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La médecine95 joue un rôle prépondérant dans la conception du corps paralympien prothétique, nous l’avons constaté, ce que nous observerons dans cette partie de l’analyse, est que la médecine n’est pas l’unique vecteur d’influence dans le réseau qui miroite autour de ce corps, il y a d’autres domaines de la science qui ont une incidence dans l’univers conceptuel du corps prothétique sportif, tels que la biologie, la physique, la chimie, et ce particulièrement, lorsque nous observons la manière dont on évalue les capacités des athlètes prothétiques. Nous verrons en ce sens, que la description des corps handicapés dans la pratique parasportive est comprise en des termes quantifiables96 et circonstanciés.

De plus, ses données quantitatives recueillies par les experts et les scientifiques mandatés par les institutions, décrivent plus souvent une vérité et non la vérité. Ce que nous voulons signifier par cette affirmation, est le fait que le corps est souvent décrit par les différents domaines de la science, comme la biologie, la physique, la chimie, par l’intermédiaire d’un certain régime d’intelligibilité ce qui a pour effet en l’occurrence, que l’on présente parfois une seule des nombreuses facettes de la performance sportive, limitant ainsi la valeur de la comparaison. N’oublions pas que cet esprit de comparatisme97 est au cœur du modèle sportif, et le corps parasportif prothétique n’y fait pas exception. Il est constamment comparé dans ses performances et ses capacités, au corps sain, mais à quel corps sain ? Au corps sain sportif et olympien ou à une norme biologique moyenne ?

Cet homme moyen fictif98 qui est érigé par les modèles scientifiques se veut une manière de simplifier les questionnements sur la frontière entre la réparation et l’adaptation des

95« Les progrès de l’anatomie et plus généralement de la médecine et de la biologie ont précisé les arcanes corporels. A tel point qu’aujourd’hui «la problématique des performances corporelles (est) indissociable du discours médical » (Héas 2009 : 1).

96 « En d'autres termes, le système sportif fonctionne d'autant plus efficacement et le corps sportif est d'autant plus productif que, d'une façon générale, les individus sont réduits à des unités purement quantifiables, et, en particulier, leur corps est fractionné » (Bordeleau 1985: .257).

97 « La comparaison est d’ailleurs au fondement même du sport de compétition dès lors que la performance suppose l’existence d’un classement permettant de discriminer les sportifs et leurs résultats » (Gasparini 2015 : 9).

98 « La fiction normative de la typologie n’avait pas de réalité observable, mais l’homme moyen est chimère aussi. » (Boëtsch 2006: 29).

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corps humains et l’amélioration des corps humains. Gilles Boëtsch écrit à ce propos : « (…) toutes sciences construisent à titre d’idée régulatrices et de modèles explicatifs des fictions théoriques réductionnistes afin de simplifier les systèmes complexes » (Boëtsch 2006 : 28- 29).

Ce qu’il faut comprendre sur ce point à notre avis, est que les modèles utilisés par les scientifiques qui se sont penché sur la question de la place du corps prothétique dans le monde olympique, ont exemplifié le corps avec ses capacités, ses limites, ses frontières à l’intérieur du cadre sportif, se limitant à des a priori du corps handicapé. En ce sens, les scientifiques qui se sont penchés sur la place des athlètes prothétiques dans le monde olympique, ont tendance à apposer des modèles régulateurs au corps prothétique, ce qui a pour effet d’évacuer les particularités et les subtilités de performer avec une prothèse. Les véritables capacités physiques que ces parasportifs déploient pour maîtriser leur corps sont souvent ignorées.

De plus, le fait de simplifier la situation des paralympiens en comparant les corps prothétiques aux corps « normaux » expose une certaine subjectivité dans l’interprétation des données, puisqu’en simplifiant et en modélisant, on choisit nécessairement des points sur lesquels on s’appuie. Les problèmes sur l’interprétation des capacités physiques de certains paralympiens provoqueront une controverse lorsqu’il sera question de comparer les performances des paralympiens et des olympiens.

Car il faut se rappeler, que la comparaison des performances est en soi au centre de l’univers sportif, la compétition sert à comparer les athlètes et à déterminer qui parmi les compétiteurs est le meilleur de sa discipline. Le fair-play99 et l’égalité des chances sont des valeurs intrinsèques au sport, nous l’avons vu, ils obligent aux athlètes qui compétitionnent et se comparent, qu‘ils aient la même chance de l’emporter100. Pourtant, ce que nous observons fréquemment dans le sport de haut niveau, est l’utilisation de procédés ou de substances pour améliorer les performances. À ce chapitre, le paralympisme n’y échappe

99« Initially, out of a deeply ingrained sense of fair play, the gentleman amateurs rejected any form of

specialisation and (intensive) training, which they associated with the working culture of the lower classes (Renson 2009: 11). They were convinced that real sport was more of an avocation than a vocation »

(Tolleneer 2013: 36).

100 « Les données chiffrées permettent, idéalement, de mettre en place les recommandations préventives ad hoc : lois ou décrets visant la protection des jeunes sportifs, campagnes de sensibilisation à la violence valorisant le respect de l’autre ou bien le fair play » (Héas 2009:2).

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pas, l’utilisation de substances illicites a été répertoriée101. Ce qui nous intéresse toutefois

dans le cas présent, c’est la perception et la mesure de l’illicéité par la science et par les institutions.

« There are three pillars to the WADA (The World Anti-Doping Agency) Code: for a ban to be

declared, a substance or technique must reflect at least two of them (WADA 2016a, pp. 30–31), as summarised here

(1) A drug or method is, or has the potential to be, performance enhancing. (2) A drug or method is, or has the potential to be, a risk to the health of athletes. (3) A drug or method is against the ‘spirit of sport » (Adair 2017: 134).

À ce sujet, ce qui ressort de nos observations, est le fait que les interprétations des instances institutionnelles sur les limites et les normes acceptables de la liciter du corps prothétique diffèrent d’une institution à l’autre. Penchons-nous quelques instants sur la question des institutions sportives et parasportives.

101 « Also like Olympians, some Paralympians have been found guilty of doping. As Collier has put it, ‘some

[adaptive] athletes inspire, others cheat’ (Collier 2008, p. 524). There is, nonetheless, an important ideal of what is labelled ‘clean sport’, around which the Paralympic Games are a showcase » (Adair 2017: 134).

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