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II.1. Théorie Anthropologique

Cette théorie a trois termes primitifs : les objets (O), les personnes (X), et les institutions (I). La notion élémentaire est celle d’objet. Tout peut être considéré comme objet : la fonction logarithme est un objet (mathématique), mais il y a aussi l’objet « école », l’objet « professeur », l’objet « apprendre », l’objet « savoir » etc.

Une institution peut être l’école, la famille. Ce peut être aussi une classe, un cours, une séance de travaux pratiques. Ce peut être également la vie quotidienne.

Le-Van (2001) a fait un bon résumé sur ces trois termes et les relations qu’ils entretiennent : « Cette théorisation s’appuie sur trois termes primitifs : les objets, les individus et les institutions. Tout peut être considéré comme objet. Un objet de savoir O existe dès lors qu’un individu X ou une

institution I reconnaît O comme existant. On dira alors que X (ou I) connaît O. Plus précisément, O existe pour X (ou X connaît O) s’il existe un rapport personnel de X à O. Ce rapport personnel est en quelque sorte l’ensemble des interactions que X peut entretenir avec O […]. Autrement dit, le rapport personnel à O précise la manière dont X connaît O. De même, un objet de savoir O existe pour une institution I s’il existe un rapport institutionnel de I à O. Ce rapport institutionnel « énonce, en gros, ce qui se fait dans I avec O, comment O y est mis en jeu ; ou encore, en termes plus imagés, ce qu’est le “destin” de O dans I.» (Chevallard, 1989) » (Le-Van, 2001, p.31).

Le rapport personnel de X à O est désigné par R(X,O), le rapport institutionnel de I à O est désigné par RI(O).

Tout objet de savoir est attaché à une institution au moins. En conséquence, « un individu ne

peut être en rapport avec un savoir qu’en entrant en relation avec une ou des institutions ».

(Chevallard, 1992).

En entrant dans une relation avec une institution I, la personne X devient alors le sujet de l’institution I. Une personne peut être sujet de plusieurs institutions.

Et dans une institution, il peut avoir des positions p différentes selon lesquelles différents rapports institutionnels désignés par RI (p , O) peuvent être entretenus. Finalement :

« […] la personne X n’est rien d’autre que l’émergent d’un complexe d’assujettissements

institutionnels. Ses rapports personnels s’élaborent, ou se voient entravés, par ces contraintes que

constituent les rapports RI (p , O) - qui désignent ce que devrait être idéalement le rapport personnel du (pur) sujet de I en position p dans I. (Au grand dam des institutions, ce pur sujet, ce sujet de l’imaginaire institutionnel, n’existe pas : paradoxalement, en s’assujettissant à I, la personne X conserve une part de liberté parce qu’elle est assujettie à d’autres institutions I) ». (Chevallard, 1985).

On peut qualifier une personne X de « plus ou moins » bon sujet d’une institution. Une personne X se révèle être un bon sujet de l’institution I relativement à l’objet institutionnel O lorsque son rapport personnel R(X, O) peut être jugé conforme au rapport institutionnel RI (O).

II.2. Notre placement dans le cadre de la théorie anthropologique

Le travail que nous voulons engager s’interprète comme une étude de rapports institutionnels. Il est clair pour nous que l’Energie est un objet. Nous nous focalisons sur les difficultés rencontrées par les enseignants des lycées comme personnes, spécialement les jeunes enseignants qui viennent de l’université pour s’engager dans leur métier. Le rapport

personnel à l’objet Energie de l’enseignant se construit sous la contrainte de deux rapports institutionnels : celui du lycée (où le personne enseigne) et celui de l’université (où la

personne s’est formée dans la discipline). La caractérisation des rapports institutionnels permet d’avoir une base pour comprendre comment se constitue le rapport personnel des enseignants. Les décalages entre les savoirs, les difficultés que peuvent rencontrer les enseignants peuvent être repérés et exprimés en termes de rapports institutionnels et de conditions de l’organisation de leur rapport personnel à l’Energie.

Description des objets élémentaires en référence à la théorie de Chevallard

- Personne X : l’enseignant de physique au lycée dans deux positions : ƒ pe : enseignant de physique au lycée

- Institution I : le manuel du cours théorique de physique des deux contextes pour les deux pays (France et Vietnam):

ƒ IL : manuel de Physique de 1ère S en France / manuel de Physique de classe 10e au Vietnam.

ƒ IU : manuel des disciplines Mécanique, Electricité et Thermodynamique pour le DEUG en France et pour les deux premières années à l’université pédagogique au Vietnam. - Objet O : Energie. Il devient OL, OU, les objets institutionnels correspondant aux institutions IL, IU.

Notations

ƒ Rapport institutionnel de l’Energie O dans l’institution Iy pour les différentes positions de l’enseignant. Le rapport institutionnel est représenté par RI(p,O) lorsqu’il n’y a pas lieu de distinguer des positions. Ici, nous analysons deux institutions différentes et deux positions différentes. Pour bien distinguer ces rapports institutionnels, nous les représentons par la notation Riy (px ,Oy) avec x = enseignant (e) ou enseignant en formation initiale (Fe) ; y = lycée (L) ou université (U).

ƒ R(X,Oy) : Rapport personnel de l’enseignant avec l’Energie O correspondant à l’institution Iy.

Schéma de recherche

Figure 4. Placement dans la théorie anthropologique de Chevallard

C’est par la comparaison des rapports dans les institutions U et L que nous cherchons à cerner les difficultés possibles dans le rapport personnel R(X,O) de l’enseignant à l’objet Energie. Les analyses de manuels permettent de dégager le rapport institutionnel de l’Energie dans chaque institution, l’institution de formation et le lieu de l’enseignement. Le rapport personnel de l’enseignant est, lui, sous « la contrainte » de ces deux rapports institutionnels. Nous nous intéressons particulièrement aux différences et aux décalages qui peuvent exister d’un rapport institutionnel à l’autre.

Notre travail se déroulera en deux temps :

1) Analyse de manuels des deux institutions U et L pour dégager les rapports institutionnels qui « contraignent » le rapport personnel de l’enseignant à l’objet Energie (Parties B et C). 2) Expérimentation directe pour examiner des contraintes au rapport personnel de l’enseignant à l’Energie.

II.3. Rapport institutionnel, analyse écologique

Comment décrire le rapport institutionnel de l’Energie dans les différentes institutions ? Le développement de la théorie anthropologique conduit à mettre en avant l’apport de l’analyse écologique. Celle-ci établit une analogie avec l’écologie en considérant les objets de savoir comme des êtres vivants, ayant des destins marqués par l’histoire particulière de chacune des institutions. Nous choisissons cette analyse pour faire apparaître le rapport institutionnel. En écologie des savoirs, on distingue deux notions qui guident l’analyse : l’habitat et la niche d’un objet.

« Notion d’habitat en écologie des savoirs : L’habitat est caractérisé par les lieux de vie et l’environnement conceptuel d’un objet de savoir. Il s’agit, pour l’essentiel des objets avec lesquels il interagit, mais aussi des situations d’enseignement dans lesquelles il apparaît, des manipulations et expériences auxquelles on a recours, de l’espace de problèmes et d’exercices auquel on se réfère de manière privilégiée. Il s’agit encore de la classe, du type de section, de la population des élèves, de la personne de l’enseignant. […]

Notion de niche en écologie des savoirs : La niche écologique est définie par la fonction que remplit l’objet dans le système des objets avec lesquels il interagit. » (Robardet, 2000).

L’articulation de ces deux notions permet de définir une méthodologie pour décrire le rapport institutionnel de I à O : il s’agit d’examiner en quels lieux dans I l’objet O est présent, et dans les différents lieux où O est présent, quels sont les autres objets présents, quelles relations ils entretiennent entre eux, quel est le rôle de O dans le système d’objets avec lesquels il est en relation. Ainsi, il est possible de rendre compte « du ou et du comment on a affaire avec cet objet », « de ce qui se fait avec l’objet » autrement dit du rapport institutionnel à d’un objet. Les notions et méthodes écologiques poussent à s’interroger sur l’existence des objets :

« La problématique écologique se présente, d’emblée comme un moyen de questionner le réel. Qu’est-ce qui existe, et pourquoi ? Mais aussi qu’est-Qu’est-ce qui n’existe pas et pourquoi ? Et qu’est-Qu’est-ce qui pourrait exister ? Sous quelles conditions ? Inversement, étant donné un ensemble de conditions, quels objets sont-ils poussés à vivre, ou au contraire sont-ils empêchés de vivre dans ces conditions ? » (Artaud, 1998, p.1).

En amenant à étudier les conditions d’existence des objets, l’analyse écologique permet de mieux cerner les relations entre objets et de comparer leurs modes de vie en différentes institutions, soit encore à comparer les différents rapports institutionnels.

En référence à ces éléments théoriques, nous réalisons une analyse écologique de manuels de lycée et de l’université, en France et au Vietnam. Ce sera l’objet de la partie B.

Nous chercherons à rendre compte de la vie de l’Energie dans les manuels des différentes institutions choisies. Nous nous demanderons en particulier si des différences dans la vie de l’Energie constituent des décalages qui rendent compte de difficultés chez les enseignants.

Pour répondre au questionnement écologique, nous serons amenée à développer, en lien avec l’outil général des Approches AU et AP déjà mis en œuvre au chapitre A.2, des outils d’analyse plus adaptés localement à notre objet d’étude, l’Energie.