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Nous faisons l’hypothèse que l’enseignement de l’Energie propose des approches qui se rattachent à ces situations repérées dans l’histoire et qui se différencient par le traitement de l’Energie : objet principal ou non, hors d’un domaine particulier ou non. Nous les identifions comme deux approches différentes que nous appellerons : Approche Universelle (AU) et

Approche Particulière (AP).

Pour étudier le traitement de l’Energie dans l’enseignement, nous nous proposons de faire référence à ces approches. Nous en donnons des caractéristiques qui serviront pour les analyses tout au long de notre travail.

IV.1. Approche Particulière (AP)

Elle est le fait de considérer l’Energie à l’intérieur d’un domaine donné de la Physique avec des éléments constitutifs qui sont spécifiques à ce domaine. Par exemple : dans le domaine de l’Electrocinétique, on présente l’effet Joule, et lui seul, comme manifestation de Transferts thermiques ; dans le domaine de la Mécanique, la Conservation de l’énergie est souvent réduite à la conservation (ou à la non-conservation) de l’énergie mécanique et par conséquent à une discussion sur les Transformations réciproques d’énergie cinétique en énergie potentielle. Les travaux qui analysent l’enseignement de l’Energie (cf. les travaux cités au §II) pointent implicitement l’AP comme la manière « traditionnelle » d’introduire et d’étudier l’Energie dans les enseignements.

10 En réalité, certaines formes d’énergie peuvent se retrouver dans plusieurs domaines, avec une importance variable.

11 La manière de dialoguer avec l’Energie, dans un domaine donné de la physique, pourra, à cause des formes particulières que prennent les phénomènes, « les énergies », les modes de raisonnement, …, donner naissance à des lois spécifiques à ce domaine, cependant relatives à la conservation universelle de l’Energie. Par exemple la relation de Bernoulli en mécanique des fluides repose sur la conservation de l’énergie, même si ses expressions algébriques courantes ont perdu toute allusion directe à l’énergie et à sa conservation. Par exemple : p + ρgz+1/2 v2 = cte : le premier terme est relatif à une énergie potentielle de pression, le deuxième à une énergie potentielle de pesanteur et le troisième à une énergie cinétique.

IV.2. Approche Universelle (AU)

Au travers des études menées au paragraphe précédent, nous la décrivons comme le résultat d’un processus synthétique : l’AU n’est pas la somme de toutes les AP prises dans tous les domaines de la Physique. Nous la caractérisons par les deux propriétés suivantes.

Indépendance

L’étude historique nous montre que les premières études énergétiques ont été faites dans différents domaines (un domaine à la fois ou deux domaines simultanément) de la Physique (Approche(s) Particulière(s)). Mais il existe aussi dès le début de la formation de ce concept une volonté d’unification :

« C’est en 1830 environ que ces différentes « forces » commencent particulièrement à intéresser les scientifiques. Ceux-ci s’acharnent à trouver entre elles un réseau d’interconnexions. Ces travaux rentrent dans l’une des grandes optiques de la communauté scientifiques du XIXe siècle : démontrer qu’il n’y a pas des physiques mais une physique. […] Nous allons donc pouvoir observer au cours de la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle la formation de tout un réseau de conversions entre les différentes forces physiques, réseau qui tend à une unification vers un concept unique : l’énergie, ainsi que sa propriété fondamentale : la conservation. » (Bécu-Robinault, 1993, p.13).

Cette unification autour de la propriété fondamentale (la conservation) est un processus synthétique dont le résultat est l’indépendance de l’Energie : elle permet d’exprimer l’Energie comme un thème indépendant des domaines scientifiques de la Physique.

Transversalité

Parmi les éléments constitutifs de l’Energie, le Principe de conservation de l’énergie est une « super-loi » de la Physique que l’on situe «au-dessus » des lois physiques et de leur diversité (Hulin M., 1992). Il présente une caractéristique universelle qui a été qualifiée de

transphénoménologique par l’équipe COAST-MAFPEN (1998).

« Le programme de 1992 a choisi de fonder la notion d’énergie sur le principe de conservation dans son sens transphénoménologique. C’est-à-dire, comme le dit Feynman […], « quoi qu’on fasse on est sûr de

retrouver la même quantité d’énergie ». Ce « quoi qu’on fasse » peut relever simultanément de la

mécanique, de l’électricité, de la calorimétrie, du nucléaire, et d’autres domaine encore. Ce choix respecte la physique et, de plus, il aide les élèves à acquérir une notion d’énergie qui leur permet d’interpréter les transformations énergétiques d’un domaine à l’autre, ce qui correspond aux situations technologiques de notre environnement quotidien. » (COAST-MAFPEN, p.152-153).

Ici, le caractère transphénoménologique apparaît à travers la Conservation et la Transformation (changements de forme) de l’Energie, les différentes formes correspondant à différents domaines. Pour nous, la propriété de transversalité ne renvoie pas aux seules notions de Formes d’énergie, de Transformation et de Conservation de l’énergie. Nous parlerons de transversalité quand il y aura une mise en valeur de la présence de tels éléments emblématiques de l’Energie dans différents domaines.

Quand l’Energie apparaît avec ces deux propriétés, nous considérons que l’on est dans une Approche Universelle. L’Energie est nécessairement alors l’objet principal de l’étude.

IV.3. Discussion des dénominations choisies

La dénomination de nos deux approches correspond à un choix qui peut donner lieu à discussion. Nous allons exprimer ici les raisons de notre choix.

Relevons d’abord, dans les divers travaux auxquels nous avons fait référence, une liste de termes utilisés pour rendre compte de l’Energie. Nous les groupons les suivant notre caractérisation (AP ou AU) de la situation à laquelle ils renvoient.

Pour l’Approche Particulière

« Dans chaque cas particulier on voit bien ce que c’est que l’énergie » (Poincaré 1902) ;

« une certaine quantité que nous appelons énergie, qui ne change pas dans les multiples

modifications » (1963) ; « L’énergie est un concept défini par ses effets et ses domaines

phénoménologiques » (Bécu-Robinault, 1997a).

Pour l’Approche Universelle

« La loi de la conservation de l’énergie ne peut avoir qu’une signification, c’est qu’il y a une

propriété commune à tous les possibles […] Si l’on veut énoncer le principe dans toute sa généralité « (Poincaré, 1902) ; « une des lois les plus fondamentales de la Physique, la conservation de l’énergie » (Feynman, 1963) ; « représente ce qu’il y a de permanent dans

toutes les vicissitudes ; elle est le fondement de la réalité effective, celle qui fait effet sur nous » (Ostwald, cité par Brouzeng 1980) ; « l’énergie, ainsi que sa propriété fondamentale :

la conservation » (Bécu-Robinault, 1993) ; transphénoménologique (COAST-MAFPEN,

1998).

Commençons par l’Approche Universelle qui est la plus complexe. Son nom doit évoquer les caractéristiques définies ci-dessus. L’adjectif transversal (ou permanent ou

transphéno-ménologique) ne présente que la propriété d’existence de l’Energie dans plusieurs domaines.

« Synthétique » ou « unificateur » ne montre pas le côté général ; de plus, les adjectifs opposés sont « analytique » ou « séparateur », qui ne caractérisent pas l’Approche Particulière. « Général » (ou « commun ») donne une image vaste mais plus vague. Dans l’AU, l’Energie est l’objet principal, on ne peut pas en faire une présentation implicite. Nous avons choisi l’adjectif « universel » qui nous semble être l’aboutissement d’un processus : synthétiser, c’est-à-dire rechercher les caractéristiques de l’Energie à travers les différents domaines, puis les généraliser pour avoir un résultat universel utilisable dans tous les domaines de la Physique. Par rapport à « générique » qui pourrait aussi correspondre à ce processus, « universel » fait référence au caractère de « super-loi » du Principe de conservation de l’énergie. Enfin, l’adjectif « particulier » est donné comme un antonyme.

Universel, elle (adj.). 1. LOG. Qui concerne la totalité des individus d’une classe (proposition universelle), qui est pris dans toute son extension (sujet universel). … 2. (XIVe) Qui s’étend, s’applique à la totalité des objets (personnes ou choses) que l’on considère. CONTR. Individuel, particulier, partiel. Particulier, ière (adj.) 1. Qui appartient en propre (à qqn, qqch. ou à une catégorie d’êtres, de choses). … 2. Qui ne concerne qu’un individu (ou un petit groupe) et lui appartient. 4. Qui présente des caractères hors du commun. CONTR. 1. Général, public, universel 4. Courant, normal, ordinaire.

(Le nouveau PETIT ROBERT, 1996).

Pour l’AP, les adjectifs qualificatifs « local » ou « spécifique » étaient a priori de bons candidats. Le choix de « particulier » tient à ce que certaines caractéristiques des objets énergétiques, dans un domaine de la Physique donné, sont parfois communes à un (ou plusieurs) autre(s) domaine(s). En revanche, nous pouvons supposer que l’ensemble du « paysage énergétique » d’un domaine précis de la Physique, lui, est généralement spécifique.

IV.4. Examen d’exemples en termes d’approches

Nous présentons ici des exemples qui permettent de préciser clairement ou d’illustrer les deux approches. Ces exemples sont pris, le premier, dans un travail où l’Energie est considérée comme un objet scientifique en soi, les deux autres, dans des travaux qui concernent l’enseignement.

« L’histoire de l’Energie mécanique » (Halbwachs)

Dans un article sur l’énergie mécanique, donc relatif au domaine de la Mécanique, Halbwachs évoque l’apparition de l’Energie dans la physique sous plusieurs angles.

Au début, il présente le concept physique d’Energie en général, et donc du point de vue de l’AU. Puis il fait apparaître le caractère Particulier des études énergétiques lorsque l’étude se restreint à un domaine phénoménologique (AP):

« … nous pourrions nous limiter à l’étude de l’énergie en tant que concept général, et perçu comme général, comme la « substance » commune à toutes les formes physiques particulières sous lesquelles elle apparaît. » (Halbwachs, 1981, p.5).

« Si nous considérons (comme le font Poincaré et Feynman) tous les systèmes possibles et toutes les sortes possibles de changements, alors nous avons le principe général et le concept général- de l’énergie. Mais si nous restreignons à tel ou tel type particulier de système et à telle classe de changement d’état, nous trouverons dans chaque domaine de la physique une forme particulière de l’énergie ». (Halbwachs, 1981, p.6).

Il présente des formes de l’énergie particulières au domaine de la Mécanique (énergie potentielle, énergie cinétique, énergie mécanique), la notion de travail qui est ancrée dans la Mécanique, et la question de la conservation de ces grandeurs. Ces grandeurs tout au long de leur histoire sont constamment mises en relation avec les grandeurs mécanique, forces, vitesse, déplacement, quantité de mouvement, etc.

La thèse de Bécu-Robinault

En conclusion du dernier volet de son étude de l’évolution historique qui traite de la didactification du concept d’Energie, Bécu-Robinault (1997a) distingue deux points de vue sur le concept :

«Ce qui reste avant tout de ces définitions de l’énergie est sa propriété de conservation et de transformation qui la caractérisent par rapport aux autres concepts de la physique. La richesse du concept d’énergie passe par les multiples domaines de la physique où nous la retrouvons sous des formes différentes, tant dans sa formulation mathématique que dans sa phénoménologique.

A partir de cette revue de la définition du concept d’énergie et de son principe de conservation, nous noterons que ce concept peut être considéré de deux points de vue.

- L’énergie est un concept défini par ses effets et ses domaines phénoménologiques. Nous sommes alors dans une perspective proche de celle des physiciens avant 1842, lorsque le principe de conservation n’était pas un aspect fondamental de l’énergie. L’énergie est alors un concept dont les manifestations phénoménologiques appartiennent à un domaine phénoménologique propre à chaque fois.

- L’énergie comme caractérisée par son principe de conservation et son principe de transformation. Les manifestations énergétiques peuvent alors mettre en jeu plusieurs domaines phénoménologiques simultanément. Ceci correspond à l’acceptation courante de ce concept dans la communauté scientifique. » (Bécu-Robinault, 1997a, p.21-22).

Ces points de vue peuvent être rapprochés, respectivement, des approches particulière et universelle. La formulation du second point de vue met en avant le rôle clé du principe de

conservation de l’énergie dans la construction d’un concept d’énergie universel, transversal (AU). Il est à remarquer que le « principe de transformation » qu’elle évoque n’est pas reconnu explicitement en tant que principe dans le savoir physique. Il y est plutôt associé à une propriété intrinsèque de l’Energie : l’Energie est multiforme (voir les précédentes citations, Feynman (1963) par exemple).

La thèse de Verseils-Bruguière

Dans son travail de thèse, Verseils-Bruguière (1997) analyse l’enseignement « traditionnel » du concept d’énergie en physique au lycée :

« Au niveau de l’enseignement de l’énergie, cette conception traditionnelle de l’enseignement de la physique, aboutit à définir le concept d’énergie comme la « capacité à fournir un travail »… Le discours de l’enseignant s’articule prioritairement autour de concepts pris dans le champ de la mécanique pour s’étendre par la suite vers d’autres champs phénoménologiques. » (Verseils-Bruguière, 1997, p.55).

Elle présente cette démarche, qui part de l’AP de l’Energie en Mécanique pour se diversifier dans les AP d’autres domaines physiques, comme « l’échec de l’enseignement traditionnel » Elle aborde aussi des constats de cet échec :

« Après un enseignement traditionnel sur l’énergie R. Duit (1984) a montré que peu d’étudiants (âgés de 15 à 16 ans et originaires de l’Allemagne et des Philippines) ont recours au mot « énergie » ou au principe de conservation pour expliquer des phénomènes de la mécanique. […] P.E Richmond (1987) pense que la définition de l’énergie en termes de travail n’est pas une aide et qu’elle est apprise par beaucoup d’élèves sans aucune compréhension de ce qu’elle signifie réellement. […]

L’approche traditionnelle de l’énergie en termes de travail et selon une logique expérimentale inductiviste n’apparaît pas conceptuellement entièrement satisfaisante pour un certain nombre d’auteurs qui lui reprochent : de se limiter à un champ phénoménologique, la mécanique (Tiberghien, 1989, 1994) […] ; de ne pas posséder une validité universelle, Sexl (1981) […] ; d’écarter les informations contenue dans la seconde loi de la thermodynamique Duit (1981) […] ; de réduire l’observation à un fait prototypique ( Agabra et al, 1980 ; Lemeignan, 1992, 1993) […] ». (idem, p.58).

Nous trouvons là les raisons des remises en cause qui ont conduit aux projets évoqués au §II : ces remises en cause concernent l’AP qui rattache l’Energie au domaine mécanique.