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PARTIE I : LES LECTRICES ONT-ELLES ACCES AU MEME SAVOIR QUE LES LECTEURS ?

3.3. Des autrices réservées aux lectrices

La plupart des auteurs sont des hommes, ce qui s’explique bien sûr par la difficulté d’écrire pour une femme à cette période : seules les plus aisées ont accès à une éducation, une indépendance et une reconnaissance suffisantes pour pouvoir écrire. Virginia Woolf l’explique dans Une chambre à soi, au début du XXème siècle : « Il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction37. » Néanmoins, il est intéressant de constater qu’environ 1/4 des ouvrages – soit 51 livres sur 197, deux auteurs étant inconnus - proposés dans les bibliothèques scolaires féminines sont écrits par des femmes, quand ils ne représentent que 7 % des ouvrages masculins (25 livres sur 336, 15 auteurs étant inconnus).

Ce fait est encore synonyme d’une distinction entre lecteurs et lectrices. En effet, les ouvrages écrits par les femmes sont essentiellement des livres pour enfants : 49% des livres écrits par des femmes dans nos collections sont classés dans les ouvrages pour enfants dans le catalogue du ministère de l’instruction publique38. 32 % sont classés dans les romans. 81% des livres écrits par des femmes sont donc des ouvrages littéraires. En effet, une certaine condescendance semble peser sur la femme écrivain qui n’est pas jugée capable d’écrire autre chose que des histoires pour enfants - sachant qu’à cette époque, la littérature jeunesse n’est pas considérée comme de la littérature.

Dans Les 365 : l’annuaire de la littérature et des auteurs contemporains, datant de 1858, Emile Chevalet parle ainsi de Mme Berton : « si tous les auteurs mâles ne donnaient que des chefs-d'œuvre, Mme Berton devrait cesser d'écrire, mais Mme Berton fait des livres meilleurs que beaucoup de ceux du sexe-fort, et, par conséquent, elle fait bien de composer des romans. Encore a-t-elle la modestie de n'être pas très prolifique sous ce rapport, ce dont il faut lui tenir grand compte39. » Les romans de Mme Berton sont donc tolérés, tant qu’ils ne sont pas en trop grands nombres et du fait qu’ils ne soient pas pires que certains écrits masculins. Ce commentaire démontre le fonctionnement du milieu littéraire, qui donne son assentiment aux écrits féminins.

L’expression « sexe-fort » n’est pas anodine, et signale la domination des auteurs masculins dans le milieu littéraire. L’ironie – si toutefois s’en est - perceptible en cette fin de phrase pour défendre

37 WOOLF Virginia, Une chambre à soi, Paris, Denoël-Gonthier, 1978, p.6

38 MINISTERE DE LINSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARTS, Catalogue d’ouvrages de lecture…, op. cit., 1884, pp. 34-40

39 CHEVALET Emile, « 31 mai », Les 365 : l’annuaire de la littérature et des auteurs contemporains, Collection XIX, 2016

37 Mme Berton témoigne du rapport de force qui se joue : elle dénonce l’inquiétude des auteurs masculins, pour qui il est important qu’une femme écrive moins qu’un homme, qu’elle n’atteigne pas le chef-d’œuvre, mais compose des ouvrages agréables pour son loisir. Auteur et autrice ne jouent pas dans la même catégorie. Le premier est un intellectuel ou un artiste ; la seconde est une charmante conteuse d’histoires.

Le fait de trouver plus d’ouvrages écrits par des femmes dans les bibliothèques scolaires féminines traduit tout d’abord le manque de reconnaissance de la femme écrivain, qui est très peu acceptée comme préceptrice pour les lecteurs : tout au plus peut-elle s’adresser aux jeunes garçons.

Davantage figures maternelles que littéraires, les femmes écrivains ont donc le droit de s’adresser aux enfants et aux femmes. La présence d’autrices féminines s’adressant à des lectrices conforte par ailleurs la représentation d’une spécificité féminine : qui de mieux qu’une femme pour s’adresser à une autre ? En outre, l’idée que les femmes écrivent des ouvrages plus simples d’esprit et que les lectrices ont besoin d’ouvrages faciles à lire peuvent expliquer cette offre dans les bibliothèques scolaires.

Ainsi, si le nombre de pages des ouvrages est quasiment le même dans les collections féminines et masculines, la comparaison des formats et des auteurs laissent penser qu’une offre simplifiée est proposée aux lectrices : les ouvrages sont plus grands, plus lisibles. Les ouvrages écrits par les femmes sont pour la plupart du temps des romans pour enfants, et sont davantage présents dans les collections féminines. La lectrice est donc infantilisée. Il faut la captiver par des images et l’éduquer par de jolis récits : Tombée du nid40, La famille Harel41, etc… Cette infantilisation se perçoit également en observant plus particulièrement le rôle du roman dans les collections féminines.

Partie II : Le roman, une lecture féminine ?

Dans les représentations du XIXème, le roman est défini comme genre de prédilection de la lectrice : divertissant, fictionnel, il semble approprié à ces êtres d’imagination prompts à l’émotion que sont les femmes42. Par ailleurs, une lectrice ayant des facultés plus limitées qu’un lecteur – selon ces mêmes représentations - ne pourrait prétendre à des lectures trop difficiles : le roman et sa

40 FLEURIOT Zénaïde, tombée du nid, Paris Hachette, 1898

41 GOURAUD Julie, La famille Harel, Paris, Hachette, 1878

42 CAVALLO, Guglielmo, CHARTIER, Roger, Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Editions du Seuil, chapitre 12, p. 372

38 légèreté lui semblent donc tout indiqués43. Mais légèreté et divertissement sont deux qualités dont se méfient les bibliothèques scolaires, à la recherche du « bon livre » instructif et moral. Quelle part accordent-elles donc au roman, en particulier dans les bibliothèques scolaires pour filles ? Dépendent-elles des représentations de la lectrice ? En admettant qu’elles offrent des romans aux lectrices, en proposent-elles aux lecteurs ?

Une prédominance de romans pour les filles

Les représentations de la lectrice semblent bien influencer l’offre des bibliothèques scolaires qui – malgré leur mission instructive – n’hésitent pas à développer une vaste collection d’ouvrages littéraires pour leurs usagères. L’analyse des catalogues montre en effet une forte prédominance du roman dans les collections des bibliothèques scolaires dédiées aux lectrices.

1.1. Proportions à l’échelle globale

Le graphique suivant reprend les différentes catégories du classement utilisé par les bibliothèques scolaires. Toutefois, par mesure de clarté, il indique les disciplines correspondantes (Histoire, Littérature…) plutôt que les lettres attribuées par ce classement (série B : Histoire, Série D : Littérature…). Entre parenthèses, sont indiquées des sous-catégories : théâtre, roman, jeunesse… A noter que dans le classement initial, la littérature jeunesse - appelée ici LITTERATURE (enfants) - représente une catégorie à part entière : la série E. Néanmoins, pour mieux appréhender la présence globale de la littérature et du roman, il semblait plus judicieux de la considérer comme une sous-partie de la littérature.

43 Ibid, chapitre 12, p.372

39 Ces proportions ont été observées en assemblant tous les titres des différentes bibliothèques scolaires étudiées qui concernaient les lectrices. Il s’agit donc de l’offre globale et théorique des bibliothèques et non de celle mise réellement à disposition par l’une ou l’autre. Par ailleurs, afin de mieux faire ressortir les différences avec les collections féminines, les dons ministériels accordés aux écoles mutuelles des Cordeliers et du Boulevard Laval en 1872 n’ont pas été pris en compte. Sur 191 titres (5 n’ont pas été classés, par manque d’informations), 84 sont des romans, représentant donc 44 % de la collection. En ajoutant les 30 ouvrages pour enfants (en acceptant d’inclure quelques contes et nouvelles avec les romans) cela fait un total de 114 sur 191, soit 60 % de la collection. La fiction romanesque a donc une place de choix dans les bibliothèques à destination des lectrices populaires. Plus globalement, la littérature représente plus de la moitié de la collection, avec 3 % d’ouvrages divers : théâtre, littérature ancienne et littérature du XVIIIème siècle.

Illustration 6 : Proportion détaillée des genres proposés dans les bibliothèques scolaires à destination des lectrices

romans

enfants

40 La part de romans dans les collections à destination des lecteurs est moins importante : sur 342 livres (7 n’ont pas été classés, par manque d’informations), 80 sont des romans, soit 23 % des collections. En y ajoutant les 24 ouvrages pour enfants, on atteint les 30 %. Malgré cette moindre proportion par rapport aux collections féminines, la part plus globale de littérature reste élevée : 122 ouvrages sur 342 sont littéraires, soit environ 36 % de la collection. L’offre littéraire est néanmoins plus variée que celles des lectrices, avec 5 % d’ouvrages littéraires divers. Les lecteurs disposent ainsi d’un ouvrage de poésie : Pernette de Victor Laprade ; d’un ouvrage d’Histoire littéraire critique : La littérature française de Ferdinand Nathanaël Staaf ; et d’une œuvre étrangère : Mes prisons, de Silvio Pellico. Bien que ne représentant que 3 livres sur l’ensemble de la collection, cette diversité peut être interprétée : elle démontre la volonté de développer une culture littéraire chez le lecteur, davantage peut-être que chez la lectrice. Le livre d’Histoire littéraire est le plus significatif, ayant une visée instructive. Pour les garçons, ce n’est donc pas seulement la moralisation qui est recherchée par la littérature, mais aussi une culture lettrée. Cette situation se comprend d’autant mieux qu’à partir de 188244, les programmes scolaires sont repensés pour

44 FERRY Jules, GREVY Jules, Loi sur l’enseignement primaire obligatoire du 28 mars 1882

Illustration 7 : Proportion détaillée des genres proposés dans les bibliothèques scolaires à destination des lecteurs enfants

41 intégrer la culture générale dans l’instruction donnée aux élèves : longtemps réservée aux élites, elle devient un patrimoine national commun à maîtriser par chaque citoyen de la République.

1.2. Un genre adapté à la nature de la lectrice

Le roman est donc un genre davantage proposé aux filles qu’aux garçons dans les bibliothèques scolaires. Genre plus divertissant, moins dense qu’un traité d’Histoire ou qu’un essai, il est plus facile à lire. Les femmes, étant perçues comme de piètres lectrices45, la forte présence de romans peut s’expliquer par la volonté de leur procurer des lectures à leur niveau. Par ailleurs, le roman est un genre reconnu tardivement académiquement : il n’est enseigné ni au collège, ni au lycée ; aucun des grands romanciers du XIXème siècle n’ont été admis – hormis Victor Hugo à force d’insistance. Tous deux victime d’une certaine condescendance, le roman et la lectrice semblaient faits l’un pour l’autre. La bibliothèque scolaire entérine donc cette image de la lectrice limitée en faisant du roman le genre le plus représenté des collections prêtées aux femmes.

Par ailleurs, il a été démontré que la moralisation demeure l’objectif principal des bibliothèques scolaires envers les lectrices. Or, le roman, en créant des héros, des personnages fictionnels, permet la diffusion d’un modèle à imiter. C’est bien là tout ce qui fait à la fois son intérêt et sa dangerosité pour la bibliothèque populaire : le processus d’identification, et le désir d’imitation. L’enjeu réside alors dans la diffusion du bon roman, du bon modèle, pour permettre la bonne imitation. Au XIXème siècle, avec l’alphabétisation généralisée, la lecture devient solitaire et l’on craint les mauvaises inspirations. Mme Bovary, pour ne citer que l’exemple le plus fameux, incarne à elle seule tous les torts de la lectrice46 : trop sensible, elle interprète mal ses lectures qu’elle lit à la dérobée, au détriment de son devoir religieux, et souhaite appliquer le mode de vie des personnages romanesques. Elle bascule alors dans la coquetterie, l’adultère, l’endettement et le suicide, comportements fortement dénoncés par la religion et la morale de l’époque. Le roman apparaît ici comme une arme redoutable, capable de corrompre les lectrices, ce que résume Brissot, lorsqu’il critique les cabinets de lecture, en 1843 : « Vous avez, pour affriander vos lectrices, de séduisants aperçus de sentiments, de délicieux entortillages de phrases, de chastes dévergondages

45 Ibid. chapitre 12, p.372

46 ARAGON, Sandrine, « Fallait-il laisser les femmes lire ? Représentations de lectrices dans la littérature française du XVIIème au XIXème siècle », Femmes et livres, BAJOMEE Danielle (Dir.), DOR Juliette (Dir), HENNEAU Marie-Elisabeth (Dir.),Paris, L’Harmattan, 2007, partie 2, pp.122-123

42 de pensée, suivis de tourbillons entraînants de la passion, de délires frénétiques et de tirades incendiaires47. ». Un genre envoûtant, qu’il faut maîtriser ! C’est en prévision d’une lectrice sensible, prête à reproduire ce qu’elle lit, que les bibliothèques scolaires vont diffuser des romans à la morale irréprochable.

Le roman semble donc correspondre à la « nature » que l’on se fait de la femme au XIXème siècle : irrationnel, émouvant, il est l’un des rares genres à pouvoir traiter de la vie quotidienne.

C’est un genre qui peut donc concerner la lectrice et – s’il est bien surveillé - permettre de lui inculquer le modèle de la femme idéale.

1.3. Un genre qui se retrouve aussi dans les collections à destination des lecteurs

Bien que moins présent dans les collections à destination des garçons, le roman représente tout de même presque 1/3 de la collection globale en comptant les ouvrages pour les enfants. La mission moralisatrice des bibliothèques scolaires concernant aussi les lecteurs, et notamment les jeunes garçons, il paraît logique d’y trouver le même moyen utilisé que pour les lectrices.

Néanmoins, les garçons étant amenés à jouer un rôle dans la société publique, le roman n’est pas le seul moyen de les former à leur futur rôle : certains récits historiques ou récits de voyage le permettent également. Quoi de mieux que de vrais modèles – politiques, scientifiques, explorateurs… - pour convaincre de les imiter ? On leur offre donc comme modèles les grands hommes de l’Histoire : Christophe Colomb, Saint Louis, Napoléon, Lazare Hoche… Le roman vient ainsi en complément, et n’a pas besoin d’être aussi présent pour les lecteurs que pour les lectrices.

Le roman est aussi synonyme de divertissement, et si la légèreté est de mise pour un lectorat féminin, le sérieux et l’instruction priment pour le lecteur. C’est du moins une représentation qui pourrait également expliquer la présence plus limitée des romans dans les collections à destination des hommes et des garçons.

47 CAVALLO, Guglielmo, CHARTIER, Roger, Histoire de la lecture dans le monde occidental, op. cit., chapitre 12, p.373

43 Une première distinction s’opère donc quant à la quantité de romans accessible, selon que l’on soit dans une école pour filles ou dans une école pour garçons. Néanmoins, le roman trouve une place non négligeable dans l’armoire à livres proposée aux lecteurs. Dès lors, se pose la question du contenu : les romans proposés offrent-ils les mêmes intrigues, les mêmes thèmes, les mêmes héros aux lecteurs et aux lectrices ? Ont-ils les mêmes visées ?

1.4. Une remise en cause des objectifs instructifs et moralisateurs de la bibliothèque scolaire ?

En faisant entrer la littérature – et en particulier le roman – dans leurs collections, les bibliothèques scolaires acceptent donc une part de divertissement. Cette nouvelle offre nuance plus ou moins la mission moralisatrice et instructive des bibliothèques scolaires, selon qu’elles s’adressent aux lecteurs ou aux lectrices.

Les graphiques présentés ont été réalisés en observant les ouvrages jugés divertissants, instructifs, moralisateurs, à la fois divertissants et instructifs, moralisateurs et instructifs, et enfin, divertissants et instructifs. Il est donc possible que les résultats dépassent les 100%, certains ouvrages apparaissant dans deux catégories.

Illustration 8 : Evolution des taux moralisation, d’instruction et de divertissement sur la période, dans les bibliothèques scolaires masculines

1874 catalogue 1878 achats 1880 catalogue 1881 achats 1891 achats 1898 achats

moralisation instruction divertissement

44 En ce qui concerne les lecteurs, les collections restent relativement équilibrées entre la part de divertissement, de moralisation et d’instruction. L’instruction connaît néanmoins un déclin certain à partir de 1881 – date du pic littéraire - mais ne disparaît pas complètement : il passe de 58% des collections en 1881, à environ 10% en 1898. La mission moralisatrice est conciliée avec le divertissement, la littérature permettant d’offrir à la fois morale et divertissement : si un pic de divertissement intervient en 1881, la moralisation reprend le dessus en 1891 et demeure l’objectif principal de la collection, comme au début de la période. Néanmoins, les proportions sont plus élevées, avec 99% de moralisation et 50 % de divertissement, ce qui signifie que les deux genres s’invitent dans de nombreux ouvrages : alors qu’en 1872, un livre était davantage tranché entre moralisation, divertissement et instruction, un plus grand mélange des genres s’effectue à partir de 1881. La volonté d’attirer le lectorat, de vulgariser des connaissances, et d’écrire à l’adresse des enfants peut expliquer le fait d’introduire du divertissement, pour mieux faire passer la leçon. Pour les lecteurs masculins, le divertissement peut s’avérer être un bon moyen de transmission. En ce qui concerne les bibliothèques scolaires masculines, l’introduction de la littérature engendre donc une hausse du divertissement, ainsi qu’une hausse de la moralisation. L’instruction est remise en cause et si elle est mêlée aux ouvrages divertissants et moraux dans un premier temps, elle s’éclipse en fin de période. Illustration 9 : Evolution des taux moralisation, d’instruction et de divertissement sur la période, dans les

bibliothèques scolaires féminines

45 La remise en cause est beaucoup plus perceptible du côté des lectrices. Si les collections sont assez équilibrées en début de période, dès le pic littéraire de 1881 l’ambition d’instruction disparaît, passant de 35% des collections en 1872 à 0 % des acquisitions en 1888. La visée instructive réapparaît quelque peu en 1896, avec 11% des ouvrages concernés, mais disparaît de nouveau deux ans plus tard. De 1881 à 1891, les taux très élevés de la moralisation et du divertissement sous-entendent une forte présence des deux visées dans les ouvrages, avec un pic de 80% des ouvrages concernés par l’un, l’autre ou les deux entre 1888 et 1891. En 1891, le divertissement devient la première visée de l’offre proposée, et supplante complètement l’objectif moralisateur en 1896. Si un rééquilibrage entre moralisation et divertissement se dessine en 1898, il semble que l’introduction de la littérature soit motivée par une modification des objectifs recherchés par les bibliothèques scolaires envers les lectrices.

Cette étude confirme donc qu’à partir de 1881, une distinction s’opère entre bibliothèques scolaire pour lectrices, et bibliothèques scolaires pour lecteurs. En effet, dès lors que la littérature est tolérée dans les collections, les bibliothèques scolaires pour filles délaissent leur rôle instructif et amoindrissent un peu la part d’ouvrages moralisateurs. Cette légèreté relativement accordée aux lectrices, n’est pas aussi présente dans les bibliothèques scolaires des écoles de garçons : la moralisation devient la plus forte, et l’instruction met plus de temps à s’effacer. Les bibliothèques scolaires à destination des lecteurs sont donc plus sérieuses, dégageant encore une fois l’idée que l’éducation des garçons est primordiale et ne doit pas être prise à la légère.

Dire qu’intégrer de la littérature annule complètement le rôle initial moralisateur et instructif des bibliothèques scolaires qui concernent les lectrices serait toutefois un abus. Le divertissement trouve certes une place qu’il n’avait pas, mais devient aussi un outil pour transmettre plus facilement les connaissances et les leçons morales. « Castigat ridendo mores », Molière le disait déjà au XVIIème siècle.

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Comparaison des romans proposés aux lectrices avec les romans proposés aux lecteurs

Le roman – élargi à la nouvelle ou au conte - que ce soit pour les lectrices ou les lecteurs, est donc notamment un moyen de véhiculer une morale à travers une intrigue plus ou moins divertissante, dans un cadre informel. Lu dans les bras de la mère, au coin du feu, en famille ou en solitaire, il est associé à une lecture-loisir, propice à la moralisation. Les auteurs de l’époque, s’investissant de cette mission moralisatrice, proposent eux-mêmes des récits adaptés pour rendre agréable la leçon. Ainsi, Emile Souvestre écrit-il de courtes histoires destinées à une lecture en famille. Dans la préface de son ouvrage Sous la tonnelle, il explique lui-même l’intérêt d’une lecture agréable, au cours d’une soirée d’été, favorable à l’imprégnation de la morale : « on trouve au fond de soi-même cette disposition attendrie dans laquelle jette l’heure des adieux, et l’âme, vaguement

Le roman – élargi à la nouvelle ou au conte - que ce soit pour les lectrices ou les lecteurs, est donc notamment un moyen de véhiculer une morale à travers une intrigue plus ou moins divertissante, dans un cadre informel. Lu dans les bras de la mère, au coin du feu, en famille ou en solitaire, il est associé à une lecture-loisir, propice à la moralisation. Les auteurs de l’époque, s’investissant de cette mission moralisatrice, proposent eux-mêmes des récits adaptés pour rendre agréable la leçon. Ainsi, Emile Souvestre écrit-il de courtes histoires destinées à une lecture en famille. Dans la préface de son ouvrage Sous la tonnelle, il explique lui-même l’intérêt d’une lecture agréable, au cours d’une soirée d’été, favorable à l’imprégnation de la morale : « on trouve au fond de soi-même cette disposition attendrie dans laquelle jette l’heure des adieux, et l’âme, vaguement