• Aucun résultat trouvé

Influence des hétérogénéités sur la durabilité chimique des verres

CHAPITRE 1. Etat de l’art

1.3. Altération des verres homogènes et hétérogènes en milieu aqueux

1.3.2. Influence des hétérogénéités sur la durabilité chimique des verres

1.3.2.1. Influence de la microstructure et de la composition des verres démixés

La présence de phases démixées dans un verre peut induire la modification de nombreuses propriétés macroscopiques (Uhlmann, 1982b) et notamment la durabilité chimique. En effet, du fait des différences de composition entre les deux phases formées lors du processus de démixtion, la durabilité chimique d’un verre démixé n’est pas équivalente à celle d’un verre homogène de même composition.

Dans la littérature, il est montré que trois facteurs principaux sont susceptibles d’impacter la résistance à l’altération : la morphologie des phases séparées, leur composition et leur taille. La morphologie et la composition sont intimement liées pour décrire le comportement à l’altération. Un exemple est en particulier décrit dans les travaux de Tomozawa (1979). Celui-ci propose de classer les verres démixés selon trois catégories notées types A, B et C. Le type A regroupe des verres démixés dans lesquels les deux phases sont interconnectées et de proportions volumiques équivalentes, ce qui correspond à des matériaux obtenus par un processus de démixtion par décomposition spinodale. Sont ensuite distingués deux cas issus d’une séparation de phase obtenue par nucléation-croissance : le type B pour lequel une phase

Chapitre 1 : Etat de l’art

36

durable est dispersée dans une matrice continue moins durable et le type C qui à l’inverse présente une phase peu durable répartie dans une matrice continue de durabilité supérieure. Les résultats des différentes études en milieux neutre ou alcalin montrent que dans le cas des microstructures de types A et B, la durabilité chimique est détériorée en comparaison à celle d’un verre homogène de même composition, alors que le type C l’améliore.

En effet, dans le cas d’une structure interconnectée de type A, la phase peu durable est directement exposée à la solution altérante, ce qui conduit à des relâchements très importants en solution et à une dissolution rapide de cette phase augmentant ainsi la surface réactive (surface accessible à l’eau) de la partie durable. La durabilité de ce matériau est donc contrôlée par la composition chimique de la phase la moins durable (Makishima et al., 1979 ; Chengyu et Liangzhi, 1986 ; Bunker et al., 1986 ; Zhang et Ye, 1989 ; Arbab et al., 2007) et elle diminue d’autant plus que l’interconnectivité est importante (Arbab et al., 2007).

Les études d’altération menées sur des verres borosilicatés de type B, présentant une phase continue riche en oxydes d’alcalins et bore et contenant des phases séparées riches en silice, ont montré que la composition chimique de la phase la moins durable est également le facteur dominant de l’altération. Dans ce cas, plus la séparation de phase est importante, plus la matrice englobante est appauvrie en silice et plus l’altération est rapide (Chengyu et Liangzhi, 1986 ; Arbab et al., 2007). Pour d’autres types de verres, les laitiers vitrifiés de Glinet, Michelin (2011) met en évidence que même après plusieurs centaines d’années, des sphérules de silice obtenues par démixtion ne sont pratiquement pas affectées par l’eau sauf aux endroits où le passage de l’eau a été le plus important. Ainsi, si l’on considère uniquement la composition de la phase englobante et la surface réactive de la matrice continue (la contribution à la surface des phases séparées durables est ôtée), les verres démixés de type B s’altèrent comme un verre homogène. Pour une microstructure de type C, c’est à l’inverse la phase la plus durable qui contrôle l’altération. La proportion et la taille des phases séparées ont aussi une influence sur la durabilité. Les études menées sur des matrices de conditionnement contenant du molybdène (UMo) ont en effet montré que la faible proportion de phases séparées associée à leur petite taille rend leur contribution à l’altération globale de la matrice négligeable (Pinet et al., 2006 ; Vance et al., 2014).

Notons que les mêmes conclusions sur les effets de morphologie et composition ont été obtenues pour des altérations de matériaux de type A et C en milieu acide (Tomozawa et Takamori, 1977 ; Takamori et Tomozawa, 1978).

Dans les cas répertoriés dans la littérature, la taille des phases séparées semble avoir un impact important uniquement si elles sont interconnectées (Charles, 1964 ; Arbab et al., 2007). En effet, dans le cas de phases dispersées au sein d’une matrice vitreuse, il a été montré que la vitesse d’altération n’est contrôlée que par la composition et la morphologie des phases séparées et que la taille des microstructures à un impact faible à nul (Takamori et Tomozawa, 1978 ; Pinet et al., 2006 ; Michelin, 2011). Notons qu’aucune étude d’altération n’a été menée sur un verre qui présenterait une phase exclue du verre (appelée par la suite phase macroscopique) comme cela peut être le cas pour la phase molybdique présentée en figure 1.13). Ce genre de phase peut être observé lorsque les phases séparées atteignent une taille tellement importante qu’elles se détachent du verre.

1.3. Altération des verres homogènes et hétérogènes en milieu aqueux

Le schéma reporté sur la figure 1.23 résume l’impact de la morphologie et de la composition des phases séparées sur la durabilité chimique des verres démixés.

Figure 1.23 : Schéma bilan des mécanismes d’altération de verres démixés en fonction de la morphologie et de la nature des phases séparées (vue en coupe d’un grain de verre).

1.3.2.2. Influence de la présence de cristaux dans les verres

Tout comme la présence de phases séparées dans les verres, celle des cristaux peut affecter la durabilité chimique.

L’altération de verres cristallisés est étudiée depuis de nombreuses années dans les domaines des matériaux de construction (Deng et al., 2012), du médical (vitrocéramiques dentaires (Kasuga et al., 2009 ; ElBatal et al., 2009)) ou encore de la gestion des déchets industriels : rétention des métaux lourds (Dwivedi et al., 1994), vitrification des cendres issues de la combustion de matériaux carbonés (Leroy et al., 2001 ; Erol et al., 2008 ; Yoon et al., 2013) et conditionnement des déchets nucléaires.

D’après McMillan (1979), la durabilité chimique des vitrocéramiques dépend essentiellement de la nature, de la morphologie et du taux de phases cristallines présentes ainsi que de la composition de la phase vitreuse résiduelle englobante. L’impact de ces différents paramètres sur l’altération des vitrocéramiques n’a cependant que très peu été étudié. En effet, dans les travaux recensés dans la littérature, nombreux sont ceux qui se sont arrêtés à la simple comparaison entre l’altération d’un verre et d’une vitrocéramique sans discuter l’effet spécifique des paramètres énoncés précédemment (Hayward et al., 1981 ; He et al., 2002 ; Crum et al., 2011 ; Wu et al., 2013).

Chapitre 1 : Etat de l’art

38

Taux de cristaux

L’influence de ce paramètre est discutée par Spilman et al. (1986). Dans leurs travaux, ils relient le taux de cristaux en fonction des concentrations en éléments relâchés en solution. Cependant, une tendance nette de l’impact du taux de cristaux sur l’altération n’est pas clairement lisible à cause des incertitudes importantes liées à la détermination des concentrations en solution. Riley et al. (2001) et Martin (2002) ont quant à eux étudié l’impact du taux de cristaux de manière détournée. En effet, après avoir montré que les phases cristallines de leur système ont une durabilité supérieure à celle du verre, ils font l’hypothèse que les différences d’altération entre les verres et les verres cristallisés proviennent uniquement de la composition du verre englobant et comparent ensuite le comportement à l’altération de verres dont les compositions simulent différents taux de cristaux.

En résumé, ce paramètre a été étudié dans des cas limites où la phase est beaucoup plus durable que le verre. Même si l’on note une tentative de quantification de l’impact des cristaux chez Spilman et al. (1986), il a plutôt été admis – sans porter une réelle attention à la quantité de cristaux présente – que la partie vitreuse, phase la moins durable dans ces études, pilote l’altération (Riley et al., 2001 ; Martin, 2002). Ainsi, ces études ne prennent pas en compte l’effet de l’interface verre-cristal sur la durabilité. Or, plusieurs travaux portant sur la corrosion de vitrocéramiques ont montré que la durabilité chimique ne peut être déduite de la seule durabilité des phases séparées (partie vitreuse et cristaux), mais que les effets d’interfaces doivent également être pris en compte.

Influence de l’interface verre-cristal

Plusieurs travaux mettent en évidence une attaque préférentielle à l’interface verre-cristal. Après avoir traité thermiquement leur borosilicate d’alcalins (Na, Li) et ainsi cristallisé

différentes phases silicatées (Acmite, NaFeSi2O6 et Augite, Si2O6(Ca,Mg,Fe,Ti,Al)2

principalement), Spilman et al. (1986) observent une altération préférentielle à l’interface verre- cristal. Cet effet est attribué à l’appauvrissement en silicium et, à l’inverse, à l’enrichissement en sodium dans le verre à proximité des cristaux. En effet, ces modifications de composition entrainent une réactivité plus importante de ce verre « appauvri » en silicium avec un échange d’ions favorisé entre les protons de la solution et le sodium du verre qui conduit par conséquent à une élévation du pH et donc à une dissolution du réseau silicaté favorisée par les attaques nucléophiles de l’ion hydroxyle.

Bing-Fu et al. (1986) observent également une altération préférentielle à l’interface verre-cristal dans des verres de compositions similaires à celles de Spilman et al. (1986) dans lesquels ont

cristallisé des spinelles de composition (Mn,Ni,Fe)Fe2O4. En effet, comme le montre le cliché MET

en figure 1.24–a, de profonds sillons à l’interface verre-cristal sont visibles indiquant que les phases cristallines et vitreuses sont plus résistantes à l’altération que ne le sont les régions à l’interface. Deux hypothèses sont proposées pour justifier cette attaque préférentielle :

1.3. Altération des verres homogènes et hétérogènes en milieu aqueux

(i) soit, comme le concluent Spilman et al. (1986), la présence d’un gradient de composition. Cette hypothèse est peu probable étant donné que les éléments constituant les phases dans ce cas engendreraient un appauvrissement du verre en Fe notamment et, par conséquent, un enrichissement en éléments comme le silicium, ce qui renforce la durabilité chimique de la matrice vitreuse et ne devrait donc pas conduire à une altération préférentielle,

(ii) soit un stress mécanique, issu des différences de coefficient de dilatation thermique entre le verre et le cristal, qui pourrait engendrer des fractures et donc des chemins préférentiels pour la solution d’altération.

A partir d’observations MET, Bing-Fu et al. (1986) montrent notamment que cette altération préférentielle évolue en fonction du progrès de la réaction d’altération : très important au départ, il diminue fortement après 3 puis 6 mois d’altération. Cette diminution de l’impact de l’altération préférentielle à l’interface verre-cristal a également été notée par Jantzen et Bickford (1985) et Martin (2002) qui montrent que la pellicule d’altération qui se forme à fort progrès de réaction protège les interfaces de la poursuite de la dissolution préférentielle.

A l’inverse, en altérant les deux phases de leur matériau séparément (phase vitreuse englobante et cristaux de sphène) et en comparant ces résultats au comportement de leur vitrocéramique, Hayward et al. (1990) démontrent que dans leur système aucun effet synergique entre les lixiviations du verre et des cristaux ne se produit au cours de l’altération de la vitrocéramique et que par conséquent aucune altération préférentielle à l’interface ne se produit.

En conclusion, les études sur l’influence de l’interface verre-cristal montrent qu’il s’agit d’un paramètre complexe qui peut avoir ou non un effet sur la durabilité en fonction (i) des conditions d’élaboration et du stress mécanique qui peuvent créer des fissures à l’interface verre-cristal et (ii) de l’effet de la composition du cristal qui peut enrichir ou appauvrir l’interface verre-cristal en formateurs. A cause des interfaces verre-cristal, la notion de surface réactive (surface réelle en contact avec l’eau) est complexe. Or, les vitesses d’altération sont normalisées aux surfaces, ce qui les impactent directement.

Conséquences sur la surface réactive

Bing-Fu et al. (1986) ont listé les différents modes de corrosion qui peuvent exister dans le cas de l’altération de verres partiellement cristallisés. Ils sont représentés sur la figure 1.24–b avec (a) la lixiviation de la matrice de verre, (b) l’attaque à l’interface verre-cristal, (c) la dissolution des cristaux, (d) la recondensation d’un gel à la surface du matériau et (e) l’arrachement de cristaux par l’altération préférentielle de l’interface verre-cristal.

Figure 1.24 : (a) Cliché MET d’un verre borosilicate d’alcalins cristallisé (spinelles) altéré. L’altération préférentielle des cristaux est visible avec les sillons autour des cristaux (Bing-Fu et al., 1986). (b) Représentation d’un verre partiellement

cristallisé et des différents modes d’altération qu’il peut subir (Bing-Fu et al., 1986).

Chapitre 1 : Etat de l’art

40

Dans le cas où les phases sont plus durables que le verre, Martin (2002) met en évidence la nécessité de corriger la surface réactive (surface qui réagit au contact de l’eau). Ainsi, si l’on considère un grain de verre cristallisé (figure 1.25–A), deux cas sont distingués en fonction de la présence ou non d’une altération préférentielle de l’interface verre-cristal :

§ dans le cas où aucune altération préférentielle ne se produit à l’interface verre-cristal, la surface réactive Sr(B) correspond à la surface réellement développée par la partie vitreuse englobante (la surface des cristaux ne contribue pas). Ce cas est présenté sur la figure 1.25–B,

§ dans le cas où l’interface verre-cristal s’altère préférentiellement, le front d’altération progresse préférentiellement aux interfaces verre-cristaux et la surface réactive Sr(C) correspond alors à la surface développée par la partie vitreuse à laquelle s’ajoute la surface développée par les interfaces verre-cristaux, qui évolue tout au long de l’altération.

Les surfaces réactives ainsi définies sont telles que Sr(C) ≥ Sr(B).

Figure 1.25 : Evolution de la surface réactive d’un grain de verre cristallisé (vue en coupe), adaptée de (Martin, 2002).

Cas A : grain de verre cristallisé avant contact avec l’eau, cas B : grain de verre cristallisé après contact avec l’eau et cas C : grain de verre cristallisé dont l’altération de l’interface verre-cristal est préférentielle.

L’altération de vitrocristallins est essentiellement dépendante de la nature, du taux de cristaux, de la composition chimique de la partie vitreuse englobante et du type de l’interface verre-cristal.

La nature des cristaux et leur taux sont des paramètres clés qui déterminent la composition chimique de la phase vitreuse résiduelle et par conséquent le comportement à l’altération du vitrocristallin. Le rôle de l’interface verre-cristal est très discuté. Si, dans certaines études, aucun impact n’a été observé, dans d’autres une altération préférentielle de l’interface a été montrée et expliquée par la présence de gradients chimiques ou de contrainte engendrant la présence de fissures à proximité des cristaux. L’impact de ce paramètre dans l’altération d’un vitrocristallin est très important puisqu’il conditionne la détermination de la surface réactive utilisée pour normaliser les vitesses d’altération.