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IV.1. Au lycée français : distinction dans le schéma énergétique mais pas

dans le cours (texte)

Un objet, la Transformation de l’énergie, côtoie l’objet Transfert d’énergie dans le même habitat. Des similarités entre ces deux objets provoquent un malaise dont nous allons chercher les indices dans les manuels.

Dans tous les manuels étudiés (avant 1992, 1992 et 2000 ainsi que les autres institutions), le statut de la Transformation de l’énergie oscille entre le paraphysique et le protophysique. Elle est utilisée pour étudier le Principe de conservation, mais sans définition. Mais elle apparaît aussi derrière tout événement désigné par les termes de « transformation » ou de « conversion » par exemple. Ce statut ressemble à celui du Transfert d’énergie dans l’institution universitaire en France et au Vietnam (lycée, Université).

Par contre, dans les manuels du programme de 1992 et de 2000 du lycée français, grâce aux schémas de la Chaîne énergétique (programme 1992) ou du Bilan énergétique (2000), la Transformation de l’énergie est clairement distinguée du Transfert d’énergie par l’usage :

-de symboles de transformateur/convertisseur présentant la Transformation -de flèches pour le Transfert.

Cependant, l’objet Transformation est moins visible que l’objet Transfert d’énergie. En effet, le Transfert d’énergie correspond à un événement caractérisé par des modes de transfert, alors qu’aucun critère ni définition ne caractérise la Transformation de l’énergie dans ces manuels. Le signifiant « Transformation de l’énergie » évoque un phénomène concernant les formes d’énergie, c’est-à-dire le changement de nature (de forme) de l’énergie. Cette idée est présente dans le schéma de la Chaîne et du Bilan où l’on annote les formes d’énergie dans les « transformateur » ou « convertisseur ».

Dans le document COAST-MAFPEN, on trouve une analyse linguistique portant sur les deux verbes Transfert et Transformation (p.163-168) : « La comparaison des résultats des analyses

de transformer et transférer [...] montre des ressemblances fortes, qui sont à l’origine d’un certain nombre de confusions faites par les élèves. » L’analyse propose trois éléments pour

différentier ces deux notions : « un transfert doit préserver l’entité [l’énergie transférée],

alors que qu’une transformation doit changer radicalement une de ses propriétés [sa

forme] » ; « un transfert doit forcément créer un déplacement [entre deux systèmes], alors

qu’une transformation le peut à la rigueur »; « on ne peut pas définir un transfert sans nommer l’entité transférée [l’énergie], alors qu’on peut définir une transformation. » Nous

allons voir dans les paragraphes qui suivent que des confusions plus complexes sont largement répandues, jusque dans les manuels.

IV.2. Confusion des modes de transfert d’énergie avec la quantité d’énergie

transférée

D’une part la Transformation n’est pas toujours distincte des transferts d’énergie ou des modes de transfert. D’autre part, elle est parfois appliquée à d’autres objets que les formes d’énergie : on trouve parfois l’évocation de la transformation d’un mode en un autre, ou d’une forme d’énergie en un mode de transfert, .... Par exemple, pour décrire le fonctionnement d’une machine à vapeur d’un train, on écrit : « La machine à vapeur permet de transformer

une partie de la chaleur Q1, fournie par la vapeur, en travail mécanique WM. Ce travail résulte de la force pressante exercée par la vapeur sur le piston qui se déplace lors de la phase d’admission.» (Physique 1er S, Hachette, 1994, p.181). Dans cet exemple, pour illustrer

le calcul de rendement, un schéma (figure 5) montre que la chaleur concerne un phénomène de transfert entre la chaudière et le moteur (le système étudié), et le travail concerne un autre phénomène de transfert, entre le moteur et la transmission. On peut traduire la phrase ainsi : le moteur reçoit de l’énergie thermique de la chaudière (quantité Q1) et transfère de l’énergie mécanique (quantité WM) à la transmission. Une partie de l’énergie thermique reçue par le moteur est donc transformée en énergie mécanique et transfère Q1 à la transmission : le moteur est donc un transformateur d’énergie. La confusion vient de l’usage des termes chaleur et travail, qui désignent non pas les transferts ou leur mode, mais les quantités d’énergie Q1 et WM transférées entre le système et le milieu extérieur (on mentionne de manière confuse la forme des énergies transférées : chaleur pour l’énergie thermique et travail pour l’énergie mécanique). Le texte cité ne s’intéresse qu’à l’aspect de changement de forme, et évoque les formes d’énergie en les désignant par les mêmes termes que les quantités d’énergie transférées, que l’on pourrait elles-mêmes confondre avec les modes du transfert.

Figure 5. Chaîne énergétique (sert à calculer le rendement) illustre les modes de transfert par des symboles

(Hachette 1994, p.182)

On trouve des exemples similaires dans différents ouvrages comme par exemple dans les manuels universitaires vietnamiens et français « La machine thermique est un système

fonctionnant périodiquement qui convertit le travail en chaleur ou bien la chaleur en travail. » (Mécanique-Thermique (VN), 2003, p.183). « Il existe plusieurs causes d’irréversibilité, […] la première […] est constituée par l’ensemble des forces de frottement visqueux ou solide dont le travail se transforme systématiquement en énergie interne ou en chaleur. » (Pérez, Thermodynamique, 1997, p.98). Dans cette dernière citation l’énergie

interne est mise au même niveau que la chaleur, alors que la thermodynamique usuelle distingue bien entre les grandeurs d’état (formes d’énergie comme E mécanique, E interne,

Eth) et les autres grandeurs (quantités transférées désignées traditionnellement par les termes de chaleur, travail). L’expression explicite pourrait être : Il existe plusieurs causes d’irréversibilité, […] la première […] est constituée par l’ensemble des les forces (extérieures au système) qui par leur travail, transforment systématiquement l’énergie mécanique (du système) en énergie interne (du système) ou en énergie thermique (du système, du milieu extérieur, ...). On remarque que le fait d’utiliser traditionnellement un même terme (travail ou chaleur) pour désigner le mode de transfert et la quantité d’énergie transférée, introduit une possibilité supplémentaire de confusion. Par conséquent les confusions entre d’une part forme d’énergie et mode de transfert, et d’autre part forme d’énergie et quantité d’énergie transférée, semblent étroitement liées par une question de vocabulaire.

IV.3. Discussion

On peut penser que de tels usages peuvent créer un trouble autour des notions de Transfert et Transformation de l’énergie, qui peut ensuite amener à une confusion entre modes de transfert et formes d’énergie.

Cependant Robardet (entretien du 3/4/2003) défend une position différente. Pour définir une transformation, il aborde ainsi les formes d’énergie et les modes de transfert :

« La transformation d’énergie c’est quand on passe d’une forme à une autre ; ou d’un mode à un autre. Il y a transformation d’énergie lorsque ça change d’état entre l’entrée et la sortie d’un système, ou à l’intérieur d’un système au cours du temps, et on n’a pas 2 fois la même chose. Soit transformation d’énergie cinétique en énergie potentielle ou d’énergie cinétique en énergie interne, par exemple ; soit une transformation de travail en chaleur, de travail en énergie cinétique ; soit de travail en rayonnement… Chaque fois qu’on change de mode ou qu’on change de forme ou on passe d’une mode à une forme… » (Entretien avec Robardet)

Pour lui, « formes d’énergie » et « modes de transfert » sont interchangeables, ce sont des catégorisations :

« […] on continue à parler de « forme » d’énergie et de « mode » de transfert mais le « modes » de transfert correspondent à des « formes » de transfert. Finalement le mot « forme » pourrait toujours être utilisé. Que ce soit des formes d’énergie stockée ou des formes d’énergie transférée. Je ne sais pas s’il faut attacher de l’importance par rapport à ces deux mots là.

[…] on n’a pas jugé pertinent d’abandonner l’idée de mode de transfert ou de forme d’énergie. D’ailleurs le concept de « forme » ou le concept de « mode » c’est très proche. C’est l’idée de catégorie. Je dis des formes d’énergie pour définir des catégories d’énergie… On dira plutôt d’énergie stockée. Et puis modes de transferts, c’est des catégories de transfert, donc d’énergies transférées. C’est une catégorisation qu’on essaie de faire. Il y a transformation chaque fois qu’il y a changement de catégorie. » (Entretien avec Robardet).

Cependant, l’idée d’une distinction entre forme d’énergie - une grandeur d’état - et mode de transfert – caractéristique d’un transfert – existe :

« Le mot « chaleur » est largement utilisé (et compris) non seulement comme caractéristique d’un transfert d’énergie (« la chaleur se déplace », « se propage », etc.), mais aussi dans le sens d’une grandeur d’état, même chez des élèves avancés ou chez des étudiants. » (Document d’accompagnement du programme de 2000, 2002).

Au Vietnam, le Transfert d’énergie et la Transformation de l’énergie ne sont pas distingués. « En classe 10, pour la notion « transfert d’énergie », on considère essentiellement le transfert thermique et ses applications techniques. On n’attache pas suffisamment d’importance au transfert d’énergie (énergie de translation ↔ énergie de rotation ; énergie potentielle → énergie de translation (ou énergie de rotation) ; énergie élastique ↔ énergie cinétique et énergie potentielle). Je pense qu’il serait mieux de l’exploiter plus soigneusement. Surtout, il faut analyser des exemples d’application pour que les élèves puissent bien comprendre le transfert d’énergie. […] C’est l’échange d’énergie d’un objet

à l’autre (même forme d’énergie) […] La transformation de l’énergie (d’une forme à une autre) est suffisamment enseignée comme on l’a vu précédemment, dans des exemples d’applications techniques et de la vie quotidienne, dans des exercices qualitatifs et quantitatifs. » (Entretien avec Mme. Le, 20/10/2003)

On voit dans le discours de Mme. Le, que la notion de Transfert d’énergie n’est pas précise et qu’elle est confondue avec celle de Transformation de l’énergie : d’une part les deux termes Transfert et Transformation sont utilisés indifféremment; d’autre part, les exemples donnés comme manquant dans l’enseignement, ne concernent que le changement de forme de l’énergie, alors que le Transfert est donné un peu plus loin comme un échange entre deux objets, ce qui correspond bien à l’idée du Transfert des programmes français.

V. Conclusion

Nous avons vu que dans la réforme du programme de 1992, la visibilité didactique du Transfert d’énergie augmente : il occupe une place importante dans les manuels puisqu’il est le titre de chapitres et/ou de paragraphes. Le Transfert d’énergie devient un objet physique alors que dans les autres institutions il n’est que protophysique. Nous avons vu (chapitre B4) que dans les manuels français (programmes de 1992 et 2000), le réseau des relations du Transfert d’énergie avec d’autres objets énergétiques est très dense. Les discussions ci-dessus montrent en effet l’importance des relations avec des objets tels que la Chaîne énergétique, le bilan énergétique, ou plus loin le Principe de conservation de l’énergie. Le Transfert

d’énergie participe donc intensément à la vie des objets énergétiques.

Dans les programmes récents, la définition des modes de transfert est l’occasion de réunir des concepts initialement attachés à l’Approche Particulière (Travail, Chaleur, Rayonnement) dans une catégorie nouvelle emblématique de l’AU : le Mode de transfert. Dans le programme de 2000, ces objets et leur catégorie conservent le même statut. Au Vietnam et à l’Université française par contre, la visibilité des différents modes de transfert varie selon les domaines de la Physique et la catégorie Mode de transfert n’existe pas.

La réforme de 1992 au Lycée français, a donc modifié de manière permanente (jusqu’à aujourd’hui) l’enseignement de l’Energie dans le secondaire par la création des notions universelles de transfert et de mode de transfert. Mises en avant par toutes les représentations graphiques énergétiques, ces notions sont caractéristiques de l’analyse énergétique d’une situation physique, et indissociables de la notion de conservation (Transfert) et d’énergie (Mode). Cependant, l’abandon des représentations graphiques dans le manuel du programme de 2000, s’accompagne d’un recul de l’exploitation du Transfert et du mode de Transfert dans le cours et les exercices.

D’autre part, nous avons identifié dans toutes les institutions, les indices d’un malaise autour du Transfert d’énergie et de la Transformation de l’énergie. Nous avons dégagé deux éléments qui peuvent conjointement ou séparément, être responsables de confusions multiples. Le premier repose sur la polysémie des «noms» des deux modes de transferts (travail et chaleur) les plus usités dans les manuels étudiés : le même nom désigne à la fois le mode de transfert et la quantité d’énergie transférée. En second lieu, le statut de la Transformation de l’énergie est mal défini : il peut être une simple propriété associée de manière variable au Forme d’énergie, au Transfert d’énergie ou au Mode de transfert, avec une visibilité d’objet protophysique. Cependant dans la réforme de 1992, il accède parfois au statut d’objet paraphysique, en particulier pour outiller la Chaîne énergétique. On peut envisager que ce statut pourrait même aller jusqu’à celui d’un objet physique, en énonçant un Principe de Transformation comme proposé dans certaines études didactiques (Bécu-Robinault, 1997a). Néanmoins nous devons reconnaître que la notion de Transformation est complexe et toujours sujette à controverse pour les experts.

CHAPITRE C.3

Principe de conservation de l’énergie

Parmi les objets énergétiques, le Principe de conservation de l’énergie (ou PCE) est le plus fondamental, étant donné le rôle primordial qu’il a joué dans la genèse de l’Energie (chap. A1). Nous commençons ici par examiner la cohérence entre les aspects épistémologiques du PCE et l’enseignement de l’Energie dans les deux approches Universelle (AU) et Particulière (AP). A partir de là, nous considèrerons la manière dont le PCE apparaît dans les programmes de lycée français en relation avec ces deux approches. Le troisième paragraphe est consacré à l’analyse de la vie et de l’évolution du PCE dans les manuels. Nous terminerons comme dans les chapitres précédents, par l’étude de la vie de cet objet dans les autres institutions.

I. Cohérence épistémologique du Principe de conservation de