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La création de la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses » (1994)

Chapitre II: Le statut des Tziganes en Suisse, des origines au XXème siècle

A. L’évolution juridique du statut des Tziganes

4. La création de la fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses » (1994)

194. En 1990, la question de l’accès des Tziganes nomades aux prestations sociales est soulevée à l’occasion des délibérations relatives à la loi fédérale sur la compétence en matière d’assistance des personnes dans le besoin306. Un pos-tulat du Conseil national est adressé au Conseil fédéral afin que cette problé-matique spécifique soit traitée. En collaboration avec l’OFC, la commission de la sécurité sociale du Conseil national approuve le projet rédigé par un groupe de travailad hoc, et soumet le 28 août 1991 au Conseil national une initiative parlementaire dans laquelle il est constaté que les gens du voyage suisses for-ment une minorité « ethnique et culturelle » en Suisse qu’il importe de recon-naître « sous une forme ou une autre »307.

303 ZÜRCHER-BERTHER, p. 95.

304 MICHON(1997), p. 19. Le caractère erroné de ce choix terminologique, ainsi que son impact sur la définition du cercle des personnes appartenant à la minorité protégée, seront examinés en détail ul-térieurement, à l’occasion d’une réflexion approfondie ;InfraTitre Deuxième, Chapitre Chapitre IV, Section A.

305 Nous aurons l’occasion de souligner les conséquences problématiques de cette conception pour la protection des droits fondamentaux des membres de cette communauté ; voir notammentinfra Ti-tre Deuxième, ChapiTi-tre IV, Section A et TiTi-tre Troisième, ChapiTi-tre II, Section B, 2.

306 Loi fédérale du 24 juin 1977 sur la compétence en matière d'assistance des personnes dans le be-soin (Loi fédérale en matière d'assistance ; LAS ; RO 1978 221; RS 851.1).

307 Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 453.

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195. En outre, la commission considère qu’il est indispensable d’agir dans l’ensemble du pays pour résoudre les principaux problèmes des«nomades» et qu’il faut, en particulier, améliorer la collaboration intercantonale et inter-communale. Elle ne conseille toutefois pas d’octroyer à la Confédération de nouvelles compétences, mais d’utiliser de manière optimale et coordonnée les compétences telles que réparties à ce moment.

196. Afin de promouvoir au mieux la cause des gens du voyage suisses, il est proposé à l’unanimité des membres de la commission de créer une fonda-tion, par le biais d’une loi fédérale, pour aborder les « problèmes présents et futurs des nomades » de manière efficace308.

197. Dans son avis relatif au rapport de la commission de la sécurité so-ciale, le Conseil fédéral estime que l’initiative de la commission est « un pas dans la bonne direction », et considère d’une part, que la fondation aura un ef-fet positif sur l’intégration de la « minorité nomade » et, d’autre part, que la participation de la Confédération à la recherche de solutions est nécessaire, étant donné que les problèmes rencontrés ne peuvent être résolus par aucun des autres acteurs309.

198. La loi fédérale concernant la fondation de droit privé « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses » entre en vigueur le 7 octobre 1994310. A teneur de son article premier, « la Confédération soutient la fondation (…) afin d’assurer et d’améliorer les conditions de vie et de préserver l’identité cultu-relle de la population nomade ». Selon le Conseil fédéral, il faut interpréter cette disposition comme signifiant que son statut de « minorité culturelle suisse à part entière » est dès lors admis et reconnu311. Il faut relever que tant la loi que le Message du Conseil fédéral ne parlent ici que d’identité culturelle, alors que l’initiative parlementaire de 1991 évoque explicitement la caractéris-tique de minorité ethnique et culturelle312.

199. La fondation est dotée d’un capital initial d’un million de francs (arti-cle 2), et bénéficie d’une subvention annuelle d’exploitation de l’ordre de Frs.

200’000. Celle-ci se présente sous la forme d’un crédit-cadre quinquennal re-nouvelable (article 3 alinéas 1 et 2).

308 Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 450.

309 Avis du Conseil fédéral du 16 septembre 1991, FF 1991 460, 462.

310 Loi fédérale du 7 octobre 1994 concernant la fondation « Assurer l'avenir des gens du voyage suis-ses » (RO 1996 3040 ; RS 449.1). L’avant-projet de loi fédérale sur l’encouragement à la culture (LEC), dans sa version du 10 avril 2003, prévoit dans ses dispositions finales l’abrogation de la loi relative à la fondation (article 37 chiffre 3) ; l’article 12 alinéa 2 de l’avant-projet stipule ainsi que

« (La Confédération) peut prendre des mesures pour permettre aux gens du voyage d’avoir des conditions de vie compatibles avec leur culture».

311 Message du Conseil fédéral concernant l’octroi d’un crédit- cadre pour les années 2002 à 2006, FF 2001 1490, 1494.

312 Rapport de la Commission de la sécurité sociale, FF 1991 IV 449, 453. L’intérêt de cette qualification est toutefois relativisé par l’utilisation de l’expression « population nomade ». Voirinfranos déve-loppements relatifs à l’importance de ces catégorisations, Titre Deuxième, Chapitre IV, Section A.

59 200. L’acte de fondation313 énonce pour sa part les buts de l’institution : ceux-ci mettent l’accent sur la mise à disposition, la gestion et l’exploitation, si nécessaire, de places fixes et temporaires pour le stationnement des Tziganes nomades suisses, ainsi que sur l’encouragement de la collaboration intercanto-nale et intercommuintercanto-nale, tant en matière d’octroi de patentes pour l’exercice d’une activité lucrative, que d’éducation primaire, secondaire et tertiaire des Tziganes suisses. Enfin, mandat lui est donné de concevoir des mesures géné-rales touchant à la promotion de la « population nomade » en Suisse (article 2 alinéa 1). Afin d’atteindre ces buts, la fondation doit travailler avec les institu-tions existantes, mais lorsque ces dernières font défaut, elle est autorisée à agir de sa propre initiative (article 2 alinéa 2).

201. L’article 7 de l’acte de fondation prévoit la création d’un conseil de fondation composé de onze membres, nommés par le DFI. L’étape de la nomi-nation est délicate pour le département, qui s’emploie à pourvoir les postes des représentants des communes et des cantons afin d’assurer le contact avec les organismes supra-cantonaux et supra-communaux, de manière à ce que les propositions émises par la fondation puissent exercer une influence réelle.

202. Toutefois, les Tziganes expriment dans un premier temps leur mé-contentement, car ils ne possèdent pas la majorité absolue au sein du conseil et exigent, dès lors, que six d’entre eux, et non cinq, soient désignés314. Le Parle-ment refuse de donner suite à cette demande, en expliquant que la fondation ne doit pas être perçue comme un organisme de défense des intérêts des Tzi-ganes nomades, telle que laRadgenossenschaft der Landstrasse, mais comme une institution visant à créer une infrastructure permettant à l’Etat et aux Tziganes de collaborer315.

203. Cette argumentation est, à notre sens, assez surprenante, au regard de l’intitulé de la raison sociale de la fondation, et des différents aspects de son mandat, tels qu’énoncés dans l’acte de fondation. A leur lecture, il n’apparaît pas que les principaux acteurs doivent se contenter de créer un forum destiné à la collaboration, mais qu’au contraire, ils doivent prendre des mesures ten-dant à faciliter l’exercice du mode de vie traditionnel tzigane. Il est possible que la fondation opère activement de manière à promouvoir la situation des Tziganes suisses, sans pour autant devenir un groupe de pression analogue à une association privée.

204. Les derniers membres du conseil de fondation ne sont nommés qu’à la fin de l’année 1996 et ne commencent leur travail qu’après la signature de

313 FF 1991 IV 449, 457.

314 HOFMANNC., p. 15.

315 Message du Conseil fédéral concernant l’octroi d’un crédit- cadre pour les années 2002 à 2006, FF 2001 1490, 1493 ; HOFMANNC., p. 15.

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l’acte de fondation, en mai 1997316. En 2006, au moment où les Chambres doi-vent décider de reconduire le crédit-cadre octroyé à la Fondation pour les an-nées 2007 à 2011317, le bilan de neuf ans d’activités de la fondation s’avère rela-tivement faible. Hormis la commande d’un avis de droit concernant le manque de places de stationnement à disposition318, et de prises de position topiques concernant des thématiques touchant aux Tziganes suisses, la fondation n’a obtenu que peu de résultats concrets319. Il est toutefois difficile de déterminer si cette absence d’impact découle de son organisation interne, de ses choix po-litiques, de son mandat ou encore de l’étendue des pouvoirs qui lui ont été oc-troyés. Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement en détail sur ses acti-vités.

5. La reconnaissance des Tziganes suisses en tant que