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Ce que nous avons observé dans les données recueillies est que, l’aspect santéiste qui prévaut à la base dans l’utilisation du sport, et dans la réhabilitation des personnes handicapées, n’est plus le pivot central de la pratique parasportive, et cela s’explique principalement, étant donné le désir de réussite et de performance que le sport de haut niveau implique, et le désir de sublimer le handicap. Nous l’avons vu l’entraînement des parasportifs est devenu plus intense et plus adéquat à leur condition, il n’en demeure pas moins que le surentraînement, les blessures, la douleur et les bris affectent la santé et le bien-être de ses athlètes.

La douleur et la souffrance semble être une partie intégrante du sport de haut niveau, le questionnement sur l’aspect santéiste du sport demeure d’autant plus, lorsque nous observons le point de vue des athlètes, mais aussi de leur entourage. L’entraîneur de l’ancienne championne paralympiques Shea Cowart, Myron Parran dit à propos de son athlète :

« She likes to feel the pain. She has a personal integrity that pushes her twice as hard as someone

else might go." Cowart knows that she has had a fulfilling workout when she vomits at the end »

(Tierney, The Atlanta Journal Constitution, 10 décembre 2000).

Le passage d’une pratique hygiénique et santéiste à une pratique performative et compétitive, agit sur le corps prothétique et sur la conception de celui-ci. Il n’est plus un « corps accapable » en processus de réhabilitation, il est un corps bionique, un corps qui tente de se rapprocher de la norme, de la normalité, autant dans le mouvement de son corps83, que dans la capitalisation de ses capacités. Puisqu’il faut se rappeler, que le sport s’est pleinement intégré au système capitaliste. Le sport suit en quelque sorte le courant de diffusion du mode de production capitaliste84. Il s’insère dans une logique de rationalisation

83 « (...) the Flex-Foot, made in Laguna Hills, Calif., which are designed to simulate normal leg and foot

motion, creating a powerful spring in the step » (BWR,1 septembre 1992 Business Wire).

84 « Le sport n’est pas simplement une homologie du monde capitaliste, mais qu’il contribue à perpétuer et à naturaliser l’ordre social des dominants avec ce qu’elle appelle, la suprématie de la productivité et de la concurrence » (Laberge 1995 : p.58).

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et de rentabilité, et ce, principalement avec l’avènement des grandes compétitions comme le Tour de France ou les Jeux olympiques (Brohm 1976 : p. 59). Suzanne Laberge anthropologue du sport et de l’activité physique, écrit à ce propos que le système sportif, présente les conditions de possibilité d’une dépossession de sa pratique ludique et spontanée pour en faire une pratique rationnelle dominée par la volonté d’améliorer sans cesse ses performances (Laberge 1995 : p.58).

Le système sportif enrobe ainsi les athlètes dans cette logique de réussite et de capitalisation, en plus de leur imposer des cadres réglementaires et institutionnels où, pour être en mesure de performer et d’améliorer constamment ces résultats, il se doivent de se soumettre à des substrats extérieurs à la discipline qu’il pratique. On a qu’à penser à la médecine, la biomécanique, la psychothérapie, la psychologie, toutes ses disciplines deviennent nécessaires à l’atteinte des objectifs (Laberge 1995 : p.58). La maitrise du corps dans une pratique sportive n’implique donc pas uniquement l’athlète, elle implique également une myriade d’acteurs qui s’engage à plusieurs niveaux pour conduire l’athlète au sommet de la pyramide. La professionnalisation des athlètes paralympiens et de leur l'entourage, au même titre que les athlètes olympiens, nous paraît être un élément important à la progression des performances comme c’est le cas, entre autres, pour le comité olympique australien :

« This involved a number of initiatives including recruiting coaches who were not necessarily part of the disabled scene as such, but just good at their job, trying to mirror the Australian Olympic Committee's training and support programs, and making the Federation itself more professional »

(Reed, Daily Telegraph, 24 août 1996).

Or, cette professionnalisation de l'entourage et des athlètes permet une progression importante des performances et le mouvement paralympien s’y voit entraîné.

« This is what the Paralympics have become: high-level competition with full-time athletes who have endorsement opportunities at stake » (Kragthorpe, The Salt Lake Tribune 23 septembre 2004).

Ces corps deviennent le véhicule du triomphe de la technique sur la nature, l’image de la maîtrise de l’homme sur le corps. Pour Laberge, le corps se retrouve alors déshumanisé et pratiquement abandonné aux objets de connaissances, il en vient ainsi à être objectivé par les divers acteurs, mais également par l’athlète lui-même. Nous sommes d'avis que cette

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vision quoiqu'un peu exagérée n'est pas complètement éloignée de la réalité, puisque le rythme d'entrainement, l'alimentation, mais aussi les techniques du corps, la récupération après l'effort, la concentration, bref, chaque aspect psycho-physiologique de la performance sont pris en compte par des professionnels qui accompagnent les athlètes paralympiens85.

Le corps handicapé et sa condition sont donc en ce sens, objectivés et le but éprouvé est d’atteindre une normalité par rapport aux autres athlètes, mais aussi par rapport à la normalité du corps « naturel ». Le but est également d’atteindre des performances, et ce, en façonnant une santé physique avec l’aide des connaissances et la compréhension que les divers domaines de la science ont de ce corps. Un problème particulier nous semble émerger pour les athlètes en lien avec cette quête de performance, c'est l’abnégation du corps. On observe en ce sens, un écart important entre la conception que l’on se fait du corps parasportif prothétique, un corps réadapté, réhabilité, un corps en santé, et le quotidien de ses athlètes soumis aux régimes, aux entraînements, aux résultats, aux blessures, à la douleur et aux limites de l’amalgame entre leur corps et leur prothèse. Par exemple, la variation du poids de l’athlète, peut potentiellement causer des problèmes « d’emboîtement » entre la prothèse et le corps de l’athlète. Nous observons que la conception que l’on tente de nous renvoyer de ces corps prothétiques dans une pratique sportive de haut niveau est distorsionnée, puisque que l’état physique et de bien-être des paralympiens n’est pas toujours arrimé avec l’image santéiste que l’on tente de véhiculer de la pratique sportive et parasportive. Car bien que les records soient battus et que les performances des paralympiens se rapprochent de celles des olympiens, il existe une limite pour l’instant au confort et à l’agilité de ceux-ci. Pour mieux comprendre ses limites et prendre la mesure des efforts déployés, observons brièvement le rapport qui se dessine entre le corps prothétique et le sport de haut niveau.

85 « Dans les cinq groupes spécifiques endurance, force, psychologie, sports d’équipe et matériel, des connaissances scientifiquement fondées et pertinentes en termes de performance sont évaluées et traitées au profit des entraîneurs, des sportifs et des responsables de fédération. Des projets scientifico-sportifs sont initiés conjointement avec les fédérations. Ceux-ci visent des objectifs réalistes, axés sur des succès internationaux, et sont utilisables par les entraîneurs et les sportifs dans leur entraînement quotidien » (Swiss olympic 2010 :32).

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