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L’indemnisation des personnes stérilisées de force par le passé 119. La pratique de la stérilisation effectuée pour des motifs ne touchant

Chapitre II: Le statut des Tziganes en Suisse, des origines au XXème siècle

B. La répression eugénique du mode de vie nomade

1. La stérilisation des Tziganes en Suisse

1.3. L’indemnisation des personnes stérilisées de force par le passé 119. La pratique de la stérilisation effectuée pour des motifs ne touchant

pas à la santé de la personne soulève de nombreuses questions qui ont trait à la licéité de telles mesures, principalement au regard de la nécessité du consen-tement de la personne concernée vis-à-vis de l’atteinte envisagée, et des condi-tions relatives à l’obtention d’un tel consentement. La question de l’existence d’un intérêt prépondérant justifiant la mesure est également décisive en la ma-tière.

120. La grande majorité des stérilisations pratiquées dans le passé ne pour-raient plus l’être aujourd’hui. En effet, au regard des conditions posées dans la loi fédérale sur la stérilisation, du 17 décembre 2004184, ces interventions se-raient aujourd’hui qualifiées sans hésitation de stérilisations illicites185. Toute-fois, jusqu’à l’adoption de cette réglementation en 2004, le cadre juridique formel relatif aux stérilisations est resté le même d’une manière générale. Au-paravant, aucune norme fédérale ne réglementait la question spécifique de la stérilisation, qu’elle soit forcée ou non186.

183 Voir DFJP (1983), notamment pp. 8ss.

184 Loi fédérale sur les conditions et la procédure régissant les stérilisations (Loi sur les stérilisations ; RS 211.111.1 ; RO 2005 2499).

185 La loi prévoit en effet strictement les hypothèses où la stérilisation des individus est admise. Selon l’art. 4 de la loi sur les stérilisations, la stérilisation de personnes âgées de plus de 18 ans et passa-gèrement incapables de discernement est interdite. Selon l’art. 5, al. 1, la stérilisation de personnes âges de plus de 18 ans, capables de discernement, n’est admise que si son consentement libre et éclairé, formalisé par écrit, a été donné. L’alinéa 2 oblige le médecin en charge de l’intervention de consigner par écrit les éléments attestant de la capacité de discernement de la personne. A teneur de l’art. 6, la stérilisation de personnes interdites et majeures, capables de discernement, est autori-sée avec son consentement libre et éclairé donné par écrit, avec l’accord du représentant légal, et à la suite d’un second avis médical que doit ordonner l’autorité tutélaire de surveillance, qui doit éga-lement donner son autorisation. Enfin, selon l’art. 3, sous réserve de l’art. 7 al. 2, la stérilisation des personnes de moins de 18 ans est strictement interdite. L’art. 7 prévoit les cas exceptionnels autori-sant la stérilisation de personnes mineures ou interdites et durablement incapables de discerne-ment.

186 Rapport explicatif du 6 novembre 2001, p. 6. Soulignons que A. EGGER(1947), pp. 14-15, et GSCHWIND, pp. 1-2, regrettent à leur époque déjà l’insécurité juridique qui découle de cette lacune.

D’un point de vue historique, une seule norme, de droit cantonal, traitait spécifiquement de la stéri-lisation de personnes effectuée sans leur consentement : l’art. 28bis de la loi cantonale vaudoise du

37 121. En conséquence, c’est en raison de l’interprétation et l’application évo-lutive des des normes générales touchant à la liberté personnelle, à la notion de consentement libre et éclairé et celle d’intérêt public que la stérilisation des personnes jugées « asociales » est devenue progressivement inacceptable. En effet, ces concepts ont considérablement évolué durant les cinquante dernières années, du fait de l’évolution notable de la protection physique et psychique de la personne humaine, des théories scientifiques relatives à la maladie men-tale et à la faiblesse d’esprit, et plus généralement, de ce qui heurte l’ordre pu-blic et la morale.

122. En raison de cette évolution, la question de l’opportunité d’indemniser les personnes stérilisées pour des motifs eugéniques par le passé a été ouver-tement posée, bien qu’aucune demande d’indemnisation n’ait été auparavant déposée. Prenant position sur l’initiative parlementaire de la Conseillère na-tionaleVONFELTEN5 octobre 1999187, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a souligné qu’un bon nombre de victimes étaient désormais décédées ou âgées et qu’il était urgent de s’accorder sur leur indemnisation afin de les soulager financièrement dans leur fin de vie188.

123. Dans un second temps, toutefois, parallèlement aux débats touchant à l’adoption de la loi sur les stérilisations, les Chambres fédérales se sont inter-rogées sur la compétence de la Confédération pour indemniser ces personnes, et se sont demandées s’il était juridiquement acceptable de procéder à une telle indemnisation189.

124. Durant les débats entourant le projet de loi fédérale sur l’indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives190, une majorité de parlementaires a suivi l’avis du Conseil fédéral191 et a estimé que c’était sur la base des conceptions en vigueur au moment de l’intervention qu’il fallait déterminer si ces stérilisations avaient été pratiquées d’une

ma-14 février 1901 sur le régime des personnes atteintes de maladies mentales, adopté le 3 septembre 1928 par le législateur vaudois (RO/VD 1928, pp. 70-71.). Il fut repris aux art. 32ss de la loi du 23 mai 1939 sur les malades mentaux et autres psychopathes, et finalement abrogé en 1985 lors de l’entrée en vigueur de la loi cantonale sur la santé publique (Loi cantonale sur la santé publique du 29 mai 1985, RS/VD 800.000.). Appliquée jusque dans les années 1970, cette norme a donné lieu à 187 autorisations de stérilisation octroyées par le Conseil de santé cantonal, organe cantonal de surveillance des affaires sanitaires ; DUMOULIN, in : HELLER/JEANMONOD/GASSER(2002A), pp. 67-68.

187 Initiative parlementaireVONFELTEN99.451 du 5 octobre 1999, « Stérilisations forcées. Dédomma-gement des victimes ».

188 Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, du 31 janvier 2000, relatif à l’initiative parlementaire VONFELTEN 99.451, « Stérilisations forcées. Dédommagement des victi-mes ».

189 Voir le Rapport de la commission des affaires juridiques du Conseil national, du 23 juin 2003, relatif à l’initiative parlementaireVONFELTEN99.451 « Stérilisations forcées. Dédommagement des victi-mes » ; FF 2003 5753.

190 FF 2005 5791.

191 Avis du Conseil fédéral du 3 septembre 2003 relatif au rapport du 23 juin 2003 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national concernant l’initiative parlementaire 99.451, FF 2003 5797.

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nière conforme au droit ou s’il s’agissait, au contraire, de stérilisations illicites au moment de leur commission déjà192.

125. Les débats furent nourris car les recherches n’avaient pas pu claire-ment démontrer si ces stérilisations étaient conformes ou non au droit et à la pratique de l’époque, puisque l’absence de décisions judiciaires topiques ne permettait pas de se déterminer clairement193. En l’occurrence, les Chambres fédérales ont tranché la question, en refusant finalement d’adopter le projet de loi topique.

126. Bien que reconnaissant les objectifs eugéniques et d’hygiène sociale de ces stérilisations, les autorités fédérales ont considéré que l’analyse juridique portée aujourd’hui sur ces événements passés, s’étant déroulés dans un certain climat socio-médical inacceptable aujourd’hui mais admis au moment des faits, était anachronique. La seconde crainte portait sur la création d’un précé-dent, qui a semblé trop problématique aux yeux d’une majorité de parlemen-taires194.

127. Si cette solution est défendable juridiquement, le résultat peut paraître néanmoins insatisfaisant du point de vue du sentiment de justice et de volonté de réparation de l’injustice subie par les victimes. Ainsi, on peut se demander si cette question n’aurait pas dû faire l’objet d’un débat sortant du cadre du droit positifstricto sensupour prendre place sur le terrain de l’équité. Cette so-lution aurait permis de ne pas trancher le caractère licite ou non de ces actes, ni de devoir gérer la question de la création d’un précédent juridique. Le choix de cette option aurait pu d’ailleurs se fonder sur un précédent: nous pourrons constater ci-après que c’est précisément pour des raisons d’équité et de justice que la Confédération a indemnisé les victimes du programme de l’Œuvre des enfants de la grand route195.

192 Le Tribunal fédéral, soutenu par la doctrine, reconnaît expressément que lors de l’examen de l’intérêt public et de la proportionnalité d’une mesure coercitive en matière médicale, il faut prendre en compte des valeurs éthiques et des conditions sociales qui évoluent nécessairement, et qui doi-vent être considérées selon les conception du moment ; ATF non publié du 28 mars 2001, 4C.172/2000, consid. 5d ; ATF 126 I 112S.; ATF 115 Ia 234, 247K. et S.; ATF 97 I 45, 50X. ; H Ä-FELIN/MÜLLER, p. 114 ; MOOR(1994, vol.1 ), p. 388 ; WYSS, p. 61, et références.

193 Voir les débats parlementaires au Conseil national, BO/CN été 2004, pp. 244-254, et au Conseil des Etats BO/CE été 2004, pp. 262-264. Voir également le Rapport de la commission des affaires juridi-ques du Conseil national, du 23 juin 2003, relatif à l’initiative parlementaireVONFELTEN99.451

« Stérilisations forcées. Dédommagement des victimes » FF 2003 5759, 5758-5761.

194 Avis du Conseil fédéral du 3 septembre 2003, FF 5798-5801.

195 InfraSection 2.3.

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2. Eugénisme et destruction du noyau familial des