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Le corps prothétique : analyse de la conception du corps parasportif dans le paralympisme

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Academic year: 2021

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© Philippe Audet, 2020

Le corps prothétique - Analyse de la conception du

corps parasportif dans le paralympisme

Mémoire

Philippe Audet

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Analyse de la conception du corps parasportif dans le paralympisme

Mémoire

Philippe Audet

Sous la direction de :

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Résumé

En tentant de mettre en lumière les ressemblances et les dissonances entre les descriptions faites du corps handicapé, et les compréhensions que les athlètes paralympiques ont et ont eus de leur propre corps, on cherchera à voir dans quelle mesure cela s’inscrit dans une perspective plus large. L’objectif n’est donc pas de mettre de l’avant un portrait de la vie d’un para-sportif de haut niveau, mais plutôt de tenter de tisser les liens et les relations qui existent dans la conception de ce corps parasportif. En observant ce corps lubrique de tous les excès, ce corps symbolisant pour l’Homme sa victoire la victoire de l’Homme sur les caprices de la Nature, contournant les coups du sort. Ce sont ces désirs et ces velléités de ce corps que nous tenterons de percevoir, et cela en suivant le fil d’Ariane qui nous guidera au travers du labyrinthe d’influences qui constituent l’identité de ce corps handicapé.

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Table des matières

RESUME ... II

REMERCIEMENTS ... VI

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : CONTEXTUALISATION SOCIO-HISTORIQUE DU SPORT, DE L’OLYMPISME ET DU PARALYMPISME ... 4

1.1 LE SPORT ... 4

1.2 L’OLYMPISME ... 8

1.3 LE PARALYMPISME ... 10

CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE ... 12

INTRODUCTION ... 12

2.1 L’ANTHROPOLOGIE DU CORPS ... 13

2.2 SCIENCE AND TECHNOLOGY STUDIES (STS) ... 18

CHAPITRE 3: CADRE CONCEPTUEL ... 22

INTRODUCTION ... 22

3.1 LE CORPS, CORPORALITÉ ET OBJET/CORPS ... 23

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3.3 L’HYBRIDITÉ, CYBORG ET BIONIQUE ... 31

CHAPITRE 4 : MÉTHODOLOGIE ... 35

CHAPITRE 5 : MÉTHODE ET COLLECTE DES DONNÉES ... 38

CHAPITRE 6 : RÉSULTATS DE L’ANALYSE. CORPS HANDICAPÉ ET CORPS SAIN : ... 41

LA CLASSIFICATION NORMATIVE DES ATHLÈTES PROTHÉTIQUES. ... 41

INTRODUCTION ... 41

CHAPITRE 7 : LA CLASSIFICATION ... 44

CHAPITRE 8 : CORPS ADAPTÉ, CORPS RÉHABILITÉ ... 48

CHAPITRE 9 : RÉPARATION, AMÉLIORATION ET CAPACITÉ ... 50

CHAPITRE 10 : CORPS SAIN ET LE CORPS HANDICAPÉ ... 56

CHAPITRE 11 : LA COMPARAISON ENTRE LES CORPS PROTHÉTIQUES ET LES CORPS « NORMAUX ». ... 58

CHAPITRE 12 : LE « CORPS SPORTIF », CORPS PERFORMANT ... 61

CHAPITRE 13 : LE CORPS PROTHÉTIQUE ET LE SPORT ... 64

CHAPITRE 14 : CORPS CYBORNFIÉ ET CORPS HYBRIDÉ ; CONCEPTIONS DES « CAPACITÉS » DU CORPS PROTHÉTIQUE ... 67

CHAPITRE 15 : CORPS MESURABLE, CORPS MOYEN ... 72

CHAPITRE 16 : LES INSTITUTIONS ET LE CORPS ... 75

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CHAPITRE 18 : CORPS « NORMAL » ET CORPS PERFORMANT ... 88

CONCLUSIONS ... 91

BIBLIOGRAPHIE ... 101

SITE INTERNET ... 114

ARTICLES DE JOURNAUX ... 116

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Remerciements

J’aimerais remercier les professeurs du département d’anthropologie du l’Université Laval qui ont cru en moi et qui m’ont aidé tout au long de mon cheminement. J’aimerais également remercier les personnes qui m’ont aidé à la rédaction de ce mémoire, Jocelyne Audet, Camille Vissouarn, Anthony Melanson, Corinne Gravel ainsi que Marianne Amar. Je souhaite également faire un remerciement spécial à M. Roger Boileau qui m’a fait réfléchir à plusieurs aspects du sport et de la corporalité tout en me permettant de faire de la recherche.

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1

Introduction

Dans la présente étude, nous poserons un regard sur la pratique sportive et parasportive, ainsi que sur les changements historico-sociaux et organisationnels qui ont touché le mouvement olympique et paralympique. Nous tenterons plus précisément d’analyser l’évolution des différents concepts et idées du corps handicapé avec prothèse dans une pratique sportive de haut niveau en lien avec les changements de compréhension, de perspective et d’analyse des différents acteurs qui sont engagés dans le réseau institutionnel et scientifique du paralympisme. Pour ce faire, nous nous interrogerons sur l’identité multiple de ce corps, un corps handicapé, un corps « accapable », mais aussi un corps hybridé, un corps bionique, un corps cyborg, un corps performant. L’objectif ici, sera de comprendre comment la conception et l’identité du corps handicapé se sont modifiées en lien avec le réseau d’influence qui existe dans l’univers sportif, et comment ces images et ces perceptions s’allient et se confrontent. En somme, on observa le corps être objectivé par la science, l’institution, mais aussi parfois par les athlètes eux-mêmes. On verra comment le corps parasportif devient réparable, manipulable voire, transformable.

Pour être en mesure de brosser un portrait satisfaisant de la question, nous tenterons d’illustrer, à l’aide d’articles de journaux, d’archives vidéo et d’une littérature grise variée (rapports officiels, systèmes de classifications, plans stratégiques, etc.), les différentes manières de concevoir et de définir le corps parasportif. En dressant un portrait des écarts et des rapprochements entre les différentes conceptions du corps parasportif, nous espérons être en mesure de tracer les chemins, quoique sinueux, d’un certain nombre de transformations du corps paralympien, depuis l’avènement des Jeux paralympiques en 1988, jusqu’en 2012, tout en contextualisant le tout de manière historique, c’est-à-dire en exposant les prémisses qui ont permis la naissance du paralympisme. Cela devrait nous permettre d’illustrer les forces et les tensions qui ont agi et agissent sur la conception de ces corps parasportifs.

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2

L’utilisation d’un cadre théorique axé sur une approche de l’anthropologie du corps et sur les Science and technology studies (STS), permettra de rendre compte de la transformation des métadiscours qui chapeautent certaines compréhensions du corps. Après avoir inscrit notre étude dans un cadre théorique, nous définirons les principaux concepts qui s’allient à notre problématique et à notre méthodologie. Le concept de corps sera un pivot important à notre étude, pour ce faire, nous en définirons les principaux éléments qui le composent, ce qui nous permettra d’encadrer notre analyse. En suivant cette idée, nous nous pencherons sur le concept de handicap en cherchant à y extraire les principales définitions qui alimenteront notre réflexion. En ayant mis de l’avant le socle conceptuel de l’étude, nous nous devons alors de décrire les principaux concepts qui s’insèrent dans la conception de l’amalgame du corps et des biotechnologies dans le contexte d’une pratique parasportive de haut niveau. La question de l’hybridité sera un concept duquel nous tenterons d’extirper les composantes majeures. Nous verrons également que le concept d’hybridité n’est qu’une des manières de définir l’incorporation de technologies au corps, le concept de bionique comme le concept de cyborg, nous permettront de prendre la mesure des regards qui sont posés sur le corps prothétique, c’est-à-dire le corps avec prothèse, en pratique sportive de haut niveau. Par la suite, nous entrerons au cœur de notre étude et nous ferons l’analyse des différentes données que nous aurons recueillies.

Comme l’élément central qui constitue le présent travail est le corps, nous avons segmenté l’analyse selon les diverses conceptions observées au travers la collecte de données colligées. Au fil des lectures et de l’analyse, on remarque assez rapidement que le corps humain n’est pas uniquement polysémique, il est également multidimensionnel dans la matérialité du corps, mais également dans sa représentation, et ce, d’autant plus pour le cas qui nous occupe, puisque le corps handicapé pose, par les processus adaptatif et réadaptatif, la question de la finitude et des frontières du corps.

En premier lieu, nous tenterons de comprendre et d’observer de quelle manière le corps prothétique est-il conceptualisé comme étant un corps malade, et comment celui-ci est-il mis en relation par l’entremise de la science médicale, avec une conception du « corps sain » et du « corps normal ». L’isométrie entre « le corps sain » et « le corps handicapé »

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se constitue, nous le verrons, sur la base de systèmes de mesures que les divers domaines de la science instituent sur l’assise de normes biologiques et physiologiques du corps.

Le « corps normal » étant élaboré et conçu par les différents domaines de la science, à partir des connaissances qu’ils en dégagent et de leur compréhension des phénomènes corporels, ils se positionnent au premier plan dans le réseau d’influences qui se forme autour du corps parasportif. Il est à noter que nous ne nous lancerons pas ici dans une analyse sémantique des différents vocables utilisés, mais nous tenterons plutôt de voir comment, à travers les contradictions, les confluences et les paradigmes, s’élabore une conception du corps parasportif de haut niveau.

Ce qui nous conduira à la section suivante, où nous analyserons les questionnements sur la manière dont le corps prothétique est conceptualisé comme étant un corps malade, et comment celui-ci est-il mis en relation par l’entremise de la science médicale, avec une conception du « corps sain » et du « corps normal » en observant les diverses conceptions du corps parasportif à travers le corps mesurable.

En somme, dans cette partie de l’étude, nous avancerons que les processus normatifs qui régissent nos compréhensions du corps, régissent également les limites acceptables des « capacités humaines ». Nous verrons que les cadres normatifs que la science et l’institution imposent, ne prennent pas le ressenti de l’athlète paralympique en compte dans la mesure de la limitation et dans la mesure de la norme. C’est ce que nous tenterons d’éclaircir tout en cherchant à comprendre comment cela se décline dans la réglementation et la légiférassions du sport paralympique, et quels en sont les résultantes.

Pour conclure, nous verrons comment les innovations et la science influencent et agissent sur le corps et sa conception dans l’institution paralympienne. Nous nous attarderons également à la polysémie du corps qui s’imbrique à la fois dans le mouvement, dans la pratique et dans la corporalité, constituant ainsi un corps multiple qui se confronte et confronte les aprioris et les concepts qui en sont faits. Le parasport se trouve ainsi aux points de jonction du paradigme de la corporalité et des limites qui lui sont émissent. Observons tout d’abord de quelle manière prend racine le phénomène sportif et de quelle manière il s’imbriquera à la renaissance de l’olympisme moderne et à la naissance du paralympisme.

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Chapitre 1 : Contextualisation socio-historique du

sport, de l’olympisme et du paralympisme

1.1 Le sport

Les jeux, les affrontements, la compétitivité sont des phénomènes bien antérieurs à la naissance du sport moderne. Le sport doit plutôt être perçu comme étant une « Magna carta1», c’est-à-dire, la mise en place d’un système de réglementation et d’élaboration d’un

code de bienséance, le « fair play ». Le sport2 issu de l’aristocratie britannique, systématise3

les pratiques corporelles compétitives contrairement aux pratiques populaires qui évoluaient selon des conventions locales et des règles non-écrites4. Le sport est un divertissement pour la nouvelle aristocratie qui émerge sous Henri VII.

« À la fin du Moyen Âge, les techniques guerrières nouvelles réduisent l'importance des chevaliers. La guerre de Cent ans, puis, la véritable guerre civile dite des Deux-Roses achèvent de décimer la haute noblesse anglaise au profit du pouvoir royal d'Henri VII et d'un nouvel allié, la bourgeoisie, instaurant sous son règne (1485-1505), la dynastie des Tudor associée à l'Angleterre moderne. Jouant un rôle secondaire dans la marche du royaume et possédant terres et temps libre, cette noblesse s'adonne dorénavant en dilettante aux activités de son patrimoine social (équitation, chasse, escrime, etc.) » (Boileau 2007 : 26).

C’est donc le temps loisible5, obtenu par une certaine paix, qui permis à cette aristocratie

de s’adonner à des pratiques sportives. L’expansion graduelle des pratiques sportives se fera en partie par l’élargissement de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Le club deviendra

1 http://encyclopediecanadienne.ca/fr/article/magna-carta/

2 « Par sport, il faut comprendre une activité physique de compétition, amusante, pratiquée en vue d'un enjeu, selon des règles précises et un esprit particulier : le désir de vaincre loyalement un adversaire de calibre » (Guay 1987 : 23).

3 « La volonté de comparer les performances impose alors l'établissement de règles pour mieux contrôler le déroulement des épreuves. Ces règles sont fixées dans un esprit chevaleresque à l'image du style de vie et des valeurs des promoteurs » (Boileau 2007 : 26).

4 « (…) les jeux populaires observés en Angleterre au Moyen Âge ressemblent à ceux pratiqués en Europe. Les jeux physiques sont plutôt violents et régis par des conventions locales non écrites permettant la perpétuation, sous forme ludique, des animosités entre localités, des différences et parfois des tensions entre les catégories sociales comme les plus jeunes contre les plus âgés, les gens mariés contre les célibataires, etc. » (Boileau 2007 : 26).

5 « En rétrospective, on constate que cette classe « oisive » présente des caractéristiques particulières : elle dispose de temps libre pour s'exercer et exceller dans les jeux de son choix ; elle dispose de la richesse nécessaire pour acquérir des biens (yacht, chevaux, terres, clubs, etc.) et des domestiques qu'elle utilise dans ses divertissements ; elle dispose de la motivation et de l'énergie pour se faire valoir, affirmer sa supériorité ; elle connaît le décorum et l'applique à ces formes ludiques pour qu'elles lui ressemblent » (Boileau 2007 : 107).

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le lieu de diffusion principal de la pratique sportive, puisqu’il est au cœur de la culture britannique du sport. « Le modèle britannique repose sur la formule du club, lieu de rassemblement où s'exercent à la fois une certaine sociabilité et la vie sportive elle-même » (Boileau 2007 : XIX).

L’élargissement et la diffusions des pratiques sportives et des clubs sportifs fut permis, en bonne partie, par le colonialisme britannique (Boileau 2007 : 3). Ce fut, entre autres, le cas au Canada et au Québec avec l’apparition, à la fin du XVIIIe siècle et durant la première

moitié du XIXe siècle, de clubs réunissant des adeptes d’un ou de plusieurs sports (Metcalfe 1996 : 46). À partir des décennies 1860-1870, la récréation se transforme considérablement. Les compétitions sont moins sporadiques et le résultat devient de plus en plus important. S’adjoignant à cela, l’urbanisation et l’industrialisation amènent de profonds changements sociaux qui permirent, entre autres, une diffusion plus large du sport dans les diverses couches de la population. C’est vers la fin du XIXe siècle que s’amorce

l’une des transformations les plus importantes du sport moderne, alors que celui-ci passe essentiellement d’une pratique axée sur la sociabilité et l’hygiène, pour se métamorphoser en une pratique agonistique s’ancrant dans la professionnalisation des athlètes (Bourgeois 1995 : 153). Ce processus réside à la fois dans une volonté de victoire et de popularité, ce qui implique l’achat ou la mise sous contrat de joueurs venus de l’extérieur (Bourgeois 1995 : 153). Pour maintenir la ferveur et le niveau de compétitivité, les propriétaires de clubs mettront sous contrat des joueurs venus de l’extérieur. En ce sens, vers la fin du XIXe

siècle et aux débuts du XXe siècle, les clubs perdent graduellement au courant du siècle

émergeant leur filiation dans la communauté, le lien d’identification d’une population à son équipe ne résidera plus alors dans le lien entre les joueurs et la communauté, mais prendra une forme nouvelle, modelée par les médias.

La naissance d’une presse de masses au début du XXe siècle permettra, une nouvelle identification d’une communauté à une équipe sportive ou à un athlète passant principalement par les canaux de la commercialisation et de la spectacularisation du sport (Bourgeois 1995 : 155). Ainsi, en étant rémunérés de manière de plus en plus importante tout au cours du XXe siècle, les athlètes deviennent l’objet d’attentes de performances et de résultats. Pour ce faire, le sportif aura recours à diverses méthodes d’entraînement afin

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d’augmenter ses capacités et améliorer ses performances. S’instrumentalise alors une scientifisation du sport et des performances athlétiques. L’évolution de la pratique sportive au courant du siècle dernier, est grandement tributaire des nombreuses évolutions socio-technologiques qui émergent. De plus, la croissance exponentielle des moyens de communication va, quant à elle, permettre de diminuer l’impact des distances physiques, mais aussi psychologiques entre les différentes nations, ce qui fera naître la planète sport (Brohms 1976 : 16). De ce fait, les records et les champions symboliseront, d’une certaine manière, l’universalité de l’humanité, le sport devient ainsi un « fait social massif » (Brohms 1976 : 16). Comme le spécifie Jean-Marie Brohms, sociologue, philosophe et spécialiste de l’éducation physique et sportive, la science et la technologie se sont insérées dans le domaine sportif pour créer une véritable révolution. De nombreux aspects du sport se transforment alors, entre autres, les infrastructures organisationnelles et matérielles, les instruments de mesure, les techniques d’entraînement, ainsi que les appareils d’enregistrement. La science et la technologie transformeront également le sport sur les aspects de la biomécanique du corps, mais aussi sur la technologie du sport en elle-même6. Le sport olympique et paralympique verront, au cours de cette période, les records et les performances constamment repoussés. L’innovation des moyens d’entraînement et de locomotion comme les équipements sportifs, les prothèses et le fauteuil-roulant vont transformer à la fois la performance des athlètes et la compétitivité, le tout s’inscrivant dans le continuum de la progression des technologies7. Dans cette révolution, le « corps

6 « En 1985, la revue Innove en consacrant un numéro spécial au sport, aux techniques et technologies du sport. Des articles majeurs comme ceux de Parlebas, qui étudie l’articulation entre les grands modèles de machine, l´évolution de la pensée technique et les moyens de penser le corps (Parlebas, 1985); de Defrance qui, à partir de l’exemple de l’invention de la perche en fibre de verre, analyse la réception de l’innovation technique et les formes d’appropriation ou de résistance à la nouveauté au sein des groupes de pratiquants (Defrance, 1985); de Aupetit qui, à partir de l’exemple de l’ULM (Ultra-Léger Motorisé) réfléchit à l’impact des technologies sur le développement des sports (Aupetit, 1985); de Vigarello et Vivès qui prolongent leur analyse du discours technique (Vigarello & Vivès, 1985); de plusieurs économistes, enfin, qui abordent la question des réseaux de l’innovation technique et sportive, participent à rendre crédible et à renforcer un intérêt encore fragile autour de l’histoire des techniques et technologies sportives » (Robène 2014 : 98). 7 « Les athlètes commençaient à utiliser les fauteuils de course à trois roues qui sont aujourd’hui la norme, mais les règlements stipulaient que tous les fauteuils devaient avoir quatre roues. Bo Lindquist participa aux épreuves de Gasparilla dans un fauteuil à trois roues conçues par la société américaine Top End et doté d’une petite roue stabilisatrice supplémentaire. Le fauteuil avait bien quatre roues, c’était incontestable, et bientôt, les organisateurs et responsables durent admettre que les règlements ne pouvaient faire obstacle à cette évolution majeure dans la conception des modèles de course » (Black 2012 : 142).

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sportif » ou plutôt le « corps sportivisé »8, est objectivé, c’est-à-dire qu’il ne devient plus

que l’instrument de la réussite, imbriqué dans une logique positiviste9. Cette utilisation du

terme « corps sportif » ou « corps sportivisé » met en perspective la transformation du corps des sportifs au courant des dernières décennies. Nous ne tentons pas ici de réifier le concept, mais plutôt d’exposer les divers changements qui se sont opérés sur ces corps et comment cela a affecté la conception du « corps sportif », ou « corps sportivisé », c’est-à-dire l’agglutination des représentations et des symboliques de ce corps. Puisque ce « corps sportif » appartient au domaine de la symbolique, il n’est que l’image renvoyée par nos perceptions de ces corps, il n’en est que le reflet. C’est donc pour ces raisons que nous utiliserons le terme de « corps sportif » ou « sportivisé » pour parler des conceptions de ces corps prothétiques, puisqu’ils se réfère à ces images mise de l’avant par les différents acteurs scientifiques, institutionnels et médiatiques pour expliquer et comprendre ces corps. Pour revenir à la question de la transformation du phénomène sportif en lui-même, notons que les innovations technologiques obligeront les organisateurs d’évènements sportifs, comme les Jeux olympiques et paralympiques, à modifier leurs classifications et leurs réglementations, puisque la légitimité de ses institutions repose sur leurs capacités à se maintenir sur la mince ligne qui sépare les capacités dites « naturelles », des capacités « augmentées », du capable, du plus-que-capable. Nous nous pencherons d’ailleurs sur la question des capacités, des limites et des normes sur lesquels les institutions sportives s’appuient pour établir ses classifications et sa réglementation. Mais avant de nous lancer sur cette avenue, nous nous devons tout d’abord de préciser la contextualisation socio-historique de l’avènement de l’olympisme et du paralympisme moderne pour bien comprendre l’analyse qui suivra.

8 « (…) l’entraînement du champion entre en résonance avec une « sportivisation » du corps et des mœurs (…) » (Queval 2011 : 197).

9 « L’optimisation toujours renouvelée des paramètres techniques et psychologiques de la performance illustre un héritage des Lumières dont le XIXe siècle, celui de la naissance du sport moderne, consacra l’effectivité en étalonnant la force et le mouvement humains : le culte du progrès » (Queval 2011 : 197).

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1.2 L’olympisme

Le projet que chérissait le baron Pierre de Coubertin lorsqu’il a introduit les Jeux olympiques à la fin du XIXe siècle était empli d’un désir humaniste. Roger Boileau, sociologue et spécialiste du sport et l’éducation physique, écrit d’ailleurs que la définition du sport qu’il (Coubertin) propose, épouse les contours de son projet humaniste : « Le sport est le culte volontaire et habituel de l'exercice musculaire intensif appuyé sur le désir du progrès et pouvant aller jusqu'au risque » (Boileau 2007 : 18). Il a été question précédemment de l’apparition et du déploiement de la pratique sportive au cours du XIXe

et XXe siècle, l’avènement de l’olympisme moderne10 deviendra un point de jonction dans

l’ascension de la pratique sportive. Coubertin utilisera le prestige de l’olympisme antique pour y intégrer le sport britannique dans son pays, la France. Il faut comprendre que la création de l’olympisme moderne ne s’inscrit pas dans un continuum avec l’olympisme antique qui a eu cours, d’environ 776 avant J.-C. jusqu’à son interdiction par l’empereur chrétien Théodose en 393 après J.-C11. La version moderne s’inspire du caractère : « périodique, artistique et religieux » de l’olympisme antique. Coubertin procède par étapes : 1894, restauration des jeux et de leur périodicité ; 1906, rétablissement des manifestations artistiques ; 1910, premières articulations de la religio athletae qu'il développera jusqu'à la fin de sa vie » (Boileau 2007 : 16). Pierre de Coubertin écrivait d’ailleurs ceci à ce propos :

« (…) L’aspect religieux dans l’olympisme se transbordera en une glorification d’un culte patriotique. En ce siècle laïcisé, une religion était à notre disposition ; le drapeau national, symbole du moderne patriotisme montant au mât de la victoire pour récompenser l'athlète vainqueur, voilà ce qui continuerait le culte près du foyer rallumé » (Boileau 2007 : 16).

Le sport, croit-on, se doit d’être un vecteur de rapprochement entre les peuples. Des affrontements compétitifs dénués de politique, c'est ce qui prime dans l’esprit qui redonne

10 Le baron de Coubertin écrivit : « Un seul moyen me parut pratique pour y parvenir : créer des concours périodiques auxquels seraient conviés les représentants de tous les pays et de tous les sports et placer ces concours sous le seul patronage qui pût leur donner une auréole de grandeur et de gloire, le patronage de l'antiquité classique. Faire cela, c'est rétablir les Jeux Olympiques : le nom s'imposait. Il n'était pas possible même d'en trouver un autre » (Boileau 2007 : 16).

11 « Toutefois, la popularité des concours sportifs et des fêtes culturelles persiste jusqu’au 6e siècle après J.-C. dans de nombreuses provinces de l’Empire romain encore sous influence grecque » (Musée olympique : Les Jeux Olympiques de L’Antiquité : 13).

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naissance à l’olympisme. Ce courant humaniste s’inspire fortement de l’esprit des Lumières, concevant les rapports humains dans une perspective universaliste. S’opposant à une vision mécaniste du corps, l’humaniste tend à poser son regard non seulement sur l’hygiène du corps, mais également l’hygiène de l’esprit. Coubertin croyait en l’humanisme de l’olympisme, mais également en son aspect religieux12, c’est-à-dire qu’il tente de réifier

le dogme religieux dans la nature du « corps sportif ». L’on peut comprendre cette référence religieuse de l’olympisme avec des analogies à la mythologie grecque que l’on utilise parfois pour parler des athlètes, comme par exemple : « les dieux du stade ». Cette référence, quoique purement symbolique, démontre bien tout l’aspect scolastique qui entourent le nouveau culte du corps olympien : « Des dieux parmi les hommes ». Cette conceptualisation de l’olympisme, vise à nous aider à comprendre les racines structurelles de l’humanisme et de l’aspect religio athletae du nouvel olympisme, s’enracinant dans un nouveau culte, un culte au corps de l’athlète olympien, mais également de la patrie.

12 « (…) (Vers) la fin de sa vie, en 1935, les Jeux olympiques étant bien inscrits dans les mœurs occidentales, Coubertin en réitère le caractère religieux : La première caractéristique essentielle de l'olympisme ancien aussi bien que de l'olympisme moderne [...] c'est d'être une religion. En ciselant son corps par l'exercice comme le fait un sculpteur d'une statue, l'athlète antique honorait les Dieux. En faisant de même, l'athlète moderne exalte sa patrie, sa race, son drapeau. J'estime donc avoir eu raison de restaurer dès le principe, autour de l'olympisme rénové, un sentiment religieux transformé et agrandi par l'Internationalisme et la Démocratie (...) » (Boileau 2007 : 18).

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1.3 Le paralympisme

En ce qui concerne plus particulièrement le mouvement paralympique, qui prend naissance de manière concrète au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on en fixe l’origine en 1948 avec les efforts mis en place par, entre autres, le Dr Guttmann13, éminent neurochirurgien et responsable du National Spinal Injuries pour présenter les Stoke

Mandeville games (Mauerberg-deCastro 2016 : 112). Dès lors, des visées internationales

émergent du mouvement, l’expérience se répétant en 1952, toujours au Stoke Mandeville

hospital (Mauerberg-deCastro 2016 : 112). À partir de 1960, les Paralympiques sont

présentés pour la première fois dans le même pays que les Olympiques, l’Italie (Rome).

« The Paralympic Games began officially in 1960 and have evolved to become the second largest multisport event in the world, and the pinnacle of sporting achievement for athletes with disability. The transformation from a medical model in which sport was used for the purposes of rehabilitation to one focusing on elite athlete performance has occurred due to a myriad of personalities and events that led to significant organizational and structural change » (Legg 2011: 1099).

La transformation du paralympisme est, entre autres, initiée par des phases de développement organisationnelles et structurelles qui ont permises à l’institution de prendre son envol. Le tout débute avec une première phase dans les années 1970, avec les premiers paralympiques d’hiver qui eurent lieu en 1976, à Örnsköldsvik en Suède14. Puis,

avec une nouvelle phase qui transforme les paralympiques en Jeux paralympiques à partir de 1988 à Séoul15. On forme alors en 1989 le Comité International paralympique,

combinant les différentes fédérations internationales (Purdue & Howe 2013 : 27). Basé à

13« (…) Guttmann’s 1944 sport programs as the origin of Paralympism. This move downplays the importance of competitive sports that were being organized by members of Deaf communities by 1888, that were practiced in schools for the blind by 1909, and that were invented by the patients of Stoke Mandeville before Guttmann even began his sports programs there.(…) Although both histories briefly mention some of these events, they do not treat them as significant enough to challenge Guttmann’s declared paternal role or to call into question the passivity of athletes within the Movement. Furthermore, constructing Guttmann as Father of the Paralympic Movement conceals significant social shifts that contributed to the construction of disability as sites of both tragedy and potential athletic rehabilitation. These developments include: post-war urbanization and industrialization; increased state control over the health and productivity of populations; the construction and popularization of statistical (ab)normality; and the institutionalization of medicine’s power over defining, treating, discovering and controlling disabilities » (Peers 2009 : 33-34).

14 https://www.paralympic.org/ornskoldsvik-1976

15 « In part, this can be understood by the relatively short history of the Paralympic Games with the first official Games being held in 1960 and the modern Games starting in 1988 » (Legg 2011: 1099).

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Bonn, en Allemagne, l’organisme qui réunit plus de 160 comités paralympiques nationaux aspire, à la base, à changer les perceptions et les stéréotypes qui existent face aux personnes avec un handicap, et à s’assurer que le système de classification des athlètes soit intègre et de qualité16. La naissance de cet organisme et la complicité du mouvement olympique seront d’importants catalyseurs au développement du mouvement et à son ascension.

Le changement de regard semble fonctionner en ce qui a trait à la perception du public, s’il faut en croire la progression de la vente des billets, ainsi que les déclarations de Sébastian Coe, chef du comité organisateur des Jeux olympiques de Londres, qui stipule que le grand public, dans une portion de 70%, perçoit le paralympisme comme étant du sport de haut niveau17. C’est par l’entremise des grandes valeurs, qui sont au cœur du mouvement paralympique, telles que le courage, la détermination, inspirée et l’égalité, que l’on tente de changer les perceptions du public (Legg 2011: 1101).

Qui plus est, nous verrons que le fait que le handicap s’insère aussi rapidement dans la logique sportive semble être une piste explicative à la naissance du mouvement, en ce sens que l’utilisation du sport dans la réhabilitation des personnes avec un handicap étant bien ancrée dans les processus de réhabilitation18, cela a permis voir incite à la compétition et à

la performance, transformant ainsi la pratique du parasport, et l’entraînant graduellement vers une pratique du parasport de haut niveau.

Or, ces grandes transformations, que nous observons chez les athlètes et dans l’institution, sont tributaires d’un changement de paradigme dans la sphère techno-médicale et palliative qui, nous le verrons, les entraineront vers des processus d’hybridation des corps handicapés, de plus en plus élaborés et de plus en plus performant. Avant de nous lancer pleinement dans notre étude, érigeons les bases qui constitueront notre cadre théorique et conceptuel, nous permettant par la suite de présenter notre méthodologie qui a servi au dépouillement de nos données et à leurs analyses.

16 International Paralympic Committee Strategic Plan 2011-2014, 2010: 3.

17 http://www.sport.fr/handisport/jeux-paralympiques-2012-record-avec-2-7-millions-de-spectateurs-280189.shtm

18 « Practice of physical exercise was officially identified in hospitals in North America and Europe in the early 20th century, primarily as a division of physical medicine and rehabilitation » (Mauerberg-deCastro 2016 : 112).

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Chapitre 2 : Cadre théorique

Introduction

Le corps au contact d’acteurs et d’intervenants qui agissent et influencent la conception de celui-ci, se voit démultiplier dans sa compréhension. Que ce soit par l’entremise de l’incorporation de technologies ou par la mise en place d’un système de gestion du corps dans la pratique sportive, les acteurs qui circulent sur le réseau d’influence qui gravite autour du corps, et dans ce cas précis autour du corps parasportif prothétique, conçoivent celui-ci par des lunettes et des perspectives différentes.

Le réseau qui existe autour du corps prothétique en pratique sportive de haut niveau, est composé d’acteurs qui interprètent ce corps et en dessinent des frontières, des limites, des normes qui transforment le regard du monde social, c’est-à-dire, la perception des médias, du public, de son entourage, ainsi que sa relation avec le « monde naturel », soit, ses capacités, ses limites, sa corporalité. Chacun de ces éléments est soumis à la conception des différents acteurs institutionnels, scientifiques et médiatiques qui, en interprétant ses caractéristiques, engendrent des conceptions qui ne s’accordent pas nécessairement entre elles et avec celles des athlètes.

Pour bien délimiter les tenants et aboutissants de notre analyse, nous utiliserons deux approches anthropologiques qui vont nous aider à naviguer dans ces enchevêtrements relationnels qui s’initient autour du corps parasportif prothétique. Les récentes études issues des Disability studies comme celles de Gary L. Albrecht (1999), Colin Barnes (2010) ou encore d’Henri J. Stiker (2014) ne seront pas ignorées, toutefois notre regard ne se portant pas sur l’expérience à proprement parler du handicap, mais sur les conceptions informationnelles et normatives du corps prothétique. Ainsi, l’approche axée sur les

Disability studies demeurera en périphérie de notre étude. C’est donc dans cette perspective

que nous utiliserons plutôt une approche de l’anthropologie du corps ainsi qu’une approche des Science and Technology Studies (STS) pour notre étude.

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2.1 L’anthropologie du corps

Élément central à notre étude, le corps, s’explique, se comprend et se théorise sous de multiples façons. La pensée théologique, scientifique et métaphysique, ont influencé notre conception du corps. Divers courants et diverses figures ont théorisé ce champ d’étude, que ce soit en histoire, philosophie ou en anthropologie, on a questionné la place du corps dans nos sociétés, son utilisation, sa ritualisation. Nous n’avons qu’à penser, entre autres, aux travaux de Van Gennep (Les rites de passages 1909) sur la ritualité autour de la naissance de l’enfant, la puberté, ou encore aux travaux de Mauss (Les techniques du corps 1934) sur l’évolution et la transformation de la marche, du sommeil et des repas à travers le temps et les sociétés. Nous pouvons également penser aux travaux de Merleau-Ponty sur le monde vécu et l’expérience de la corporalité (Phénoménologie de la perception 1945), sans oublier ceux de Foucault sur le handicap et les maladies mentales (Histoire de la folie 1972) et sur la sexualité (Histoire de la sexualité 1976). Le champ s’est grandement diversifié, observant et analysant les usages sociaux du corps, ses rapports à son environnement (design, architecture, urbanisme) comme les travaux de Kevin Lynch (Good city forms 1981) où il propose une révision des grandes métaphores qui ont servi à penser la ville et l’urbanisme incluant celle de la machine du corps, ou encore les travaux de Marion Ségaud sur la spatialité, la représentation de l’espace, et sur les formes et les usages de cette espace (Anthropologie de l’espace 2007). Les penseurs, les chercheurs et les théoriciens qui s’inscrivent dans une approche de l’anthropologie du corps ont également cherché à voir de quelle manière le corps est-il compris et quels sont les modèles qui incarnent notre corporalité. On peut penser, entre autres, aux travaux de Margaret Lock sur la biomédecine, à ses études sur la ménopause, la mort et l’épigénétique (An Anthropology of biomedecine 2010).

Ces études, de divers chercheurs et penseurs, ont permis de mettre en lumière la présence de l’homme dans son environnement incluant son contexte historique, structurel, politique, culturel et matériel, mais également, les multiples interactions et compréhensions du monde social et naturel auxquelles il est confronté. Nous inscrivons notre étude dans cette approche, puisque nous chercherons à comprendre comment, à partir de l’interaction des

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corps paralympiens avec les institutions et les biotechnologies, émanent des conceptions diverses de ces corps. Nous tenterons de démontrer que l’élaboration des conceptions qui sont faites des corps prothétiques en pratique sportive de haut niveau, le sont en lien avec des perspectives et des logiques paradigmatiques. Car c’est bien ce que l’anthropologie du corps nous permet, c’est-à-dire exposer les transformations cognitives et sociétales, mais aussi de rendre compte de la corporéité et de son expérience. Notre compréhension du corps et notre capacité à le théoriser sont tributaires des discours et des pensées qui prédominent. C’est ce que Marcel Mauss cherchait à exposer et c’est ce que l’anthropologie du corps nous permet de faire, c’est-à-dire, d’observer une pratique ou une technique du corps et d’en noter les variations, les transformations entre les sociétés et à travers les époques. Les travaux de Sébastien Darbon sur le corps et la pratique du Rugby, nous permettent de voir que les conceptions du corps et, entre autres, dans le sport, se transforment en liens avec :

« (…) les propriétés formelles des pratiques sportives considérées (qui se manifestent ici par les règles du jeu) et les combinaisons des pratiques, comportements, rapports au corps et systèmes de valeurs correspondantes. Les « invariants » culturels ainsi définis sont mis à l’épreuve de l’influence des contextes culturels locaux dans lesquels ces pratiques sont immergées, suggérant une nouvelle approche de la question traditionnelle de la diffusion géographique différenciée des sports dans le monde » (Darbon 2002 : 23).

Ce qui est mis en lumière ici, est le fait que non seulement le corps est en perpétuel changement par rapport aux comportements et aux relations qui l’entourent, mais également le fait que cet environnement dans lequel il change (institutions, réglementations, etc.) qui semble parfois intangible, est soumis à plus d’inflexions qu’il nous apparaît aux premiers abords. Ce que nous nous devons de comprendre ici est le fait que le corps change dans des pratiques, dans des sociétés et dans le temps.

En utilisant une approche de l’anthropologie du corps, cela nous permet également d’avoir un regard sur la conception qui est fait du vécu et de l’expérience du corps prothétique. L’étude des ontologies par une approche phénoménologique représente à elle seule un pan des approches que l’on peut utiliser pour théoriser le corps, il n’en demeure pas moins qu’il nous faut s’intéresser à la perspective du parasportif, à son ressentit et à sa corporéité. Pierre Ancet maître de conférences en philosophie à l’Université de Bourgogne, et théoricien d’une approche ontologique du corps handicapé écrit :

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« Le corps vécu tel que nous l’entendons se manifeste à travers l’ensemble de nos actions actuelles ou potentielles. À ce titre, il n’est pas aussi clos sur lui-même que nous avons l’habitude de nous le représenter. Il est un corps « ouvert sur le monde », il y développe ses potentialités d’actions » (Ancet 2008 : 97).

Il nous paraît nécessaire d’aborder la question sous cet angle, puisque le corps est non seulement notre enveloppe charnelle19, notre rapport au monde, qui se définit par nos sens,

notre expérience, notre vécu, il est également le vecteur de notre bien-être. Ce bien-être, est d’ailleurs un des idéaux que l‘olympisme et le paralympisme recherche (Rapport officiel Séoul, 1988 : 832).

Or, ce bien-être est lié à l’état de santé, qui est à la fois qualitatif et quantitatif, en ce sens, qu’il s’exprime par l’entremise du ressenti de la personne, par sa capacité à vulgariser son état, et par les modèles informationnels20 ébauchés par les divers domaines des sciences de la santé pour exprimer le bien-être ou la maladie. Sylvie Fainzang cite les propos de Marc Augé en y apportant toutefois quelques précisions :

« Nombres d’ethnologues qui n’avaient pas la maladie pour objet premier de leur recherche, ont constaté qu’ils ne pouvaient pas essayer de comprendre la vie sociale, politique et religieuse des sociétés sans prendre en considération du système nosologique (l’élaboration du diagnostic, les prescriptions thérapeutiques, les institutions, les agents), bref la dimension sociale de la maladie. ». Toutefois parler de la dimension sociale de la maladie, ce n’est pas seulement parler de la cause sociale de la maladie, mais de l’« armature intellectuelle » qui sert à penser la maladie » (Fainzang 2000 : 12).

Cette armature intellectuelle en est une informationnelle, vulgarisée par la machine, nous permettant de décrire la santé et la maladie, elle se décuple en sens et en processus d’interprétation, par la mesure des procédés métaboliques, biologiques, physiologiques ou encore physiques, mais aussi par la compréhension des procédés et des structures du corps, le rendant transformable, manipulable, améliorable vis-à-vis des corps biologiques21.

19 « L’existence de l’homme est corporelle. Et le traitement social et culturel dont celui-ci est l’objet, les images qui en disent l’épaisseur cachée, les valeurs qui le distinguent nous parlent de la personne et des variations que sa définition et ses modes d’existence connaissent d’une société à une autre. Parce qu’il est au cœur de l’action individuelle et collective, au cœur du symbolisme social, le corps est un analyseur d’une grande portée pour une meilleure saisie du présent » (Le Breton 2008 : 10).

20 « Ainsi, la matérialité de l’information peut prendre une signification différente quand le regard se porte sur les données. En fait, les pratiques de connaissances du monde contemporain se caractérisent par la classification, le stockage et la redistribution des données à des échelles de plus en plus grandes » (Gherardi 2017 : 172).

21 « Aujourd’hui, dans les discours des sciences médicales et biologiques, le corps est soumis à un processus de dissolution dans les mécanismes physico-chimiques considérés comme les représentants exclusifs de la

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« De même, le rapport au corps est lui-même de plus en plus technique. Déjà au cours des années 1940, le modèle informationnel produisait une importante césure dans l’épistémè occidentale. Ce paradigme a permis l’essor de plusieurs disciplines telles que la biologie moléculaire, l’intelligence artificielle et les sciences cognitives, chacune élaborant des conceptualisations d’un corps dont les composantes (ADN, organes, neurones, etc.) sont potentiellement re-programmables. Ceci nourri l’illusion d’un corps informationnel manipulable à souhait. Dans le contexte contemporain où l’individu « fait équipe » avec son corps, où il a le sentiment de posséder un corps plutôt que d’être un corps, ce dernier peut rapidement devenir l’objet de profondes transformations » (Robitaille 2008 : 8).

Ce qui explique pourquoi nous utiliserons une approche axée sur l’anthropologie du corps, mais c’est également pourquoi nous utiliserons une approche Science and technogy studies pour circonscrire notre étude, car bien que l’anthropologie du corps soit un champ vaste et pertinent, l’angle de notre étude nous obligera à utiliser une approche qui prendra également en compte les intrications et les interactions qui se dessinent entre les différents acteurs. Pour sa part, l’anthropologie du corps va nous permettre d’avoir une perspective autant sociologique que longitudinale, ancrant notre étude dans un cadre d’intelligibilité évolutif et vivant comme l’expriment les principaux penseurs de cette approche (Mauss 1934, Foucault 1976, Lock 1993, Le Breton 2008). En prenant en considération les théories qui s’incarnent autour de l’anthropologie du corps, nous tenterons de comprendre quels sont les schémas qui l’instituent, c’est-à-dire comment les représentations, les symboliques et les images que nous avons du corps se sont transformées.

L’approche de l’anthropologie du corps nous permettra d’observer et d’analyser notre problématique avec un regard particulier et ainsi pouvoir ancrer la pratique parasportive dans une démarche à la fois cohérente avec une réalité, mais aussi avec des réalités, en ce sens, qu’il existe la réalité des parasportifs dans la pratique et au quotidien et les réalités qui entourent et constituent la pratique, soit les réalités institutionnelles et biotechnologiques. Nous ne chercherons pas ici à spéculer sur le devenir de l’Homme, mais nous tenterons de comprendre l’essence des rapports qui se dessinent entre le corps et les

réalité objective. Les sciences ne semblent avoir rien d’autre à nous dire sur le corps que ce qui peut être mis en chiffres, en équations et en diagrammes » (Caune 2014 : 54).

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actions22 sur celui-ci. Il semble important de préciser la nature de « l’action », puisque

l’action est liée au savoir.

« Bien sûr, le savoir a toujours eu une fonction dans la vie sociale ; en fait, on serait porté à y voir une constante anthropologique : l’action de l’homme est fondée sur le savoir. Les groupes et les rôles sociaux de toutes sortes dépendent du savoir, et celui-ci remplit à leur égard une fonction de médiation. Les relations entre les individus sont basées sur la connaissance réciproque. De même, le pouvoir est souvent fondé sur la supériorité en matière de savoir et non seulement sur la force physique » (Stehr 2000 : 158).

Pour être apte à prendre la mesure de cette idée et comprendre comment les réseaux d’influences et d’actions se dessinent autour du corps parasportif, il nous faut non seulement positionner notre analyse dans une approche de l’anthropologie du corps, mais il nous faut également prendre en compte les travaux qui s’inscrivent dans ce que l’on appelle les Science and Technology Studies (STS).

22 En prenant en compte l’étymologie : Le mot « Acte » nous vient du latin « acta » qui est le pluriel de « actum » signifiant une « action » et du verbe latin « agere », qui signifie « agir », « pousser », « faire » (http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=actio).

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2.2 Science and Technology Studies (STS)

L’apport des Science and Technology Studies (STS) dans l’étude et la compréhension des relations et des effets des innovations scientifiques et technologiques sur les sociétés est important. Le mouvement qui a mené aux études dites des Science and technology studies prend son envol à partir des années 1960 avec, entre autres, les études de Thomas Kuhn sur les changements et la transformation des idées scientifiques (The Structure of Scientific

Revolutions, 1962). Dans cet ouvrage, il explique que la recherche scientifique évolue sous

deux phases, celle de la science normale qui confirme et renforce le paradigme existant et celle de la science extraordinaire qui repousse les limites et confronte les discours dominants. Kuhn amène l’idée que l’évolution de la pensée scientifique est induite par la rupture du paradigme existant sous l’impact des diverses salves qui attaque et mettre en doute la pensée dominante, amenant une période de crise et d’incertitude, jusqu’à ce qu’un nouveau paradigme émerge. D’autres auteurs importants contribueront aux Science and

technology studies, on n’a qu’à penser à Karl Popper (Conjectures et réfutations : la croissance du savoir scientifique 1962), qui pose la question des processus distinctifs entre

la science et la pseudo-science (problèmes de Kant), ainsi que les problèmes inductifs (problème de Hume).

Des travaux fondateurs, comme ceux de Bruno Latour sur les laboratoires (La vie de

laboratoire : la production des faits scientifiques 1979, 1986) et les scientifiques (Science en action 1987), se questionnent également sur les processus internes de la science qui

permettent de construire un fait scientifique. Ainsi, en utilisant cette approche, cela nous permettra également de mettre en lumière les interactions et les relations des composantes structurantes du monde scientifique, présentant l’interdépendance des différents acteurs, mais aussi les liens avec la société et la temporalité dans laquelle ils baignent.

Qui plus est, par la nature de notre étude, il semble que l’utilisation d’une approche STS est une manière à la fois d’analyser la performance des parasportifs, mais aussi de mieux comprendre la complexité des relations entre les différents acteurs. La nature de l’approche STS nous permet de mettre en lumière les processus latents qui existent à l’intérieur des domaines scientifiques.

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« Le champ des études sur les sciences et les techniques est vaste et divers. Il traite des pratiques scientifiques et techniques, des dispositifs matériels et des technosciences émergentes, des espaces physiques et sociaux de production, des usages et des pratiques sociales, de l’univers économique, des institutions de régulation et du politique, et des questions théoriques » (Pestre 2011 : 210).

Ces processus sont pleinement liés et interactifs à la pratique scientifique. Les travaux de Michel Callon en sont un bel exemple. Dans son article, « Éléments pour une sociologie de la traduction : La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc » (1986), Callon tente d’analyser la progression durant les années 1970 du savoir scientifique sur les coquilles St-Jacques (Callon 1986). Apportant le concept de traduction aux études sociologiques, Callon contribue aux travaux sur les sciences et techniques en théorisant la question des acteurs (actants) nous présentant avec, entre autres, Bruno Latour et John Law (Science for social scientists, 1984), la théorie de l’acteur-réseau, élément central à la compréhension de l’approche STS. Cette théorie, permet de cartographier les relations, les liens, les points de passages et de rupture de l’objet scientifique. Comme l’explique Bruno Latour à propos du concept de réseau et d’acteur-réseau : « A network is all boundaries without inside and outside. The only question one may ask is whether or not connection is established between two elements. The surface “in between” networks is either connected – but then the network is expanding

– or non-existing. Literally, a network has no outside » (Latour 1996 : 372).

En prenant le corps comme pivot à notre étude, nous nous trouvons aux confins de plusieurs champs d’action. L’utilisation de l’approche STS et la théorie de l’acteur-réseau devrait nous permettent de mettre de l’avant les interconnexions qui existent, et ainsi, exposer les raisons qui expliquent certains désaccords et débats qui ont cours dans l’univers paralympique. En s’intéressant aux processus d’amélioration de la performance, dans l’univers parasportif par le biais d’une approche des STS, cela nous permettra de prendre en compte les différents discours et de tenter de voir, comment ils s’articulent entre eux et quels sont leurs liens ou leurs dissonances. Dans son article phare sur la cueillette des

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coquilles Saint-Jacques, Michel Callon présente l’étude de ces liens et ces dissonances comme un processus inévitable de par l’intrication23 entre les différents acteurs du réseau.

L’approche STS nous permettra également de rendre compte de la multiplicité des corps, c’est-à-dire que les diverses conceptions que la science érige des modèles de corporalité se basent sur les mesures des processus et les structures du corps, un corps régit par les lois de la thermodynamique24, ou un corps métabolique25, dressant une image souvent unidimensionnelle du corps, gardant ainsi à distance le rapport ontologique au corps. Anne-Marie Mol (The body multiple : Ontology in Medical practice, 2002) aborde cette question du corps multiple et pose son regard sur l’objet médical. Comment cet élément singulier qu’est le corps devient, dans la sphère médicale, un objet aux multiples facettes qui se lie à diverses pratiques et usages. L’assemblage et l’intrication des diverses pratiques scientifiques dans la décision médicale expose un corps à la fois objectivé par les données scientifiques et multiplié par leurs interprétations. Le corps est perçu et interprété, à la fois par plusieurs domaines de la médecine qui interprètent les phénomènes corporaux à travers des modèles et des perceptives différentes, mais également à travers des existences différentes. Qui plus est, le corps est également interprété et ressenti par son hôte, qui vulgarise du mieux qu’il le peut son état (Mol 2002 : 5). De cette façon, bien que la médecine tente de standardiser et d’unifier les interprétations des phénomènes corporaux par des échelles de mesures et des normes, le corps est malgré tout multiplié par la réalité des possibles que représente la compréhension et l’interprétation de celui-ci. Ainsi, en utilisant une approche STS et une approche de l’anthropologie du corps, cela nous permet

23 « La problématisation initiale, qui avançait des hypothèses sur l'identité des différents acteurs, leurs relations et leurs objectifs, a laissé place au terme des quatre étapes décrites à un réseau de liens contraignants » (Callon 1986 : 198-199).

24 « Cet imaginaire du corps-machine est l’héritier d’un vaste ensemble de représentations, élaborées notamment au XVIIe siècle, dont Descartes puis La Mettrie seront des figures emblématiques, et qui repose sur l’application des lois de la mécanique au corps humain. À la fin du XVIIIe siècle, les lois de la thermodynamique mettent l’accent sur la nécessité de fournir le corps en énergie, d’où la place que prend l’alimentation (Rabinbach 1992 ; Le Breton 1990) : un bon régime alimentaire permet de créer et de maintenir la force de travail, d’optimiser les ressources productives du corps « (Régnier 2017 : 148).

25 « Par ailleurs, certaines combinaisons de régions spectrales peuvent permettre d’établir un « profil

métabolique » discriminant. Ce profil est constitué par les caractéristiques métaboliques (glycémie, contenus

protéiques, cholestérolémie…) nécessaires et suffisantes pour pouvoir séparer plusieurs populations d’individus. A titre d’exemple, cela nous a permis de différencier trois populations (diabétiques, sportifs et contrôles) » (Petitbois 2001 : 85).

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de mieux observer les divers acteurs qui agissent sur le corps, mais aussi de percevoir les structures et les réseaux qui s’interconnectent à travers le corps prothétique sportif, et de cette manière, mieux nous informer sur les diverses conceptions et interprétations du corps prothétique.

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Chapitre 3: Cadre conceptuel

Introduction

Le cas de figure des athlètes paralympiens apparaît être un bon point d’ancrage pour tenter de comprendre comment la technologie peut transformer voire modifier le corps. Nous tenterons donc de définir les principaux concepts qui paraissent englober la problématique de la transformation du corps des parasportifs par la biotechnologie. En premier lieu, il semble pertinent d’élaborer sur notre canevas de base, soit le corps, la corporalité et l’objet/corps. Puis, nous nous pencherons plus particulièrement sur les concepts de handicap et de corps handicapé. Nous observerons par la suite, comment les transformations et le développement de la pratique parasportive sont en partie induits par les changements en ce qui a trait à la technoscience et l’incorporation des technologies au corps handicapé, et ce, en observant le concept d’hybridité. Pour être en mesure de bien comprendre les tenants et aboutissants de ce concept et être capable de le lier à notre problématique, nous nous devons de définir le terme d’hybridité en relation avec les concepts de bionique et de « cybornification », ce qui constituera la dernière partie de notre cadre conceptuel.

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3.1 Le corps, corporalité et objet/corps

En tant que corps nous sommes à la fois notre corps et en même temps toujours plus que celui-ci. Parce que nous devons prendre position vis-à-vis de notre propre corps, nous nous tenons à distance de lui et, par-là de nous-même (Körnter 2011 : 340). Lorsque l’on explore la conception du corps, et particulièrement chez Foucault, il faut savoir que ce n’est pas le « corps naturel » qui est central, mais plutôt son statut dans une épistémè26 donnée,

c’est-à-dire l’ensemble des connaissances scientifiques, du savoir et des présupposés d’une époque (Boullant 2009 : 48). Il explique que le corps s’inscrit dans un régime où il est le point zéro27, ce qui le rend friable et malléable, en ce sens que le corps, sans les analyses,

les discussions et les conceptions sur son fonctionnement, ses limites, ne serait qu’un simulacre charnel. C’est en le rendant intelligible que le corps prend ses diverses formes, c’est pourquoi le corps nous apparaît être un point zéro. Le corps devient, dans cette perspective, l’artéfact de notre existence, la matière physique qui se meut dans l’espace et le temps. Il faut donc, dans l’approche foucaldienne, que l’on conçoive le corps à travers les discours qui le constituent. Foucault expose, par l’intermédiaire de l’histoire, la transformation des discours et des savoirs. Le corps évolue ainsi, sous l’impulsion de nombreux domaines d’action, il semble être en perpétuel changement.

On l'observe, entre autres, avec la Seconde Guerre mondiale, où les affres de la guerre ont eu des conséquences importantes sur les corps. Ce sont d’ailleurs des soldats meurtris par cette guerre qui formeront les premiers athlètes aux Stoke Mandeville games. Ils sont tous issus des efforts misent en place par le Dr Guttmann le Stoke Mandeville hospital situé à Aylesbury au Royaume-Uni. L’influence, dans ce cas précis de la médecine, souligne l’importance qu’on eut les nouvelles politiques de gouvernance des personnes en situation

26 « Car reconnaître la relativité de concepts et de catégories - comme par exemple le normal et le pathologique - ne doit pas conduire au relativisme culturel. Il convient en effet d'envisager ces notions non pas comme figées, comme des constructions culturelles données de toute éternité, mais comme des constructions sociales, à l'intérieur d'une même société, sujettes aux variations des contextes sociaux dans lesquels elles ont été élaborées » (Fainzang 2000 : 15).

27 « (…) : un simple « insert » dans la trame du monde, toujours déjà déterminé depuis ces champs du savoir et du pouvoir qui requièrent. Le corps naturel, le corps biologique (anatomique ou physiologique), ne vit que d’une vie léthargique, élémentaire et muette : comme souterraine et en dessous du dicible » (Boullant 2009 : 49).

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de handicap et, entre autres, celles du plan Beveridge28. L’issue du Report on Social Insurance and Allied Services consistera à instaurer des filets sociaux, qui s’inspirent des

recommandations faites par Williams Beveridge, elles font, entre autres, une place primordiale à la médecine et à sa conception du corps. D’une part, parce que la médecine est contributive au système de soins qui s’adjoint à la sécurité sociale, et d’autre part, parce que la discipline agit directement sur les institutions en place, comme nous le verrons. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que la médecine dégage un savoir de sa pratique, mais également qu’elle a la capacité d’ordonner les métadiscours qui la régissent. La médecine possède donc un savoir qui la transcende et un pouvoir29 qui lui permet d’agir par ce savoir (Blais 2006 : 153). Or, lorsque l’on observe concrètement notre rapport au corps, on réalise que bien que la médecine joue un rôle prépondérant dans notre conception de la corporalité, il existe d’autres discours, d’autres courants, d’autres institutions qui pensent le corps différemment, ou à tout le moins, qui basent leurs paradigmes sur des éléments dissemblables. Nous nous attarderons en ce sens à la manière que la physique, la biologie, la médecine et l’ingénierie conçoivent le corps, dans notre cas de figure le corps prothétique. Cette démultiplication des interprétations et des conceptions du corps, nous expose un corps fractionné permis par le cloisonnement et la spécialisation de ce dernier. Cette spécialisation est paradoxalement issue de la fragmentation qu’a connue le corps depuis les années 1960 (Rozenberg 2007 : 19). Le morcellement de la corporalité provoque à la fois la spécialisation de ses parties, mais cela a également pour effet d’engager le corps dans une logique technique et marchande (Queval 2011 : 195).

Ces processus sont permis, entre autres, par sa molécularisation et sa cellularisation, faisant disparaître graduellement le corps matériel au profit d’un corps informationnel (Lafontaine 2014 : 31). Dans la perception de divers domaines de la science, comme la médecine et la biologie, le corps devient non plus un objet, mais des objets. Dans cette perspective, il est

28 « (…) la publication du célèbre rapport Beveridge, en décembre 1942, qui proclamait le droit de tous, non seulement à l'assurance (en cas de maladie, chômage et invalidité) mais aussi à un minimum vital » (Leruez 2014 : Encyclopædia Universalis en ligne).

29 « Pareille conception de la subjectivité est l’héritière de l’œuvre de Michel Foucault. On y retrouve, en effet, non seulement la notion de bio-pouvoir, – entendons d’un pouvoir qui, à la place de s’exercer par un droit de mort ou par une loi clairement identifiée, aurait plutôt tendance à s’exercer par un contrôle constant et diffus sur nos vies, un pouvoir plus producteur qu’interdicteur » (Bourlez 2013 :13).

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composé de cellules, de plaquettes, de molécules, de bactéries, qui informent sur le corps, sur son état de santé et de sa proximité avec la norme. C’est pourquoi nous tenterons de comprendre comment cette idée de l’objet/corps est définie et redéfinie à travers la pratique paralympienne. Dominique Vinck explique à propos de l’objet/corps : « (…) il est question de prendre en compte l’hétérogénéité des mondes sociaux des sciences, de suivre les acteurs et de rendre compte de leurs activités et pratiques effectives y compris au niveau de la mise en forme des connaissances, des objets et des arrangements sociaux » (Vinck 2009 : 52).

En prenant en compte la théorie de l’objet/corps, cela va nous permettre un double niveau d’abstraction. D’une part, il nous sera possible d’observer les processus anthropologiques en filagrammes du non-humain et leurs interactions avec l’humain et, d’autre part, pour tenter de comprendre comment, par l’entremise de ces interactions, le corps devient un objet-intermédiaire, un objet-frontière30, c’est-à-dire un objet ou la limite entre et le naturel et l’artificiel, entre l’humain et le non-humain devient flou.

En représentant le corps par le néologisme objet/corps, nous pouvons illustrer les multiples interactions qui s’insèrent dans notre problématique. En somme, ce concept d’objet/corps nous permet de circonscrire les nombreux entrelacements qui entourent le corps parasportif prothétique et d’observer les interactions que chacun de ses acteurs effectuent en relation avec celui-ci. Un corps/objet certes, mais un objet en mouvement, un objet-frontière31,

frontières du corps et frontières de la corporalité.

Le corps se démultipliant à la fois dans ses compréhensions et dans ses représentations. La rupture et la fin des grandes idées explicatives entraîneront l’avènement de nouveaux

30 « Boundary objects are objects which are both plastic enough to adapt to local needs and the constraints of the several parties employing them, yet robust enough to maintain a common identity across sites. They are weakly structured in common use and become strongly structured in individual- site use. These objects may be abstract or concrete. They have different meanings in different social worlds but their structure is common enough to more than one world to make them recognizable, a means of translation. The creation and management of boundary objects is a key process in developing and maintaining coherence across intersecting social worlds » (Star & Griesemer 1989 : 393).

31 « En tant que concept analytique, la notion d’objet-frontière rend possible la description à la fois des processus de mise en relation et du poids de cette inertie qui affecte les infrastructures informationnelles. Il permet de décrire tout mécanisme d’interface entre la connaissance et les acteurs ; il matérialise et transporte une infrastructure invisible faite de standards, de catégories, de classifications et de conventions qui sont spécifiques à un ou plusieurs mondes sociaux » (Gherardi 2017 : 170).

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regards et de nouvelles conceptions de la corporalité, et également de nouvelles pratiques et de nouveaux usages (Lyotard 1979 : XXIV). Cet éparpillement du corps qui s’ensuit s’emballera considérablement avec les nombreuses avancées technologiques qui furent permises par l’avènement de l’informatique et de la cybernétique dans les années 70. En observant, entre autres, des sphères aussi importantes que l’informatique, l’automation, la génétique ou encore les sciences cognitives, on peut aisément prendre en compte l’impact colossal du renversement épistémologique auquel elles ont procédé (Lafontaine 2003 : 206).

En basant ses fondements de l’organisation sociale sur un modèle informationnel, la cybernétique a transformé à la fois la compréhension que la science et la médecine ont de notre corps, mais également le rapport que l’on entretient avec celui-ci, nous permettant de mieux le comprendre et l’adapter. Cette adaptation et cette aide, que la technologie nous apporte, permettent l’émergence de technologies palliatives plus performantes. Ce qui nous amène à nous pencher sur la conception du handicap afin de bien mesurer la place de la technologie et de la médecine autour de celui-ci, et ce, en particulier dans l’univers sportif de haut niveau qu’est le paralympisme.

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