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Intérêts stratégiques à l’époque napoléonienne Projets économiques français dans les parties albanaises de l’Empire ottoman

L’époque napoléonienne va représenter un véritable tournant dans les contacts directs entre Français et Albanais, surtout d’un point de vue stratégique. L’Empereur français et Talleyrand se sont intéressés à l’Albanie dans leurs projets de remaniement de l’Adriatique et de l’Orient turc65. En 1797, par le Traité de Campoformio, Napoléon annexe les possessions vénitiennes en Mer Ionienne. Désormais un voyageur pouvait aller de Paris aux contrées albanaises sans quitter le

territoire français ou tout au moins les pays de domination française66. Dans ce contexte, les

documentaire établie par Maurice Parturier, Paris, La Connaissance, 1924 ; Albert Marie Pierre de Luppé, Robert de Luppé, Mérimée, Paris, 1945, p. 125.

61 Mérimée publie un compte-rendu du livre Albanesische Studien (Vienne, 1854) dans la Revue contemporaine (déc.-

janv., Paris, 1854, p. 222-229) apud Gjyltekim Ibrahimi, La Corse et l’Albanie…op.cit., p. 38.

62 Alphonse de Lamartine, Histoire de la Turquie, tome IIIe, Paris, Librairie du Constitutionnel, 1854, p. 117-152.

63 Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, Paris, F. Didot, 1853, p. 67-72.

64 M. Robert Elsie, l’éditeur de l’œuvre de Faveyrial, cite à cet égard un ouvrage qu’on n’a pas réussi à trouver : Arthur

Droulez, Histoire de la Mission Lazariste de Monastir ,1942.

65 A ce sujet cf. le livre de mon compatriote Trandafir G. Djuvara, Cent projets de partage de la Turquie (1281-1913),

Paris, F. Alcan, 1914. Sur la politique adriatique de Napoléon 1er voir Gellio Cassi, « Les Napoléons et l’Adriatique »,

Revue des Etudes napoléoniennes. Les origines de l’Europe nouvelle, cinquième année, tome neuvième, janvier à juin

1916, p. 94-102.

43 consulats de Scutari67 et de Janina, véritables avant-postes de l’état-major de l’armée de Dalmatie, qui sont créés à cette époque (en même temps que celui de Travnik dont parle le passionnant livre d’Ivo Andrič), trouvent toute leur importance68. Il faut bien faire une distinction nette entre les possessions françaises de l’Albanie vénitienne et les pachaliks ottomans comprenant la Haute- Albanie (le pachalik de Scutari) et l’Albanie méridionale (partagée entre le pachalik de Bérat et celui de Ioannina). La première, comme d’ailleurs tout le Royaume d’Illyrie, a la fonction de

Marche destinée à surveiller les confins orientaux de l’Empire69. C’est alors que commence une

véritable politique balkanique de la France qui

reste une constante durant toute cette période, jusqu’en 1815 : tenir en échec l’Autriche et endiguer les aspirations slaves dans les Balkans, tout en surveillant les côtes contre la Navy et en ménageant les susceptibilités de l’Empire ottoman. De toute cette aventure, l’histoire a retenu concernant l’Albanie surtout deux événements. Le premier concerne les rapports entretenus avec Ali de Tépélène (en albanais Tepelenë), pacha de Janina/Ioannina et la mission de François de Pouqueville70. C’est en grande partie grâce au succès enregistré par le livre de ce dernier71, que la figure d’Ali Pacha s’est signalée à l’attention des contemporains passionnés par l’Orient. Dans le contexte des rivalités entre les grandes puissances et l’affaiblissement de l’autorité centrale de l’Empire ottoman, Ali Pacha

67 Ce consulat de France apparait mentionné quelques fois dans la correspondance de l’Empereur qui souligne son

importance dans les relations avec le Pacha de Scutari et avec le Monténégro pour faciliter le passage des troupes françaises et les courriers. Mais l’Empereur souligne aussi parfois son inactivité : « (…) J'ai, je crois, un consul à Scutari, mais il ne m'écrit pas souvent; exigez qu'il vous écrive tous les jours. (…) » Au général Marmont, commandant l'armée de Dalmatie, Paris , 26 janvier 1808. Cf. Correspondance de Napoléon Ier publiée sur ordre de Napoléon III,

volume 8 (1er avril 1807-27 mars 1808), Paris, Plon, 1869.

68 Cf. A. Boppe, L’Albanie et Napoléon, 1797-1814, Paris, Hachette, 1914, p. 39-40 ; Napoléon et son administration en

Adriatique orientale et dans les Alpes de l’Est, 1806-1814. Guide de sources, Sous la direction de Josip Kolanovi et

Janez Šumrada, préface par Marie-Paul Arnauld, Hrvatski državni arhiv / Archives nationales de Croatie, 2005. Des mentions sur les événements d’Albanie se trouvent aussi dans la correspondance de Napoléon : Pierre Bertrand, Lettres

à Napoléon, 1800-1809, Paris, Perrin, 1889 et X. Baloti, « Napoléon et l’Albanie », Balkan Studies, 27, n°2, 1986.

69 Gellio Cassi, « Les Napoléons et l’Adriatique »…op.cit., p. 98.

70 Gabriel Remerand, Ali de Tébélen pacha de Janina (1744-1822), Paris, Geuthner, 1928 et A. Boppe, op. cit. 71 Cf. p. 35.

« Ali-Pacha, peint d’après nature » (Source : Ibrahim Manzur-Effendi, op. cit.)

44 de Janina chercha à étendre son autorité dans le but d’obtenir l’indépendance. Dans le nouveau contexte de voisinage, créé par le traité de Campoformio il essaie d’entrer dans les grâces des Français, maîtres de l’Adriatique, et d’obtenir, en retour, leur appui afin de réaliser ses objectifs. Mais, en 1798, pendant la campagne d'Égypte il s'empara de Prévéza et de diverses places du littoral situées sous autorité française, places qu’il perdit dès que l'Empire Ottoman et la France signèrent la paix. Il ne conserva que quelques prisonniers français qu’il chargea d'organiser ses troupes. Quelques uns, comme Ibrahim Manzur-Effendi, demeura auprès d’Ali jusqu’en 1819 en tant que commandant du génie, et va publier ultérieurement ses aventures comme « ouvrage pouvant servir de complément à celui de M. de Pouqueville »72. Malgré l’attitude ambiguë manifestée par le pacha de Ioannina, Napoléon Ier voyait en lui un allié potentiel en cas de partage de l'Empire ottoman et envisageait de lui céder des territoires, notamment Corfou. C’est alors que Napoléon avait envoyé François de Pouqueville dont nous avons déjà parlé, comme agent diplomatique auprès d'Ali Pacha en 1806. En plus, de la bonne collaboration avec lui dépendait le ravitaillement de la garnison française stationnée à Corfou, île attribuée une nouvelle fois en 1807 par le Traité de Tilsitt à la France, avec les Iles ioniennes.

Les Français, auront maintenant l’occasion de connaitre plus largement Ali, Pacha de Janina,

grâce à une œuvre intitulée Crimes célèbres73 et ayant comme co-auteur Alexandre Dumas. On y

voit un personnage sans scrupules, atroce, n’ayant même pas la foi musulmane, disposé à tout pour atteindre ses buts, tout en reconnaissant ses qualités politiques :

« Ne croyant pas en Dieu, méprisant des hommes, n’aimant que lui, ne songeant qu’à lui, se défiant de tout ce qui l’entoure, audacieux dans les desseins, inébranlable dans les résolutions, inexorable dans l’exécution, impitoyable dans la vengeance, tour à tour insolent, humble, violent, souple, varié comme les circonstances, toujours et quand même logique dans son égoïsme, c’est César Borgia devenu musulman ; c’est l’idéal du politique florentin incarné, c’est le prince mis à l’œuvre dans une satrapie. »74

A travers le portrait d’Ali se dégage une description peu flatteuse des régions habitées par les Albanais : « Janina (…) Peuplée en grande partie d’Albanais, elle professait un amour enthousiaste pour l’anarchie, qu’on y décorait du nom de liberté. (…) »75 ; « Comme il arrive presque toujours en Albanie, où la guerre n’est qu’un prétexte pour le brigandage (…) »76. Le manque d’unité de ces contrées est une autre ligne de force qui se dégage en lisant le texte : à part les différences

72 Ibrahim Manzur-Effendi, Mémoires sur la Grèce et l’Albanie pendant le gouvernement d’Ali-Pacha, Paris, chez :

Paul Ledoux, libraire ; Ponthieu, au Palais Royal ; H. Langlois et Cie, libraires, MDCCCXVII.

73 MM. Alex. Dumas, Arnould, Fournier, Fiorentino et Mallefille, Crimes célèbres, tome septième, Paris,

Administration de librairie, 1840 (le chapitre dédié à Ali Pacha, rédigé par Mallefille, ouvre la deuxième partie du volume, p. 3 - 146).

74 Idem, p. 8. 75 Idem, p. 6. 76 Idem, p. 12.

45 religieuses et ethniques, on parle de trois Albanies. L’exécution d’Ali et de ses fils qui clôt le chapitre, renforce aux yeux du lecteur français l’image d’un Orient sanglant, d’un monde très éloigné de ce qu’il appelle « Europe ». Alexandre Dumas reprend l’histoire de la mort d’Ali Pacha dans son célèbre roman Le comte de Monte-Cristo, qui fait d’Edmond Dantès le vengeur de la trahison du comte de Morcerf à l’encontre d’Ali et de sa famille.

Le deuxième événement qui nous concerne fait référence à l’existence, dans l’armée française, d’un régiment albanais stationné à Corfou. Créée en 1807, cette unité militaire était formée d’Albanais ayant fui Ali Pacha. Dès septembre 1807, le général César Berthier qui commande la garnison des Iles Ioniennes prévoyait de former une compagnie d'élite pour sa garde personnelle et

d'attacher deux compagnies de chasseurs à chaque bataillon français.

Ce fut une expérience malheureuse car, organiser ces Albanais, n'était pas chose facile : vivant en clans, ils ne connaissaient pas la discipline militaire. Puis, être un bon soldat n’avait rien en commun avec les embuscades dont les Albanais sont passés maîtres. Un mois plus tard, le colonel Minot était chargé de commander ce « régiment albanais» qui avait pour but de défendre les Iles ioniennes77, trois bataillons au total. L’année suivante, en mars, Berthier fut remplacé par le général Donzelot qui décida la réduction des effectifs à six bataillons (1809), puis à deux (en 1813). D’ailleurs cette réduction des effectifs a été « favorisée » pendant les raids anglais de 1809 quand les Albanais qui devaient défendre les îles, étaient passés à l'ennemi avec armes et bagages ! Le régiment albanais incorpora alors les chasseurs à pied grecs et les Français se retranchèrent à Corfou où ils tiendront jusqu' en juin 1814.

Economiquement, durant la période napoléonienne, les desseins et les projets s’inscrivent dans la stratégie française générale qui voyait l’Europe du sud-est comme une zone de compensation. Antoine Louis Vasse, qui exerça les fonctions de vice-consul à Pristina (1811), centre du vilayet de Kosovo, nous présente les effets pratiques de la « nouvelle route continentale qui passe par ce territoire et que devait assurer l’approvisionnement de l’industrie française en matières premières».78 Une route française continentale fonctionnait déjà, suite au décret napoléonien organisant les douanes en Illyrie et instituant le libre transit pour le commerce avec l’Empire ottoman. Elle était destinée principalement au coton. Mais le commerce français dans ces régions était gêné par les voleurs albanais qui attaquaient sans cesse les caravanes traversant le pachalik de Pristina et par l’attitude d’Ali Pacha qui, contrairement aux capitulations avec la France, taxait de 20 % au lieu de 3 les produits français qui transitaient par le port de Préveza. En plus, il refusait de

77 Cf. A. Boppe, op. cit.

46 reconnaitre les agents consulaires français lorsqu’ils étaient « raïas »79 et essayait d’empêcher l’établissement même des consulats. L’épisode de la nomination du frère de Pouqueville comme consul à Préveza et le contenu de la lettre de « recommandation » envoyée au Sultan par Ali pour appuyer sa demande d’exequatur illustre très bien cet état des choses et les vrais sentiments que le pacha de Janina éprouvait à l’égard des Français :

« Les infidèles ne connaissent déjà [que] trop bien notre pays et si vous permettez leurs nouveaux établissements nous ne serons plus les maitres chez nous. Préveza est une ville de chiens qui ne souffre qu’à regret notre domination ; elle conserve toujours de l’inclination pour les Français que j’ai chassé avec mon sabre il y a douze ans… »80

Par le Traité de Paris du 30 mai 1814 les territoires se trouvant sous l’administration française depuis 1806 sont cédés à l’Autriche et la France va s’éloigner pour le moment des Balkans et de l’Adriatique. La marine militaire française va y opérer lors des guerres avec l’Autriche menées par Napoléon III, mais sans avoir de visés annexionnistes. Ce nouvel empereur va rouvrir l’appétit français pour les Balkans, d’abord avec la Guerre de Crimée et l’appui sans réserve accordé au mouvement national roumain.

Un événement, disons exotique, va ponctuer cette période : la participation durant les derniers mois de la Guerre de Crimée (1853-1856) dans les rangs de l’armée française d’un minuscule détachement d’Albanais. Il s’agit de neuf Mirdites81, recrutés par le chef d’escadron Lyver avec l’appui du consul de France à Scutari, Hecquart, et l’accord des autorités ottomanes et du Prince de

Mirditë, Bib Doda, pour servir en tant que conducteurs dans les compagnies auxiliaires du Train.

Dans la seconde moitié du XIXème siècle, les projets économiques sont repris et vers la fin du siècle, se concrétisent comme nous le révèle un aide-mémoire du consulat français de Milan, rédigé bien plus tard.82 Les gisements bitumineux d’une grande richesse de la zone de Sélénitza-Resulani- Ronzi, connus depuis les temps les plus reculés, sont les premiers à attirer l’attention des Français, qui envoient une mission industrielle. Les mines y furent données en concession par le Gouvernement ottoman, pour une durée de 75 années, à la Banque Impériale Ottomane à dater du 17/29 août 1885. En 1891, une Société dite « des Mines de Sélénitza » fut fondée à Paris, et la

Banque Impériale Ottomane apporta à cette Société ses droits de concession sur la mine de bitume

79 Raïas, en turc littéraire « troupeau », terme que les Ottomans donnaient aux sujets chrétiens. 80 Apud Charles Schmidt, « Napoléon et les routes balkaniques », op. cit., p. 348- 349.

81 Pietro Noca, Antonia Nonpole, Georgo Prela, Miralia Arabaigi, Echiovani Soco, Marco Mirachi, Oergini Arabaigi,

Youssuf Mehmed, Ibraïm Mehmed. CADN, Coopération, Ambassade Turquie, Correspondance avec les échelles, carton 1 – Scutari d’Albanie, Division militaire, Place de Constantinople, Feuille de route de corps entier ou détachement de troupe en marche, 27 juin 1856. Cf. aussi Idem, Armée d’Orient, Intendance générale – Transports, Lettre N° 15 du Lieutenant général au Consul de France à Scutari, Sébastopol, le 18 février 1856.

82 AMAE, Correspondance politique et commerciale, Z-Europe 1918-1929, Albanie 58, Dépêche du Consulat Général

47 de Selenica/Sélénitza en Albanie ainsi que les bénéfices de toutes les demandes de concession, de propriété ou d’exploitation des mines qui avaient pu être faites dans l’Empire ottoman au nom de la

Banque Impériale dont le siège social était à cette époque-là à Paris (7, rue Meyerbeer, Paris,

75011).83 Les biens que la Banque ottomane apportait à la Société des Mines de Sélénitza situés dans l‘Empire, étaient cédés conformément aux lois et usages en vigueur dans ce pays. Comme la loi ottomane n’autorisait pas les sociétés étrangères à acquérir ou posséder des biens immobiliers dans l’Empire sauf dans des conditions spéciales, l’obligation de la transmission desdits biens fût réalisée par un document fait à Paris le 10 septembre 1891. Cet acte, en même temps qu’il opérait la cession de ces biens, constituait la Banque Impériale Ottomane fidéicommissaire de la Société des

Mines de Sélénitza pour les biens immobiliers situés dans l’Empire. En conséquence, les biens de la Société française des Mines de Sélénitza situés dans l’Empire ottoman sont restés au nom de la

Banque Impériale en sa qualité de fidéicommissaire. La compagnie française employait comme ouvriers des Valaques et des Grecs.84 La direction des mines fut confiée à l’ingénieur Alfred Gounod85, un ancien de l’Ecole des Mines de Paris. Son activité est particulièrement intéressante dans la mesure où il remplissait en même temps les fonctions d’agent consulaire de France pendant la guerre gréco-turque et pendant le blocus de Vlora par les Grecs, blocus qui dura un mois. Il publiera, après son retour en France86, dans le

Bulletin de la Société de l'industrie minérale et dans les Annales des Mines, une description des

gisements bitumineux d’Albanie. Enfin, il laisse encore inédit un volume intitulé « Cinq ans d’Albanie». C'est une étude sur les mœurs et les gens de ce pays où, à côté des anecdotes vécues par l'observateur, se retrouve l'ingénieur avec ses chiffres et ses statistiques.

Malgré une présence significative « sur le terrain » les échanges commerciaux avec la France sont quasi-inexistants, principalement à cause de l’absence de liaisons directes entre Marseille et les ports albanais. En ce qui concernent les importations de la Basse Albanie et de l’Albanie médiane autour de l’année 1883, sur un total de 4 857 515 francs, les produits français (parfumerie, habillement, produits pharmaceutiques, drogueries) n’ont représenté qu’environ 5000 francs. Pour la Haute Albanie, les rapports consulaires de 1884 mentionnent une cargaison de bois de frêne à

83 Cf. [Alfred] Gounot, « Notes sur les mines de bitume exploitées en Albanie », Annales des Mines, juillet 1903, Paris. 84 Frédéric Gibert, Les Pays d’Albanie et leur histoire, Paris, 1914, p. 154-155.

85 1855-1906.

86 Atteint par des fièvres paludéennes, il rentra en France en 1897.

Alfred Gounot

48 destination de Marseille d’une valeur de 6000 francs (sur un total de plus de 1 600 000 francs d’exportations)87.

Au début du XXème siècle, la présence économique française s’accroît considérablement. Les mots du grand scientifique italien Antonio Baldacci sont révélateurs sur la présence française en Albanie d’avant l’indépendance88 et ses projets ambitieux pour l’avenir :

« La France (…) cherche, en effet, à se créer une position privilégiée en prêtant son concours à la résolution du problème des communications, des chemins de fer et des postes. (…) Une compagnie française « L’entreprise des routes de l’Empire Ottoman », a déjà commencé la construction de quelques routes et est en train d’étudier plusieurs projets. (…) En automne prochain, sera ouverte au service d’automobiles la route Saint-Jean de Medua - Scutari, reliant le bassin du lac de Scutari à la mer. Par la suite, cette route sera prolongée jusqu’à Tuzi, à la frontière du Monténégro, longeant la région des Malissores. Le port de Medua sera agrandi. Le projet français comprend l’abaissement du niveau d’eau du lac de Scutari (…) et la canalisation du fleuve Bojana du lac à la mer.»89

Les conclusions du bilan dressé par Baldacci ne pouvaient être qu’optimistes : « Le capital

français parviendra sans doute à doter l’Albanie de routes et chemins de fer. »

Cette pénétration économique n’a pas été toujours chose facile à cause de l’opposition des autochtones qui avaient peur qu’une présence étrangère ait pour conséquence l’annexion de leurs terres par des Puissances voisines, mais, en revanche, elle n’a pas été un élément positif pour l’image de l’Albanie, vue par les Occidentaux comme région instable et réfractaire au progrès. En 1909, les ingénieurs français de la Régie générale des chemins de fer (RGCF), dirigés par le comte François-Georges Vitali, venus faire les premiers travaux d’installation d’une voie ferrée sont « accueillis » avec des coups à feu90 et renvoyés dans leur pays. La même chose se passa en 1910 quand La Porte donna l’autorisation de l’aménagement du premier tronçon de la route Kustendil – Uksub (auj. Skopje).

La question des chemins de fer et les révoltes albanaises qui vont déboucher sur la reconnaissance d’une certaine autonomie au sein de l’Empire ne passeront pas complètement inaperçues en France. Joseph Aulneau, dans la Revue politique et parlementaire, attire l’attention sur l’existence d’un problème albanais en Europe souvent ignoré par les chancelleries occidentales, fortement complexe et impliquant plusieurs données : la question de la Macédoine, le Monténégro

87 Edmond Dutemple, « Albanie », La Grande encyclopédie…op. cit., p. 1136.

88 A. Baldacci, L’Albanie économique et politique à la veille de la guerre, (extrait de la Revue économique

internationale), novembre 1912, Bruxelles, p. 16-19.

89 Idem..

49 et la Russie, l’Autriche-Hongrie et l’Italie91. De son côté, dans les pages de la Revue de Paris, Gaston Gravier (1886-1915), introduisait dans l’équation de la question albanaise le problème du Kosovo, surnommé aussi la Vieille-Serbie92. Lecteur de français à l’Université de Belgrade, mais géographe de formation, spécialiste de la Russie et de la Serbie, Gravier avait parcouru souvent en compagnie du père de la géopolitique serbe Jovan Cvijic, toutes les zones de peuplement serbe et l’Albanie.

La question des routes et des chemins de fer en Albanie n’était pas nouvelle et ne représentait qu’un volet secondaire du point de vue économique. Disons que l’économique précède mais est tout

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