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L'offre des lectures pour les lectrices des bibliothèques populaires : 1870-1900

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Texte intégral

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L’offre de lecture

pour les lectrices des

bibliothèques populaires

1870-1900

LETEURTRE Chloé

2019

Master 1 Sciences de l’information et des bibliothèques

Sous la direction de Mme SARRAZIN Véronique

Membres du jury SARRAZIN/Véronique | Maître de conférence NEVEU/Valérie | Maître de conférence

Soutenu publiquement le : 17 juin 2019

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RE MERCIE ME NTS

Un grand merci à Mme Sarrazin pour ses conseils, sa disponibilité, ses relectures et son écoute.

Ressortir de son bureau, c’était toujours être sûre de repartir avec les idées claires et de nombreuses pistes à creuser. Un accompagnement vraiment rassurant pour une toute première expérience de recherche !

Merci à ma famille pour les relectures de dernières minutes et les pains au chocolat.

Merci à Hugo pour ses conseils précieux sur les statistiques et pour son soutien.

Enfin, merci aux amies du M1 pour les conseils, les rigolades et les échanges sur nos travaux.

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Table des matières

INTRODUCTION ... 1

ETAT DE L’ART ... 6

L’Histoire des bibliothèques populaires ... 6

L’Histoire des femmes ... 7

QUESTIONNEMENT ET ORGANISATION DE LA REFLEXION ... 12

SOURCES ... 13

Liste des sources utilisées ... 13

Notes sur les sources ... 14

PARTIE I : LES LECTRICES ONT-ELLES ACCES AU MEME SAVOIR QUE LES LECTEURS ? ... 17

La composition des collections ... 18

1.1. Une collection encyclopédique ? ... 18

1.2. Une seconde classification, selon la visée de l’ouvrage ... 22

1.3. Des ouvrages moralisateurs avant tout... 24

Investissement dans les collections ... 26

2.1. L’investissement financier ... 26

2.2. Le développement des bibliothèques scolaires ... 30

Une lecture simplifiée ? ... 32

3.1. Nombre de pages ... 32

3.2. Formats……….34

3.3. Des autrices réservées aux lectrices ... 36

PARTIE II : LE ROMAN, UNE LECTURE FEMININE ? ... 37

Prédominance des romans pour les filles par rapport aux garçons ... 38

1.1. Proportions à l’échelle globale ... 38

1.2. Un genre adapté à la nature de la lectrice ... 41

1.3. Un genre qui se retrouve aussi dans les collections à destination des lecteurs ... 42

1.4. Une remise en cause des objectifs instructifs et moralisateurs de la bibliothèque scolaire ? 43 Comparaison des romans proposés aux lectrices avec les romans proposés aux lecteurs .... 46

2.1. Le roman de mœurs dédié à la lectrice ... 47

2.2. Des récits de propagande inculqués au lecteur ... 51

2.3. Des romanciers différents ? ... 55

Le roman, un genre en développement aussi bien pour les lectrices que pour les lecteurs .. 59

3.1. Un genre apprécié des lecteurs populaires ... 59

3.2. Une intégration progressive dans les collections des bibliothèques scolaires ... 60

3.3. Une progression du divertissement liée à la progression de la littérature ... 64

PARTIE III : UNE CULTURE POPULAIRE COMMUNE ... 67

Des collections identiques ... 67

1.1. Dons ministériels et écoles mutuelles ... 68

1.2. Ecoles mixtes ... 71

Des valeurs similaires ... 72

2.1. Le travail……… 72

2.2. La mesure ... 76

(8)

CONCLUSION... 79

BIBLIOGRAPHIE ... 82

Les bibliothèques populaires ... 82

1.1. Généralités ... 82

1.2. Ouvrages spécifiques ... 82

1.3. Articles………..82

1.4. Thèses et mémoires ... 83

L’Histoire des femmes ... 83

2.1. Généralités ... 83

2.2. Ouvrages spécifiques ... 83

2.3. Articles………..84

2.4. Thèses et mémoires ... 84

L’Histoire de la lecture ... 84

3.1. Généralités ... 84

3.2. Ouvrages spécifiques ... 84

3.3. Articles………..85

3.4. Thèses et mémoires ... 85

Histoire du XIXème ... 85

4.1. Ouvrages spécifiques ... 85

4.2. Articles………..85

Ouvrages de l’époque ... 86

5.1. Textes officiels ... 86

5.2. Romans ………86

5.3. Autres……….88

TABLE DES ILLUSTRATIONS ... 90

TABLE DES TABLEAUX ... 92

ANNEXES... 94

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1

Introduction

Dans son premier mémoire, Nature et objet de l’instruction publique, Condorcet écrivait déjà, en 1791 : « L’instruction publique est un devoir de la société à l’égard des citoyens […]. Que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même et sans se soumettre aveuglément à la vision d’autrui, ceux [les droits] dont la loi lui a garanti la jouissance. » A l’issue de la Révolution, le peuple étant désormais considéré comme acteur de la nation, doit avoir accès au savoir, aux livres et à l’information afin de pouvoir se faire juge des affaires publiques. Malgré un retour ponctuel de régimes apparentés à la Monarchie, cette conception révolutionnaire influence le XIXème siècle : le développement de l’instruction populaire va bien évidemment passer par l’évolution de l’école primaire et secondaire ; mais dans un contexte d’alphabétisation, elle passe aussi par la diffusion et la mise à disposition d’ouvrages à des populations parfois éloignées, qui n’ont pas les moyens ni la pensée de s’acheter des livres dans une librairie. Un premier argument philanthropique anime donc les bibliothèques populaires.

Si les premières apparaissent dès les années 1820, c’est pourtant avec un objectif différent – pour ne pas dire contradictoire - né lui aussi de la Révolution : celui de canaliser le peuple. Cette foule qui se révolte en 1789, puis en 1848. Cette foule qui crie, qui réclame son émancipation, qui accède de plus en plus aux lectures engagées, transgressives. Contrôler la lecture populaire, mesurer les ardeurs, telle est donc la motivation des premières bibliothèques populaires. Elle perdure dans le temps, et ce en vis-à-vis d’une volonté plus tardive de diffuser le livre à tous.

L’histoire des bibliothèques populaires commence dans les années 1820, avec l’initiative de l’Eglise. La plus connue est celle du presbytère de Waldersbach, tenue par les pasteurs Stuber et Oberlin1. Ces bibliothèques paroissiales proposent surtout des collections liées à la morale chrétienne et à la théologie (livres de prières, Bibles…). Ensuite, vers 1850, des bibliothèques privées – créées par le patronat - sont ouvertes pour les ouvriers, suite aux revendications de 1848. Mais c’est véritablement à partir de 1860 que les bibliothèques populaires connaissent leur essor. Deux acteurs importants contribuent grandement à leurs créations : les associations promotrices de la lecture - telles que la Société Franklin - et l’Etat. Ce dernier souhaite en effet créer des bibliothèques

1 RICHTER Noé, Les bibliothèques populaires, Paris, Cercle de la librairie, 1978, pp.36-37

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2 communales accessibles au peuple. Elles peuvent disposer d’un local propre (de taille modeste), ou bien être installées dans des lieux publics : mairies, postes, mais surtout écoles. En effet, en 1862, le ministre de l’instruction publique, Gustave Rouland, publie un arrêté visant à l’installation d’armoires à livres2 dans les écoles primaires. Ces bibliothèques scolaires doivent permettre : « 1°/

le prêt gratuit ou le louage de livres de classe aux enfants qui suivent les écoles primaires publiques.

2°/ le prêt gratuit aux familles des ouvrages qui seront admis dans lesdites bibliothèques3. ». En développant les bibliothèques scolaires, l’objectif est donc de rendre le livre accessible à toute la population, urbaine ou rurale, dans chaque ville ou village. Le réseau de bibliothèques s’intensifie durant la fin du siècle : on passe de 14 395 bibliothèques en 1869, avec un total de prêts d’environ 1.2 millions de volumes, à 36 326 bibliothèques en 1888, avec un total de prêts d’environ 5.5 millions de volumes4. Le nombre de structures et de prêts ont donc plus que doublé au cours de la période étudiée.

Sous couvert de diffuser le livre auprès des masses populaires, la bibliothèque populaire n’en est pas moins un moyen de contrôler les lectures et de diffuser un certain modèle de pensée. Elle est tout d’abord utile à l’Eglise, qui est la première à développer des bibliothèques paroissiales.

L’objectif est alors de diffuser les textes religieux, les valeurs chrétiennes, dans une société où la christianisation a été remise en cause par la Révolution. L’essor de la bibliothèque populaire s’explique ensuite par la volonté de l’Etat d’éduquer le peuple : il ne s’agit pas moins de former l’esprit, que de diffuser des valeurs citoyennes favorables à la patrie. Cette mission moralisatrice est par ailleurs très clairement exprimée par le ministère de l’instruction publique : on ne trouve, dans une bibliothèque populaire, « ni livre de combat, ni livre de haine, mais tout ce qui peut faire aimer davantage la patrie, le devoir, la justice, la concorde, le progrès sans secousse et la liberté sans excès5. » Les valeurs diffusées diffèrent par ailleurs selon que le régime en place soit un Empire ou une République : le registre épique, la valorisation de grands hommes sied davantage au premier,

2 Annexe 1 : exemple d’armoire à livre

3 HACHETTE Louis, Les bibliothèques scolaires prescrites par arrêté de son Exc. Le Ministre de l’Instruction Publique en date du 1er juin 1862, Paris, Imprimerie de Ch. Lahure et Cie, octobre 1862, p. 5-6

4 PELLISSON Maurice, Les bibliothèques populaires à l’étranger et en France, Paris, imprimerie nationale, 1906, p.194

5 MINISTERE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE, Bibliothèques populaires des écoles publiques (anciennes bibliothèques scolaires). Catalogue d’ouvrages de lecture, 1er fascicule, Paris, imp. nationale, 1884, avis préliminaires aux communes et aux instituteurs, p. VII

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3 quand la deuxième développe l’idée de nation et de dévouement à la patrie. Loin de promouvoir une offre seulement divertissante, répondant aux attentes du nouveau lectorat, la bibliothèque compte bien au contraire sélectionner les « bons livres6 », en opposition aux publications qui circulent par colportage ou dans les cabinets de lecture, jugées transgressives, perverties et de mauvaise influence pour le peuple : « les journaux à 5 centimes… faussent le jugement, dépravent l’imagination des jeunes gens et ont une fatale influence sur leur conduite en excitant leur passion7» Le « bon livre » doit ainsi permettre à chacun de s’épanouir dans sa condition sociale : travailler mieux, connaître les astuces nécessaires à la vie courante, être un bon chrétien... L’Eglise et l’Etat, jugeant le peuple facilement influençable, se méfient de l’effet passionnel des lectures qui pourrait inviter à désirer une autre condition de vie, créer un désir de révolte et bouleverser l’ordre social ou moral établi.

Un système de contrôle est donc développé par l’Etat, afin d’organiser une sélection appropriée des ouvrages mis à disposition du peuple. Un service des bibliothèques est créé au Ministère de l’Instruction Publique en 18748, chargé d’examiner les livres autorisés dans les bibliothèques populaires. Les bibliothèques souhaitant bénéficier d’une aide financière de la part de l’Etat, doivent se plier à certaines exigences : elles sont notamment dotées d’un comité de surveillance approuvé par le ministre, et se plient à des inspections fréquentes. Par ailleurs, toute bibliothèque est placée sous le contrôle du préfet, qu’elle soit associative ou communale. Les collections sont contrôlées systématiquement par l’apposition d’une signature au bas des catalogues ou des listes d’acquisition. Pour les bibliothèques scolaires créées par Gustave Rouland, on trouve les signatures de l’inspecteur primaire, de l’inspecteur d’académie et parfois celle d’un représentant de l’Etat, qu’il s’agisse du maire ou du préfet. Pour les acquisitions, il est de bon ton de se référer aux catalogues de recommandations, compilant des milliers de références, créés par le ministère lui-même, ou par des associations (ex : la Ligue de l’enseignement).

Une telle maîtrise de la lecture vise donc à diffuser un certain modèle au lecteur populaire, dans l’espoir qu’il le reproduise. Etudier les collections disponibles dans les bibliothèques populaires doit donc permettre de cerner ce que devait être un homme du peuple idéal, aux yeux de la bonne

6 RICHTER Noé, Les bibliothèques populaires, op.cit.

7 DARMON Jean-Jacques, « Rapport d’un inspecteur de l’IP de l’Eure, 1863 », Le colportage de Librairie en France sous le Second Empire : grands colporteurs et culture populaire, Paris, Pion, 1972, p. 200

8 RICHTER Noé, Les bibliothèques populaires, op.cit., p. 75

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4 société. Mais qu’en est-il de la femme populaire ? En existe-t-il un idéal distinct de celui de l’homme du peuple ? Avec la loi Falloux de 1850 et l’obligation de créer des écoles de filles dans les villes de plus de 800 habitants 9 - puis de plus de 500 habitants en 1867 - des bibliothèques scolaires se développent dans des structures fréquentées uniquement par des jeunes filles et leurs familles. En comparant les collections de ces bibliothèques scolaires féminines, avec celles de leurs homologues masculines, il est possible d’observer les contenus offerts aux deux sexes. Semblable ou distincte, la teneur des contenus à disposition sera significative de la considération que l’on tient aux jeunes filles et aux jeunes garçons. Une similarité des contenus serait certainement synonyme d’égalité de traitement, comme le prescrivaient les droits de l’Homme (ou devrait-on dire, les droits de la Femme, rédigés par Olympe de Gouges en 1791). Mais la similarité des collections pourrait tout aussi bien signifier la négligence de l’un des deux sexes. Enfin, une différence permanente des contenus équivaudrait à une distinction des rôles dans la société, selon le sexe.

Cette hypothèse d’une distinction des contenus selon le sexe du lecteur ne paraît pas aberrante dans le contexte du XIXème siècle. La condition féminine est radicalement différente de celle de l’homme, dans une société organisée en deux espaces : l’espace public, réservé aux hommes : décisions politiques, affaires économiques, participation militaire, travail, cafés… Tandis que la sphère privée est réservée aux femmes : la maison, la réception, la famille, la cuisine, le ménage… Bien sûr, ce clivage est plus ou moins net, notamment pour les classes populaires : les femmes, chargées de compléter le salaire du mari par des travaux d’appoint, sont amenées à travailler, et côtoient donc l’espace public10. Néanmoins, ce travail ne fait que s’ajouter au rôle d’épouse et de mère qui est attendu d’elles. Car le XIXème siècle est convaincu de l’existence d’une nature féminine spécifique, et justifie ainsi la séparation des tâches. Dès la Révolution, Talleyrand justifiait la place des femmes au foyer en invoquant « leur constitution délicate, leur inclination paisible et les devoirs nombreux de la maternité11. »

9 ZANCARINI-FOURNEL,Michelle, Histoire des femmes en France : XIXème-XXème siècle, Rennes, Presses universitaires, 2005, Partie II, Chapitre 5, p. 94

10 PERROT, Michelle, La vie de famille au XIXème siècle, suivi de Les rites de la vie privée bourgeoise par Anne Martin-Fugier, Paris, Seuil, 1987, p.66-68

11 MAYEUR, Françoise, L’éducation des filles en France au XIXème, Paris, Perrin, 2008, Chapitre 1, p.

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5 L’éducation étant elle-même différenciée pour les filles et les garçons, selon leur futur rôle dans la société12, il est envisageable qu’il en soit de même pour les contenus des collections fournies par les bibliothèques scolaires. Par ailleurs, alors que l’école a contribué à l’émancipation des femmes et à l’amélioration de leurs conditions par son évolution, la question se pose pour la bibliothèque populaire, et plus précisément la bibliothèque scolaire : a-t-elle favorisé l’égalité homme-femme par l’accès à ses collections ? Ou bien l’a-t-elle au contraire ralentie ?

Ce mémoire se propose de comparer les collections mises à disposition des jeunes filles avec celles des garçons, dans les bibliothèques scolaires du Maine et Loire entre 1860 et 1900, dans les villes d’Angers, Segré et Baugé. Il fallait en effet que les villes soient assez importantes pour posséder une ou plusieurs écoles de filles. 1860 annonce le début de l’essor des bibliothèques populaires, au moment où l’Etat prend part à leur élaboration. C’est donc à partir de ce moment que des catalogues sont rédigés, signés, et que l’on se pose véritablement la question du « bon livre » à diffuser. Il aurait été bon de pouvoir commencer l’étude à cette date, mais les premières sources à disposition ne datent que de 1872. Les sources disponibles vont jusqu’en 1898, permettant ainsi de mener une étude sur la fin du XIXème siècle.

12 Ibid., p.40

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Etat de l’Art

Pour réaliser cette étude, il faut mettre en relation les travaux portant sur les bibliothèques populaires, sur l’histoire des femmes au XIXème siècle, et notamment sur les femmes et la lecture.

L’Histoire des bibliothèques populaires

Les bibliothèques populaires sont un type de bibliothèques visant à rendre les livres accessibles au peuple. Le développement de ce type de bibliothèque fut assez tardif, concurrencé par des institutions plus prestigieuses, telles que les bibliothèques municipales. Elles peuvent être considérées comme les prémices de la lecture publique, avec ce même objectif de démocratisation de la lecture. Les bibliothèques populaires deviennent un objet historique à partir des années 70.

En 1978, Noé Richter publie Les bibliothèques populaires13, qui reste encore, aujourd’hui, le travail le plus complet sur la question des bibliothèques populaires. Il permet de connaître à la fois l’origine, les missions, les publics et le fonctionnement de ces bibliothèques. Il explique en effet une double motivation à l’origine du projet : une « motivation philanthropique et humaniste »14 - qui souhaite rendre la lecture accessible à tous - et une « préoccupation sociale »15, qui cherche à contrôler les lectures d’une masse populaire jugée dangereuse, influençable par de mauvais contenus. Il permet donc de comprendre la visée fortement moralisatrice de ces bibliothèques, contrôlées par les notables de la population et d’observer les mesures qui en découlent. L’ouvrage ne s’intéresse pourtant pas particulièrement au public féminin qui s’approprie également cet accès au livre, ni aux contenus des ouvrages mis à disposition, pistes de recherches à creuser. Noé Richter pose donc un contexte solide, socle nécessaire à la poursuite du travail.

Pour resituer les bibliothèques populaires dans l’évolution plus globale de la lecture publique depuis la révolution, il est intéressant de consulter le troisième tome de la série Histoire des bibliothèques françaises – qui concerne le XIXème siècle. Cette collection est en effet l’une des premières à s’intéresser à l’Histoire des bibliothèques, et dresse donc un panorama complet des structures existantes en France au fil des siècles.

13 Toutes les références citées dans cet état de l’art ont été reprises dans la bibliographie générale

14 RICHTER, N., Les bibliothèques populaires, op. cit., introduction

15 Ibid.

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7 Plus récemment, divers colloques organisés sur les bibliothèques populaires ou sur l’éducation populaire permettent de trouver des travaux ponctuels, complémentaires : Agnès Sandras invite ainsi à s’interroger sur la présence d’un public féminin dans son article Femmes et bibliothèques populaires, une présence oubliée ? Elle s’intéresse aussi aux femmes bibliothécaires.

Ses études démontrent que la présence des femmes dans les bibliothèques populaires augmente : au début du XXème siècle, environ 1/3 des usagers sont des femmes. Son blog16 permet également d’avoir des ressources en ligne sur les bibliothèques populaires, alimenté régulièrement par des articles issues de ses recherches. Isabelle Antonutti s’intéresse davantage aux contenus, et démontre l’augmentation du nombre de romans dans les collections, suite à la demande des lecteurs, dans un lieu qui se voulait pourtant davantage instructif que divertissant. La question d’une offre spécifique éventuelle pour les lectrices n’a cependant pas été étudiée. Par ailleurs, les bibliothèques scolaires n’ont pas fait le fruit d’études spécifiques pour établir une comparaison entre les collections des écoles de filles et celles des écoles de garçons.

Enfin, des travaux locaux permettent d’avoir une idée précise des écoles présentes à Angers, et des bibliothèques populaires du Maine et Loire : les mémoires de Sandrine Bernard, et Paul Gabard font un point sur les structures existantes à Angers et sur leur fonctionnement, tandis que les travaux de Tiphaine Leuba et Laureline Détriché analysent respectivement la présence de romans et d’ouvrages historiques dans les bibliothèques populaires angevines.

La question des femmes dans la bibliothèque populaire est donc une piste à explorer. La présence de bibliothèques scolaires dans les écoles pour filles, et les contenus qu’elles leurs proposent ne sont pas mentionnés dans ces travaux, et leur étude permettrait d’éclairer une part de l’action des bibliothèques scolaires sur une partie non négligeable, si ce n’est croissante, de leur public. Néanmoins, pour s’intéresser au public féminin des bibliothèques populaires, il est nécessaire de connaître les conditions de vie des femmes au XIXème siècle.

L’Histoire des femmes

L’Histoire des femmes intervient tardivement. Si des prémices ont lieu en Europe, au XIXème siècle, c’est réellement à partir des années 1970, en France, que les femmes deviennent un objet

16 https://bai.hypotheses.org/

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8 d’étude historique. Ce mémoire s’appuie donc sur des ouvrages phares de cette nouvelle histoire.

Il s’appuie également sur une nouvelle discipline, l’histoire du genre, qui observe les différences de modes de vie entre femmes et hommes, supposant une construction de l’identité féminine ou masculine.

Travaillant sur des bibliothèques placées dans les écoles pour filles, il était essentiel de s’informer sur la scolarisation féminine de la fin du XIXème siècle. L’ouvrage incontournable de Françoise Mayeur, L’éducation des filles en France au XIXème siècle, paru en 1978, permet de prendre conscience de la lente évolution de l’enseignement vers un modèle laïc : les filles, surtout, sont élevées quasiment exclusivement par l’Eglise jusqu’à la fin du siècle, que ce soit dans des couvents, des congrégations, ou simplement par des enseignantes appartenant au corps religieux.

L’éducation de la jeune fille devient donc un enjeu disputé entre religieux et républicains.

L’historienne rappelle également le fonctionnement des écoles primaires et la séparation des filles et des garçons autant que faire se peut, ainsi que la différenciation des enseignements selon le sexe.

En croisant cette étude avec des ouvrages moins célèbres, tels la thèse d’Henri Boiraud, La condition féminine et la scolarisation des filles en France au XIXème siècle de Guizot à Jules Ferry, ou plus généraux, tels que l’Histoire des Femmes en France : XIXème-XXème siècle, de Michelle Zancarini- Fournel il est possible d’avoir une représentation de l’école primaire, notamment féminine, et de ses évolutions au XIXème siècle.

Les études portent essentiellement sur l’éducation de la jeune fille bourgeoise, celle-ci bénéficiant d’une instruction accrue par rapport à la jeune fille populaire, et se prêtant donc davantage à une étude comparative avec l’éducation masculine. En étudiant les ouvrages proposés aux jeunes filles dans les bibliothèques scolaires, il paraît alors possible de compléter modestement la recherche sur l’éducation féminine, ayant cette fois-ci accès à une part de l’éducation des jeunes filles du peuple. L’idée de comparer les corpus scolaires ou littéraires fournis aux enfants n’est d’ailleurs pas nouvelle, et s’inscrit dans la même démarche que l’histoire du genre. En effet, Laura Struminger et Linda Clark, deux américaines féministes, se sont ainsi appuyées sur des manuels scolaires, ou des best-sellers proposés aux enfants (Petite Jeanne ou le devoir, Maurice ou le travail) pour démontrer les valeurs différentes diffusées selon que l’on soit un garçon ou une fille dans la France du XIXème siècle. Ces travaux comparatifs se développent lentement en France, et inspirent la méthode de ce mémoire.

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9 Au-delà de l’éducation des filles, c’est la condition féminine de l’époque dans son ensemble qu’il faut avoir à l’esprit, afin d’analyser les sources à disposition. L’Histoire des femmes en occident : le XIXème siècle dirigé par Georges Duby et Michelle Perrot, permet d’approfondir le rôle des femmes du XIXème siècle dans tous les domaines : politique, travail, famille, sexualité, religion… La société est divisée en deux : les hommes se chargent des affaires publiques, les femmes sont les gardiennes du foyer domestique, et des enfants. Ce rôle de mère et d’épouse est approfondi par l’ouvrage de Michelle Perrot, La vie de famille au XIXème siècle, qui se concentre essentiellement sur la sphère familiale, très importante au XIXème siècle. Cet ouvrage peut être complété par l’Histoire de la vie privée dirigée par Philippe Ariès et Georges Duby : l’étude reprend de nombreux articles de Michelle Perrot, mais les enrichit d’illustrations significatives, et les complète sur des thèmes annexes à la famille : l’espace privé, les loisirs personnels (dont la lecture), etc…

La vie d’une bourgeoise et d’une femme populaire divergent, et si le rôle de mère et d’épouse les concerne toutes deux, la mise en œuvre diffère grandement selon la condition sociale. L’étude de Joan W. Scott « la travailleuse », introduite dans l’Histoire des femmes en Occident : XIXème siècle, permet donc d’avoir conscience de la polyvalence des femmes populaires, qui doivent se débrouiller pour parvenir à rapporter un salaire d’appoint tout en s’occupant des enfants : ou bien elles les emmènent avec elles dans leurs déplacements, ou bien elles les confient à une nourrice, des comparses, puis plus tardivement à l’école, voire à la crèche... Connaître le mode de vie des femmes du peuple est par ailleurs essentiel pour appréhender les contenus qu’on leur recommande dans une bibliothèque scolaire.

L’Histoire des femmes : XIXème-XXème siècle de Michelle Zancarini Fournelle permet enfin de saisir les évolutions des droits de la femme, d’observer les mutations qui s’opèrent sur du long terme, et ainsi de comprendre la fin du XIXème siècle comme dernier instant de tradition et début de changement (loi sur le divorce, alphabétisation des femmes, école secondaire…). Toute la question est alors de comprendre, dans cette étude, si la bibliothèque scolaire se trouve du côté de la perpétuation ou du côté du changement des conditions féminines du XIXème.

Enfin, l’histoire de la lecture est indispensable pour se faire une idée de l’accès aux livres qu’ont les femmes. L’Histoire de la lecture dans le monde occidental de Guglielmo Cavallo et Roger Chartier consacre un chapitre sur le nouveau lectorat qui émerge au XIXème siècle, dont la femme fait partie. Il décrit l’alphabétisation progressive des femmes, et leurs pratiques de lectures, chaperonnées par les hommes. Plus récente, la thèse d’Isabelle Matamoros Mais surtout, lisez ! est entièrement dédiée à l’étude de la lectrice du XIXème. Elle étudie dans son travail, à la fois les

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10 discours qui portent sur la lectrice, et les pratiques de lecture des jeunes filles, que ce soit dans leur éducation ou pour le plaisir. Chacune de ces études révèle que le roman, les lectures pieuses et les magazines féminins composent la large majorité des lectures féminines, en opposition avec la lecture masculine qui se compose d’ouvrages scientifiques, historiques et de journaux d’actualité.

La femme est donc tenue à distance des lectures trop sérieuses, jugées trop compliquées à saisir, et bien plus utiles à ceux qui souhaitent prendre part à la marche du monde.

Dans les années 1970-1980, Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard sont des instigateurs de l’Histoire de la lecture, et se consacrent notamment aux nouveaux lecteurs et aux bibliothèques populaires dans leur ouvrage Discours sur la lecture. Ils y étudient notamment les représentations de l’époque sur le lectorat populaire, et leurs impacts sur l’offre de lecture qui lui est faite. Depuis les années 2000, des travaux s’intéressent plus particulièrement à la représentation de la lectrice du XIXème, soulignant ainsi le discours méfiant de l’époque qui s’y rapportait. Sandrine Aragon propose certainement l’étude la plus complète, Des liseuses en péril, dans laquelle elle observe l’évolution du personnage de la lectrice dans la littérature. Au XIXème siècle, la lectrice semble autonome, solitaire, du fait de plusieurs facteurs : alphabétisation, diffusion du livre. Mais cette autonomie la rend suspecte, et dangereuse aux yeux du lectorat traditionnel. L’étude Femmes et livres, dirigée par Danielle Bajomée, Juliette Dor et Marie-Elisabeth Henneau, reprend cette méthode de travail, et confirme que si la lectrice était un personnage comique au XVIIème siècle (telles que les précieuses de Molière), elle devient un personnage tragique et dangereux au XIXème siècle. Dans tous les cas, la lectrice est une figure hors-norme. Elle doit donc être surveillée, et l’étude des collections de la bibliothèque scolaire permet justement d’appréhender le poids de cette surveillance, et l’influence de ces représentations.

La difficulté reste tout de même de savoir quelles étaient les réelles pratiques de lecture des femmes, surtout dans le domaine populaire. A cet égard, l’étude d’Anne-Marie Thiesse le roman du quotidien, datant de 1984, semble être l’une des rares qui nous informe réellement, à travers des témoignages de la fin du XIXème siècle, des modes de lecture de la classe populaire. On y comprend que pour les gens du peuple, la lecture est perçue comme une perte de temps, un luxe difficile à s’offrir dans une journée chargée de travail, une occupation non-légitime. Mais on y apprend aussi l’envie de lire et l’accès au livre permis par la bibliothèque scolaire : « On n’avait pas d’autres livres

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11 que les livres de classe des enfants : je les regardais de temps en temps. »17 Etudier les ouvrages mis à disposition dans les bibliothèques scolaires semble donc être un moyen d’appréhender les lectures qui pouvaient être faites par les femmes du peuple, même si les collections représentent davantage ce que l’on jugeait bon de lire, plutôt que ce que le peuple lisait vraiment.

17 THIESSE, Anne-Marie, Le roman du quotidien, lecteurs et lecture populaire à la Belle Epoque, Paris, le chemin vert, 1984, Partie I, Annexe I, p. 62

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Questionnement et organisation de la réflexion

Au vue de l’organisation genrée de la société du XIXème siècle, se pose cette question : les collections proposées aux lectrices dans les bibliothèques scolaires ont-elles contribué à perpétuer le rôle traditionnel de la femme, ou ont-elles au contraire permis une certaine émancipation à leurs lectrices ?

Pour tenter de répondre à cette problématique, cette étude a été organisée en trois temps.

La première partie s’attache tout d’abord à comparer l’accès au savoir selon que l’on soit un lecteur ou une lectrice. Dans un premier temps, une étude quantitative est effectuée pour comparer la diversification de l’offre : de quels domaines relèvent les ouvrages ? Quelles sont leur visées envers les usagers des bibliothèques scolaires ? C’est ensuite l’investissement financier qui est étudié, en comparant les achats et le développement des bibliothèques scolaires, selon qu’elles se destinent à des lecteurs ou à des lectrices. Enfin, une comparaison des formats et du nombre de pages des ouvrages achève d’établir la quantité de savoir auquel avaient accès les lectrices, en comparaison des lecteurs.

La seconde partie s’attarde plus particulièrement sur la place et le rôle du roman dans les collections. Dans les représentations de l’époque, il est le genre spécifiquement dédié à la lectrice.

Néanmoins, il n’est pas très apprécié des bibliothèques scolaires pour son aspect plus léger, parfois moins sérieux que d’autres genres. Dès lors, que devient-il dans les collections destinées aux lectrices ? Une première comparaison permet d’établir la proportion de romans dans les collections féminines et masculines. Ce sont ensuite les contenus des romans qui sont comparés, afin de saisir les modèles qui sont proposés aux lecteurs et aux lectrices. Une progression du roman dans les collections étant constatée, le rôle moralisateur et instructif de la bibliothèque scolaire s’en trouve- t-il modifié ?

Une dernière partie viendra nuancer l’approche comparative de cette étude entre les lecteurs et les lectrices des bibliothèques scolaires, en soulignant un facteur commun : la condition sociale. Avant d’être envisagés comme lecteurs ou lectrices sexués, les usagers des bibliothèques scolaires sont avant tout considérés comme membres du peuple. De cette considération émerge une offre commune, des modèles et des valeurs dispensées aussi bien aux lecteurs qu’aux lectrices.

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Sources

Liste des sources utilisées

Archives départementales d’Angers

Dossier 451 T5 – bibliothèques scolaires

Segré

- école de garçons – avril 1880 – catalogue

- école primaire publique de jeunes filles de Segré – mars 1896 – extrait de catalogue - école primaire publique de jeunes filles de Segré – décembre 1896 – liste d’achats - école communale de jeunes filles de Segré – décembre 1898 – liste d’achats - école publique de garçons de Segré – décembre 1898 – liste d’achats

Angers

- école de filles du Boulevard Laval – 1872 – don ministériel - école de garçons du Boulevard Laval – 1872 – don ministériel - école de filles des Cordeliers – 1872 – don ministériel

- école de garçons des Cordeliers – 1872 – don ministériel

- école de filles de la rue de Bouillou - novembre 1878 – extrait de catalogue - école de garçons St-Laud – avril 1880 – catalogue

- école de filles de la rue de Bouillou – avril 1881 – liste d’achats

- école de filles de la rue de Bouillou – mai 1881 – liste de livres offerts - école de garçons St-Laud – juillet 1881 – liste d’achats

- école publique de filles non identifiée – avril 1888 – liste d’achats

Comptes rendus annuels de 1883 à 1893, concernant les bibliothèques scolaires des circonscriptions d’Angers, des arrondissements de Baugé et de Segré.

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Dossier 451 T7 – Bibliothèques populaires

Baugé

- école de garçons – 1874 - catalogue

- école de garçons – décembre 1878 – liste d’achats - école de garçons – décembre 1880 – liste d’achats - école de filles – décembre 1891 – liste d’achats - école de garçons – décembre 1891 – liste d’achats

Dossier 66 T 4

Arrondissement de Saumur

- école de filles de Soulanger – 1880 – catalogue

Notes sur les sources

Cette étude s’est appuyée sur un corpus de catalogues18 et de listes d’acquisition19, rendant compte des collections proposées dans les bibliothèques scolaires. Il se compose donc de trois catalogues et six listes d’acquisition concernant les bibliothèques scolaires placées dans les écoles20 de filles de Segré, Angers (rue de Bouillou), Baugé et Soulanger. Le corpus concerne aussi les bibliothèques scolaires placées dans les écoles de garçons, composé de trois catalogues et de sept listes d’achats issus des écoles d’Angers St Laud, de Baugé et de Segré. Enfin, quatre catalogues quasiment identiques font état d’un don ministériel dans les deux écoles mutuelles d’Angers des Cordeliers et du Boulevard Laval : deux concernent les écoles de filles, les deux autres concernent les écoles de garçons. Bien que disposant de davantage de sources pour les garçons, il a été jugé préférable, vu le temps imparti, de les limiter au même nombre que celles disponibles pour les bibliothèques scolaires de filles. Le thème principal de cette étude étant bien les collections proposées aux lectrices, cette réduction des sources ne semble pas porter préjudice aux recherches.

Au total, en regroupant toutes les sources citées, on obtient une collection de 726 ouvrages, avec

18 Annexe 2 : exemple de catalogue étudié – Ecole de garçons de Baugé - 1874

19 Annexe 3: exemple de liste d’acquisition étudiée – Ecole de filles de Segré – Décembre 1878

20 Annexe 4 : plan des écoles étudiées

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15 287 livres dans les écoles de filles et 439 livres dans les écoles de garçons. Néanmoins, pour la plupart des analyses, les dons ministériels seront mis de côté pour observer des collections purement masculines et féminines et mieux faire ressortir les contrastes. Sans les dons ministériels, les collections féminines sont composées de 197 ouvrages, et les collections masculines de 349 ouvrages.

Pour étudier les collections disponibles dans les bibliothèques scolaires, deux sources sont utilisables : les premières, et les plus complètes, sont des catalogues intégraux, rendant compte de tout le fonds de la bibliothèque, soit une centaine d’ouvrages la plupart du temps. Les secondes, moins fournies, sont des listes d’acquisition, faisant état d’une dizaine ou vingtaine d’ouvrages que l’instituteur ou l’institutrice souhaitent acheter pour la bibliothèque. Si ces listes sont moins complètes en terme de nombre de titres, elles apportent néanmoins des informations en plus pour la comparaison, notamment le prix des ouvrages. Il n’existe, dans ce corpus, que trois catalogues complets décrivant des bibliothèques scolaires de filles : ceux – identiques - rendant compte du don ministériel de 1872, et celui de l’école de Soulanger. Deux autres sont fragmentés. Les sources concernant les bibliothèques scolaires de filles sont donc essentiellement des listes d’acquisition.

Ces sources font état des titres, des auteurs, du nombre de volumes et parfois du prix pour certaines listes d’acquisition. Certaines, plus développées, indiquent également l’éditeur, le format, la série de classement et si l’ouvrage est illustré ou non. Le catalogage n’étant pas normé à cette époque dans les bibliothèques populaires, la précision varie selon chaque source et empêche parfois une rigueur absolue dans la comparaison. Les données indiquées ont été reprises dans une grille de lecture21, et ont été complétées à l’aide du catalogue de la Bnf et de Gallica.

Ce corpus fondamental a été comparé avec les catalogues institués par le ministère de l’Instruction publique, datant de 1883 et 1884, disponibles sur Gallica22. Ces catalogues du ministère, composés de milliers de références, étaient une sélection proposée aux bibliothèques et visaient à guider les acquisitions. Effectuer cette comparaison permettait parfois de classer des

21 Annexe 5 : grille de lecture utilisée

22 MINISTERE DE LINSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARTS ; Bibliothèques populaires des écoles publiques (Anciennes bibliothèques scolaires). Catalogue d’ouvrages de lecture, 1er Fascicule, 1884

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16 ouvrages dont la série n’était pas précisée sur la source (Histoire, Littérature, Géographie…). Les données manquantes - telles que le nombre de pages - ont aussi pu être complétées à l’aide du catalogue de la Bnf.

Chaque ouvrage a été recherché sur Gallica ou Google Livres, afin d’avoir un aperçu de son intégralité. Pour la plupart, un passage ou un résumé ont été relevé afin de préciser son contenu.

Deux fichiers Excel – trop gros pour être placés en annexe – faisant état intégral des deux corpus féminins et masculins sont joints au dossier.

Enfin, des comptes rendus annuels ont permis de connaître l’évolution des collections entre 1883 et 1893. Rédigés par l’inspecteur primaire et adressés à l’inspecteur d’académie, ils font état des collections, du nombre de prêts, des ouvrages ayant le plus de succès, des revendications, et des instituteurs ou institutrices les plus impliqué.es jugé.es dignes d’être récompensé.es.

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17

Partie I : Les lectrices ont-elles accès au même savoir que les lecteurs ?

Selon les mots de Mme de Staël, « Depuis la Révolution, les hommes ont pensé qu’il était politiquement et moralement utile de réduire les femmes à la plus absurde médiocrité ; ils ne leur ont adressées qu’un misérable langage sans délicatesse comme sans esprit23. ». Une grande inégalité pèse en effet entre filles et garçons en matière d’instruction. Tout d’abord, à cause du lent développement des écoles de filles, comparé à celui des écoles de garçons. Il faut attendre 186724 pour que la législation ne prévoie le même nombre d’écoles pour filles que d’écoles pour garçons.

Ensuite, la séparation des élèves selon leur sexe s’accompagne d’une différenciation des enseignements, justifiée par des natures masculines et féminines différentes. Une base commune est enseignée aux élèves, quel que soit leur sexe : tout d’abord la lecture, puis l’écriture et enfin l’arithmétique. D’autres enseignements peuvent parfois s’ajouter : Histoire, géographie, musique…

Mais l’éducation dispensée doit avant tout préparer chacun à assumer sa place dans la société, offrant donc un savoir différencié aux filles et aux garçons.

Dès lors que fonctionne ce mode d’éducation différencié, se pose la question du contenu des bibliothèques scolaires, placées dans les écoles pour filles et pour garçons. Proposent-elles la même offre aux lecteurs qu’aux lectrices ? Retrouve-t-on à travers les collections, cette réduction des femmes et des filles à la médiocrité, dont parle Mme de Staël ? Permettent-elles au contraire un accès au savoir identique à celui dont disposent les garçons et leurs aînés ?

23 De STAËL Germaine, « Des femmes qui cultivent les lettres », Histoire des femmes en occident : le XIXème siècle, DUBY Georges (dir.), FRAISSE Geneviève (dir.), PERROT Michelle (dir.) vol. 4, Paris, Perrin 2002, p. 642

24 ZANCARINI-FOURNEL M., Histoire des femmes en France…, op. cit., partie II, chapitre 5, p. 96

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La composition des collections

Une comparaison des collections permet de percevoir les distinctions qui sont faites dans les collections, selon qu’elles soient destinées aux lectrices ou aux lecteurs.

1.1. Une collection encyclopédique ?

En comparant les collections et les acquisitions des écoles de filles de la rue de Bouillou (Angers), de Soulanger, de Segré et de Baugé, avec celles des écoles de garçons de St Laud (Angers), Segré et Baugé, voici ce que l’on obtient :

Illustration 1 : Comparaison des disciplines proposées dans les bibliothèques scolaires féminines et masculines

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19 Ces graphiques25 reprennent les différentes catégories du classement utilisé par les bibliothèques scolaires. Toutefois, par mesure de clarté, ils indiquent les disciplines correspondantes (Histoire, Littérature…), et non les lettres attribuées par le classement d’origine (Série A : ouvrages généraux, Série B : Histoire, Série C : Géographie...)

Il est très net que les garçons disposent de collections plus diversifiées que les filles, dont 65

% des ouvrages relèvent de la littérature. Toutefois, la littérature représente également la part la plus importante des collections masculines, avec 38% d’ouvrages littéraires. Les 26 % de différence avec les collections littéraires destinées aux lectrices, sont redistribués de manière plus équilibrée dans d’autres disciplines chez les garçons : l’Histoire représente 2 % de plus que dans les écoles de filles, avec un total de 22%, contre 20 %. Mais c’est surtout l’agriculture qui est une discipline tout à fait genrée, avec 11% d’ouvrages agricoles pour les garçons, contre seulement 2 % pour les filles.

Les sciences sont également davantage accessibles aux garçons qu’aux filles, avec 10 % d’ouvrages scientifiques pour les premiers, contre seulement 5 % pour les secondes. La géographie est à peu près équivalente, mais plus présente chez les garçons, avec 9 % des ouvrages dans les collections masculines, contre 7 % dans les collections féminines. Les ouvrages généraux (dictionnaires, grammaire...) les périodiques et l’industrie sont rares dans les deux cas (entre 0 et 1 %). Enfin, certaines disciplines sont totalement absentes dans les collections destinées aux lectrices : l’économie – qui représente tout de même 4% des collections masculines - l’hygiène et l’art, qui sont en faible proportion chez les garçons (entre 1 et 2 %).

Cette composition des collections démontre clairement une inégalité dans l’accès au savoir.

Les disciplines les plus instructives – les sciences, l’Histoire, la géographie – sont toujours en infériorité dans les collections féminines. Le rôle de la femme étant au foyer, au XIXème siècle, il lui est bien plus indispensable de savoir cuisiner, ranger, laver, coudre, soigner les enfants, être aimable auprès de son mari…. Que de connaître la composition de l’eau ou le phénomène d’éruption d’un volcan. Françoise Mayeur souligne ce fait en distinguant instruction et éducation26. La première, qui vise à développer les connaissances intellectuelles, est prioritaire pour les garçons. A l’inverse, la seconde, qui consiste à transmettre de bonnes valeurs et inculquer les bons comportements, concerne davantage la jeune fille. D’un côté le savoir, qui permet la réflexion, la discussion publique,

25 Annexe 6 : les données correspondantes à tous les graphiques sont consultables

26 MAYEUR, Françoise, L’éducation des filles en France au XIXème, op.cit., intro, p.8

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20 la participation aux affaires du monde. De l’autre, le savoir-vivre, le savoir-faire et la morale, qui promettent séduction, discrétion, douceur et fidélité de la future épouse et mère. Cette distinction de l’homme public et de la femme au foyer se retrouve donc à travers les lectures qui sont proposées : quoi de plus adapté que la littérature - et le processus d’identification qu’elle met en place - pour inculquer une morale, un comportement à avoir aux futures épouses et mères?

Néanmoins, l’Histoire et la géographie ne sont pas négligeables dans les collections féminines. Ce fait s’explique notamment par le fait que beaucoup d’ouvrages se rapprochent du récit romancé : en Histoire, les biographies sont légions ; en Géographie, ce sont les récits de voyages qui ont du succès. Dans les deux cas, il s’agit de suivre le parcours d’une personnalité centrale – souvent magnifiée – comme on le ferait pour un personnage.

Les ouvrages qui parlent du travail sont quasiment absents des collections féminines : L’agriculture, dont la visée est d’instruire sur les techniques de culture ou d’élevage à partir de connaissances précises (constitution des sols, qualité des animaux selon leurs races, animaux nuisibles ou nécessaire à l’agriculture, etc...) est quasiment absente des collections féminines. On ne juge pas nécessaire de former les femmes au travail des champs. Les ouvrages d’économie sont souvent prescriptifs, cherchant à donner le bon exemple : l’épargne et les assurances. Les lectrices n’y ont pas du tout accès : elles ne sont pas jugées responsables de l’argent de la famille. A travers cette collection typiquement masculine, ressort une image de l’homme travailleur qui peut améliorer ses rendements en connaissant mieux son domaine.

Cette représentation est pourtant bien éloignée de la réalité en ce qui concerne les femmes populaires. Celles-ci sont souvent amenées à travailler pour ramener un salaire d’appoint27. Certaines travaillent avec leurs maris, dans les commerces ou dans les champs. En ville, les ouvrières peuvent travailler en tant que couturières, domestiques, ou dans certaines usines. Dès lors, elles sont tout aussi bien concernées par les questions d’argent, de comptabilité, de techniques industrielles, etc… que les hommes.

Ce qui est plus étonnant, si l’on se fie au rôle accordé aux femmes de l’époque, c’est le fait qu’aucun ouvrage sur l’art/l’art industriel et sur l’hygiène ne se trouve dans les collections des

27 SCOTT W. Joan, « la travailleuse », Histoire des femmes en occident, op. cit., chapitre 15, pp. 484- 486

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21 lectrices. Dans le premier cas, les ouvrages sont peut-être jugés trop instructifs et –relevant de l’artisanat – davantage associé au travail qu’à la beauté artistique. Dans le second cas, on aurait pu s’attendre à ce que les lectrices – mères en devenir – reçoivent des conseils sur les réflexes de propreté à avoir envers les enfants, ou dans leur maison. En réalité, si les ouvrages prodiguent effectivement des conseils, ils ont également un aspect plus scientifique. Dans Cours d’hygiène, que l’on trouve dans l’école de garçons de Segré en 1880, un passage donne par exemple une définition purement chimique de l’air : « L’air n’est point un élément, comme on l’avait cru longtemps, c’est- à-dire un corps qui ne peut être décomposé. La chimie […] a prouvé que ce prétendu corps élémentaire est composé de deux gaz, appelés, l’un oxygène, l’autre azote28 […].» Cette approche très scientifique de l’hygiène explique peut-être le fait que les lectrices n’y soient pas mêlées. Ce domaine reste de toute façon très peu présent, même chez les garçons. Il en est de même pour l’industrie, qui reste en marge des collections. Cela s’explique peut-être par le fait que les villes angevines desservies sont davantage agricoles qu’industrielles.

Enfin, la faible part de périodiques s’explique par le refus de la presse dans les bibliothèques populaires, qui cherchent au contraire à lutter contre les journaux bon marché très répandus chez le peuple, au profit du « bon livre ». Quelques magasines font exceptions, tels le Magasin pittoresque d’Edouard Charton. Ce ne sont jamais des journaux d’actualités, mais souvent des articles apportant des connaissances sur un thème, ou proposant des feuilletons, des conseils moraux, etc…

De ces deux graphiques découle donc l’idée que les femmes ont accès à une offre moins instructive que celle des garçons. Pour confirmer ce verdict, il est intéressant d’observer non plus les différentes disciplines proposées, mais les objectifs des différents ouvrages : sont-ils plutôt divertissants, instructifs, pratiques ou moralisateurs ?

28 TESSEREAU Auguste, Cours d’hygiène, Paris, Garnier frères, 1855, chapitre 2, p. 53

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22

1.2. Une seconde classification, selon la visée de l’ouvrage

L’observation précédente sur les différentes disciplines proposées se fondait sur un découpage officiel en reprenant le classement des bibliothèques scolaires (Histoire, géographie, Littérature…). Le découpage proposé maintenant est beaucoup plus contestable, bien que fait avec le plus d’attention possible. L’étude consistait à juger de la visée de chaque ouvrage : était-il plutôt instructif, pratique, moralisateur ou divertissant ? Un jugement repose forcément sur une impression subjective, mais en donnant une définition précise des trois catégories, il sera possible de mieux en cerner les critères.

La rubrique « pratique », bien que peu fournie, a semblée indispensable : certains ouvrages donnent en effet des explications très concrètes pour réaliser une technique (jardinage, élevage, santé…), ou au contraire, éviter de commettre des impairs. Un exemple particulièrement amusant permet d’illustrer le ton de conseil qui est souvent employé dans ces ouvrages : "Les cheveux ne doivent être coupés ni trop fréquemment, ni trop près de la racine. On s'expose à tous les accidents du refroidissement et particulièrement aux rhumes en se dégarnissant la tête brusquement pendant l'hiver ou à son approche29."

Sous la rubrique « instruction », ont été réunis des ouvrages dont le but est d’apporter des connaissances théoriques et de développer des facultés intellectuelles. Il peut donc s’agir d’ouvrages scientifiques, historiques, géographiques, etc… mais aussi d’ouvrages scolaires développant une pédagogie pour apprendre une nouveauté aux élèves (ex : manuels de lecture).

Ont aussi été jugés instructifs les ouvrages littéraires classiques, visant à développer une culture littéraire érudite (ex : Homère, Virgile…).

La rubrique « moralisation » - qui est peut-être la plus sensible – regroupe deux sortes d’ouvrages. Les premiers se revendiquent eux-mêmes comme moralisateurs, souvent dès la préface, en souhaitant donner un bon exemple à travers leur contenu. Il peut s’agir d’une biographie d’un grand homme, d’une fiction qui annonce sa visée éducative, ou d’un ouvrage pratique prodiguant des conseils sur la bonne conduite à avoir. Ces ouvrages sont assez évidents, et étaient déjà considérés comme moralisateurs à l’époque. Ce qui devient plus compliqué, c’est lorsque certains ouvrages sont jugés moralisateurs à partir d’un regard rétrospectif, fondé sur des valeurs contemporaines. Nous avons aujourd’hui un regard méfiant voire négatif sur certaines valeurs très

29 Ibid., p. 264

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23 fortes de l’époque : la piété, le patriotisme, l’honneur… Certains sujets, sans se définir eux-mêmes comme moralisateurs, ont été comptés sous cette rubrique, considérant qu’ils encourageaient ces valeurs à travers leurs thèmes : ce sont tous les ouvrages liés de près ou de loin à la colonisation, tous ceux qui valorisent les batailles, les grands militaires, tous ceux qui mettent en avant la France par rapport à d’autres nations ou qui en font la martyre de la guerre franco-prussienne, et enfin, tous ceux qui valorisent la foi chrétienne et le mode de vie qui en découle. Ce sont – implicitement - tous les ouvrages qui proposent clairement deux modèles différents pour l’homme et la femme.

Enfin, la rubrique « divertissement » rassemble les ouvrages dont l’objectif est de distraire le lecteur : comique, suspens, émotions… ces ouvrages sont pour la plupart des œuvres de fiction littéraires (aventures, initiation, romanesque…) mais certains sont des récits de voyage ou des récits historiques. Leur lecture est plus légère que pour les deux autres catégories, souvent soutenue par des péripéties à rebondissement qui maintiennent l’attention du lecteur.

Bien que cela eût été plus simple, il n’est pas forcément possible de classer clairement un ouvrage dans l’une ou l’autre de ces quatre catégories. Certains ouvrages sont donc comptabilisés deux fois, sous deux rubriques différentes, ce qui explique un total final plus grand que le nombre réel d’ouvrages. En calculant la différence, il est possible de savoir combien d’ouvrages relèvent de deux catégories.

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24

1.3. Des ouvrages moralisateurs avant tout

Ce graphique représente les ouvrages selon leur visée auprès du lecteur : moralisation, instruction, divertissement, information pratique. Les zones de couleur unie correspondent aux ouvrages classés dans une catégorie précise, tandis que les zones hachurées correspondent aux ouvrages classés dans deux catégories à la fois. Les résultats sont indiqués en pourcentage pour pouvoir comparer les proportions entre bibliothèques scolaires féminines et masculines30.

Ces données indiquent clairement la visée différente des bibliothèques scolaires, selon qu’elles s’adressent aux lectrices ou aux lecteurs. La différence la plus nette concerne la part d’instruction et de divertissement. Dans les écoles de garçons, l’instruction concerne 46% des ouvrages – soit près de la moitié de la collection : 20% sont purement instructifs, 13% sont à la fois instructifs et moralisateurs, 8% sont à la fois instructifs et pratiques, et 5% sont instructifs et divertissants. Dans les écoles de filles, la visée instructive des ouvrages est bien moindre : seuls 25

% des ouvrages sont concernés, avec 11 % d’ouvrages purement instructifs, 8% d’ouvrages à la fois instructifs et moralisateurs et 2% d’ouvrages instructifs et pratiques. La dimension instructive est

30 Annexe 7 : tableau récapitulatif des pourcentages et des valeurs réelles

Illustration 2 : comparaison des visées des ouvrages dans les collections féminines et masculines

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25 donc deux fois plus importante dans les bibliothèques dédiées aux lecteurs que dans celles destinées aux lectrices, ce qui confirme les observations quant aux différentes disciplines disponibles dans les collections : les lecteurs ont plus d’ouvrages scientifiques, de traités agricoles, d’Histoire…

Logiquement, c’est donc le divertissement qui prend la place de l’instruction dans les collections féminines, avec 48 % d’ouvrages divertissants – soit près de la moitié de la collection : 17% sont purement divertissants, 27 % sont à la fois divertissants et moralisateurs, et 4% sont divertissants et instructifs. Dans les écoles de garçons, dont les collections sont plus équilibrées que celles des filles, le divertissement est moindre, mais atteint quand même les 30 % : 14% des livres sont à la fois divertissants et moralisateurs, 11 % sont exclusivement divertissants, et 5 % sont aussi bien divertissants qu’instructifs. L’offre est donc un peu plus légère pour les lectrices que pour les garçons, qui n’ont pas beaucoup d’ouvrages à seule visée distractive. Le divertissement est souvent, dans les deux cas, un moyen d’apporter une leçon morale ou instructive.

La moralisation est d’ailleurs l’objectif principal pour les bibliothèques masculines comme féminines : Ces dernières sont néanmoins les plus concernées par la moralisation, avec un pic de 66% d’ouvrages moralisateurs. Près de la moitié (31%) sont dédiés à la moralisation, 27% sont moralisateur et divertissants, et 8% sont moralisateurs et instructifs. Le taux de moralisation est également très élevé chez les garçons, avec 54% des livres concernés : 26% sont exclusivement moralisateurs, 14% sont à la fois divertissants et moralisateurs, 13% sont à la fois instructifs et moralisateurs et enfin, 1% des livres sont pratiques et moralisateurs. L’éducation morale du peuple est donc une réelle priorité pour les bibliothèques scolaires, qui consacrent une large part de leurs collections à cet objectif. Cette mission est à son apogée lorsque le peuple est féminin, avec plus de la moitié des livres diffusant les valeurs morales de l’époque aux lectrices. Cette proportion d’ouvrages moralisateurs semble par ailleurs s’accorder à la grande part de littérature offerte aux jeunes filles et à leur mère (69%).

Enfin, les ouvrages pratiques sont quasiment absents des collections féminines, étant toujours à la fois pratiques et instructifs (2%). Dans les écoles de garçons, la pratique représente quand même 16% des ouvrages, ce qui s’explique par la présence de livres portant sur l’agriculture et l’hygiène.

La moralisation et le divertissement sont donc les deux enjeux primordiaux des bibliothèques scolaires féminines, lorsque la moralisation et l’instruction dominent dans les bibliothèques scolaires masculines. Si la moralisation est une constante, la différence entre instruction et

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26 divertissement confirme l’impression donnée par les différentes disciplines proposées : les ouvrages mis à disposition des lectrices sont plus légers, plus distrayants que ceux des lecteurs. Il y a donc bien un accès différent au savoir : il est servi en priorité aux lecteurs. De ce point de vue, les bibliothèques scolaires féminines ne contribuent pas autant à l’émancipation intellectuelle des femmes qu’à celle des hommes. Si elles ont accès à quelques ouvrages instructifs, elles sont surtout éduquées moralement. Cela confirme donc le rôle qui leur est attribué dans la société du XIXème siècle, et peut correspondre à cette « médiocrité » dénoncée par Mme de Staël à la fin du siècle.

Investissement dans les collections

Le développement des collections et des bibliothèques scolaires est-il le même pour les bibliothèques scolaires féminines et masculines ?

2.1. L’investissement financier

Disposant de huit listes d’achat (quatre pour les bibliothèques scolaires féminines, quatre pour les bibliothèques masculines), il est possible de comparer les prix des ouvrages acquis, et l’argent investi pour enrichir les collections.

Les listes d’achats disponibles pour les bibliothèques scolaires des écoles de filles datent plutôt de la fin de période : entre 1888 (Angers) et 1898 (Segré). Pour les listes d’achats de livres destinés aux garçons, elles vont de 1878 (Baugé) à 1898 (Segré). Ces dates pourraient faire penser que les bibliothèques scolaires pour filles ne sont pas développées dans un premier temps, jugées secondaires. Cependant, il s’agit peut-être d’un simple manque de sources, et il est impossible de fonder cet argument avec le corpus de sources actuel.

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27 57 titres ont été achetés pour les lectrices, 78 pour les lecteurs. 187,55 F ont été dépensés pour les premières, contre 213.15 F pour les seconds. Si la dépense est plus importante pour les garçons, le prix moyen par livre est plus élevé pour les filles, équivalent à 3.23 F, contre seulement 2.73 F pour les garçons, soit un écart de 0.5 F. Des statistiques plus précises permettent de mieux se rendre compte des différences et des similitudes des acquisitions dans les bibliothèques scolaires féminines ou masculines

Ce graphique indique que les prix sont, dans les deux cas, concentrés autour du prix médian.

Celui-ci est de 3 F pour les filles et de 2.10 F pour les garçons. 50% des ouvrages coûtent ainsi entre 2 F et 3.50 F pour les filles, et entre 1.5 F et 3 F pour les garçons. On investit donc plus d’argent par livre pour les filles que pour les garçons. Néanmoins, la différence n’est pas énorme : il y a seulement 0.54 F d’écart entre le prix moyen investi pour les lectrices (3.23F) et celui investi pour les lecteurs (2.69 F). Quelques achats exceptionnels sortent de ces intervalles de prix : le livre le moins chez coûte 0.70 F pour les bibliothèques scolaires de lectrices, et 0.90 F pour les bibliothèques scolaires de garçons. Le livre le plus cher coûte 10 F pour les filles, et 12 F pour les garçons.

Avec ces données, on constate que pour des achats ordinaires, on investit un peu plus pour les lectrices que pour les lecteurs par ouvrage. En revanche, lorsqu’il s’agit d’achats exceptionnels, les bibliothécaires sont prêts à payer plus cher pour les lecteurs que pour les lectrices. Il s’agit

Illustration 3 : représentation des coûts des ouvrages affichés sur les listes d’acquisition

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