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processus collectif d'innovation

Section 1.3 De la collaboration aux collectifs

1.3.2 L'importance des connaissances

Pour mieux comprendre ce point, il nous faut comprendre quelle est la nature de la "connaissance", quelle est son importance dans l'innovation.

a ) Données, Informations et Connaissances

Rappelons en préambule que l'on peut distinguer les données, de l'information et des connaissances.

Pour reprendre les définitions proposées par les économistes Boisot et Canals (Boisot and Canals, 2004), on pourra dire que les données sont obtenues après un traitement des innombrables stimuli issus du monde qui entoure l'agent. Tous les stimuli ne sont pas pris en compte par un agent : il y a un filtre perceptuel qui permet de ne garder qu'une part de ces stimuli sous forme dedonnées (da-ta). Ces données sont à leur tour interprétées par l'agent au travers d'un filtre conceptuel. Ce filtre est lié aux croyances, aux attentes, aux intérêts de l'agent sur le monde à un moment donné. Ce filtre permet alors à l'agent d'extraire desinformations depuis cette masse des données, les infor-mations étant en raisonnance avec les attentes, les croyances, les intérêts de l'agent. Les informa-tions peuvent être considérées comme étant, à un moment donné, la part utile des données pour l'ac-tion de l'agent. Dans ce modèle, c'est cet ensemble de croyances, de valeurs, de schémas qui constitue les connaissances.

Schéma 4: "l'agent dans le monde" selon Boisot et Canals (2004)

Data, information and knowledge: have we got it right?

http://www.uoc.edu/in3/dt/20388/index.html

© 2004 by Max Boisot and Agustí Canals

© 2004 by FUOC

To summarize, we might say that information is an extraction from data that, by modifying the relevant probability distributions, has a capacity to perform useful work on an agent's knowledge base. The essential relationships between data, information and knowledge are depicted in Figure 1. The diagram indicates that agents operate two kinds of filters in converting incoming stimuli into information. Perceptual filters first orient the senses to certain types of stimuli that operate within a given physical range. Only stimuli passing through this initial filter get registered as data3. Conceptual filters then extract information-bearing data from what has been so registered. Both types of filters get ”tuned” by the agents’ cognitive and affective expectations (Clark, 1997; Damasio, 1999), shaped as these are by prior knowledge, to act selectively on both stimuli and data.

Fig. 1. The Agent-in-the-World

The schema depicted in figure 1 allows us to view data, information and knowledge as distinct kinds of economic goods, each possessing a specific type of utility. The utility of data resides in the fact that it can carry information about the physical world; that of information, in the fact that it can modify an expectation or a state of knowledge; finally,

3 Roland Omnes, the philosopher of quantum mechanics, understands data thus: “In order to understand what a measurement is, it would be helpful first to make a distinction between two notions that are frequently confused: an experiment’s (concrete) data and its (meaningful) result. The data are for us a macroscopic classical fact: thus when we see the numeral 1 on the Geiger counter’s screen, this is the datum. The result is something different, for it is a strictly quantum property, almost invariably pertaining only to the microscopic world, meaning that a radioactive nucleus disintegrated, for example, or providing a component of a particle’s spin. The datum is a classical property concerning only the instrument; it is the expression of a fact. The result concerns a property of the quantum world. The datum is an essential intermediary for reaching a result.”

(Omnes, 1999, author's italics).

Les connaissances sont donc un assemblage complexe qui justement permet de traiter le monde, de filtrer stimuli, données et informations. Le rôle des connaissances est central dans une telle boucle, puisque ce sont ces connaissances qui, en pesant sur les filtres perceptuels et conceptuels, déter-minent en grande partie le rapport de l'agent au monde.

b ) Divers types de connaissances

Comme le rappelle Amandine Pascal (Pascal, 2006), on peut distinguer dans la littérature une double typologie descriptive de la connaissance :

➢ d'une part, la dimension individuelle ou collective de la connaissance : la connaissance peut être liée à des talents, des compétences intellectuelles (ou physiques) individuelles, mais elle peut aus-si être activée et mobilisée par des groupes, des équipes, des organisations, etc. On pourra par exemple distinguer en partie les connaissances d'un ingénieur (sa formation, son expérience, ses savoir-faire) des connaissances de l'organisation à laquelle il appartient (les bases de données, les processus organisationnels, les brevets, etc.).

➢ d'autre part, la dimension explicite ou tacite de la connaissance : cette distinction a été populari-sée en gestion par les chercheurs japonais Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi (Nonaka and Takeuchi, 1995). Les connaissances explicites sont codifiées, stockées, transmises, tandis que les connaissances tacites sont liées à des savoir-faire, des pratiques, des tours de main. Ces connais-sances tacites sont souvent informelles, non codifiées, et difficilement transférables. Par exemple, le mode d'emploi d'une installation technique, sa documentation, ses procédures écrites, qui sont

des connaissances explicites, diffèrent des connaissances tacites des ouvriers spécialisés qui savent faire marcher cette installation, qui sont souvent non codifiées, fruit de l'expérience, et dif-ficilement transférables, à moins d'un long apprentissage.

Cependant, ces diverses dimensions ne sont pas exclusives et pour certains auteurs, elles sont intrin-sèquement liées. Par exemple, la distinction entre connaissance tacite et connaissance explicite est habituellement attribuée à Michael Polanyi (Polanyi, 1958). Or, pour cet auteur, les connaissances tacites sont partout et se mêlent aux connaissances explicites. Ce dernier donne l'exemple du mar-teau : celui qui sait se servir d'un marmar-teau peut expliciter son fonctionnement (tenir le marmar-teau par le manche, maintenir le clou, frapper le clou avec la cognée, etc.). Pourtant, pour enfoncer réellement un clou, il y a une part de savoir faire, de connaissance tacite nécessaire à l'utilisation du marteau.

On ne peut pas se concentrer seulement sur la tenue du marteau, l'angle de frappe, la force, l'angle du clou, (bref, ne compter que sur les connaissances explicites) sans risquer de louper le dit clou.

Pour parvenir à planter le clou, le marteau devient plutôt une extension de la main, et une grande part de son utilisation demeure tacite (non conscientisée, explicitée) pour le bricoleur. Connais-sances tacites et explicites sont donc ici intrinsèquement liées.

Plus proche de nous, Cook et Brown (Cook and Brown, 1999) précisent que ces quatre aspects de la connaissance (explicite, tacite, individuelle et collective) sont bien des formes différentes de la connaissance détenue, possédée, mais qu'elles ne suffisent pas à désigner tout ce qui est su. Ils in-troduisent donc une cinquième catégorie de connaissance, le "knowing", qui désigne cette part de savoir qui ne se révèle que dans l'action. Pour mieux comprendre ce knowing, les auteurs déve-loppent l'exemple du vélo. Il existe une connaissance explicite correspondant à la pratique du vélo : on peut expliquer la position sur la machine, le fonctionnement du pédalier, des freins, etc. Mais cette connaissance ne suffit pas pour un novice à faire du vélo. Il existe donc, parallèlement, une connaissance tacite liée à la pratique du vélo. Cette connaissance s'acquiert en pratiquant le vélo, elle est en quelque sorte inscrite dans le corps du cycliste. Pourtant, si l'on demande à un cycliste amateur de quel coté on doit tourner le guidon du vélo pour rétablir l'équilibre de la machine si celle-ci penche à droite, nombre d'entre eux ne pourront répondre... Alors que, en situation réelle de déséquilibre, ils sauraient parfaitement réaliser l'ensemble des mouvements coordonnés pour ne pas chuter. Cette connaissance là, qui ne s'exprime et n'existe que dans le cadre de l'action est nommée

"knowing" par les auteurs. Ce n'est pas une connaissance "possédée", mais une connaissance "agit".

c ) Les connaissances et l'innovation

Dans les années 80, des entreprises japonaises comme Honda, Toyota ou SONY rencontrent de grands succès sur les marchés internationaux, grâce à leur faculté à lancer sur le marché des pro-duits innovants à un rythme soutenu. Selon des chercheurs japonais (Takeuchi and Nonaka, 1986), ce succès est du aux processus cognitifs originaux mis en place dans les entreprises japonaises, pro-cessus qui donnent une place à part entière aux connaissances tacites, là où, par tradition, les entre-prises occidentales privilégient les connaissances explicites. Ces processus permettent de maintenir une diffusion importante des connaissances dans l'entreprise, connaissances qui servent de soubas-sement aux activités d'innovation.

Les constats de Nonaka et Takeuchi s'appuient sur un un double cadre théorique : d'une part, le mo-dèle SECI de la conversion des savoirs, et d'autre part le concept du "Ba" (Nonaka and Kono, 1998).

Schéma 5: Le Ba et la conversion des connaissances (ibid)

Le "Ba" est un concept japonais qui n'a pas d'équivalent dans les langues occidentales. Il désigne, selon les auteurs, unespace émergent de relations partagées. Cet espace est à la fois physique et mental et sert de fondation à la création de connaissances. En s'engageant dans un Ba, un individu transcende ses propres limites cognitives. A partir de ce Ba, des connaissances vont émerger, se partager, se transformer et se combiner selon un cycle.

Le cycle de conversion des connaissances est nommé SECI, qui est l'acronyme des quatre modes de conversion de connaissances proposés par les auteurs : Socialisation (S), Externalisation (E), Com-binaison (C) et Internalisation (I). Nous décrivons ci dessous ces quatre modes :

Socialisation : décrit le partage de connaissances tacites entre individus. Ce partage nécessite l'existence d'activités conjointes. Les auteurs insistent ici sur la proximité physique, nécessaire se-lon eux pour que cet apprentissage des connaissances tacites puisse avoir lieu.

Externalisation: c'est l'expression des connaissances tacites et leur traduction dans une forme compréhensible. Les auteurs insistent ici sur le rôle des images, des métaphores, des histoires, pour rendre ces connaissances plus explicites.

Combinaison : A ce stade, les connaissances rendues explicites peuvent être combinées pour créer des ensembles plus complexes. La combinaison s'appuie sur trois mécanismes. Première-ment, l'organisation doit capter et intégrer ces connaissances (via des bases de données par exemple). Deuxièmement, ces connaissances sont disséminées, au travers de réunions, de présen-tations. Enfin, elles sont éditées, inscrites sous des formes autorisant leur diffusion (plans, rap-ports, etc.)

Internalisation : Finalement, ces connaissances nouvelles vont se banaliser, se convertir en connaissance tacite pour l'organisation. Cela passe par la formation, la participation à des projets utilisant ces connaissances nouvelles, etc.

La vision de ces auteurs, en particulier au travers du concept du Ba, montre un cycle de création et de diffusion des connaissances qui est intimement lié aux institutions sociales dans lesquelles ont lieu les apprentissages. En outre, ils insistent plusieurs fois surl'importance des liens individuels et de pratiques partagées entre individus, réunis dans un ensemble qui les "transcende" (le Ba).