pas davantage grâce au pouvoir tampon provenant notamment de la déminéralisation de la subsurface des cristaux d’hydroxyapatite. La chute du pH a lieu durant quelques minutes. La déminéralisation de l’hydroxyapatite est considérée comme un mécanisme naturel tampon (Loesche, 1986).

Initialement, les ions H⁺ réagissent de préférence avec les groupes de phosphate présents dans l’environnement aqueux en contact direct avec la surface cristalline. Le processus peut être considéré comme une conversion de PO₄³¯ en HPO₄²¯ par l’addition de H⁺ et en même temps par tamponnement de H⁺. Ainsi, HPO₄²¯ n’est plus capable de contribuer à l’équilibre normal de l’hydroxyapatite parce qu’il contient PO₄³⁻ et non HPO₄²⁻. C’est la raison pour laquelle le cristal de l’hydroxyapatite se dissout. Cette réaction correspond à la déminéralisation (Mount and Hume, 2002). Les ions H⁺ pénètrent dans les tissus durs amélaires sur une certaine épaisseur. Cela provoque un mouvement des ions calcium et phosphates vers le biofilm dentaire, qui peuvent reprécipiter sous forme de globules de phosphates de calcium en surface de la lésion. On peut dire que ces mouvements ioniques sont liés aux différences de concentration en ions H⁺ (gradient de pH), Ca²⁺ et PO₄³¯ entre la plaque dentaire (et la salive) et la surface amélaire (Garcia-Godoy and Hicks, 2008).

La lésion carieuse progresse à la jonction des primes d’émail et il y a tout d’abord un élargissement des espaces inter-cristallins dû à une discrète dissolution de la surface des cristaux. Dans un second temps, la dissolution concerne le cœur du cristal. Ces deux types de dissolution résultent des différences de solubilité entre le cœur et l’extérieur du cristal (Muller and al., 1998).

68 Des études menées in vivo ont montré qu’après une semaine de contact de l’émail avec la plaque dentaire, on ne peut constater aucun changement macroscopique après séchage soigneux de la surface dentaire. Cependant, à l’échelle ultra-structurale, il existe déjà des signes de dissolution des prismes en surface se traduisant par une destruction partielle de la périphérie des cristaux entraînant un élargissement des espaces inter-cristallins. Ce n’est qu’après 14 jours que l’aspect macroscopique de l’émail change ; ce qui indique une augmentation de sa porosité. Malgré tout, des expériences réalisées in vitro ont montré que des pertes minérales même très faibles peuvent entraîner des modifications macroscopiques. La destruction de surface est aggravée par une micro-érosion due aux forces de mastication et, à ce stade, la porosité augmente préférentiellement dans la zone de subsurface, ce qui correspond au stade de la tâche blanche ou leucôme (Muller and al., 1998).

La perte minérale se poursuit tant que la diffusion des acides persiste. La déminéralisation amélaire n’est pas suffisante pour inhiber totalement la reminéralisation de la surface de la dent. Les ions acides pénètrent profondément dans les porosités de la gaine du prisme, ce qui conduit à une déminéralisation en subsurface. On arrive à un stade où le corps de la lésion carieuse va être déminéralisé à 70%, alors que la couche de surface, apparemment intacte, a encore de 20 à 40 µm d’épaisseur. Ces phénomènes physico-chimiques peuvent rester en équilibre un certain temps (niveaux accrus d’ions calcium, phosphates et fluorures élevés) et, si les causes extérieures sont supprimées, il peut ne pas y avoir cavitation mais reminéralisation de la lésion débutante, hautement favorisée par la présence de fluorures (Séguier and Le May, 2002 ; Piette and Goldberg, 2001).

Figure 21 : mécanismes ioniques de déminéralisation et reminéralisation ayant lieu entre la surface amélaire et le milieu salivaire (Muller and al., 1998).

A. Lorsque le pH du milieu buccal est supérieur au seuil critique, les ions calcium (o) et phosphates (+) présents dans la salive sont en équilibre avec l'hydroxyapatite.

69 B. Si le pH du milieu buccal descend en dessous du seuil critique, les fluides salivaires deviennent insaturés par rapport à l'hydroxyapatite qui libère des ions calcium (o) et phosphates (+) dans le milieu buccal où la concentration en ions calcium et phosphates devient ainsi supérieure à celle de l'émail.

C. Des ions calcium et phosphates reprécipitent à la surface de l'émail pour tenter de rétablir une situation d'équilibre. Ils participent à la formation de la zone de surface également constituée d'ions issus de la zone de déminéralisation sous-jacente.

Suite à un unique apport de sucre, le pouvoir tampon de la salive et de l’hydroxyapatite permettent de rendre la neutralité du pH et évitent la sélection des bactéries cariogènes. Sans ce pouvoir tampon de l’hydroxyapatite, le pH attendrait 3 ou 4 et alors la déminéralisation de la subsurface de l’émail serait irréversible. De plus, la fuite des ions n’aurait pas lieu uniquement en subsurface mais aussi à la surface de l’émail. Il n’y a alors plus d’équilibre entre déminéralisation et reminéralisation (Loesche, 1986).

Dans ce processus, le fluor libéré à partir des réserves (salivaires notamment) réagit avec les produits de dégradation des ions HPO₄²¯ et Ca²⁺, formant ainsi le fluoroapatite ou apatite enrichie en fluor. Les cristaux de fluoroapatite renforcent l’émail et le rendent plus résistant à la déminéralisation. Si le pH diminue encore en dessous de 4,5, seuil critique pour la dissolution de la fluoroapatite, celle-ci sera dissoute également. Lorsque les ions acides sont neutralisés et que les ions HPO₄²¯ et Ca²⁺ sont conservés dans ce modèle hypothétique, la réaction peut être inversée (Mount and Hume, 2002).

Figure 22 : le cycle de déminéralisation-reminéralisation. Tableau conceptuel montrant les niveaux de pH auxquels se produisent les stades du cycle de déminéralisation-reminéralisation. F : Fluor. FA : Fluoroapatite. Ha : Hydroxyapatite (Mount and Hume, 2002).

70 La déminéralisation amélaire a lieu dès que le contexte carieux est mis en place. Elle peut être réversible ou irréversible selon que la chute de pH soit contrebalancée par le pouvoir tampon de la salive et de l’hydroxyapatite amélaire ou non. Il s’agit d’un processus dynamique alternant périodes d’arrêts et de progressions. Une surface ayant été déminéralisée une première fois est plus résistante aux attaques acides qu’une surface n’ayant jamais été déminéralisée. Les cristaux d’hydroxyapatite sont devenus plus gros après la première reminéralisation (Loesche, 1986). La durée et l’intensité de la période active varient fréquemment en fonction de l’âge et du moment de la journée dans une même population (Berr and al., 2008 ; Bertrand, 2004). Elle est caractérisée par une fuite des ions calcium et phosphates de la surface amélaire vers la salive et la pellicule exogène acquise. Si le déséquilibre déminéralisation-reminéralisation persiste, la surface de la lésion débutante s’effondre par la dissolution des apatites ou par fracture des cristaux de l’émail non soutenus entraînant une cavitation. Dès lors que la surface dentinaire est atteinte (avec ou sans cavitation de l’émail), les bactéries peuvent pénétrer dans les tubulis dentinaires et synthétiser des toxines jouant un effet néfaste sur la pulpe dentaire (Mount and Hume, 2002).

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