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CORPS CYBORNFIÉ ET CORPS HYBRIDÉ ; CONCEPTIONS DES « CAPACITÉS »

Les images du cyborg, de l’hybride et de l’homme bionique sont bien ancrées dans les discours qui circulent sur ses athlètes prothétiques. Bien qu’aux regards de nos observations, la technologie la plus récente utilisée par les athlètes, le Cheetah Flex-foot permet d’avoir des résultats et des performances impressionnantes, l’équilibre, la mobilité et la puissance demeurent tout de même, des points discutables et ce autant pour les scientifiques qui évaluent les performances des athlètes, que pour les institutions sportives. Puisque, comme nous pouvons l’observer avec, entre autres, le cas d’Oscar Pistorius, comme avec bien d’autres, la perception et le regard que posent les médias comme le public sur ces athlètes, les assujetties à une conception cybornifiante de leur corps, ce qui oblitère la fragilité et les faiblesses que peuvent revêtir ces paralympiens.

« Wearing the Cheetahs, Pistorius looked fragile and unbalanced, less like a gazelle and more like

a young deer » (Samuel, New York Daily News, 1 juin 2008).

Il est intéressant de constater que les médias vont à la fois décrire et concevoir les athlètes prothétiques comme Pistorius comme étant fragiles et vulnérables face à la technologie, tout en projetant une image futuriste et cybornifiante, comme par exemple, en utilisant des icônes de la culture populaire88 pour mettre en évidence leur différence. Paradoxalement, dans une certaine recherche de normalité à travers une pratique sportive, les athlètes prothétiques se retrouvent coincés entre les extrêmes, entre la fragilité et la superhumanité, sans véritablement réussir à s'en extraire. De plus, selon ce que nous avons observé, cette conception du corps prothétique, vient avec le développement des performances et de la technologie, mais également avec l’esthétique du mouvement, c’est-à-dire, que plus les technologies s’améliorent et plus le mouvement et la démarche de la personne, semble plus « naturelle ». Pourtant, la technologie du Flex-foot s’inspire du règne animal et du système

88 Les références sont nombreuses mais notons particulièrement l'Homme de 6 millions « The Six Million Dollar Man), série de science-fiction basé sur le roman Cyborg de Martin Caidin et diffusée entre le 16 janvier 1974 et le 6 mars 1978 sur le réseau ABC, ou encore Blade runner titre d'un film futuriste culte de 1982 de Ridley Scott, et sobriquet que l'on a affublé Oscar Pistorius en référence à ses lames (blades) qui est le terme utilisé pour désigner la partie inférieure de sa prothèse, et au fait qu'il soit un coureur (runner).

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de propulsion de l’antilope ou du guépard. La forme en « J » de la prothèse Cheetah Flex

foot est une imitation des pattes arrière de ces animaux.

Crédit: Emaze

Ce nouveau design de prothèses, est un bon exemple de la redéfinition des processus biologiques permis par la fragmentation et le refaçonnement du corps. (Lafontaine 2008 : 150). Il devient un ensemble de systèmes ou de processus, il devient manipulable transformable redéfinissable89. On ne cherche plus alors à imiter l’apparence, mais plutôt le mouvement, permettant ainsi l’émergence de ces nouvelles technologies.

Bien que cette jambe, ou cette prothèse ait des limites (bris, inconforts, déséquilibres), il n’en demeure pas moins qu’il y a eu des changements majeurs en ce qui a trait à l’amalgame entre le corps handicapé et les prothèses. Cette transformation autour du corps

89 (...) la technoscience, dont la matrice est le modèle cybernétique, affecte, transforme et désagrège la conception des êtres humains, conçus aujourd’hui comme un assemblage d’organes manipulables et interchangeables, ou encore comme des êtres purement « informationnels », héritiers d’un riche patrimoine génétique (Rodriguez 2004 : 110).

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et de la prothèse, sont mises en exergue avec les performances qu’a réalisé le Sud-africain, Oscar Pistorius.

Puisqu’en tentant de se qualifier pour les Jeux olympiques de Pékin de 2008, l’athlète parasportif démontre, que le paralympisme n’est pas une pratique sportive de seconde zone90, il devient alors un élément perturbateur à l’équilibre tacite du sport, un équilibre illusoire qui tente de maintenir « l’artificiel » hors de ses arènes. Pourtant, cette vision idyllique du sport de haut niveau est non seulement attaquée de toutes parts, mais elle repose sur une dichotomie nature/culture qui s’enracine dans une vérité erronée, liée à une image du sport exaltant les « capacités humaines » aux « naturelles »91.

« Coubertin met ainsi en garde contre « le culte du corps » qui risquerait d’engendrer un « monstre sportif » (Coubertin 1913 p. 103-104), et contre « une initiation fallacieuse à la seule efficacité technique » (Boulongne 1975 p. 23).

Cette frontière entre l’inné et l’acquis, entre talent et entraînement, entre nature et culture, est au cœur de plusieurs débats, et le sport n’y fait pas exception. Plusieurs penseurs et théoriciens se sont questionnés sur la place de la nature et de la culture sur le développement du corps, que ce soit par les techniques du corps (Mauss 1934), l’habitus (Bourdieu 1979) ou encore l’épigénétique (Lock 2013). La place qui est dévolue à la nature (biologique) et la culture (société) est constamment retracée et la question de l’épigénétique environnementale en est un exemple patent, puisqu’en intégrant l’histoire sociologique aux affectent biologiques la ligne séparant ses idées s’en voit repousser voir pratiquement effacé92. « En outre, cette conception de l’incorporation moléculaire de l’environnement

90 « Ces olympiades demeurent les parents pauvres des mouvements sportifs en termes de budget, d’encadrement, de médiatisation » (Héas 2012 : 57).

91 « The idea of mutual construction of culture and nature and of organic interdependence between humans

and nature is not, of course, new. Engels (1934) saw what he called a ‘dialectics of nature’ operating in the way in which nature and the natural environment affects and impacts on, as well as constrains and limit, human (natural and cultural) activity, and vice versa. Nature and culture operate in a complex, dialectical relationship both within and outside the human, and between them in what Marx calls the interchange or metabolism (Stoffwechsel) of humans with nature (...) » (Giblett 2008: 17).

92 « Ainsi, les scientifiques tentent d’identifier les effets moléculaires de ces facteurs environnementaux sur les corps des individus. Par exemple, comment le stress peut être corrélé avec des hormones comme le cortisol. L’identification de tels liens conduit les scientifiques à penser qu’ils observent l’impact de l’environnement au niveau moléculaire. Par exemple, comment le stress peut être corrélé avec des hormones

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supprime toute distinction claire entre environnement interne et externe (…) » (Lloyd 2014 : 4).

Ce que nous remarquons également à ce chapitre, est que l’olympisme, qui se targue de nous présenter un sport pur, représentant l’exaltation du corps humain au naturel, présente pourtant des sportifs performant avec l’aide de plusieurs procédés d’entraînement et de récupération, parfois légaux d’autres fois non, et ce, afin d’améliorer leurs performances. Ainsi, lorsque la question des technologies palliatives s’insère dans le débat, on peut se questionner face à la levée de bouclier de plusieurs, entre autres, de l’International

Association of Athletics Federations sur la place des prothèses dans le sport. Car en tentant

de compétitionner contre des « corps capables » (able-bodies)93 les athlètes avec prothèse comme Oscar Pistorius questionneront non seulement l’idée du handicap et du modèle sportif, mais également de l’humanité94, puisqu’il en vient à remettre en question

l’amélioration du corps humain et les limites qu’on lui impose et ce, autant dans le quotidien, que dans la pratique sportive de haut niveau.

« Yes, every time Pistorius screws on his Cheetahs and lines up against able-bodied competition,

he'll inspire the masses. But he'll also force the sporting world to redefine the term "performance enhancer," to reevaluate what is considered cheating and what is not » (Samuel, New York Daily

News, 1 juin 2008).

C’est pourquoi, il nous est apparu nécessaire de s’interroger sur les éléments constitutifs des argumentaires institutionnels et scientifiques, car ce que nous remarquerons, est que la conception du corps prothétique est démultipliée par les modélisations scientifiques des

comme le cortisol. L’identification de tels liens conduit les scientifiques à penser qu’ils observent l’impact de l’environnement au niveau moléculaire » (Lloyd 2014 : 4).

93 « Le concept de « validisme » (ableism) utilisé dans les analyses anglo-saxonnes indique un biais des programmes censés intégrer justement les PVAH. La pertinence du concept permet aux analyses sociologiques de mieux prendre en compte, au-delà des douleurs physiques, les souffrances des personnes ostracisées qui continuent d’être individuellement et collectivement confrontées aux barrières, aux injustices et aux vexations dans leur vie sportive » (Héas 2012 : 57).

94 « Ils insistent ensuite sur le développement des technologies réparatrices du corps, en mettant en avant les questions que cela pose sur la nature de l’humanité et les limites de celle-ci, et considèrent que le débat n’est donc pas seulement un débat technique et sportif, mais un débat qui doit prendre en compte les nouvelles possibilités de transformations technologiques du corps et les angoisses collectives suscitées par celles-ci avant d’exclure ainsi un athlète « appareillé » (Marcellini 2010 : 153).

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capacités du corps, et que ces modèles servent de basent décisionnelles aux institutions face aux litiges qui émanent de la présence prothétique dans le sport. Observons la question de plus près.

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