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Dynamique locale et tutelle française Les événements qui se sont déroulés en

Albanie du sud-est à la suite de l’établissement de la mission militaire française ne peuvent être compris sans évoquer la situation générale du pays, confronté à plusieurs occupations, et la personnalité du nouveau commandant de la mission militaire française, le Colonel François Descoins.

La guerre, les alliances militaires, le partage du pays en plusieurs zones d’occupation n’ont pas effacé les rivalités manifestées avant ou durant la Conférence des ambassadeurs de Londres entre les Puissances. En Albanie, l’association en

deux blocs des Puissances intéressées –celui de l’Entente (France-Italie) et celui de la Triplice (Autriche-Hongrie – Bulgarie) – n’a qu’une valeur strictement militaire et dénote un arrangement provisoire, à court terme. Les Austro-Hongrois sont alliés avec les Bulgares mais ne désirent pas une extension de leur occupation en Albanie centrale. De l’autre côté, les Italiens sont favorables à la présence des troupes françaises, mais regardent d’un mauvais œil tout accroissement de l’influence de la France en Albanie. Malgré les alliances, chaque Puissance agit d’une manière indépendante, suivant ses propres buts de guerre et pensant à l’après-guerre. Dans cette

aventurier croate ayant une préparation militaire. Il sera un ami proche du roi Zog et une figure très admirée en Albanie jusqu’à son meurtre durant la révolte de Fieri en 1935.

249Cf. Démétre Kolovani, La Question de Koritza, Paris, Henri Diéval, s.d., p. 39, AMAE, Correspondance politique et

commerciale, Série Z Europe 1918-1940, Albanie 46, Note de M. Krajewski pour la Direction Politique du 22 août

1919. Les dates statistiques susmentionnées ignorent la présence des grécophones qui pourtant ne peut pas être mise en cause malgré le caractère prédominant albanais. A nos yeux, lorsqu’on analyse la population des différentes contrées albanaises, ce qui importe vraiment ne sont pas les clivages ethniques et religieux mais les clivages de partis pris.

TOTAL GENERAL de la population du Kaza de Koritza

et des Localités environnantes Localités Nombre des habitants

Total Chrétiens Musulmans Kaza de Koritza...

Région d’Ostro-Tomorica... Zone néutre (Bilishta)…... // (Sélénitza) Région de Pogradec……. 15.450 930 3.690 41.515 3.482 809 289 36.150 76.965 3.482 1.739 289 39.840 40.070 82.245 122.315

N. B. --- Toute la population des régions susmentionnées est de nationalité albanaise, à l’exception de quelques villages, comme Moscopoli, Plaza, etc., où les Albanais sont mêlés aux Roumains, et de quelques autres villages où il existe une infime minorité bulgare.

Source : le Bureau du Ravitaillement pendant l’occupation française apud Démétre Kolovani, op.cit., p. 39

93 confrontation militaire, diplomatique, idéologique, les négociations de cabinet ne suffissent plus. Gagner l’adhésion des facteurs de pouvoir locaux et subsidiairement de la population devient un enjeu non négligeable, surtout dans la perspective du processus de paix. Dans cette course engagée en Albanie, la France part avec un handicap sérieux : son éloignement géographique l’a empêchée de jouer un rôle direct, sur le terrain, dans les affaires albanaises. Ses adversaires disposent déjà de partisans sur place et leur présence actuelle n’est qu’une continuité de leur politique traditionnelle dans les Balkans. L’Autriche-Hongrie soutient financièrement les catholiques de la Haute-Albanie depuis le XVIIIe siècle. Sa position est renforcée par son opposition aux agrandissements territoriaux de la Serbie et du Monténégro en défaveur des terres albanaises. Une fois ses armées entrées en Albanie au début de l’année 1916, elle n’est pas perçue comme un occupant mais comme un libérateur. Mais les nécessités de la guerre lui imposent d’organiser les territoires occupés comme une véritable province de l’Empire, interdisant toute activité politique, mais associant des éléments locaux dans la gestion des affaires courantes.

De son côté, l’Italie se présentait comme le défenseur des droits albanais contre les prétentions grecques. C’est dans la continuité de cette politique qu’elle occupe en décembre 1914 Valona sous le couvert d’une mission sanitaire destinée aux réfugiés de l’Épire. Si l’Autriche-Hongrie possédait l’expérience du fédéralisme et de l’autonomie locale, l’Italie visait une intégration de type jacobin des territoires occupés en Albanie (surtout après la signature du traité de Londres, signé le 25 avril 1915).

« L’Italie, dès décembre 1914, édifie le camp retranché de Vallona ; ses soldats en sortent, en octobre 1916, pour occuper la grand’ route Santi-Quaranta- Koritza : occupant Delvino, Argirokastro, Klissoura, Liaskoviki, chassant les Grecs de l’Albanie du Sud, ils furent d’abord accueillis avec enthousiasme. Mais les Italiens furent victimes de leur inexpérience coloniale et de leur mégalomanie : leur colonisation administrative ne tendait rien moins qu’à écarter les Albanais influents : ils réduisirent à un rôle de figurant le préfet albanais de Vallona, remplacèrent celui d’Argyrokastro par un officier de leur armée, installèrent dans les tribunaux des officiers italiens, dans les écoles des instituteurs italiens qui durent enseigner obligatoirement l’italien, limitèrent au négoce des marchands italiens tout contact avec l’extérieur. »250

Même une puissance aux intérêts limités251 comme la Bulgarie se prononça pour une Albanie à sa manière constituant ainsi un Gouvernement provisoire albanais à Ohrid dès le 20 janvier 1916. Pour conclure, la France arrive à Kortcha avec un déficit d’image qui rend méfiantes les populations locales albanaises.

250 Idem, p.664.

94 « Jusqu’alors, les Albanais n’avaient connu que leurs protecteurs officiels, Autrichiens, Italiens, ne considéraient la France, la grande puissance philhellène, que comme leur ennemie décidée. »252

Cette image était renforcée aussi par la forte « propagande autrichienne (…) » qui « tendait à nous représenter, aux yeux des populations du Kaza autonome, comme les mandataires des Grecs dont elles ne voulaient plus, je le répète, à aucun titre, sous aucun prétexte et sous aucune forme »253. Mais ce qui se passe à Kortcha et dans ses environs à partir du novembre 1916 ne s’explique que partiellement par le besoin des autorités militaires françaises d’assurer l’ordre et de contrecarrer la propagande austro-hongroise. La clé se trouve dans la personnalité du nouveau commandant du territoire, le Colonel Descoins. Citons à ce sujet Jérôme Carcopino, alors jeune officier de l’Armée d’Orient, envoyé à Kortcha par le Général Paul Leblois254 afin de se renseigner sur la dynamique locale engendrée par le Colonel Descoins et qui risquait de détériorer les relations avec Rome :

« Son commandement de Koritsa lui proposait une revanche qu’il se préparait à prendre avec les réels talents qu’il ne doutait point de posséder. C’était un chef ferme et résolu sous les dehors d’une souple nonchalance, courtois sans familiarité, atténuant d’aménité une obligatoire condescendance. D’une intelligence rapide et claire, mais peut-être un peu superficielle, il savait donner au moindre de ses rapports comme à la plus longue de ses instructions rédigés sans ratures dans une des plus belles écritures que j’ai jamais vues, la puissante déduction d’un théorème et la netteté d’une forme digne d’un écrivain de métier. Il se sentait donné de la force de persuasion avec laquelle il rallierait tout le monde aux idées qu’il s’était formées par ses entretiens et ses lectures sur l’Albanie et sur les Albanais. Il arriva à Koritsa avec son siège fait d’avance. Il espérait bien qu’après la dissolution de leurs bandes, lors de notre entrée à Monastir, Thémistocle Germeli et Sali-Bontka [sic !] ne tarderaient pas à convertir leur inféodation aux Bulgares en ralliement pro-allié et en tout cas, il était assuré de séduire ces bons Albanais (…). »255

Que s’était-il passé plus exactement à Kortcha? Après l’arrivée des troupes françaises et l’arrestation des fonctionnaires grecs royalistes, l’administration du territoire a été remise aux Grecs vénizélistes, favorables à l’Entente. Pourtant, cette mesure a provoqué la réaction de la population albanaise qui exigeait la reconnaissance de ses droits : administration autonome autochtone hors Essad Pacha et l’usage de l’albanais. Devant les tergiversations du Lieutenant-colonel de Bournazel256 qui s’est dit incompétent pour prendre des décisions politiques, des combats de rue commencent à s’engager entre les troupes franco-vénizélistes et les forces du Thémistocle

252 Jacques Ancel, « Essad Pacha », Revue de Paris, op. cit., p. 664. 253 Général Descoins, « Six mois d’histoire de l’Albanie, op. cit., p.55.

254 Le commandant de l’Armée française d’Orient (19/10/1916 – 1/02/1917), puis du 2e groupe de divisions d’infanterie

de l’Armée d’Orient (16/01/1916 – 30/03/1917).

255 Jérôme Carcopino, p. 189-190.

256 Le père d’Henry, comte de Lespinasse de Bournazel, dit l’Homme rouge, célèbre militaire participant aux guerres

95 Germenji257. Dans ces conditions, le Général Sarrail décida d’intervenir et confia le commandement de la mission militaire de Kortcha au colonel François Descoins qui attendait à Salonique une nouvelle affectation après la dissolution du détachement de la Strouma258. La conversation entre Sarrail et son subordonné, qui a eu lieu à la suite de la désignation (le 15 novembre), fut brève :

« [Sarrail]. – Vous connaissez M. Argyropoulos ? [Descoins]. – Oui, mon Général.

[Sarrail]. – Vous savez où il est ?

[Descoins]. – Oui, mon Général, il est à Korytza. [Sarrail].– Il m’ennuie, vous allez l’expulser. [Descoins]. – ?...

[Sarrail].– Vous connaissez la question albanaise ? [Descoins].– Non, mon Général.

[Sarrail].– Ca ne fait rien. Allez, vous ferez documenter… »259 et les instructions aussi :

« Le Général ne veut à Kortcha ni Grecs d’aucune sorte, ni Italiens, ni Essadistes. »260

Le colonel Descoins présentait donc l’avantage de bien connaître Périclès A. Argyropoulos, ministre du gouvernement de la Défense nationale, et représentant de Venizélos à Kortcha.261 Sarrail misait sur la nature cordiale de leurs relations pour faire admettre plus facilement à ce dernier la décision de son rappel à Salonique262. Le 22 novembre, Argyropoulos remit les différents services de la région de Kortcha au colonel Descoins. Celui-ci fit savoir aux notables de Kortcha qu’il souhaitait parvenir à un accord avec les principaux chefs albanais.

« Le meilleur moyen d’action politique est d’amener la confiance dans la population en lui donnant l’impression de notre force et, partant, celle de notre volonté de rester à Korytza. Dans ce sens, l’arrivée de renforts produirait un effet puissant. En attendant, je cherche à contrebattre l’appréhension qu’ont pu produire la prise de Bucarest et les événements d’Athènes par l’annonce des

257 Cf. Général Descoins, op. cit., p. 8 ; Renaud Dorlhiac, op. cit., p. 13-14. Thémistocle Germenji (lire « Ghermeni »),

1871 – 1917. Homme politique, entrepreneur et écrivain albanais originaire de Kortcha. Après un séjour en Roumanie (1895 – 1902) il sera l’un des initiateurs de l’insurrection anti-ottomane (1911-1912). En janvier 1916 il participa à la création d’un gouvernement albanais à Ohrid sous l’égide de la Bulgarie « car les contacts étaient étroits entre les Albanais chrétiens de ces régions et les activistes chrétiens [bulgares n. n. ]de Macédoine ». Cf. Nathalie Clayer, Aux

origines du nationalisme albanais, op. cit., p. 666-667.

258 Général Descoins, op. cit., p. 6. 259 Ibidem.

260 Idem, p. 7.

261 Le colonel Descoins en avait fait la connaissance à Salonique, au lendemain des guerres balkaniques, lorsqu’il reçut,

dans le cadre de la Mission militaire française en Grèce, le commandement de la brigade de la cavalerie grecque de la ville dont Argyropoulos était le préfet, poste qu’il occupa jusqu’à sa mobilisation au mois d’août 1914. « M. Argyropoulos était alors Préfet de Salonique », Général Descoins, op.cit., p. 7.

262 Au sujet de la désignation du Colonel Descoins, Jérôme Carcopino écrit dans ses mémoires (op. cit., p. 189) : « (…)

le général Sarrail s’était préoccupé de choisir ceux qui, par leurs aptitudes et par leur carrière, lui semblaient répondre le mieux à ce qu’il attendait d’eux : personne ne fut surpris de la nomination du colonel Descoins auquel le commandant Massiet était adjoint ».

96 succès français continus autour de Verdun, en présentant les demandes de paix de l’Empereur et de ses alliés comme un indice de faiblesse. »263

Le 10 décembre 1916, eut lieu à Kortcha une réunion des représentants de la population qui, vu la situation de la région, séparée du reste de l’Albanie par le fait de la guerre, se proclama autonome. Un protocole fut signé entre les autorités françaises et les notables albanais pour organiser la collaboration entre les pouvoirs locaux et les occupants. Il s’agit du Protocole signé le 10 décembre 1916. Selon son premier article, la zone d’occupation française couvre le territoire du

kaza de Kortcha, « avec ses dépendances de Biklista, Kolonia, Opari et Gora.»264 L’administration était confiée à un Conseil composé de 14 membres, 7 musulmans et 7 chrétiens (article 2). Le texte du protocole révèle l’intention des autorités françaises de maintenir l’équilibre, malgré l’avantage numérique des musulmans (environ deux tiers de la population). Un officier était le délégué du commandant militaire auprès du Conseil. Ce fut le lieutenant de réserve Paul Pierre Bargeton265. Après son rappel au ministère des Affaires étrangères, vers le milieu du janvier 1917, il sera remplacé par le lieutenant Siegfried.266 L’autorité militaire pouvait seule nommer les fonctionnaires des services publics (article 3). Les forces de police et la gendarmerie mobile albanaise, chargées de maintenir l’ordre intérieur, étaient placées sous l’autorité du commandant militaire français (article 7). L’albanais était reconnu en tant que langue officielle (article 8). Enfin, le drapeau de Skanderbeg, cravaté aux couleurs de la France (article 9), entendait symboliser « un ombrage qui abrite mais n’écrase pas. »267

Véritable constitution, le Protocole confirme la naissance d’une Krahina Autonome (Région Autonome). Dès janvier 1917, cette appellation céda la place, dans les actes officiels, à celle de

Shqipëria Vetqeveritare (Albanie Autonome). Cette modification affirmait le caractère albanais du kaza de Kortcha et la volonté du régime instauré d’apparaître comme le continuateur de l’État albanais reconnu en 1913. L’administration de cette entité albanaise décida au mois de mars 1917 l’installation de bureaux de douanes à la frontière avec la Grèce268. La nomination de laïcs à la direction des monastères (avril 1917) et, ensuite, la gestion des affaires religieuses par une

Direction de l’Enseignement (juillet 1917), nous permet de les subordonner au modèle français dans

cette initiative.

L’action française se révéla comme un véritable coup de grâce donné aux propagandes antifrançaises. Les réactions n’ont pas tardé. Le 23 janvier 1917, les Austro-Hongrois proclament à

263 Idem, p. 28. 264 Idem, p. 25-26.

265 Il sera ambassadeur de France en Belgique de 1937 à 1940. 266 Idem, p. 36.

267 Ibidem, (Revue d’Histoire de la Guerre Mondiale, octobre 1929, p. 339). 268 Muin Çami, « Republika shqiptare e Korçes », Nëntori, 1977/4, p. 202.

97 Scutari l’autonomie albanaise, réussissant ainsi à récupérer le terrain mais sans susciter la même adhésion :

« L’Autriche (…) réussit néanmoins, par une organisation libérale, à s’assurer le concours politique et militaire des musulmans du centre. L’indépendance albanaise fut proclamée [et n’ont pas commis la maladresse de maintenir Guillaume de Wied à tout prix, n. n.]269, la langue albanaise considérée comme langue officielle, l’aigle bicéphale albanaise arborée à côté du drapeau autrichien, les pouvoirs indigènes maintenus, des fonctionnaires albanais établis comme préfets et pris indistinctement dans le Nord, le centre et le Sud, ce qui faisait une propagande pour les pays inoccupés (à Berat Haidar Bey Staria de Colonia, à Elbassan Abdul bey Jupi de Colonia, à Durazzo Bedjet Arslan des environs d’Argirokastro). Il n’y eut qu’un commissaire civil autrichien à Scutari270, puis à Tirana, qui conserva la haute main sur les préfets.

Pourtant l’appui prêté par Bethmann-Hollweg et le baron Schenk aux revendications de la Grèce sur la Haute Épire, la famine et toutes les difficultés de la vie engendrées par la guerre, enfin la politique française à Koritza, détachèrent de l’Autriche pas mal des partisans qui demandaient à la nation protectrice des bénéfices plus immédiats.»271

Côté italien, le 3 juin le Général Ferrero proclama à Gijrokastra l’indépendance de l’Albanie entière sous la protection de l’Italie272. Pourtant, après la publication par les Bolcheviks273 du traité secret de Londres conclu le 26 avril 1915 et sa diffusion en albanais auprès des populations locales par les Austro-Hongrois, des difficultés se sont fait sentir pour les autorités militaires italiennes.

269 Parallèlement à la proclamation de l’autonomie, les autorités austro-hongroises procédèrent à la réorganisation

moderne du pays, en le divisant en districts. Parmi les réalisations importantes de l’occupation on peut énumérer la construction de routes, l’établissement des postes et l’organisation des finances et le premier recensement moderne de la population. Réalisé sous la coordination de F. Steiner (mars 1918), il a été publié quelques années plus tard : « Ergebnisse des Volks Zählung in Albanien [Résultats du recensement de la population en Albanie]», Schriften der

Balkan Kommission [Publications de la Commission des Balkans], XIII Heft [cahier n° XIII], Akademie der

Wissenschaften, 1922.

270 Le 14 avril 1917, un Conseil administratif, dirigé par August Kral, ancien consul à Bitola (de 1897 à 1904), fut

constitué à Scutari. Cf. André Simonard, Essai.., op. cit., p. 312-314.

271 Jacques Ancel, « Essad Pacha », Revue de Paris, quatrième volume, Juillet-Août 1920, p. 663-664.

272 Le Messager d’Athènes du 11 juin 1917 (« L’Albanie autonome. Commentaires français ») synthétise ainsi les

articles parus dans la presse française concernant cet événement : « L’Excelsior s’exprime avec beaucoup de réserve en ce qui concerne le maintien après la guerre de l’état de choses établi en Albanie par l’Italie. M. [Auguste] Gauvain écrit dans le Journal des Débats : « L’érection de l’Albanie indépendante constitue un acte d’initiative toute italienne et doit être considérée comme une mesure, entièrement provisoire, imposée par des raisons de nature politique ». M. Gauvain examine la question de l’extension territoriale de l’Albanie indépendante. Il démontre l’impossibilité où se trouvent les États étrangers pour réaliser des promesses sur la libération des Albanais. Il demande quelle sera la situation d’Essad Pacha déjà reconnu par les Alliés qui sont représentés auprès de lui par des représentants diplomatiques. M. Gauvain termine en demandant des éclaircissements de la part des Italiens sur leur acte. Dans le Temps, M. Jean Herbette démontre que l’action italienne en Albanie se tourne en même temps contre l’Hellénisme et contre la Serbie. M. Herbette ajoute que la carte future des Balkans doit être tracée ainsi que la carte de toute l’Europe par le respect des obligations assumées et conformément à la volonté libre des peuples. Mais pour le présent, la question de l’écrasement du germanisme est celle qui domine. »

273 Par la publication des clauses du Traité de Londres par Léon Trotski dans les Izvestia du 23 novembre 1917, la

Russie soviétique a gagné une certaine sympathie chez les Albanais. Cf. Owen Pearson, Albania in the twentieth

century : a history, vol. 1…, op. cit., p. 110. Cf aussi Emile Laloy, Les documents secrets des archives du ministère des Affaires étrangères de Russie publiés par les Bolcheviks, Paris, Editions Bossard, 1919.

98 En ce qui concerne les relations entre les troupes françaises et les Albanais, les résultats obtenus par l’initiative de Descoins, n’ont pas été moins importants : la plus forte bande armée, celle de Thémistocle Germenji, se rallia aux Français et l’autre, commandée par Salih Butka274, déclara sa neutralité bienveillante275. Mais la stratégie de Sarrail qui laissa agir librement, dans un premier temps, son subordonné visait aussi la Grèce, puissance hésitante à rejoindre le camp des Alliés.

Malgré tous ces succès militaires et politiques incontestables, il y a eu aussi des difficultés pour la mission française. Occupant le kaza de Kortcha et laissant à Descoins les mains libres, le Général Sarrail avait invoqué des arguments d’ordre tactique et stratégique, les seuls qu’il connaissait, par sa formation militaire. En revanche, le commandant en chef de l’Armée d’Orient n’avait pas pris en considération les aspects diplomatiques de l’alliance avec l’Italie, puissance particulièrement sensible concernant le dossier albanais. Dès le 12 décembre 1916, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Paris, Salvago Raggi, l’Italie demanda des explications au Quai d’Orsay. L’échange des répliques entre les Affaires étrangères françaises et le Général Sarrail mettra en évidence les différences de vues et l’absence de coordination entre diplomates et militaires. Dans une lettre adressée au Ministre de la Guerre, le président du Conseil et ministre des Affaires étrangères Alexandre Ribot se montra très critique, soulignant seulement les questions d’ordre diplomatique :

« Le rôle de cet officier supérieur [Descoins] qui, sans que mon Département ait été appelé à se prononcer, a, sous prétexte de rétablir l’ordre, provoqué la création d’un régime politique local qui a suffi à nous attirer des réclamations à la fois des Grecs, des Italiens, des Serbes et du chef albanais [Essad Pacha], paraît éminemment regrettable. »276

A son tour le Général Sarrail, dans sa réplique en date du 21 mars 1917 n’invoqua que les questions d’ordre stratégique et militaire, défendant les initiatives prises par son subordonné :

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