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La France et les frontières albanaises : les travaux de la Conférence des ambassadeurs de Paris

Si durant la Conférence de la Paix, les Grandes Puissances ont accepté l’indépendance de l’Albanie, en général dans les limites de 1913, aucun traité n’y faisait référence. De plus, les frontières albanaises de 1913 étaient des limites générales dans l’acception absolue du terme, ainsi on peut le constater à la lecture d’un rapport de la Commission internationale de délimitation des frontières de l’Albanie :

« En réalité, les travaux de la Commission de 1913-1914 sur les frontières nord et nord-est de l’Albanie, de la mer Adriatique à la rive occidentale du lac d’Ochrida, étaient restés sans résultat concret, du fait que l’accord n’avait été réalisé sur aucun point parmi les représentants des six grandes Puissances. Il y avait ensuite la portion de frontière de la rive occidentale du lac d’Ochrida au M[ont] Gramos, qui n’avait jamais été étudiée. Quant à la frontière du M. Gramos au canal de Corfou, elle avait été définie sur la carte par le protocole de Florence du 17 décembre 1913, mais aucune borne ne la marquait »579.

575 Idem, p. 28-29 et 227-228.

576 Jean Brunhes, Indépendance politique…, op. cit., p. 528.

577 Dans le cadre de ses études sur les dialectes indo-européens, Meillet s’est occupé aussi de la langue albanaise, lui

dédiant quelques articles qui révèlent ses connaissances approfondies. E. g. Meillet, « Sur la flexion du suffixe indo- européen de présent -ye/o- en albanais », Mémoires de la Société linguistique de Paris/MSL, XIX, 1916, p. 119-121.

578 Dans ce contexte je me borne à rappeler ce que mon professeur Jacques Soppelsa affirmait : « la géopolitique n’est

pas une science objective ».

579 CADN, Fond Délimitation des frontières en Europe (1919-1936), Carton n° 110, Rapport général sur la marche des

travaux et note sur le fonctionnement technique de la commission (1922-1926). Document établi en exécution des instructions du 17 janvier et de la lettre du 18 février 1922 de la Conférence des Ambassadeurs, p. 6.

167 De plus, étant donné les convoitises et les contestations de la part de ses voisins, l’indépendance et l’intégrité du pays avaient besoin d’être reconfirmées au niveau international. Le problème de l’Albanie, ensemble aux autres problèmes délicats qui faisaient partie de la mise en œuvre des clauses des traités signés en Ile-de-France, fut laissé à la charge d’une Conférence des Ambassadeurs580. Cette institution qui relève plutôt de la diplomatie classique et du concert des puissances, se trouve au centre de l’étude oubliée du juriste américain Gerhard P. Pink –

The Conference of Ambassadors (Paris 1920 – 1931) – , publiée en 1942 sous les auspices de

l’Institut universitaires des Hautes études internationales de Genève581. A part la bibliographie qui fait référence à cette institution582, les documents donnés à la publicité par la Conférence, la SDN et la Cour Permanente de Justice, les livres blancs, les déclarations de presse, l’auteur bénéficie des informations fournies par des diplomates participants (ou ayant connaissance du sujet), et des fragments de documents non-publiés mis à sa disposition par le Département d’État de Washington. Avant donc de passer à l’analyse du processus de délimitation de l’Albanie et d’officialisation de son statut international, arrêtons-nous un instant sur cette institution qui a traité de la question albanaise de 1921 à 1926.

L’idée d’une conférence des ambassadeurs a été probablement suggérée par le premier ministre britannique Lloyd George. Celui-ci trouva plus approprié de discuter les questions de nature politique découlant du Traité de Versailles dans une telle formule, où les représentants des États-Unis pouvaient assister à titre d’observateurs, que dans le Conseil de la SDN, où la place attribuée aux États-Unis est restée vacante583. Gerhard Pink trouve plus sûr de placer ses origines

580 Parmi les Conférences des Ambassadeurs organisées dans le passé on peut citer : la conférence organisée à l’appel

du cabinet de Vienne (juillet 1853), avant la Guerre de Crimée, afin de trouver une solution à la crise russo-ottomane ; la conférence des ambassadeurs de Berlin (1880) chargée de la médiation du conflit gréco-ottoman ; celle de 1901, de Constantinople, qui a suivi le traité de paix entre la Grèce et l’Empire ottoman conclu en 1897 et, naturellement, la Conférence des ambassadeurs de Londres de 1912-1913, qui avait la tâche de gérer la situation issue des guerres balkaniques. Gerhard P. Pink, The Conference of Ambassadors (Paris 1920-1931). Its history, the theoretical aspect of

its work, and its place in international organization, with a preface by Paul Mantoux, Director of the Graduate Institute

of International Studies of Geneva, Genève, Geneva Research Centre, 1942, p. 15-18. Il faut aussi mentionner que la pratique de compléter un traité par des conventions successives est ancienne. Le Traité de Kutchuk-Kaïnardji (10/21 juillet 1774) qui délimita entre autres les frontières entre la Russie et l’Empire ottoman, fut complété par deux conventions successives (entre la Porte et l’Autriche mais avec l’assentiment de la Russie), de Constantinople (7 mai 1775), de Palamutka (2 juillet 1776) et d’Ainali-Kavak (10/21 mars 1779, entre la Russie et la Porte). Cf. Charles Samwer, Nouveau recueil général de traités, conventions et autres transactions remarquables, servant à la

connaissance des relations étrangères des puissances et des États dans leur rapports mutuels. Continuation du Grand recueil de G. Fr. de Martens, Tome XV, jusqu’à l’année 1857, Gottingue, Librairie de Dieterich, 1857, p. 453. On n’est

donc pas du tout loin du Concert des puissances cher à l’Europe du XIXe siècle.

581 Gerhard P. Pink, op. cit., 293 p.

582 A. J. Toynbee, Survey of International Affairs 1920-1923, London, 1927, p. 1 et passim ; F. Kellor (and A. Hatvany),

Security against War, vol. I, New York, 1924, p. 85 et passim ; C. A. Colliard, « La Conférence des Ambassadeurs »,

Revue de Droit international, vol. XXII (1938), n° 3 ; A. N. Mandelstam, “la Conciliation international d’après le Pacte et la Jurisprudence du Conseil de la S.d.N. », Recueil des Cours, 1926 – IV.

583 F. Kellor (and A. Hatvany), Security against War, vol. I, New York, 1924, p. 89, apud Gerhard P. Pink, op. cit., p.

26. Pink considère que l’affirmation de Kellor ne peut pas être vérifiée, n’étant pas soutenue du point de vue documentaire.

168 dans une commission qui a fonctionné tout de suite après la signature du Traité de Versailles (28 juin 1919) et qui avait la tâche de préparer l’exécution des clauses du traité, jusqu’à son entrée en vigueur le 10 janvier 1920. La commission a fonctionné jusqu’au mois de septembre 1919584. Officiellement, la Conférence des ambassadeurs a été instituée par une résolution du Conseil suprême le 28 juillet 1919, à laquelle se réfère pour la première fois le sous-secrétaire d’État américain Frank Lyon Polk dans un télégramme daté du 16 octobre 1919. Un peu plus tard (le 14 novembre), dans un autre télégramme, Polk reprend même des passages de la résolution qui représente, malgré sa vague formulation, la véritable charte constitutive de la Conférence des Ambassadeurs :

« Les questions concernant l’interprétation et l’exécution du traité avec l’Allemagne, exceptant celles confiées soit à la Société des nations, aux Commissions de Réparation, du Contrôle militaire naval et aérien, de la rive gauche du Rhin, ou aux autres organes permanents de même nature, doivent être étudiées et suivies par un comité spécial qui siégera à Paris, mais qui pourra être transporté en d’autres capitales si cela est jugé opportun … »585.

L’aspect trop général de la formulation causa naturellement des interprétations diverses de la part des représentants des Grandes Puissances. Si les Français et les Italiens voulaient des compétences étendues et voyaient la Conférence comme une continuation du Conseil suprême interallié, les Britanniques et les Américains ne désiraient qu’un rôle de relais entre les Commissions qui fonctionnaient en Allemagne et les Gouvernements alliés586. Pour résoudre ce problème, après une série de négociations qui eurent lieu à Londres, le Conseil suprême interallié édicta une seconde résolution, datée du 13 décembre 1919, et dans laquelle il délimita les compétences de la Conférence des ambassadeurs. Le compromis entre les deux visions– franco- italienne et anglo-saxonne – est évident :

« Conseil Suprême du 13 décembre 1919 – 3 heures après-midi, tenu à Londres, Downing Street 10. Résolution B. Avenir de la Conférence de la Paix. (…)

1° La session actuelle de la Conférence de la paix se terminera à Noël ou au plus tard dans la quinzaine qui suivra le procès-verbal de dépôt des ratifications du traité de Paix avec l’Allemagne.

2° A l’expiration de la session actuelle de la Conférence de la Paix, on traitera les grandes questions politiques au moyen de communications directes entre les gouvernements eux-mêmes, tandis que les questions de détail seront traitées par la Conférence des Ambassadeurs à Paris »587.

En ce qui concerne les relations entre le Conseil suprême interallié et la Conférence des ambassadeurs, les deux institutions ont fonctionné en parallèle jusqu’au mois de janvier 1920. Le

584 Gerhard P. Pink, op. cit., p. 24. 585 Idem, p. 25.

586 Idem, p. 26. 587 Idem, p. 27-28.

169 Conseil, le créateur de la Conférence des ambassadeurs, va continuer son activité jusqu’au mois de mars 1931, sauf qu’il cessera de se réunir en session permanente. Les problèmes politiques d’importance exceptionnelle – e.g. le traité de Sèvres avec l’Empire ottoman – seront réservés au Conseil et non à la Conférence588. Quant aux rapports avec la Société des Nations, si on prend en compte l’opinion de certains auteurs, Lloyd George, lorsqu’il a suggéré l’organisation de la Conférence des ambassadeurs, avait l’intention de poser à la SDN autant de questions que possible pour être discutées avec les représentants des États-Unis. En général, on peut considérer que la Conférence des ambassadeurs avait comme mission principale d’additionner les traités de paix et des superviser leur exécution, de créer donc un nouvel ordre européen. La SDN avait la mission de

préserver l’ordre créé par les puissances victorieuses589.

Arrêtons-nous aussi un instant sur les participants à la Conférence. Selon la règle instituée en 1815 par la Convention de Vienne, les Grandes Puissances peuvent se faire représenter par des diplomates ayant rang d’ambassadeur590. A Paris sont représentées uniquement les Puissances alliées (France, Empire britannique, Italie, Japon) et associées (États-Unis d’Amérique) par l’intermédiaire de leur représentants diplomatiques dans la capitale française. Parfois, lors des questions le concernant, le représentant de la Belgique rejoignait ce « club sélect ». Les travaux étaient présidés par le président du Conseil des ministres français (Millerand, Leygues, Briand, Poincaré, Herriot, Briand)591, le secrétaire général étant un haut diplomate du Quai d’Orsay592. L’influence prépondérante était exercée par la France et l’Empire britannique. L’Italie, malgré l’activité du comte Carlo Sforza, une voix très écoutée durant les travaux, a subi un recul à partir de 1923 sur le fond de l’affaire Janinna- Corfou. La présence du Japon concernant les questions européennes a été plus discrète, son représentant, le vicomte Ishii, refusant de prendre partie dans la commission de délimitation des frontières albanaises593.

La question albanaise n’était pas du tout évoquée dans les traités de la Conférence de la Paix de Paris. Plusieurs événements ont contribué à amener la Conférence des Ambassadeurs à s’en occuper. D’abord, l’admission de l’Albanie en tant que membre à part entière de la SDN en décembre 1920. La candidature albanaise pour la SDN fut examinée le 4 décembre 1920 : le statut du pays (indépendance et frontières), reconnu au niveau international, avait été modifié par le Traité

588 Idem, p. 34. 589 Idem, p. 36.

590 Contrairement à certaines opinions qui ont fait des États-Unis le champion de l’égalitarisme en matière de

représentation diplomatique, après la deuxième Guerre mondiale, c’est la France qui fait l’ouverture, échangeant dès 1938 avec la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie des ambassadeurs. Le geste de la France a été suivi par l’échange des ambassadeurs entre Bucarest, Varsovie et Prague.

591 Idem, p. 41-42.

592 Jules Laroche. Cf. Ibidem. 593 Idem, p. 45.

170 secret de Londres de 1915. L’Italie avait renoncé à ses revendications albanaises et le nouvel État avait un gouvernement national. Pourtant, le pouvoir instauré à Tirana n’était reconnu officiellement par aucune Puissance et sa stabilité était mise en doute. De plus, l’administration du pays était jugée comme rudimentaire et les frontières, existant de facto, n’étaient pas définies par des accords internationaux594. Le 17 décembre, c’était au tour de la session plénière de discuter et ensuite de trancher en faveur ou non de l’admission du pays. L’opposition exprimée par Athènes et de Belgrade a reçu l’appui du représentant français René Viviani qui avait attiré l’attention sur les risques d’aller à l’encontre de la volonté des Puissances. A l’appui de son argumentation, Viviani rappelait que l’État albanais était nouvellement formé et donc devrait subir une période transitoire avant d’être admis comme membre. C’est le plaidoyer du représentant d’Afrique du Sud, lord Robert Cecil, soutenu ensuite par le représentant britannique, qui a contribué au résultat favorable pour l’admission de l’Albanie. Le pays sera admis à l’unanimité des voix595. Restait la question de la définition et de la reconnaissance des frontières596. Les Anglo-Saxons sont toujours à jouer le rôle fondamental. Le 7 mai 1921, le Gouvernement britannique faisait la proposition de charger la Conférence des Ambassadeurs de statuer sur le statut du pays. Un mois plus tard (le 6 juin), l’ambassade britannique présentait un mémorandum afin de déterminer aussi les frontières du pays, proposant que cette compétence soit à la charge de la même Conférence des ambassadeurs597. Les propositions britanniques ont attiré tout de suite l’appui des représentants français, Aristide Briand, et italien, le comte Bonin-Longare. L’ambassadeur italien rappelait pourtant dans une note envoyée à la conférence le 29 juin 1921 :

« la position privilégiée que les Alliés ont reconnue à l’Italie en Albanie, confirmée par les nations alliées et associées dans tout projet de systématisation adriatique. »598

Briand se montra bienveillant vis-à-vis de prétentions si équivoques, exprimant son accord pour reconnaître officiellement la primauté formelle italienne :

594 Owen Pearson, Albania in the twentieth century : a history, vol. 1…, op. cit., p. 155. D’ailleurs, l’Albanie n’était pas

le seul membre à être accepté dans la SDN sans avoir ses frontières encore définies. Ses voisins, le Royaume SHS et la Grèce, n’avaient des frontières que partiellement définies et reconnues. Cf. Gerhard P. Pink, op. cit., p. 111.

595 Owen Pearson, Albania in the twentieth century : a history, vol. 1…, op. cit., p. 157. La délégation albanaise était

dirigée par l’archevêque orthodoxe Théophane Noli (dit Fan Noli), ancien leader de la communauté albanaise de Boston.

596 Le traité des frontières du 10 août 1920, signé par les principales Puissances alliées et certaines autres Puissances,

prouve que les frontières albanaises n’étaient pas reconnues. « L’article 4 dit que les frontières de l’État serbo-croato- slovène avec l’Italie et au sud doivent être ultérieurement déterminées. » AMAE, Correspondance politique et

commerciale, Z Europe 1918-1940, Albanie 1, Notice sur l’Albanie, copie du 31 décembre 1920.

597 Gerhard P. Pink, op. cit., p. 108.

598AMAE, S.D.N., Albanie 1955. Dossier général, 1923, mars- 1927, novembre, Note pour le Président du Conseil, A.S.

171 « à condition de ménager les aspirations des populations, le principe de libre disposition des peuples ainsi que les intérêts légitimes des autres voisins de l’Albanie ».599

Sans doute, le représentant français était parfaitement au courant de la ligne politique de Londres et qu’il devait laisser les Britanniques tirer les marrons du feu. D’ailleurs, la réaction de Londres ne tarda pas. Le 12 juillet, l’Ambassade de Sa Majesté informa la Conférence des Ambassadeurs que le Gouvernement britannique refusait tout statut spécial, mandat ou protectorat, sur l’Albanie :

« (…) sans faire valoir, en ce qui concernait des revendications spéciales relativement au statut futur de l’Albanie, [le Gouvernement britannique] n’était disposé, pour cette même raison, à reconnaître aucun intérêt spécial en Albanie au profit d’un autre pays. »600

La motivation d’une telle attitude politique de Londres s’expliquait, comme nous allons voir601, par ses intérêts stratégiques et économiques. L’Adriatique apparaissait en 1920 – 1921 comme un lac partagé entre l’Italie et le Royaume SHS (voir la France) et cette situation contrastait avec leur conception géopolitique de « balance of power ». De plus, au printemps de 1921, les représentants d’un certain nombre de compagnies britanniques se rendent en Albanie afin d’obtenir des accords de concessions avantageux, notamment dans le domaine pétrolier. Devant l’intransigeance britannique, le 29 juillet 1921, le comte Bonin-Longare présentait au président de la Conférence des ambassadeurs, Briand, des propositions plus concrètes dans la perspective d’un texte officiel sur le statut de l’Albanie :

« a) l’Italie compte sur la collaboration alliée pour assurer la réalisation d’une Albanie vraiment indépendante ; b) l’Italie, étant la puissance la plus intéressée au sort de l’Albanie, a le devoir de veiller à la constitution effective de l’État albanais qui est pour elle une garantie de sécurité dans la Basse Adriatique ; c) l’Italie doit veiller a ce qu’il ne puisse résulter de la création d’une Albanie indépendante une situation avantageuse pour les tierces puissances en opposition avec les intérêts du peuple albanais et, par conséquent, avec les intérêts de sa défense dans l’Adriatique inférieure qu’elle entend garantir par sa politique albanaise. »602 Si les propositions italiennes n’ont pas eu de difficultés à obtenir l’accord formel français, les Britanniques restaient fermes sur leur position de ne pas reconnaître de statut spécial sur un pays membre de la SDN. Lord Curzon exprimait aussi des soucis concernant l’occupation italienne de l’île de Sazeno qui contrôlait la baie de Valona, territoire albanais, et la Basse-Adriatique entière. Au cours des négociations portées entre Londres et Rome, un compromis fut finalement trouvé : le

599 Idem. 600 Idem. 601 Chapitre V.

602 AMAE, S.D.N., Albanie 1955. Dossier général, 1923, mars- 1927, novembre, Note pour le Président du Conseil,

172 Gouvernement britannique reconnaissait des intérêts stratégiques spéciaux à l’Italie en cas de violation des frontières albanaises. Le Gouvernement français s’associant au compromis anglo- italien, le texte officialisant le statut de l’Albanie fut arrêté le 28 septembre 1921 et signé le 9 novembre dans une réunion de la Conférence des ambassadeurs présidée par Jules Cambon :

« I. Au cas où l’Albanie se trouverait dans l’impossibilité de maintenir son intégrité territoriale elle aura la liberté d’adresser au Conseil de la Société des Nations une demande d’assistance étrangère.

II. Les Gouvernements de l’Empire britannique, de la France, de l’Italie et du Japon décident, dans le cas susdit, de donner instructions à leurs représentants dans le Conseil de la Société des Nations, de recommander que la restauration des frontières territoriales de l’Albanie soit confiée à l’Italie.

III. En cas de menace contre l’intégrité ou l’indépendance, aussi bien territoriale qu’économique, de l’Albanie du fait d’une agression étrangère ou de tout autre événement, et au cas où l’Albanie n’aurait pas recours dans un délai raisonnable à la faculté prévue à l’article I, les Gouvernements susdits feront connaître la

situation qui en résultera au Conseil de la Société des Nations. Au cas où une intervention serait jugée nécessaire par le Conseil, les

gouvernements susdits donneront à leurs Représentants les instructions prévues à l’article II.

IV. Au cas où le Conseil de la Société des Nations déciderait, à la majorité, qu’une intervention de sa part n’est pas utile, les Gouvernements susdits examineront la question à nouveau, s’inspirant du principe contenu dans le préambule de cette Déclaration, à savoir que toutes modifications des frontières de l’Albanie constituent un danger pour la sécurité stratégique de l’Italie »603.

Cette déclaration allait rester secrète car elle allait à l’encontre des principes fondateurs du nouvel ordre. Seule la déclaration portant sur la reconnaissance du gouvernement et sur les frontières sera rendue à la publicité. Au terme de ces décisions, l’existence du pays était donc hors de toute discussion604. Les actes de la Conférence de Paris représentent la véritable reconnaissance de l’indépendance du pays. L’historiographie albanaise, mais aussi étrangère, a toujours placé le moment de l’indépendance en 1912. Nous pensons qu’il est plus approprié de comparer l’acte de la Conférence des Ambassadeurs de Londres de 1913 avec le document final du Congrès de Paris de 1856 qui, toute en reconnaissant leur autonomie et leur droit à l’unité, mettait les Principautés roumaines sous la garantie collective des Puissances. Donc, le statut de l’Albanie de 1913-1914 prévoit plus une autonomie sous la garantie collective des Puissances qu’une indépendance.

Mais avant de passer au processus de l’établissement des frontières, revenons un peu en

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