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III.1. Visibilité dans les programmes

Ce qui différentie fondamentalement le programme de 1992 d’avec le programme précédent, repose principalement sur deux points : d’une part l’introduction du Principe de conservation de l’énergie dans sa forme la plus générale, comme un objet physique et qui n’est plus restreint au seul domaine de la mécanique, et d’autre part la position du Principe par rapport aux autres objets énergétiques dans l’enseignement de l’Energie.

« La façon d’introduire l’énergie dans ce nouveau programme [de 1992] est très différente de celle des précédents.

Dans les programmes actuels, le principe de conservation est énoncé dès le premier alinéa consacré à l’énergie. « (COAST-MAFPEN, p.8)

En 1992 le PCE général apparaît de façon claire en tant qu’objet physique, avec un nom et un énoncé, grâce à sa position première dans la partie « Conservation de l’énergie » et grâce au choix d’une AU.

Dans le programme de 2000, la partie « Conservation de l’énergie » n’existe plus, la position première du Principe est abandonnée. Le PCE n’apparaît que dans la conclusion de la partie « Force, travail et énergie » :

« Différentes formes d’énergie sont introduites à partir de la notion du travail d’une force, tout en montrant que selon les situations, ces différentes formes sont susceptibles de se transformer les unes dans les autres. L’objectif est ainsi de progresser vers l’idée de conservation. …On pourra conclure cette partie présentant le principe de conservation de l’énergie sous la forme : à tout système dans un état donné, on peut associer une grandeur appelée « énergie ». Si l’énergie d’un système augmente ou diminue, c’est qu’il a reçu ou cédé de l’énergie, que ce soit sous la forme de travail, de transfert thermique ou de rayonnement « (Programme de 2000)

Ainsi, l’objectif visé n’est pas l’énoncé du PCE. Il ne s’agit que de d’approcher l’idée de la conservation, et l’énoncé du PCE n’est pas obligatoire et ne peut intervenir qu’en toute dernière position. Le PCE peut donc apparaître comme un objet physique avec son nom et un énoncé, mais il peut tout aussi bien ne pas apparaître explicitement, avec un statut de l’ordre du protophysique. Par rapport au programme précédent, sa visibilité est donc sensiblement moins forte.

III.2. Visibilité dans les manuels

Dans le manuel Hachette 1994, le PCE général est construit en s’appuyant sur la construction d’une chaîne à « maillons multiples ». Mais cette relation PCE/Chaîne n’est que rarement exploitée dans les études qui suivent : dans le cours des différentes parties, le PCE est parfois écrit pour introduire les calculs de rendement accompagné du schéma d’une chaîne.

Dans la partie « Bilan énergétique », le PCE apparaît à travers son équation dans des études de bilan énergétique d’un système unique. Deux chapitres de cette partie sont dédiés aux systèmes mécaniques, et ils introduisent la Conservation de l’énergie mécanique sous les deux formes (conservation et non-conservation); cependant la relation entre cette forme particulière de conservation et le PCE général n’est pas établie clairement. Les exercices faisant appel à l’écriture de la Conservation de l’énergie dans ces chapitres ne se réfèrent qu’à la conservation de l’énergie mécanique. Dans les sous-parties concernant l’électricité et les machines thermiques, les nombreux exemples de bilan et de calcul de rendement font apparaître l’écriture du PCE général, mais pas de manière systématique. Les exercices demandent d’effectuer des bilans et de calculer des rendements, sans faire appel explicitement au PCE (en réalité effectuer un bilan ou calculer un rendement ne nécessite pas l’écriture de la conservation, ni même qu’il y ait conservation). On constate donc que le PCE n’est pas très exploité sous sa forme générale, en particulier dans les exercices proposés aux élèves, où son usage n’est en général pas indispensable (figure 2).

Dans le manuel Hachette de 2001, le PCE général n’existe que dans le tout dernier paragraphe de la partie dédiée à l’Energie, où il est présenté de manière similaire à l’édition de 1994. Cependant le titre ne fait plus référence au PCE mais à « L’énergie d’un système ». L’exploitation du PCE dans les études de bilan énergétique est semblable à celle du programme de 1992. Cependant, il n’existe plus une grande partie dédiée au bilan énergétique, qui n’est étudié ici que de manière restreinte, dispersée sur deux chapitres de la

partie Electrodynamique. La position du PCE général dans ce manuel et dans ce programme est donc très fortement affaiblie.

Figure 2. Un exercice ayant pour titre « Conservation de l’énergie ». Cependant aucune question ne met en jeu

le PCE. (Hachette, 1994, p.136, 137)

III.3. Système isolé ou non : une autre difficulté liée à la formulation du

principe de conservation

Une autre difficulté spécifique au Principe de conservation apparaît dans les commentaires autour des programmes.

« Difficultés rencontrées avec le principe de conservation.

Les élèves et les étudiants associent souvent la conservation de l’énergie à l’identification d’un système isolé dont l’énergie totale reste constante au cours du temps. Ils rencontrent alors des difficultés tant au niveau du choix du système qu’à celui de l’écriture du bilan. La perte ou le gain d’énergie d’un

système non isolé n’est pas systématiquement associé à la conservation de l’énergie. » (Document

d’accompagnement du programme de 2000, 2002, p.31)

Cette difficulté (identifiée précédemment, Bui-Thi 2001) est liée à la manière d’utiliser le principe, c’est-à-dire de restreindre ou non son énoncé et son usage au cas d’un système isolé, c’est-à-dire à des situations où le système considéré ne subit pas de Transferts d’énergie. On trouve ainsi deux formulations différentes du principe de conservation dépendant de la situation : système isolé ou non isolé.

« Le principe de conservation […] peut être énoncé de deux façons équivalentes sur le fond, mais différentes quant à la mise en œuvre et la dynamique de compréhension.

La première considère un système isolé, pour lequel le principe peut s’énoncer la manière suivants : « A tout système dans un état donné on peut associer une grandeur appelée énergie. L’énergie d’un système isolé est constante. » » (Document d’accompagnement du programme de 2000, 2002 p.32)

Suivant les ouvrages, l’un ou l’autre cas, ou les deux cas, sont présents. Le programme de 1992 avait choisi de n’aborder que le cas du système isolé. Les concepteurs du programme de 2000 critiquent ce choix en arguant qu’il fait rencontrer de nouvelles difficultés aux élèves :

« Pour appliquer la conservation de l’énergie sous cette forme, il faut donc identifier les systèmes avec lesquels le système choisi initialement interagit, puis considérer un système plus général qui les contient

tous et qui pourra être considéré comme isolé. Cette gymnastique est difficile pour un élève, et il n’est du reste pas indispensable de s’y livrer. » (Document d’accompagnement du programme de 2000, 2002, p.32).

C’est pourquoi l’introduction de la Conservation de l’énergie est modifiée dans le programme de 2000 en proposant la deuxième formulation du Principe1

« Une autre façon de procéder consiste en effet à exprimer le principe de conservation de l’énergie pour un système non isolé, c’est-à-dire soumis à des transferts. C’est le choix du nouveau programme. […] En mettant dès le début l’accent sur le transfert d’énergie, le programme fait l’économie de la recherche d’un système isolé. De plus, on incite à accompagner le raisonnement par le recours à une schématisation du stockage et des transferts (diagrammes d’énergie) qui devrait contribuer à faciliter la différenciation conceptuelle souhaitée. » (Document d’accompagnement du programme de 2000, 2002, p.32)

Cette formulation du Principe de conservation propose donc de préserver les objets énergétiques construits par l’Approche Universelle dans la réforme 1992, c’est-à-dire le Transfert d’énergie, les modes de transfert et la représentation schématique. Dans ce document et dans les manuels, le statut du Transfert d’énergie et des modes de transfert ne change donc pas. Par contre, le diagramme de l’énergie n’est présent que dans le Document d’accompagnement, pas dans les manuels. Une des raisons repose sans doute sur le retard de publication de ce document, sorti en 2002 après l’édition des manuels (édités en 2001). On remarquera cependant qu’aucun manuel n’a spontanément proposé de représentation graphique, ni nouvelle, ni héritée des programmes de 1992. Si les concepteurs de programme restent attachés à l’usage d’une représentation graphique, ce n’est pas le cas pour les auteurs de manuels, qui semblent revenir aux pratiques antérieures.

III.4. Pourquoi une telle évolution entre les programmes de 1992 et de

2000?

Guy Robardet, qui a participé à l’élaboration du programme de 2000, explique le changement de position du Principe de conservation et son évolution de la manière suivante :

« Sur le plan de l’épistémologie, il me semble que l’introduction de 92 est plus conforme à la science contemporaine, parce qu’on part des principes et puis on construit rationnellement sur les principes. [...] je dirais que ce qui m’a convaincu [pour abandonner cette approche] c’est un principe de réalité. C’est-à-dire que ça échappe à 80% des enseignants, le résultat c’est qu’ils n’arrivent pas enseigner l’énergie convenablement à partir du principe. Ca les dérangeait, ils mélangeaient tout, c’est-à-dire qu’ils mélangeaient les propriétés et les définitions, ils faisaient une espèce de… mélange entre l’ancienne approche et les nouvelles approches, et le résultat c’est que les élèves n’y comprenaient plus rien. » (Entretien avec Robardet).

Il semble donc que la démarche de partir du Principe de conservation, qui est une manifestation de l’Approche universelle, provoque des difficultés pour les enseignants et par conséquent pour les élèves. D’où le choix des concepteurs du programme de 2000 de revenir à l’introduction de l’Energie par une approche particulière dans le domaine mécanique. La raison profonde de ce choix repose donc sur la reconnaissance et le contournement d’un

1 Le choix d’un système isolé parait en contradiction avec les nouveautés introduites en 1992, en particulier les transferts d’énergie et la représentation schématique des systèmes et des transferts : quelle peut être la vie d’un objet s’il n’a pas d’usage lors de la résolution de problèmes, puisque non requis par la méthode de résolution choisie? En réalité, et comme le souligne la citation, la résolution découpe le système dit isolé en sous-systèmes pour lesquels on procède à des bilans énergétiques, avec transferts et schémas éventuels. On s’aperçoit qu’il n’y a en réalité aucune économie : si la formulation du principe de conservation est simplifiée par le choix d’un système isolé, c’est alors la démarche de résolution qui est un peu plus complexe...

obstacle pour les enseignants, et par conséquent pour les élèves. Robardet rapporte cette décision à un autre point de vue épistémologique que celui adopté en 1992, ancré dans une Approche Particulière :

« Ca n’était pas la peine de s’accrocher à une démarche épistémologiquement plus propre. Il valait mieux essayer d’avancer comme la science avait avancé. Ce serait plus facile pour les élèves d’une part, ça serait plus facile pour les profs, et je pense que c’est le cas, et c’est plus en conformité avec une démarche sur l’énergie qui s’appuie fortement sur la mécanique newtonienne. Ce qui n’était pas le cas avant, parce que l’énergie n’était pas introduite préférentiellement en mécanique, on faisait l’énergie en général… on commençait par des expériences, où intervenait aussi bien de l’énergie interne, que de l’énergie potentielle, que de l’énergie électrique, que ce qu’on voulait… Alors que là, on rentre vraiment par le mouvement, donc par la mécanique et par l’énergie cinétique. (Entretien avec Robardet) On perçoit bien ici pourquoi ce programme revient en arrière, en particulier parce que l’Energie est introduite dans le domaine de la mécanique : dans ces propos, l’AU paraît totalement abandonnée. Cependant, nous avons vu à propos du Transfert d’énergie et des modes de transfert, que ce n’est pas totalement le cas : ces objets gardent en fait un statut assez proche de celui donné dans une Approche Universelle par la réforme de 1992. Par exemple, l’Energie est introduite avec le concept de travail en tant que mode de transfert. Cela représente une évolution sensible dans l’enseignement de l’Energie.