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II. Travaux antérieurs sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Energie

II.1. Difficultés, conceptions et obstacles relatifs à l’Energie

Pour rendre compte des analyses en conceptions, difficultés ou obstacles, nous partons de regroupement des résultats des travaux autour de conceptions. Comme telles, il s’avère que les conceptions se rapportent à des ensembles de situations qui relèvent d’un domaine, parmi les principaux domaines de la Physique enseignés au niveau secondaire : la Mécanique, l’Electricité et la Thermodynamique. Nous présentons ces conceptions en les rattachant à un tel domaine. Notre intérêt pour l’aspect « transversalité » nous conduit alors à discuter de la possibilité ou non de les rattacher à d’autres domaines.

En Mécanique

Une conception dominante mise en évidence par beaucoup de travaux de didactique est la

confusion des concepts physiques de force et d’énergie.

Remarquons que dans l’histoire, dès la naissance de l’Energie, le terme même de force est employé au sens du concept énergie :

« C’est à Leibniz qu’il appartenait de constituer quantitativement et précisément le concept de l’énergie liée au mouvement, qu’il appellera force vive » (Halbwachs, 1981, p.22).

Pour les élèves, il n’est pas facile de séparer la notion d’énergie de celle de force ou de celle

d’action. Dans une revue des recherches sur la conceptualisation par les élèves (11-16ans) des

aspects énergétiques de situations physiques, Brook (1985) a dégagé cinq conceptions différentes de l’énergie du point de vue scientifique. La deuxième et la troisième renvoient à des identifications du type énergie/force ou énergie/action :

« 1) l’énergie associée principalement aux objets animés, 2) l’énergie regardée comme synonyme de force, 3) l’énergie associée seulement au mouvement, 4) l’énergie stockée à l’intérieur des objets, 5) l’énergie considérée comme combustible. » (Cité par Koliopoulos et Tiberghien, 1986, p.169).

Bruguière et al. (2002, p.72-73) ont fait une synthèse de travaux concernant de telles conceptions en lien avec des connaissances communes. Ainsi, nous pouvons préciser la conception sous laquelle l’énergie n’est pas séparée des idées de mouvement et d’activité :

« La preuve de l’existence de l’énergie est l’activité (et parfois l’activité elle-même est appelée énergie). Le mouvement est généralement donné comme exemple d’activité mettant en œuvre de l’énergie (Watts, 1983). A contrario, l’absence d’activité, l’immobilité, est une raison suffisante pour nier l’existence d’énergie » (Bliss et Ogborn, 1985, Cité par Verseils-Bruguière et al., 2002, p.72-73). Les considérations avancées par ailleurs dans cette synthèse nous conduisent à nous demander si elles n’indiqueraient pas que la confusion force/énergie peut se constituer en obstacle (épistémologique) pour l’élève :

« L.Viennot (1989) a montré comment certains raisonnements spontanés des élèves en cinétique et dynamique procèdent, pour l’essentiel, d’une prise en considération globale du mouvement et d’une tentative d’explications causales immédiates où la cause, attribuée à l’objet, se formule en un complexe dynamique indifférencié : force/ énergie/ élan/ impulsion. Plus généralement, il apparaît que, dans leur cursus et même à l’université, des élèves font un usage équivoque des mots « force » et « énergie » (De Bueger-Vander et Mabille, 1989, cité par Verseils-Bruguière et al., 2002, p.72-73).

Soulignons que la notion de force est une notion spécifique6 de la Mécanique : la confusion force/énergie est une conception attachée à ce domaine.

En Electricité

En étudiant les obstacles à l’apprentissage de l’électrocinétique, Closset (1989) a constaté la tendance d’élèves de 12 à 14 ans à substantialiser l’énergie. Cette constatation rejoint des déclarations d’enfants de 7 à 12 ans recueillies dans le travail de Tiberghien et Delacote (1976, p.933).) : « L’électricité monte dans l’ampoule et cela fait marcher » ; « La pile, il y a

de l’électricité dedans et elle sert à allumer l’ampoule » ; « La pile sert à donner de l’électricité, l’électricité fait marcher l’ampoule ».

« Dans tous les cas il s’agit, d’une manière ou de l’autre, de rendre compte de l’alimentation de l’ampoule en énergie, une énergie substantialisée, contenue dans la pile, qui a pour nom l’électricité ou courant et qui doit donc « passer » par quelque part, c’est-à-dire par les fils.

Une autre conclusion qu’il est d’ores et déjà possible de tirer est relative à l’utilisation d’un seul concept (nous dirons plutôt notion) pour décrire le circuit électrique. Il joue tout à la fois le rôle d’intensité, de courant et d’énergie, il a certaines propriétés d’un fluide et notamment celle de s’écouler dans le circuit comme dans des tuyaux, ou même des canaux » (Closset, 1989, p.935).

On peut mettre en relation cette tendance à substantialiser l’énergie avec des confusions de type énergie/circuit électrique et énergie/intensité du courant qui ont conduit certains travaux à viser des différenciations :

« Dans tous Des travaux plus récents tiennent compte explicitement de certaines des difficultés rencontrées chez les élèves. Un certain nombre d’entre eux, se situant dans le domaine de l’électricité, ont pour but la différenciation entre les grandeurs énergie et intensité du courant (Psillos et al. 1985, Shipstone 1984, von Rhoneck 1984). » (Koliopoulos et Tiberghien, 1986, p.174).

Les concepts d’intensité et de courant appartiennent évidemment au domaine de l’Electricité. La substantialisation est une conception plus généralement mise en évidence dans ce domaine :

« Les propriétés électriques observées sont considérées comme les manifestations d’une substance spécifique présente sur les corps électrisés : « le fluide électrique ». (Benseghir, 1989, p.8).

Peut elle apparaître dans d’autres domaines pour l’énergie ?

6 Dans « La science et l’hypothèse » (1902) Poincaré plaçait magistralement la notion de force au cœur de la constitution des principes de la mécanique. A l’issue d’une étude épistémologique, Guillaud (1998) dégage le réseau conceptuel « minimal » de la Mécanique élémentaire. Ce réseau met bien en évidence que le concept de force est un des objets fondamentaux du domaine de la Mécanique.

En Thermodynamique

La chaleur et la température sont des objets typiques de ce domaine et les élèves rencontrent la difficulté de les différencier entre elles et avec le concept d’énergie : on est alors en présence de ce que Rozier (1988) appelle des associations préférentielles entre grandeurs.

« Des confusions aussi fortes apparaissent également lorsqu’il est question d’énergie interne. Ainsi, celle d’un morceau de plomb en train de fondre est souvent considérée comme constante, parce que sa température est constante » (Rozier, 1988, p.70).

Notons qu’en 1986, Tiberghien souligne :

« Dans le domaine de la thermodynamique, on dispose de peu d’informations sur la différenciation par les élèves entre la température, la chaleur et l’énergie dans le sens de la description de l’état d’un système ou de l’interaction entre systèmes ». (Tiberghien, 1983, Cité par Koliopoulos et Tiberghien, 1986, p.170).

Plus tard, alors que l’enseignement de l’Energie au lycée connaît de nouvelles évolutions7, des travaux indiquent que la confusion entre ces grandeurs existe et qu’elle perturbe l’acquisition du Principe de conservation de l’énergie :

« Les interactions thermiques étant méconnues et peu ou pas clairement explicitées par les élèves, il s’avère difficile de distinguer les statuts respectifs des grandeurs chaleur et température. La confusion entre ces deux grandeurs prouve que les rôles respectivement joués par ces dernières dans le principe de conservation énergétique ne sont pas discernés. » (Nsumbu-A-Nlambu, 1995, p.495).

« […] forte tendance à l’assimilation de la chaleur à une grandeur d’état, faisant obstacle à l’acquisition des différentes composantes du concept d’énergie (liens entre la chaleur, le travail, l’énergie macroscopique et l’énergie interne microscopique) donc aussi à l’acquisition du principe de conservation » (Robardet et Guillaud, 1997, p.171).

Un autre obstacle identifiable réside dans la difficulté pour les élèves de mettre en relation une variation de température, phénomène de thermodynamique, avec le travail qui est un concept qui relève de l’Energie mais qui est défini en général dans le domaine de la Mécanique.

« L’augmentation de température dans une compression adiabatique est très souvent interprétée en évoquant une intervention de la chaleur. Le travail n’est pas reconnu comme une grandeur énergétique susceptible de faire varier la température des systèmes entre lesquels il se transfère. » (Ballini, Robardet et Rolando, 1997, p.81).

Ici, c’est l’une des conditions d’accès à la transversalité de l’Energie qui peut s’avérer problématique dans l’enseignement.

Bilan

Considérons ces conceptions que nous avons présentées comme attachées à un domaine d’enseignement particulier de la Physique : la Mécanique, l’Electricité ou la Thermodynamique. Parmi elles la substantialisation de l’énergie est une conception susceptible d’être transversale. En Electricité, l’énergie est substantialisée en relation avec le circuit d’électrique ou la notion d’intensité. En Thermodynamique, signalons que dans l’évolution historique du concept de chaleur, la notion de calorique relève de la substantialisation. Avec la confusion énergie/chaleur, l’énergie pourrait facilement être

considérée comme une substance. La tendance à la substantialisation concerne ainsi des notions différentes.

Finalement, les conceptions que nous avons relevées ne s’avèrent pas ou peu transversales. Est-ce à mettre en rapport avec les conditions de l’étude de l’Energie dans l’enseignement, en particulier avec les premières rencontres des élèves avec l’Energie ?