Une intégration progressive dans les collections des bibliothèques scolaires

Les études menées sur les bibliothèques populaires démontrent une réticence à accepter le roman dans les collections. Les grands romanciers du siècle sont exclus dans un premier temps : Victor Hugo, Balzac, Zola, Georges Sand… Ce n’est que progressivement que certaines œuvres sont admises, mais ce sont rarement les plus connues. Pour Balzac, on accepte par exemple la Cousine Bette, tandis que le Lys dans la Vallée est refusé. Ce n’est qu’au début du XXème siècle que certaines

84 Annexe 14 : Compte rendu d’Angers - 2^ème circonscription, 1883

85 Annexe 13 : Compte rendu d’Angers – 1^ère circonscription, 1883

61 interdictions sont levées : en 1905, Jules Verne, Pierre Loti, Paul Bourget et d’autres sont officiellement acceptés par les commissaires⁸⁶. Qu’en est-il dans les collections angevines ?

Sur la période étudiée, de 1872 (en incluant les dons ministériels) à 1898, la proportion de la littérature progresse dans les bibliothèques scolaires, qu’elles soient à destination des lectrices comme des lecteurs. Les proportions apportées ici sont toutefois à nuancer : d’une part, cela ne décrit pas le mouvement d’une bibliothèque scolaire, mais bien de plusieurs, qui n’apparaissent parfois qu’une seule fois, à une seule date. Ensuite, si les graphiques rendent des résultats uniformisés en pourcentages, les sources comparées diffèrent par leurs tailles et leurs objectifs : particulièrement en ce qui concerne les filles, ce sont beaucoup de listes d’achat qui sont étudiées après 1880, et qui ne représentent pas toute la collection présente, mais bien ce que l’on souhaite y ajouter. Néanmoins, les achats semblent tout de même indiquer si le contenu de la bibliothèque change, ou bien si les différents genres et sujets y sont maintenus dans les mêmes proportionnalités.

86 R^ICHTER Noé, L^YONS Martin, « Les bibliothèques et leurs lecteurs », Le triomphe du livre, Paris, Editions du Cercle de la libraire, 1987, p. 169-192

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1881 achats 1888 achats 1891 achats 1896 achats 1898 achats

Histoire Littérature Sciences Agriculture Géographie Economie Illustration 10 : progression de la littérature dans les bibliothèques scolaires féminines

62 En 1872, les bibliothèques scolaires de filles du Boulevard Laval et des Cordeliers reçoivent un don ministériel identique à celui des garçons. On y trouve donc une proposition relativement variée, avec une offre majoritaire d’Histoire (32 ouvrages sur 88), qui représente environ 35% de la collection. La Science représente 25% de la collection (22 ouvrages sur 88), suivie de près par la Littérature équivalente à 20 % (18 ouvrages sur 88). La Géographie, l’Economie et l’Agriculture sont des disciplines secondaires, à peu près égalitaires (respectivement 7 % , 5% et 7%). En 1878, dans l’école de la rue de Bouillou, la part instructive de la Science est amoindrie (4 ouvrages sur 43, soit 9 %), au profit de la Géographie (idem), qui – selon les comptes rendus étudiés – est un genre davantage apprécié de tous les lecteurs. La Littérature progresse également derrière l’Histoire, représentant 28% de la collection (12 ouvrages sur 43). En 1880, dans la bibliothèque scolaire de l’école de filles de Soulanger, la Littérature devient majoritaire, représentant 51 % des collections (27 livres sur 43). Une inversion est faite entre la proportion d’Histoire et de Littérature comparée à l’année précédente. C’est véritablement en 1881 que la place de la Littérature dans les collections devient énorme, toujours dans la bibliothèque de la rue de Bouillou. La Littérature est sûrement surreprésentée, puisque cette année-là correspond à l’acquisition d’ouvrages, et ne prend pas en compte les livres qui sont déjà dans la bibliothèque. Néanmoins, le fait d’acheter 77% d’ouvrages littéraires indique une forte volonté d’intégrer la littérature, et en particulier le roman dans les collections. Il en est de même pour la suite de la période, où presque l’intégralité des acquisitions est littéraire. Seules l’Histoire et la Géographie sont encore un peu achetées, reflétant les emprunts indiqués par les comptes rendus.

63 La progression de la Littérature dans les bibliothèques scolaires des écoles de garçons – bien que moins franche – suit la même temporalité que celle des bibliothèques scolaires des écoles de filles. La progression est plus lente, mais la Littérature occupe déjà une place importante – plus importante que pour les lectrices – avant cette date. L’offre est plus diversifiée, proposant toujours six disciplines différentes. L’Agriculture tient une place de choix en début de période, représentant tout de même 23% des collections. C’est donc la série la plus présente dans la bibliothèque scolaire de Baugé cette année-là. Elle semble disparaître en 1881, alors que ce sont des listes d’achats qui sont représentées. Si la Littérature progresse indéniablement, atteignant les 81 % des achats en 1898 (9 ouvrages sur 11), elle n’efface pas complètement la présence de l’Histoire. Les trois dernières années représentant des listes d’achats, la présence de la Littérature dans les collections des bibliothèques scolaires à destination des lecteurs reste à nuancer : il n’est pas évident qu’elle en vienne à dépasser l’Histoire, qui est très présente dans les premiers catalogues et qui persiste dans les acquisitions.

Il n’est pas étonnant que la Littérature devienne la principale composante des collections pour les lectrices, connaissant les buts moralisateurs des bibliothèques scolaires envers elles, et la conception du roman comme lecture féminine. C’est cette même conception qui peut expliquer la progression plus nuancée de la littérature dans les collections à destination des lecteurs. Ils ont accès plus longtemps que les filles à une offre diversifiée, davantage instructive : traités d’économie,

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1874 catalogue 1878 achats 1880 catalogue 1881 achats 1891 achats 1898 achats

Histoire Littérature Sciences Agriculture Géographie économie

Illustration 11 : progression de la littérature dans les bibliothèques scolaires masculines

64 d’agriculture, ouvrages scientifiques… Pourtant, au cours de la période, la bibliothèque scolaire semble nuancer son rôle instructif envers les lecteurs, et laisser place à des ouvrages fictionnels.

Cette ouverture est-elle synonyme de détente ? Les contenus littéraires - de plus en plus introduits dans les bibliothèques scolaires – évoluent-ils au cours de la période ? Sont-ils synonymes d’une lecture partagée entre lecteurs et lectrices ?