• Aucun résultat trouvé

Après une récente participation aux Jeux olympiques, Oscar Pistorius entame les compétitions paralympiennes avec une tonne de pression. Contre toute attente, le sud- africain se fait ravir la première place lors des épreuves de 100m et de 200m dans la catégorie T44 par respectivement le britannique Jonnie Peacock123, et le brésilien Alan Oliviera124. Une nouvelle controverse éclate cette fois entre le Brésilien Oliviera et le Sud-

africain. Pistorius amer de sa défaite soutient que le brésilien, a profité d’un avantage injuste en utilisant des prothèses démesurément longues.

« A year ago, these guys were over here," Pistorius said, holding his hand level with his nose. Then,

raising it above his head, he added: "They're a lot taller and you can't compete (in) stride length." "He's never run a 21-second race and I don't think he's a 21-second athlete »

(Leicester, Associated Press Newswires, 5 septembre 2012).

Pistorius avance, que son opposant qui l’a battu n’est pas un coureur capable de descendre sous la barre des 21 secondes, que sa physionomie « normal » ne devrait pas lui permettre ce type de performance. Ce que Pistorius induit par cette idée est à la fois, la complexité de la situation et le fait que le corps à sa propre limite, que seul un avantage injuste peut lui permettent d’excéder.

« It just doesn't make sense to be walking around on your day legs at one height and then you're six

inches or so taller on your running prostheses," he said » (Oscar Pistorius) (Leicester, Associated

Press Newswires, 5 septembre 2012).

Pourtant, Oliviera arbore des prothèses tout à fait conformes aux règles instituées. Ces règles en question s’ordonnent autour du postulat que, la mesure des corps se base sur une anthropométrie normative, ce qui représente l’extrapolation d’un corps normalement constitué. Cette extrapolation du corps handicapé, se base sur la mesure des segments du corps de l’athlète, qui eux sont croisés avec une échelle de mesure normative établie à partir d’une moyenne des corps normaux du même acabit.

« Upper limits for artificial leg lengths are calculated using a mathematical formula based on the

length of an athlete's arm span as well as the distance from their sternum (chest) to the tip of the affected limb or limbs » (Lee, Agence France Presse, 3 septembre 2012).

123 https://db.ipc-services.org/sdms/hira/web/results/event/PG2012ATM00144010000 124 https://db.ipc-services.org/sdms/hira/web/results/event/PG2012ATM00244010000

89

Nous remarquons que la manière de déterminer la limite de la longueur de jambes artificielles, est calculé selon les mesures des segments du corps de l’athlètes, puis selon les mensurations de celui, il extrapole la longueur probable du membre remplacé ou absent, avec une certaine marge de manœuvre.

« An additional 3.5 percent of that calculation is factored in to replicate running action, where a

non-disabled athlete runs on his or her toes, he explained » (Peter Van Der Vliet, the IPC's medical

and scientific director) (Lee, Agence France Presse, 3 septembre 2012).

L’approximation due à une conception normative des mesures anthropométriques, a pour résultat que l’institution permet un écart de 3.5 % en ce qui concerne la longueur des prothèses. Que peut-on en déduire de ses observations, d’abord, que le « manque de clarté » 125 de l’institution sur cette question s’inscrit dans la logique performative que s’impose le sport de haut niveau, et que cela a pour conséquence, un développement inégal des performances et des technologies.

« Although the material and design aspects of the prosthesis might have a mechanical advantage

over the ‘human leg’, it is difficult to quantify these ‘skills’ and ‘clinical intervention’. Furthermore, the ‘performance’ will also be based on the clinical condition or the pathogenesis » (Chockalingam

2011: 482).

Qui plus est, il nous paraît notable que la présence du mouvement olympique, ainsi que les moyens logistiques, financiers et médiatique qui s’y adjoignent, ont propulsés les paralympiens dans un tourbillon mélioratif. En cherchant à repousser constamment les limites et la réglementation que les institutions imposent, certains athlètes ne répondent uniquement qu’à l’appel de la réussite126.

125 « The CAS Panel concluded that it had no doubt in finding that the IAAF has failed to satisfy the burden

of proof. The main reasons advanced by the CAS Panel are summarized hereinafter:

(1) Lack of clarity as to what constitutes a "technical device": The CAS Panel was scathing in its assessment of Rule 144.2 (e), when it concluded that this rule was "a masterpiece of ambiguity". The Panel asked the parties to the proceedings, what constitutes a "technical device", as the IAAF Rules did not contain any definition or guidance of what would be construed as a "technical device". The CAS Panel then mentioned that it was prepared to assume that a passive prosthetic such as the Cheetah Flex-Foot is to be considered as a "technical device", even though this proposition may not be wholly free from doubt.

(2) Lack of clarity as to what constitutes a device that "incorporates springs": The CAS Panel also raised the issue of what constitutes a device that incorporates springs. The Panel was of the view that, technically, almost every non-brittle material object is a "spring" in the sense that it has elasticity. The Panel also concluded that while the Cheetah Flex-Foot is a "spring", it was not sure if it incorporated a "spring". The Panel also concluded that a natural human leg is itself a "spring" » (Joshi, Bar & Bench, 24 juillet 2012).

126 « L’optimisation exacerbée de tous les paramètres de la performance – matériaux, matériels, science médicale et entraînements, techniques gestuelles, diététique, préparation psychologique et stratégique – illustre un culte du progrès hérité des Lumières et dont le XIXe siècle, celui de la naissance du sport moderne,

90

Au terme de nos observations sur la compréhension de la science du corps, et de la mesure de celui-ci, on peut conclure que malgré la volonté des domaines de la science de conceptualiser et de modéliser le corps prothétique dans la pratique sportive, la frontière entre le légal et le prohibé, entre juste et injuste, demeure difficilement saisissable ce qui occasionne, nous l’avons vu, plusieurs polémiques à la fois sur la question de la corporalité, mais également sur la question de la performance.

Sous quelle logique normative maintiendra-t-on le paralympien dans une conception hybridée du corps, une conception bionique, voire cybernétique, alors que le corps de l’athlète olympien, tout comme le corps humain l’est tout autant hybridé, étant modelé et influencé par des technologies aussi hybridante et cybornifiante que sont les téléphones cellulaires, les montres intelligentes, la vidéo, mais aussi la chirurgie réparatrice, ou encore la médication. Tous ces procédés ou ces éléments de la vie quotidienne modulent et transforment notre corps, en l’améliorant, en l’informatisant, ou en le droguant. La question se pose alors, comment maintenir cette conception idyllique du sport, comme étant l’exaltation de la pureté et de la volonté humaine, pendant que, des scandales de dopages étatiques éclatent au grand jour, et que les athlètes tout comme leurs entourages utilisent tous les moyens possibles, légaux ou non, pour en arriver à leurs fins.

L’utilisation de prothèse active sera éventuellement remise sous la loupe des comités d’éthique qui régissent le sport, et ceux-ci auront à se demander si leur prohibition n’est pas une manière de maintenir le mouvement dans un aveuglement volontaire, de ne pas voir ce qui est déjà là.

consacra l’effectivité en étalonnant la force et le mouvement humains. Par son essence – l’amélioration des

performances –, le sport de haut niveau figure un évolutionnisme schématique – adaptation, sélection,

progression – dont le dopage est un ingrédient logique, si ce n’est moralement ou médicalement légitime » (Queval 2012 : 26).

91

Conclusions

En posant notre regard sur le monde paralympique, nous cherchions à comprendre comment la transformation de la pratique parasportive s’est opérée au cours des trois dernières décennies et comment cela a affecté le corps des athlètes paralympiens et la conception de celui-ci. Nous nous sommes intéressés aux athlètes arborant une prothèse aux membres inférieurs. Nous avons expliqué ce choix par le fait que nous désirions comprendre quels étaient les processus qui ont été mise en place afin de permettre l’émergence de performances aussi impressionnantes de la part des parasportifs127. Car il

faut se rappeler, que ces athlètes au cours de cette courte période, ont amélioré leurs performances à un tel point qu’ils en sont venus à questionner leur place dans le sport paralympique, mais également dans le sport olympique. En cherchant à comprendre comment le corps handicapé a été transformé par le sport, nous avons constaté que la transformation de ce corps a également eu un impact sur la transformation du sport et des technologies.

C’est pourquoi nous avons orienté notre étude autour d’éléments constituants l’univers paralympien, soit le corps, les biotechnologies et l’institution. En centrant notre regard sur ses trois composantes du monde parasportif, nous avons cherché à mettre en exergue les interactions et les liens qui se tracent entre ceux-ci. Nous avons également tenté de comprendre, quel est la place de chacun dans les changements du corps parasportif.

En ce sens, ce que nous cherchions principalement à savoir, est, comment le corps des athlètes est-il objectivé par les processus scientifiques et médicaux, et comment ce rapport au corps de l’athlète influence son développement à l’intérieur de l’institution paralympienne et sportive ? Il nous fallait tout d’abord circonscrire notre étude et alimenter

127 « À Sydney, en 2000, le meilleur amputé fémoral, Connor a couru le 100 m. en 12,61 secondes et le meilleur tibial, Marion Shirley, en 11,09 secondes. Ce dernier a fait passer en 2003 le record du monde sous la barre symbolique des 11 secondes avec 10,97 secondes lors des championnats du monde d’athlétisme de Paris, au stade de France. Le changement de type de prothèse, en 1988, a fait gagner aux amputés tibiaux plus de deux secondes et le record n’a ensuite progressé, fruit d’un entraînement intense, que de quelques dixièmes de seconde. Pour les fémoraux, de 1976 à 1992 (date pour eux de l’utilisation de pieds à lame en carbone) le gain a été de plus de cinq secondes, tandis que depuis 1992 il n’a été que de 65 centièmes de seconde » (Pailler 2004 : 375).

92

notre argumentaire à l’aide d’un cadre théorique et conceptuel efficient. En choisissant de s’intéresser au corps prothétique en pratique sportive de haut niveau, il nous apparaissait évident que l’on se trouvait aux confins de plusieurs domaines et de plusieurs matières, et que devant ce constat nous nous devions de segmenter le mieux possible notre étude. C’est, entre autres choses, pourquoi nous avons choisi de centrer notre travail autour de deux grandes approches anthropologiques, soient l’anthropologie du corps et une approche axée sur les Science and technology studies

L’anthropologie du corps nous a permis de rendre compte que la compréhension du corps est en constant changement, et que cela affecte non seulement notre conception du corps, mais cela à un effet sur la manière dont on aborde le corps, et dans le cas qui nous a occupés, le corps handicapé. Le fait de s’interroger sur la question du corps handicapé dans une pratique sportive, en empruntant l’approche de l’anthropologie du corps, cela nous a permis de percevoir les débats constants qui résident toujours sur la nature du corps et ses limites. L’anthropologie du corps nous a également aidé à comprendre que le corps n’est pas immuable, qu’il est en perpétuel changement, que la science de par l’évolution de sa compréhension des phénomènes du corps a influencé nos conceptions. Qui plus est, le fait d’altérer sa corporalité pour performer n’est pas un phénomène unique au sport, les gens s’adaptent, adaptent leur corps sous la pression de la réussite de l’accomplissement, de livrer la marchandise, et ce, que ce soit par l’utilisation d’appareils ou de stimulants. En étant soumis au diktat de la logique mercantile, nous en venons à transformer notre corps, à lui faire subir des traitements afin de le faire perdurer, le faire performer128. Cette

transformation de notre corps par l’utilisation de drogues ou de technologies implique un réseau d’acteurs divers autour du corps. La présence de plusieurs acteurs scientifiques et institutionnels autour des athlètes prothétiques nous a incités à utiliser une approche STS.

128 « Trouvant dans le culte néolibéral contemporain de la performance un terreau fertile pour s’épanouir, les pratiques visant à améliorer les capacités humaines constituent d’ores et déjà une réalité sociologique. À l’image de Jean-Paul Sartre qui achevait dans les années 1970 sa fameuse Critique de la Raison dialectique en ingérant quantité d’amphétamines l’usage de psychotropes aux fins d’améliorer ses performances intellectuelles se répand aujourd’hui dans plusieurs milieux professionnels et étudiants. Entre 16 et 25% des étudiants de certains campus américains auraient aujourd’hui recours au dopage intellectuel » (Le Dévédec 2016 : 4).

93

En orientant notre étude autour de l’approche des Science and technology studies (STS), cela nous a été utile afin de rendre compte de cette influence qu’ont la science et les institutions sur la conception du corps, mais aussi celle du réseau d’acteurs qui miroitent autour du corps prothétique sportif. La présence prépondérante de la science médicale dans le giron de ce corps, ainsi que le regard que posent les institutions sportives et scientifiques ont connotées le chemin qu’a entrepris le corps parasportif au cours des trente dernières années. En adoptant une approche STS, cela nous a permis de mettre de l’avant les différents processus et les nombreuses compréhensions du corps qui se chevauchent et s’entrechoquent, ainsi que les limites qui s’imposent à ces systèmes de compréhensions du corps.

En tentant d’illustrer la question qui nous occupe, nous avons mis de l’avant la théorie de corps-objet, un objet-frontière129 aux limites des interactions entre les acteurs. En s’orientant de cette manière, cela nous a également permis d’observer le dualisme nature/culture qui réside dans la logique olympienne130. Nous avons vu que cette logique ne s’ancre pas dans la réalité, puisqu’il nous est apparu difficile d’identifier où tracer la ligne séparant ces deux conceptions. En objectivant le corps, c’est-à-dire en le faisant entrer dans le domaine des objets, nous cherchions à effacer la discrimination qui persiste entre technologie et le corps. Ainsi, en percevant le corps comme un objet cela nous permettait de mettre de l’avant les processus souvent invisibles qui agissent sur ces corps prothétiques. Les théories de l’objet-corps131 et de l’objet-frontière, nous ont permis de voir le corps

129 « La notion d’objet-frontière, l’est aussi quand il s’agit d’analyser l’articulation en les acteurs scientifiques et d’autres acteurs de la société, (…) sur les instances publiques de la bioéthique comme organisation frontière, (…) sur le dépassement des frontières scientifiques rendu possible par le débat public, (…) » (Trompette 2009 : 14).

130 « C’est elle surtout qui montre combien l’institution sportive et les médias qui l’« orchestrent » défendent un mythe : celui d’un sport installé en contre-société idéale de la nôtre. L’image est précise et socialement efficace : modèle de perfection proclamée, fondé sur le principe démocratique (tout le monde peut « participer ») et méritocratique (la distinction s’obtient par le travail et le talent), possédant ses héros, ses notables, ses experts, ses juges, le sport projette un idéal performant à l’aide d’un univers ludique et « décalé ». Mythe important parce qu’il donne du sens au jeu, fait rêver, permet de construire des histoires, nourrit l’imaginaire. Rien d’autre que le feuilleton populaire d’aujourd’hui. Ce que confirme d’ailleurs la manière dont les « grands » sportifs s’imposent régulièrement en tête des personnes préférées des Français » (Vigarello 2013 : 129).

131 « Ainsi, précisément si mon corps est localisé globalement et en parties, c’est parce qu’il est personnel, parce qu’il n’est pas seulement un objet de perception extérieur ou l’objet d’une abstraction réflexive, mais qu’il est dans un certain sens ce que je suis. C’est en effet par lui et à travers lui que les fonctions vitales

94

prothétique sous un autre angle, en ce sens, que nous avons pu percevoir que le corps, comme la technologie, est en constante transformation, bref, que ce soit par l’entremise de processus naturels ou artificiels, le corps, notre corps s’adapte et est adapté à la vie. Sur cette question nous avons dû prendre en compte les discours régulateurs que la médecine entretient autour de ce corps, discours centrés par une médecine normalisatrice, et une médecine réparatrice.

La place que possède la médecine sur la question des parasportifs est double puisque la médecine est au cœur des processus diagnostiques, palliatifs et réparateurs, en plus d’être un vecteur en ce qui a trait aux savoirs et aux connaissances qui légitimisent et instaurent les processus de réglementation et de classification132. La science médicale est de plus à l’origine du paralympisme avec, nous l’avons vu, l’avènement des Stoke Mandeville games en 1948, initié par le Dr Guttmann. En se positionnant ainsi autour du corps parasportif, le rôle que joue la médecine dans la conception de ce corps devient primordial. Un corps que l’on se doit de normaliser, de réparer, un corps que l’on doit rendre sain, or, la dichotomie sur laquelle la médecine base sa conception du corps handicapé, efface les subtilités et les particularités qui émergent de chaque cas.

De plus, un paradoxe semble naître de la nature santéiste de la normalité, puisque la conception santéiste du corps, c’est-à-dire un corps dans un état de santé et de bien-être133,

ne s’accorde pas avec le véritable état des athlètes, car comme nous l’avons vu la volonté de réussir et de performer qui réside dans le sport de haut niveau imposent parfois aux athlètes de pousser leur corps au-delà de leurs propres limites, provoquant des blessures, ampoules et des bris (prothèse). Devant l’abnégation de nombreux parasportif face à leur corps et à la douleur et la souffrance qu’ils peuvent s’imposer afin de s’améliorer, forcé de constater, que la logique santéiste du sport ne peut s’appliquer systématiquement aux compétitions de haut niveau.

trouvent leur unité et à partir de lui que se joue mon orientation dans un contexte, car me donnant une orientation, il me confère un sens » (Frogneux 2014 : 11-12).

132 « Initialement pensée par les médecins qui lancèrent le sport pour handicapés les classifications étaient naturellement fondées sur les critères médicaux, les types et la quantification de la déficience » (Pailler 2004 : 375).

133 « (…) un idéal rationnel ou l’empirisme des conduites personnelles cèdent le pas à la raisons technoscientifique pour accéder au bien-être » (Billaud 2015 : 801).

95

Nous avons également vu que la nature du handicap peut être variable et multiple et que les processus qui mènent à une normalisation de sa condition sont souvent d’une personne à l’autre, assez différents. La logique normalisatrice de la médecine qui tente de rapprocher le corps handicapé vers la « norme humaine134 », agit sur ce corps en évolution avec la technique et la compréhension du corps et de son amalgame avec la prothèse. La progression de l’efficacité des prothèses a été permise par des matériaux issus de développements militaires et privés, entre autres, issu de l’aérospatial135. Cela a amené les institutions sportives à devoir se questionner constamment sur la réglementation et la classification des athlètes paralympiens.

Nous avons vu d’ailleurs, que plusieurs problèmes persistent sur la question de la classification et de la réglementation entourent les paralympiens, puisque l’institution sportive s’accordant aux savoirs médicaux, oriente sa logique argumentaire autour d’une condition normale du corps basé sur l’agglutination de statistiques et de moyennes. Or, ce