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La France et l’Albanie pendant la Grande Guerre Le parcours de l’Albanie au début de la Première Guerre mondiale

« Il vaut mieux que je m'en aille quelque temps vers l'ouest » affirmait Guillaume de Wied dans sa proclamation adressée aux Albanais le 3 septembre 1914, peu avant son embarquement sur le navire italien Misurata 198 qui le porta à Venise, avant de regagner l’Allemagne. Sans prononcer les mots « J’abdique » le souverain-fantoche se reconnaissait ainsi dépassé par les événements locaux et internationaux et estimait sa présence inutile à Durazzo, au moins pour le moment.

« Pendant mon absence, la Commission internationale de contrôle, dérivant ses pouvoirs de l'Europe, qui a créé notre pays, assumera le gouvernement 199». En réalité c’était ein Abschied ohne Wiederkehr200. Dès son arrivée à Durazzo, son règne n’a été qu’un recul constant201. Une fois la guerre éclatée et l’équilibre des puissances évanoui, sa chute devenait imminente d’autant plus qu’il n’avait pas écouté les conseils de Vienne de déclarer la guerre à la Serbie202. Assiégé depuis le mois de juin par les insurgés pro-ottomans, son départ équivalait au choix de la survie : il n'avait plus payé ses soldats depuis deux mois, les officiers néerlandais et danois de la gendarmerie internationale étaient rapatriés dès le mois d’août et les

198 Accompagné par son épouse, la princesse Sophie, le président du Conseil, Turkhan Pacha et d'autres membres de la

cour.

199Wilhelm Fürst von Albanien, Prinz zu Wied, Denkschrift über Albanien [Mémoire sur l'Albanie], Als Manuskript

gedruckt [Imprimé d’après le manuscrit], Nicht für die Öffentlichkeit [non diffusé au public], Glogau/Berlin, 1917 (la proclamation se trouve en annexe de l’ouvrage). Cf. aussi les mémoires du secrétaire privé du Guillaume de Wied, le capitaine Duncan Heaton Armstrong (Britannique d’origine irlandaise), Albania - 1914: The Six Months' Kingdom.

Memories of private secretary of Prince William of Wied, Tirana, AIIS, 2001.

200 En allemand « un départ sans retour ». Guillaume de Wied servit pendant trois ans sur le front russe sous le nom de

guerre de comte de Kruja. Puis il tenta de reconquérir son trône d’autant plus que l’Autriche détenait la plus grande partie du territoire albanais, mais en vain. « Alors, il ne savait pas encore qu'il était le premier des monarques auxquels la Grande Guerre a arraché le pouvoir. » Après la première guerre mondiale, le prince vécut en retraite d'abord en Bavière et Silésie, plus tard en Moldavie roumaine. Quand en 1944 l'armée rouge est entrée en Roumanie, Guillaume s’était réfugié à la résidence d'été du roi, dans les Carpates, où il est mort trois semaines avant la fin de la guerre. Son épouse était morte en 1936. Sa tombe a été découverte seulement en 1991dans l'église luthérienne de Bucarest. Cf. l’article de Thomas Schmid, « Der verratene Prinz [Le prince trahi] », Berliner Zeitung, 28/06/1997 et Joseph Valynseele, Les Prétendants aux trônes d'Europe, préface du Duc de Castries, Paris, 1967, p. 18.

201 L’historiographie a beaucoup insisté sur l’incompétence du Prince de Wied pour assumer la responsabilité d’un pays

aussi divisé que l’Albanie. Cet aspect ne doit pas occulter la principale cause de sa chute : l’appui très limité de la part des puissances protectrices de l’Albanie. En revanche, ses opposants « trouv[ai]ent des millions à Rome, à Athènes, à Belgrade ; le Gouvernement du Mbret demande vainement depuis des mois. » Michel Sturdza, op. cit., p. 98.

202D’ailleurs, les Austro-Hongrois eux-mêmes avaient sensiblement changé de stratégie en ce qui concerne l’Albanie :

le ministre des Affaires étrangères Burian voulait ressusciter une Albanie autonome, le général Conrad la partager avec la Grèce. Cf. Bertrand Auerbach, L'Autriche et la Hongrie pendant la guerre depuis le début des hostilités jusqu'à la

80 Autrichiens et les Allemands se retiraient de la force d’interposition de Scutari203. Son départ symbolisait la disparition de l’Albanie créée par la Conférence des ambassadeurs de Londres, malgré l’obstination des Italiens et surtout des Français à faire reconnaitre la CIC204 par les insurgés groupés dans l’Union de Kruja, force politique favorable à la restauration ottomane et subsidiairement à la Triplice. Trois jours après le départ du Prince, le drapeau ottoman flottait sur la ville de Durazzo. Resté sans l’interlocuteur gouvernemental auprès duquel il avait été accrédité, le personnel diplomatique de la plupart des puissances quitte le pays le 9 septembre. Dix jours plus tard, après un dernier effort pour sauvegarder le statu quo albanais – la constitution d’une Régence à Valona formée par les représentants des 4 religions, sunnite, bektashi, orthodoxe et catholique205 – la CIC cesse ses activités.

Avant qu’elle soit occupée, l’Albanie se fragmente en plusieurs entités plus ou moins cohérentes, rappelant l’effritement du Moyen Age. A Durazzo, après l’arrestation des supporters de Guillaume de Wied et la constitution d’un Senat de l’Albanie centrale composé de 29 membres sous la présidence de Mustapha Ndroqi206, les rebelles ont envoyé une délégation à Constantinople afin d’offrir au Sultan la couronne du pays207. Les Albanais restés hors de l’Union se sont mis au service de l’Italie ou de la Serbie, se polarisant autour d’Essad Pacha208. En Albanie du Nord, les tribus (les Mirdites, demeurés sous l’autorité de Prenk Bib Doda, et les Malissores) ont refusé de reconnaître une autorité supérieure quelconque. Pendant ce temps, Scutari et son voisinage étaient

203 Après le départ des contingents militaires de Scutari, les consuls des puissances se constituent en Corps consulaire

pour superviser l’administration de la ville et de son hinterland. Cf. Simonard, op. cit., p. 276. Sur la présence militaire étrangère en Albanie de 1913 à 1914 cf. l’article de Erwin A. Schmidl, « Im Land der Skipetaren : Die internationale Friedensoperation in Albanien 1913-1914 », Österreichische Militärische Zeitschrift, 35, n°4, Juli/August 1997, p. 431- 440 (la version anglaise : « The International Operation in Albania, 1913-14 », International Peacekeeping 6/3 Autumn 1999, p. 1-10).

204 Un passage des mémoires inédits de Michel Sturdza (p. 96) qui a assisté aux négociations passées avec les membres

de l’Union peu avant le départ du Prince nous permet de nous faire une idée sur les buts politiques des insurgés et l’image qu’ils se faisaient de l’Europe : « Les insurgés sont têtus comme des mulets ; ils veulent le Sultan Mehmet et rien d’autre… Ah ! si, quelque chose encore : plus de routes, plus d’écoles et plus de gendarmes. Comment leur promettre le Sultan Mehmet sans impliquer le départ du Mbret Guillaume ? Kraal [le représentant austro-hongrois à la CIC, n. n.] s’époumone en vain, les interruptions, les vociférations, les simples grognements couvrent sa voix : « Le Sultan Mehmet, le Sultan Mehmet ! » Est-ce que ces gens auraient la prétention qu’on le leur amène aussi, en automobile ? Finalement Kraal a trouvé le joint. « Puisque vous ne voulez plus de Mbret, dit-il, et puisqu’il nous est impossible de vous procurer un Sultan, acceptez-vous la protection de l’Europe dont voici les illustres Pachas représentants ? » Kraal se tait après cette demande précise et laisse les insurgés la discuter entre eux. Un des insurgés exposa, tout d’abord, que l’Europe était grande, en effet, mais qu’elle n’était pas si grande que cela ; que, si le Chaiak [correctement Shijak, localité au centre d’Albanie, non loin de Durazzo] ne pouvait pas lui tenir tête, la lutte cesserait peut-être d’être inégale lorsque le Chaiak s’alliait aux kazas [sous-préfectures à l’époque ottomane]voisins et ceux-ci à leur voisins à eux… ».

205 A l’époque, les musulmans représentaient au moins 60 % de la population : sunnites et bektashi (une secte mystique

portée en Albanie par les janissaires, 15 % environ de la population de confession musulmane). Les chrétiens se divisaient entre catholiques romains (plus de 10 %, situés dans les régions montagneuses du Nord, ayant comme centre la ville de Scutari) et orthodoxes (plus de 20 %, se concentrant au sud du pays).

206 lire « Ndotchi ».

207 Miranda Vickers, The Albanians, op. cit., p. 85; Simonard, op. cit., p. 277.

81 régis par une commission locale composée de musulmans et de chrétiens, de même la ville portuaire de Valona. Essad Pacha qui se trouvait à Diber où, avec l’aide des Serbes et des Italiens il avait constitué une force militaire, entre en Albanie au début d’octobre pour s’emparer de la capitale et neutraliser ainsi les pro-ottomans209. Le 5 octobre, il forçait le Sénat à le proclamer Président et Commandant en chef, Mustapha Ndroqi devenant vice-président210.

Les décisions de la Conférence de Londres étant caduques, les projets de démantèlement de l’Albanie par les États balkaniques et les grandes puissances avoisinantes reprennent vigoureusement. A ce sujet, René Girault parle d’un terrain de rencontre propice à tous les

impérialismes et les nationalismes de puissance des Balkans. Dès le mois d’octobre 1914, les Grecs occupèrent le sud de l’Albanie – partie de l’Épire historique - avec l’accord des Alliés qui préféraient y voir les Grecs plutôt que les Autrichiens. Profitant de cette situation, par une résolution votée par la Chambre des députés le 18 mai 1916, les Grecs annexèrent l’Albanie méridionale, y compris les villes de Kortcha et de Girokastra. Les alliés de l’Entente protestèrent, surtout à cause des sentiments germanophiles du roi Constantin XII et de leur crainte de voir la Grèce basculer dans le camp des Empires centraux en exigeant le retrait de toutes les forces grecques à l’intérieur du pays. L’Italie et la France devaient assurer l’ordre dans les confins méridionaux de l’Albanie211.

Quelques jours après l’entrée des Grecs en Albanie du Sud, les Italiens occupèrent la petite île stratégique de Saseno (le 30 octobre 1914) et, deux mois plus tard (vers le 28 décembre), sous le couvert d’une mission sanitaire destinée aux réfugiés ayant fui l’occupation grecque, le port de Valona212. Devant cet imbroglio balkanique, Paris décide de ne rappeler ni son ministre, ni son représentant à la Commission internationale de Contrôle, qui demeurent sur place avec les représentants de la Serbie et de l’Italie. Seul, le détachement français stationné à Scutari est envoyé au petit Monténégro pour intégrer la garde personnelle du roi Nicolas Ier213. C’est un changement de stratégie important qui fait de la France un acteur impliqué directement dans la question albanaise. Son rôle est d’autant plus important que la Russie est loin et que les Britanniques y manifestent un

209 Miranda Vickers, The Albanians, op. cit., p. 87. 210 Simonard, op. cit., p. 277.

211 Stato Maggiore dell’Esercito, Ufficio Storico, Le truppe italiane in Albania (Anni 1914 – 20 e 1939), Roma, 1978,

p. 89 – 92.

212 Au mois de décembre 1914, une petite force expéditionnaire italienne sous le commandement du général Emilio

Bertotti débarque à Valona. Lieutenant-Colonel de Ripert d’Alauzier, Un drame historique. La résurrection de l’armée

serbe, Albanie-Corfou (1915-1916), Paris, Payot, 1923, p. 34. Le projet d’une expédition italienne en Albanie existait depuis 1911 pour contrebalancer l’occupation et l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie en 1908. Cf. Stato Maggiore dell’Esercito, Ufficio Storico, Le truppe italiane in Albania (Anni 1914 – 20 e 1939) op.cit., p. 36-37.

82 intérêt faible. Les intérêts spéciaux que la France possède en Albanie sont reconnus ainsi par une note du cabinet de Saint-Pétersbourg qui affirme que la « question [albanaise] intéresse évidemment

Caricature sur l’occupation italienne de Valona publiée dans les pages de la revue Je sais tout, 11e année, CXIV,

83 surtout la France en sa qualité de puissance méditerranéenne »214. Mais la décision d’être un acteur direct soutenant les forces albanaises favorables à l’Entente et de faire ainsi contrepoids à la Triplice, ne fait pas l’unanimité au sein de la diplomatie française. L’ambassadeur de France à Londres, Paul Cambon estime que ce rôle « est plein d’inconvénients » :

« J’ai toujours pensé qu’il était dangereux de maintenir à Durazzo un représentant diplomatique et un contrôleur auprès d’un gouvernement qui n’existe pas. Ce maintien ne peut se justifier que si le rôle de nos agents se borne à un rôle d’observation. Nous faisant les intermédiaires d’Essad Pacha auprès des Puissances et lui garantissant indirectement l’exécution des décisions prises à Londres, c’est prendre des responsabilités qui ne manqueront pas de devenir embarrassantes et que je me permets de signaler…. »215

Mais Delcassé a une stratégie plus globale, ayant retenu la leçon de l’expérience de la diplomatie française durant la Conférence de Londres qui a privilégié la diplomatie de cabinet et n’a pas considéré l’action sur le terrain perdant ainsi des points en faveur de celle austro-hongroise. Le ministre français des Affaires étrangères considère qu’il vaut mieux être présents afin de promouvoir ses propres intérêts dans les futures négociations concernant le statut et la question albanaise.

« En maintenant à Durazzo son représentant diplomatique et son délégué à la Commission de contrôle, alors que d’autres gouvernements, également engagés par les décisions de la Conférence de Londres relatives à l’Albanie, retiraient les leurs, le gouvernement français n’a eu qu’un but, continuer dans cette région une mission d’observation, garder contact avec les populations et nous assurer auprès d’elles un moyen d’influence pour le jour où le sort de l’Albanie étant réglé à nouveau par l’Europe, il s’agira de faire accepter sa décision par les tribus. (…) je vous recommande de borner là votre mission. »216

Durant toute la période de vide institutionnel qui a suivi le départ du Guillaume de Wied, la France joue un rôle modérateur auprès des puissances mécontentes de l’issue de la Conférence de Londres de 1913 – 1914, tout en reconnaissant les intérêts italiens. Dans les premiers mois de guerre, elle essaie de préserver l’intégrité territoriale de l’Albanie et de contenir ainsi la forte propagande austro-hongroise qui visait à éveiller les craintes d’un partage définitif du pays. Devant l’occupation de l’Albanie méridionale, le ministre français agit pour « rassurer l’opinion au sujet de

214 DDF, T. n°55, secret, Paris, 5 août 1914, destinataires non précisés.

215 Idem, T. n°1021, chiffré, Londres, s.d. (reçu : 10 novembre, 17h. 10), M. Paul Cambon, Ambassadeur de France à

Londres, à M. Delcassé, Ministre des Affaires étrangères.

216 Idem, T. n° 694, confidentiel, Bordeaux, 15 novembre 1914, M. Delcassé, Ministre des Affaires étrangères, à M.

84 l’occupation provisoire de certaines régions de l’Épire du Nord par les troupe grecques »217. En même temps, suivant les instructions du Quai d’Orsay, Fontenay et ses homologues à Belgrade (Serbie) et à Cettigné (Monténégro) interviennent «dans les pays limitrophes pour que rien, dans leur action, ne provoque des troubles nouveaux en Albanie »218. La concertation avec les autres grandes puissances alliées (L’Empire britannique, Russie tzariste) ou restées neutres (Italie) est jugée essentielle par le chef de la diplomatie française Théophile Delcassé qui écrit à ce sujet au ministre français accrédité auprès du roi des Serbes :

« J’avais ajouté (lors d’une rencontre avec Sir Edward Grey le 13 janvier) que, pour donner tant aux Albanais qu’aux Puissances balkaniques le sentiment que la Triple Entente réserve son droit de modifier l’état de choses en Albanie concurremment avec l’Italie, j’étais prêt à faire recommander aux gouvernements serbe, grec et monténégrin de s’abstenir, comme l’Italie, de toute intervention sur le territoire albanais. (…) »219

Par cette démarche, Paris veut principalement éviter la dispersion des forces serbes et monténégrines en Albanie au détriment du front austro-hongrois. La question préoccupe également le ministre russe des Affaires étrangères Sazonov qui, faisant part à Maurice Paléologue, l’Ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, de la demande serbe concernant l’occupation d’une partie du territoire albanais, estime que « cette opération ne diminuerait en rien les forces serbes sur le théâtre principal de la guerre »220.

Mais au début de l’année 1915, la stratégie française de maintenir l’Albanie en dehors du conflit, ne peut plus tenir et, devant l’intransigeance de ses alliés, la France cherche à résoudre à l’amiable le partage du pays. De plus, la guerre commence à se faire sentir à l’intérieur du pays. Le 5 janvier 1915, les représentants des insurgés favorables à la Triplice, réunis dans un « Comité du Salut public », ont exigé d’Essad Pacha, qui était enfermé dans la ville de Durazzo, que les ministres de France et de Serbie soient consignés chez eux.

« À 6h30, l'attaque contre la ville a commencé. Essad Pasha (…) a informé la légation italienne qu'il y avait grand danger, et a exigé toute l'aide possible. A 2h30, quelques projectiles de canon du Misurata et du Sardegna se sont faits entendre, défendant la ville, amortissant de cette façon le feu des rebelles. La colonie italienne et les légations de l'Italie, de la France, et de la Serbie se sont embarquées sur les bateaux Sardegna et Misurata. »221

217DDF, T. n° 571, Bordeaux, 3 novembre 1914, M. Delcassé, Ministre des Affaires Etrangères, à M. Paul Cambon,

Ambassadeur de France à Londres, a. s. Résumé de la prise de position diplomatique de la France à l’égard de l’Albanie.

218 Idem.

219 DDF, T. n° 61, chiffré, Paris, 31 janvier 1915 (23h25), M. Delcassé, Ministre des Affaires Etrangères, à M. Boppe,

Ministre de France à Nich.

220 DDF, T. n° 578, Petrograd, 7 septembre 1914, 19h.57 (reçu : à Bordeaux le 8, 10h. du matin), M. Paléologue,

Ambassadeur de France à Petrograd, à M. Delcassé, Ministre des Affaires étrangères.

85 Afin de sauver Essad Pacha qui jouait la carte italienne et celle de l’Entente, un détachement italien a été envoyé dès la fin décembre à Durazzo. Placé sous les ordres du Général Domenico Guerrini, le corps expéditionnaire italien va atteindre le mois suivant l’effectif d’une brigade. Cette situation offrait aussi le prétexte à une intervention serbo-monténégrine. Le 11 juin 1915, le gouvernement monténégrin décida d’occuper les territoires albanais situés sur la rive droite du Drin jusqu’à Scutari. Le 15 juin, Scutari était occupée. Les Serbes, eux-aussi, avaient franchi la frontière albanaise le 12 juin 1915 et occupaient tout le nord et le centre de l’Albanie : Pogradetz, Elbasan, Tirana, Kavaja et Ishmi222. Entre temps, après l’entrée en guerre de la Bulgarie (octobre 1915) l’offensive des forces des Centraux donnait ses premiers résultats : à la fin du mois de novembre 1915, les Serbes commencent à se retirer en Albanie223 et les forces austro-hongroises arrivent aux portes du Monténégro. Seul le très mauvais état des communications qui empêcha le général Hermann Freiherr Kövess von Kövessháza224 de concentrer ses forces avant le 6 janvier 1916, retarda l’occupation de l’Albanie septentrionale. Pourtant, le 13 janvier Cetinje était occupée et les Monténégrins rejoignaient les Serbes en retraite225. Le 22 janvier, les premières troupes austro- hongroises gagnent l’Albanie et occupent successivement et sans rencontrer de grandes difficultés, les villes de Kruja (le 8 février), Tirana (le 9 février), Durazzo226 (le 13), Kavaja (le 16)227. De leur côté, les Bulgares, après avoir occupé Monastir et Ochrida, avançaient en Albanie centrale et occupent en février les villes d’Elbassan et de Bérat, mettant en péril tant les positions italiennes autour de Valona que la retraite serbe.

La position des Alliés était fragile au début de 1916, malgré l’augmentation considérable du

corps expéditionnaire italien, d’autant plus que les effectifs de l’Armée d'Orient étaient encore insuffisants et se limitaient à la protection de Salonique. Pourtant les Français étaient présents en Albanie pour ravitailler et assurer dans de bonnes conditions le retrait de leurs alliés serbes. La force de ravitaillement était placée sous le commandement du chef d’escadron d’artillerie Jost de Staël qui siégeait depuis le 3 décembre 1915 à Brindisi et dépendait du lieutenant-colonel François, l’attaché militaire de France à Rome. À l’issue de leur retraite, les Autrichiens et les Bulgares occupèrent tout le pays au nord de la vallée de la Vojussa, au sud de laquelle campaient les Italiens.

222 Lieutenant-colonel de Ripert d’Alauzier, op. cit., p. 35.

223 Le 31 décembre, entre Saint-Jean de Médoua et Durazzo se trouvaient 140 000 hommes. Stato Maggiore

dell’Esercito, Ufficio Storico, Le truppe italiane in Albania…, op.cit., p. 51.

224 Hermann Freiherr Kövess von Kövessháza (1854 – 1924). Commandant de la IIIe armée austro-hongroise qui opéra

sur le front serbe et monténégrin.

225 Stato Maggiore dell’Esercito, Ufficio Storico, Le truppe italiane in Albania…, op.cit., p. 49 - 50.

226 Abandonnée par les Italiens devant le péril d’une attaque imminente de la part des forces supérieures austro-

bulgares.

86

Carte indiquant la situation en Albanie en mars 1916 et les limites atteintes par les occupants austro-hongrois, bulgares, italiens et grecs. Source : Stato Maggiore dell’Esercito, Ufficio Storico, Le truppe italiane in Albania, op.

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