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La Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Chapitre II: Les Tziganes et le droit international des minorités

A. Le système de protection des droits des minorités

2. Les sources internationales protégeant les minorités en Suisse

2.4. La Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

325. La Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimina-tion raciale (CIEDR)492 définit la notion de discrimination raciale493. Elle im-pose aux Etats parties plus qu’une simple obligation d’abstention en la ma-tière, mais bien la poursuite d’une véritable politique de lutte contre toutes les formes de discrimination raciale, y compris celles commises au sein de la socié-té civile494. En droit suisse, la question de l’applicabilité directe des disposi-tions de la CIEDR demeure irrésolue, le Tribunal fédéral ayant jusqu’à présent laissé la question ouverte495.

326. La CIEDR trouve ses racines dans la lutte contre l’apartheid et la ségrégation raciale. A ce titre, son Préambule dénonce toute politique d’apartheid, ségrégationniste ou séparatiste puisqu’elle s’oppose à l’affirmation des principes d’égalité et de dignité des êtres humains.

491 STRAUSS, p. 46.

492 La CIERD a été adoptée par l’Assemblée générale en 1965, est en vigueur depuis 1969 et en force en Suisse depuis le 29 décembre 1994 (RO 1995 1164). La supervision de la CIERD relève de son comité de contrôle, le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) A l’instar du CDH et du CESCR, le CERD est composé de dix-huit experts indépendants élus à titre individuel (art. 8§1 CIEDR). Ce comité possède deux compétences obligatoires. La première a trait à l’examen des rapports étatiques périodiques, selon l’art. 9 CIERD. Au sujet de ce mécanisme dans le contexte de la CIERD, voir SPENLE, pp. 13-15. La seconde touche au mécanisme de plaintes inter-étatiques, à teneur des art. 11 à 13 CIERD. A ce jour, aucun Etat n’a fait usage de cette fa-culté. SPENLE, p. 16. Par ailleurs, le Comité adopte des Observations générales, chacune dédiée à un thème particulier. En outre, à teneur de l’art. 14 CIERD, un Etat partie peut accepter, par une décla-ration, la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers, dé-marche entreprise par la Suisse le 19 juin 2003 ; RO 2005 87. Voir également AUER/MALINVERNI/HOTTELIER(I), N. 2373-2379. A cette occasion, le CERD adresse des « suggestions et recommandations » à l’Etat et au particulier concernés par le litige. Ce mécanisme offre une pro-tection de nature quasi-judiciaire aux particuliers, les recommandations du CERD n’étant pas juridi-quement contraignantes ; Message du Conseil fédéral relatif à la reconnaissance de la compétence du CERD, FF 2001 5649, 5661 ; SPENLE, pp. 29-30.

493 Art. 1erCIERD.

494 Pour réaliser cette politique, les Etats doivent prendre toutes les mesures législatives, administrati-ves et judiciaires nécessaires. Ils doivent ainsi notamment pénaliser les manifestations à caractère raciste (art. 4), garantir l’égalité de traitement dans et devant la loi à tous les individus, sans faire de distinctions fondées sur « la race, la couleur de la peau, l’origine nationale ou ethnique » (art. 5), et offrir une voie de droit efficace aux particuliers en cas de violation (art. 6).

AUER/MALINVERNI/HOTTELIER(I), N. 2368-2379; KÄLIN/KÜNLZI, p. 49.

495 ATF 123 II 472, 479H. A notre sens, le fait que la Suisse admette désormais la compétence du CERD pour recevoir des communications individuelles au sujet de griefs tirés de la CIERD devrait pousser le Tribunal fédéral dans le futur à admettre l’applicabilité directe de plusieurs dispositions de cette convention.

99 327. Une partie de la doctrine souligne que la philosophie sous-jacente à la CIEDR est de nature assimilatrice. En conséquence, des difficultés peuvent surgir pour reconnaître, sur cette base, la légitimité de revendications de grou-pes ethniques pour faire valoir leur droit à leur différence culturelle. Dès lors, le potentiel de cet instrument pour protéger des groupes minoritaires a pris du temps à se développer en raison de la crainte de justifier, par ce biais, des poli-tiques ségrégationnistes de nature économique et sociale imposées par la ma-jorité sous le prétexte du respect des différences ethno-culturelles de minori-tés496.

328. Or, en droit international, la reconnaissance de droits en faveur des groupes est étroitement liée au principe de non-discrimination497. En codifiant le concept d’égalité de tous les êtres humains, et donca fortiorides communau-tés qu’ils composent, la CIEDR est l’un des instruments universels les plus im-portants en matière de protection des minorités ethniques et de leurs mem-bres498. Dans ce contexte, le travail du Comité pour l’élimination de la discri-mination raciale démontre que ce dernier reconnaît les minorités, leur droit à l’identité mais également l’importance de la réparation des injustices commi-ses à leur égard499.

329. Nous avons déjà évoqué, ci-dessus, l’importance des droits socio-économiques et culturels pour les minorités, notamment lorsque ces dernières sont dans une position vulnérable. En conséquence, on relèvera que l’interdiction de la discrimination a une influence plus directe sur ces garanties que sur l’exercice des droits civils et politiques500, du fait de la réticence des Etats à reconnaître aux droits dits de la « deuxième génération » un caractère justiciable. Comme le démontre l’article 5 CIEDR, cette convention ne fait pas de distinction entre ces « générations ». Ainsi que le soulignent aussi bien le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale que le Comité des droits de l’homme et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, l’interdiction de la discrimination dans la jouissance detous lesdroits et obliga-tions à la charge des Etats prend ici un poids considérable501, et en particulier pour les membres de groupes minoritaires502.

496 THORNBERRY(2002), pp. 202-203. Voir ainsi l’art. 2§1 let. e de la Convention : « Chaque Etat partie s’engage à favoriser, le cas échéant, les organisations et mouvements intégrationnistes multiraciaux et autres moyens propres à éliminer les barrières entre les races, et à décourager ce qui tend à ren-forcer la division raciale. »

497 KÄLIN/KÜNLZI, p. 349 ; LERNER, p. 30 ; PRITCHARD, p. 237.

498 PRITCHARD, p. 237 ; SCHODER, p. 111. LERNER, p. 71, parle de cet instrument comme étant

« undoubtedly the most important instrument for the protection of groups at the international le-vel. »

499 THORNBERRY(2002), p. 224.

500 Dans ce sens : Message du Conseil fédéral relatif à la reconnaissance de la compétence du CERD, FF 2001 5649, 5662.

501 Au sujet de l’importance de la pratique du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en matière de droits économiques, sociaux et culturels, voir JOSEPH, p. 349 et THORNBERRY(2005), pp.

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330. La CIEDR consacre de manière significative les droits des minorités en tant que groupes, tant d’un point de vue substantiel que procédural, en sus des garanties qu’elle offre aux particuliers en matière de protection contre la dis-crimination raciale. Sous un angle matériel, les Etats parties ont l’obligation de prendre des mesures visant à promouvoir la compréhension et le respect entre les communautés composant leurs sociétés503. Comme le relèvent certains au-teurs, cet instrument universel se révèle plus soucieux des groupes eux-mêmes que ne l’est l’article 27 Pacte II, puisqu’en traitant explicitement de

« certains groupes raciaux ou ethniques », il admet d’une manière plus directe l’existence d’une réalité sociale intermédiaire, se situant entre l’individu et l’Etat504.

331. En outre, la pratique du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale reflète ses préoccupations en matière de protection des minorités ethni-ques, en faisant de cette question l’un des points essentiels en matière de lutte contre les discriminations raciales. Ainsi, le fait que la CIERD et la pratique du Comité distinguent entre la ségrégation arbitraire et humiliante que peuvent subir les membres d’une minorité et l’exercice des particularités identitaires minoritaires, démontre que cet instrument est primordial pour les groupes minoritaires505.

332. Enfin, sous l’angle procédural, l’article 2 § 2 CIEDR impose aux Etats parties de prendre des mesures spéciales pour promouvoir non seulement les droits des individus mais également ceux des « groupes ethniques ». Par ail-leurs, les autorités étatiques et les institutions publiques doivent s’abstenir de pratiquer la discrimination raciale à l’égard d’individus ou de « groupes de personnes ».

253-254. Dans une jurisprudence constante depuis ses constatations rendues à l’encontre des Pays-Bas en 1984 (Constatations du CDH, du 3 avril 1987, relatives à la Communication n° 172/1984 Broeks c. Pays-Bas,et à la Communication n°182/1984Zwaan-de Vries c. Pays Bas), le Comité des droits de l’homme considère que l’art. 26 Pacte II, consacrant l’interdiction de la discrimination, est un droit autonome qui doit être respecté quelle que soit la nature du droit exercé ; NOWAK(art. 26), N. 49, p. 628. Dans son Observation générale n° 3, § 5, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels souligne que l’obligation de respecter le principe de non-discrimination dans la mise en œuvre des droits garantis par le Pacte I est justiciable ; KÜNZLI/KÄLIN, p. 113.

502 PRITCHARD, p. 237.

503 En créant des organismes tels que la Commission fédérale contre le racisme (CFRa) ou encore la Fondation « Assurer l’avenir des gens du voyage suisses », la Suisse estime ainsi contribuer à la ré-alisation de cette obligation, puisque ces institutions ont notamment pour mandat la promotion de l’entente entre les différentes communautés. A ce sujet, voir le Message du Conseil fédéral relatif à la reconnaissance de la compétence du CERD, FF 2001 5649, 5654.

504 KETLEY, p. 339 ; THORNBERRY(2002), p. 208.

505 Comp. ainsi l’Observation générale n° 23 du CERD, relative aux peuples autochtones, § 4 : le CERD engage les Etats à garantir le respect des particularités culturelles des peuples autochtones, à s’assurer que leurs membres ne subissent aucune inégalité de traitement ni de discrimination ba-sées sur leur appartenance à une telle communauté, que l’Etat leur fournisse les moyens pour pour-suivre un développement social et économique durable en accord avec leurs coutumes et qu’il s’assure qu’ils puissent pratiquer leurs traditions culturelles et leurs langues. THORNBERRY(2002), p.

224.

101 333. De plus, l’article 14 CIEDR admet la recevabilité de communications déposées tant par des particuliers que par des « groupes » estimant faire l’objet de violations de droits protégés par la convention, au contraire de ce que pré-voit l’article 27 Pacte II en lien avec le Protocole additionnel n°1 au Pacte II506. A ce jour, toutefois, aucune communication n’a été introduite par un groupe.

334. Une partie de la doctrine estime que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale sera enclin à suivre une voie analogue à celle du Comité des droits de l’homme, en exigeant que chaque membre du groupe puisse être qualifié de victime d’une violation alléguée de la CIEDR, afin de ne pas ouvrir la voie à l’actio popularis507.

2.5. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection