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Pour bien comprendre la suite de l’analyse attardons-nous quelques instants sur la question de l’interrelation entre les acteurs et la complexification des différentes échelles institutionnels qui s’emboîtent. L’institution olympienne et paralympienne coalisent les principales fédérations sportives, qui elles chapeautent les fédérations nationales, qui à leur tour rassemblent les organismes régionaux102 . Elles ont leur propre système de

réglementation qui n’est parfois pas similaire à la réglementation olympienne et paralympienne, ce qui occasionne des tensions à l’intérieur même des fédérations nationales et régionales103. Dans le cas qui nous intéresse, nous observons, que les

décisions prises par l'Association internationale des fédérations d'athlétisme (IAAF:

International Association of Athletics Federations) ne s’allient pas à celles de l’institution

olympienne et paralympienne, puisqu’il semble exister un laissez-faire104 de la part de

l’institution olympienne et paralympienne, ce qui, avec, entre autres, le cas de d’Oscar Pistorius occasionne des tensions et des conflits avec les autres instances fédératives105. Le

102 « Dans la majorité des pays, les mêmes types d'acteurs institutionnels se retrouvent au cœur des transformations. Nous pouvons en repérer quatre : l'entité gouvernementale en charge des sports, les comités olympiques et paralympiques, les fédérations sportives traditionnelles et les fédérations sportives spécifiques. Au-delà de cette typologie commune, les relations entre les organisations et les rôles joués par chacune d’elles sont néanmoins très mouvants en fonction du pays, de l’histoire des espaces « sports et handicaps », des structures et des institutions. Chaque pays possède un mode de gouvernance du sport très distinct, un ministère ou non chargé des sports, des relations plus ou moins resserrées entre l’État et les organisations sportives, un nombre de fédérations spécifiques pour les personnes handicapées différentes et une coopération aléatoire entre les fédérations. En lien avec ces faits, les objectifs des politiques sportives auprès des personnes handicapées sont différenciés et entraînent des organisations propres à chaque pays » (Bouttet 2015 : 9).

103 « L'étude des relations avec les fédérations spécifiques ou avec le ministère des sports, notamment par l'intermédiaire du pôle ressources national sport et handicaps, met alors en exergue des luttes pour la manière d'organiser la pratique des personnes handicapées. Ces luttes renforcent la visibilité et le positionnement des différents acteurs impliqués dans les processus d'engagements fédéraux. Elles permettent aussi la caractérisation d'un espace national « sports et handicaps » en pleine recomposition face à l'enjeu de l'intégration des personnes handicapées au sein du monde sportif » (Bouttet 2015 : 386).

104 « The laissez-faire position is that advances in equipment—whether they be faster wheelchairs or more

efficient prosthetic limbs—have ripple effects in terms of the technical needs of sub-elite adaptive athletes, or even non-athletes with adaptive needs » (Adair 2017 : 134).

105« L'étude des relations avec les fédérations spécifiques ou avec le ministère des sports, notamment par l'intermédiaire du pôle ressources national sport et handicaps, met alors en exergue des luttes pour la manière d'organiser la pratique des personnes handicapées. Ces luttes renforcent la visibilité et le positionnement des différents acteurs impliqués dans les processus d'engagements fédéraux. Elles permettent aussi la caractérisation d'un espace national « sports et handicaps » en pleine recomposition face à l'enjeu de l'intégration des personnes handicapées au sein du monde sportif » (Meziani 2012 : 25).

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cas d’Oscar Pistorius est doublement intéressant en ce qui a trait au laxisme des institutions et à la mesure du corps prothétique, puisque deux controverses entourant l’athlète ont éclaté, et que ses controverses sont relatives à une conception du corps induit par la lunette de la moyenne et de la normalité. La première controverse concerne l’évaluation des capacités de l’athlète prothétique en comparaison aux capacités des athlètes olympiques de courte piste. Ce que nous observons, est que la compréhension scientifique qui englobe les décisions institutionnelles impose, comme nous l’avons vu, des conceptions modélisées du corps, c’est-à-dire, un corps compris en des termes quantifiables106.

En observant le cas de Pistorius, nous constatons que les éléments quantifiables sur lesquels s’appuient l’IAAF et le mouvement olympien pour prendre leur décision par rapport à la présence d’un corps prothétique parmi les athlètes « réguliers », ne semblent pas s’accorder. L’argumentaire de chacune des parties décisionnelles décrit le corps par des éléments quantifiables qui a priori, semblent être objectif, or, en se penchant sur la question d’un peu plus près, il nous apparaît que les mesures107 et les niveaux de compréhension

impliqués sont empreints de subjectivité108.

Ce qu’il faut comprendre ici, est le fait que, malgré les efforts incessants de la science pour tenter d’être objectif109, nous observons qu’elle ne vit pas en vase clos, qu’elle est

106 « Les performances des (corps) sportifs sont de plus en plus quantifiées. Cette caractéristique n’est pas nouvelle et existait au moins dans son principe dans le cadre des Jeux antiques en Grèce, celui des cirques de l’empire romain ou des pratiques corporelles au cours du Moyen Age ou de la Renaissance. Par contre, l’association de la performance avec la notion de record est plus récente » (Héas 2009 :2).

107 « La mesure des corps humains n’est pas une nouveauté. Elle peut même être considérée comme l’une des avancées majeures des sciences occidentales. La mesure objective (en fait culturelle !) avec les centimètres, les secondes, etc., spécifie le rapport au corps humain en Occident par rapport aux usages corporels dans d’autres aires culturelles. Le corps occidental a été progressivement mis à plat, objectivé, en distendant ses relations avec la Nature, avec les Autres [1] et finalement avec l’Individu lui-même. Ce processus d’objectivation au long cours a permis l’émergence de cet objet scientifique : le corps anatomisé » (Héas 2009 : 71).

108 « Sur un supposé donné biologique stable s’opèrent des modifications sociales et culturelles différentes, selon la place occupée dans une société particulière à une époque donnée. Ce faisant, ces articles montrent bien que les savoirs sur le corps ne sont jamais neutres. Ils masquent trop souvent l’ethnocentrisme des frontières culturelles, de classes sociales, d’âge ou de sexe » (Fournier 2008 :3).

109 « Comme toute pratique, les statistiques sont polysémiques, la mesure est ambivalente. La mesure sportive ou artistique devient « fétiche faitiche » selon le jeu de mot de B. Latour (1996). L’auteur rappelle ainsi que dans la culture occidentale comme dans toutes les civilisations, des événements qui se répètent notamment font partie intégrante de croyances, ou à tout le moins d’usages fétiches. En Occident, les découvertes et les avancées scientifiques peuvent être utilisées aussi dans ce sens mythologique » (Héas 2009 :5).

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imbriquée dans la vie sociale et politique110, et plus encore, la science est interdépendante

d’elle-même, c’est-à-dire du développement et des interconnexions entre les diverses sphères de la science où s’entremêle, entre autres, dans le cas qui nous occupe, l’ingénierie, la médecine, mais également l’institution sportive et ses structures, médiatiques, financières et politiques, qui encadrent et régissent le développement du corps prothétique dans la pratique sportive. Ce réseau d’interaction comme l’ont décrit Latour, Law et Callon (1979, 1984, 1986), agit à la fois sur la compréhension des corps et sur les corps eux- mêmes, puisqu’en observant les liens qui unissent ces acteurs autour du corps de l’athlète, forcé de constater, qu’ils ont tous une influence sur ce corps, mais aussi sur les autres acteurs comme les entraîneurs, physiothérapeutes, préparateurs physique, mais aussi les médecins et scientifiques qui sont pris à partie dans ce contexte de sport de haut niveau. Ce que nous avons observé en ce sens, est que le développement des technologies force constamment les institutions à réviser leur système de classification, ce qui contraint parfois, les laboratoires prothésiste à adapter leurs prothèses aux contraintes réglementaires, c’est entre autres, le cas avec la place des technologies actives et de proprioception111 dans la légifération olympienne paralympienne.

Cela a, entre autres, pour effet de limiter la transformation de certaines technologies, mais également cela provoque une certaine disparité entre les athlètes, principalement en ce qui concerne l’accès aux technologies les plus récentes. La compréhension des structures internes et externes du corps, et leur imitation par système bionique résultant dans le cas présent à une prothèse, est circonvenue d’une part, par l’avancement des technologies, des matériaux, mais aussi par un certain changement des comportements et du rapport de la société face au handicap. Le questionnement qui nous occupe réfère implicitement à la perception du handicap dans notre société et à la limite que nous nous imposons face à

110 « Les technosciences désignent la science telle qu’elle se fait et non telle qu’elle se dit (science pure, autonome), en substituant aux ruptures et démarcations une population hétérogène d’acteurs liés en réseaux » (Bensaude-Vincent 2012 : 591).

111 « Proprioception is a main sensory channel facilitating feedback information about force, velocity,

displacement or actual position of a segment relative to another segment or the whole body relative to gravity. Proprioceptive information arrives via different sensors in the skin, muscles and joints during either static or dynamic conditions in reaction to self-motion of the segments or the whole body, and provides sensation of movement (kinesthetic sense), muscle tension, balance and force (a sense of effort) »

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notre devenir. Ces questionnements conditionnent également le régime égalitaire qui doit exister dans l’univers sportif.

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Chapitre 17 : Égalité des chances et avantages dits