• Aucun résultat trouvé

Ce que nous tenterons de faire dans cette partie de l’analyse, est d’apposer notre loupe sur les points de jonction, mais surtout sur les points de rupture entre les diverses conceptions du « corps sportif » afin de mettre de l’avant certaines causes des problèmes qui affligent le mouvement paralympien et qui requestionnent les valeurs intrinsèques du paralympisme. Nous l’avons vu, les processus d’adaptation et de réhabilitation ne sont pas des plus faciles et les éléments qui mènent aux recouvrements de leur capacité ou à l’atteinte de certaines capacités ne sont pas accessibles également à tous. En somme, les athlètes disent que la prothèse leur permet de faire du sport compétitif, mais que leur mobilité et leurs mouvements sont souvent limités par la relation entre leur corps et la prothèse.

En observant des archives vidéo de compétitions disputées à Séoul en 1988 lors des 1e Jeux paralympiques, on remarque que les athlètes qui concourent dans l’épreuve du 100m catégorie A2a9, contrôle difficilement la réaction de leur prothèse86. Le tout est souvent douloureux et difficile pour les athlètes, le fait de pousser le corps à la limite, aux limites d’un corps adapté, à un impact sur la santé et le bien-être de l’athlète. Comme l’exprime Dennis Cole, prothésiste spécialisé dans le sport: « When we ask a person to subject himself

to running with a prosthesis, we're asking for trouble, because initially, it's traumatic to the residual limb » (Pennington, Austin American-Statesman, 5 décembre 1989).

Certains athlètes relatent également des problèmes qu’ils ont rencontrés à la suite d’un effort important.

« My body went into shock after that," he said. “Hence the reason I could barely run today or walk »

(Marlon Shirley) (Schaack, Deseret Morning News, 26 juin 2004).

Les parasportifs prothétiques réussissent à courir certes, mais leur corps est soumis à des chocs qui limitent parfois les déplacements pendant un certain moment. Pour Tony Russell, vice-président du marketing et du sport chez Flex-foot Inc. :

« In every other event (i.e. évènement “régulier”), the athletes compete in the same foot that they

walk around the street in," said Russell. The same shock absorption qualities that improve a high jumper's performance allow amputees to perform everyday tasks without chafing and without the

65

heavyweight drag of an old-fashioned wood or rubber prosthesis, he said » (Tony Russell, vice president of sales and marketing for Flex- Foot Inc.) (Higginbotham, Atlanta Journal and

Constitution, 13 août 1996).

Tout de même, les ajustements sont constants et les prothèses doivent être adaptées à chaque individu pour permettre une utilisation optimale. Les ajustements pour adapter la prothèse au corps de chaque athlète sont constant.

« Because there’s no control over the device, the knee has to go into full extension and then you

need a damper in the last few degrees so it doesn’t create any shock. You still need a range of adjustment because each individual is different. Each damper, both flexion and extension, will have an adjustment screw that can be tuned. Once the athlete starts running, the hydraulics can adapt accordingly » (Kevin Harney, Asia regional president for manufacturer Otto Bock.) (Harris, The

Engineer, 19 septembre 2012).

Malgré les efforts pour maintenir une égalité, par l’entremise de la classification, une certaine disparité existe entre les différents concurrents, révélant une distorsion avec une conception des parasportifs prothétiques comme étant « plus-que-capable » ou encore ce que l’on désigne anglais comme étant des « supercrip »87. Il faut savoir que les diverses

conceptions du corps prothétique en pratique sportive, sont soumises à une multitude d’ajustements techniques et technologiques qui ont à la fois, une influence sur les performances des athlètes, mais également sur la perception que les médias et le grand public se fait de ces athlètes, instrumentalisant autour de ces perceptions, de ses corps, une image du cyborg, ainsi que du « supercrip »

« Specifically in the context of Paralympic sport and for the purpose of this article, the supercrip is

the athlete who wins and also gains a relatively high-profile media exposure. Those athletes who win but do not receive recognition in mainstream media are not supercrip in the context of the Paralympics as they are often marginalized by the degree or nature of their impairment. This marginalization is in part determined by the classification process that sports people with impairments must undergo to determine their eligibility to compete. Also of importance in this article is whether or not athletes use mobility technologies and, by extension, the degree to which they are cyborgs. The process of making a cyborg I articulate as cyborgification as it is useful to understand that in the contemporary world all our bodies use technology in some way. Our bodies can be placed along a continuum from those that require very little technological aid to those whose lives benefit from a great deal from technology. Paralympian wheelchair racers and prosthetic-wearing athletes are the most explicit examples of cyborgification in sport today. » (Howe 2011: 869).

Pour David Howe anthropologue du sport, le terme supercrip que l’on appose aux athlètes qui réussissent et sont reconnus, amène un questionnement sur le double standard qu’il semble y avoir entre les athlètes dits supercrip et les autres paralympiens, qui paraissent

87 « In the context of Paralympic sport the most successful cyborg athletes may be seen as ‘supercrips’ » (Howe 2011:869).

66

être maintenu dans la marginalité. Cette marginalité est selon David Howe induite par le degré « d'incapacité » de la personne et la classification, mais nous pouvons aussi voir que cette marginalisation des athlètes paralympiens se fait vis-à-vis des athlètes réguliers. Puisque, malgré le fait, comme l'explique David Howe, que cette cybornification des athlètes paralympiens ne soit que l'articulation du continuum technologique qui nous affectent tous, ils en deviennent dans le regard des médias, la figure emblématique du cyborg, du supercrip et ils sont maintenus de cette manière dans une certaine marge. Encore là, c'est la question de la « capacité » de ses athlètes dans la pratique sportive de haut niveau qui semble être le point de litige pour les diverses institutions qui régissent la pratique, toutefois dans ce cas, ce sont les « capacités plus-que-humaines » qui marginalisent ces athlètes. Nous constatons à la lumière de ces faits que les difficultés et les efforts mis de l’avant par les parasportif pour atteindre un tel niveau de performance, sont oblitérés par l’évaluation de leurs capacités. Nous le verrons cette question des capacités prothétiques demeurent encore aujourd’hui un point de discussions importantes sur l’avenir du sport et de l’olympisme et du paralympisme. C'est pourquoi dans la prochaine section de l'analyse nous nous attarderons sur la place de la technologie et de l'hybridation du « corps sportif » dans les mœurs et valeurs olympiennes et paralympiennes.

67

Chapitre 14 : Corps cybornfié et corps hybridé ;