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Comprendre la continuité d’un processus collectif d’innovation avec une théorie du véhicule : application
au cas d’un projet collaboratif européen.
Guillaume Pérocheau
To cite this version:
Guillaume Pérocheau. Comprendre la continuité d’un processus collectif d’innovation avec une théorie
du véhicule : application au cas d’un projet collaboratif européen.. Gestion et management. Université
de la Méditerranée - Aix-Marseille II, 2009. Français. �tel-00448758�
UNIVERSITE AIX-MARSEILLE II - DE LA MEDITERRANEE UFR DES SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION
ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION D'AIX MARSEILLE LEST
LABORATOIRE D'ECONOMIE ET DE SOCIOLOGIE DU TRAVAIL THESE
Pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de Gestion Mention : Management Stratégique
Présentée et soutenue publiquement par
Guillaume Pérocheau
le 17 Novembre 2009
COMPRENDRE LA CONTINUITÉ
D'UN PROCESSUS COLLECTIF D'INNOVATION AVEC UNE THÉORIE DU VÉHICULE :
APPLICATION AU CAS D'UN PROJET COLLABORATIF EUROPÉEN
JURY
Directeur de Thèse Mme Ariel MENDEZ
Professeure à l’Université de la Méditerranée
Rapporteurs Mme Caroline MOTHE
Professeure à l’Université de Savoie M. Benoit WEIL
Professeur à l'Ecole des Mines ParisTech
Suffragants Mme Valérie CHANAL
Professeure à l’Université Grenoble 2 - P. Mendès France M. Gilles GUIEU
Professeur à l'Université de la Méditerranée
Remerciements
Je remercie Gaëlle pour son amour et sa confiance, et nos filles, Lorette et Salomé, leur joie et la fierté qu'elles me donnent. Je remercie également mes parents, la douceur et la force de Gilbert, la créativité et l'énergie de Martine. Je remercie Marion ma soeur, dont le courage est une source d'inspiration. Je remercie mes aïeux : Armand, Florent, Denise, Marie-Joseph, leur humilité et leur bonté me guident.
Je remercie Ariel Mendez, ma directrice de Thèse : son exigence bienveillante m'a forcé à sortir de la facilité. Je remercie également les chercheurs du LEST, avec une pensée toute spéciale pour les membres du séminaire ECI qui m'ont accueilli comme un ami. Je remercie aussi les personnels ad- ministratifs du LEST et les doctorants du LEST. Je remercie Damien Brochier pour le temps passé à me relire, et à me guider.
Je remercie Cédric Brémond et Alexandre Lorenzi de Toplink Innovation pour leur support durant cette recherche et leur amitié. Je remercie tous les membres du projet MEMORY sans qui cette re- cherche eut été impossible. Je remercie les chercheurs de l'équipe Deixis de Sophia-Antipolis de Télécom ParisTech, avec qui j'ai eu la chance de collaborer depuis 2006.
Je remercie également mes amis pour leur soutien durant ces quatres années, les quatre précédentes et les 60 futures : ceux de Hyères, de Vendée, de Nice, du Brésil, de Paris et d'ailleurs. Ils se recon- naîtront, et je les reconnaîtrai toujours.
Je remercie enfin les membres de ce Jury de Thèse de me faire l'honneur de lire ce travail.
Table des Matières
Chapitre 0. Chapitre Introductif ... 9
PREMIÈRE PARTIE ... 17
Le développement temporel de l'innovation : la question de la continuité du processus Chapitre 1. Objet de cette recherche : le développement temporel d'un processus collectif d'innovation ... 21
(1.1) De quelle innovation parlons nous ? ... 23
(1.2) De la question du projet à celle du processus ... 27
(1.3) De la collaboration aux collectifs ... 37
(1.4) De la marche d'un projet au développement temporel d'un processus ... 46
(1.5) Conclusion ... 51
Chapitre 2. Les Processus Collectifs d'Innovation ... 53
(2.1) Le MIRP : le voyage de l'innovation ... 56
(2.2) La Sociologie de l'Acteur-Réseau (SAR) ... 64
(2.3) La conception innovante ... 77
(2.4) Conclusion ... 90
Chapitre 3. Les collectifs innovants ... 97
(3.1) Réseaux d'individus et innovation ... 100
(3.2) Communautés et innovation ... 107
(3.3) Conclusion ... 117
Chapitre 4. L'analyse processuelle ... 119
(4.1) L'activité et son contexte ... 121
(4.2) Contextualisme et approches processuelles ... 125
(4.3) Du contexte aux ingrédients ... 131
(4.4) Les moteurs d'un processus ... 133
(4.5) Conclusion ... 140
Chapitre 5. Cadre conceptuel et question de recherche ... 145
(5.1) Question de recherche ... 147
(5.2) Les propositions théoriques ... 150
(5.3) Conclusion ... 153
DEUXIÈME PARTIE ... 157
Une recherche exploratoire hybride Chapitre 6. Méthode et posture de recherche ... 159
(6.1) Une démarche de connaissance pragmatique ... 160
(6.2) L'ancrage terrain de notre projet de recherche ... 165
(6.3) Construction d'une extériorité ... 170
(6.4) Un raisonnement en forme d'enquête ... 175
(6.5) Le dispositif d'observation de MEMORY ... 185
(6.6) Conclusion ... 189
Chapitre 7. Opérationnaliser notre question de recherche ... 191
(7.1) Les ingrédients du processus MEMORY ... 195
(7.2) Description du déroulement temporel du processus collectif d'innovation MEMORY 215 (7.3) Un jeu à trois moteurs et la métaphore de l'exploration ... 230
(7.4) Conclusion ... 235
TROISIÈME PARTIE ... 237
Le cas du processus MEMORY Chapitre 8. Fondations de MEMORY ... 239
(8.1) Le début du processus MEMORY ... 240
(8.2) La Séquence Fondations ... 252
(8.3) La bifurcation PCRD ... 269
Chapitre 9. Du Consortium au Projet MEMORY ... 273
(9.1) La Séquence Consortium ... 274
(9.2) La Séquence de Latence ... 297
(9.3) La bifurcation Projet MEMORY ... 300
Chapitre 10. Le projet MEMORY de sa préparation aux premiers résultats ... 301
(10.1) Sur le plan cognitif : conjonctions et nouvelles partitions ... 302
(10.2) Le fil des événements ... 306
(10.3) Les ingrédients dans cette Séquence ... 323
(10.4) Le véhicule dans cette séquence ... 340
Chapitre 11. Vers le projet MEMORY V2 ... 341
(11.1) La bifurcation suite au départ d'Hector ... 342
(11.2) La séquence MEMORY V2 ... 347
(11.3) Le véhicule au départ de cette séquence ... 358
Chapitre 12. Les moteurs du processus MEMORY ... 359
(12.1) Des moteurs téléologiques ... 361
(12.2) Les effets contradictoires des moteurs évolutionnistes ... 364
(12.3) Moteurs dialectiques : les couplages multiples des ingrédients ... 369
(12.4) Un jeu à trois moteurs et la métaphore du voyage de Christophe Colomb ... 373
Chapitre 13. Discussion des résultats ... 385
(13.1) Retour sur les propositions théoriques ... 386
(13.2) La théorie du véhicule ... 391
(13.3) Apports théoriques ... 396
Chapitre 14. Conclusions ... 407
(14.1) Enseignements théoriques ... 408
(14.2) Enseignements Managériaux ... 412
Bibliographie ... 421
Chapitre 0. Chapitre Introductif
Cette thèse est issue d'un processus de connaissance qui commence en 2001, il y a huit ans de cela.
A cette époque, nous sommes un praticien, consultant dans un petit cabinet de conseil en manage- ment de l'innovation. Avec nos collègues, nous accompagnons des industriels et des chercheurs dans le montage et la coordination de projets collaboratifs d'innovation. Les entrepreneurs et les chercheurs que nous rencontrons (qui sont parfois chercheurs et entrepreneurs) s'engagent dans des projets longs, complexes et passionnants. Le plus souvent, nous les suivons pendant plusieurs an- nées avant de voir l'idée de départ se transformer en un objet réel, fonctionnant convenablement, pouvant être pris en main par des utilisateurs. Parfois, aussi, l'histoire s'arrête prématurément. Un fi- nancement n'est pas arrivé à temps, un prototype ne fonctionne pas, un partenaire clef a quitté l'aventure collective : les péripéties et les événements s'accumulent avec le temps, ils viennent nour- rir l'histoire en cours, ils l'achèvent parfois.
Quand en 2005 nous nous engageons dans la rédaction de cette thèse, menée en parallèle de notre activité professionnelle, nous nous concentrons donc sur un questionnement concret, issu de notre expérience de praticien. Cette question, qui n'est pas encore une question scientifique, pourrait se traduire de la façon suivante : "qu'est ce qui fait marcher les projets collaboratifs d'innovation
1?".
Ce questionnement s'enracine dans notre frustration de consultant : nous accompagnons des inno- vateurs, les aidons à formaliser leurs idées, à les évaluer, nous les aidons à trouver des partenaires, à répondre à des appels d'offre, à gérer des projets complexes, à trouver des débouchés pour leurs produits. Certains projets "marchent". D'une part, ils fonctionnent au jour le jour, ils produisent des résultats, ils règlent des problèmes. D'autre part ils durent, ils s'inscrivent dans le temps, assurent une continuité malgré les crises ou les périodes de stagnation apparentes. Et puis, d'autres projets ne marchent tout simplement pas : la coopération y est faible, conflictuelle, ou alors ces projets s'éteignent soudain, incapables de surmonter les épreuves de la réalité. Pourquoi certains projets
"marchent" quand d'autres s'éteignent ? En 2005, nous n'avons pas d'explication formelle à cette question. En tant que praticien, nous n'avons pas non plus de méthode spécifique pour accompagner de tels projets, et nous nous contentons le plus souvent d'adapter les règles classiques de gestion de
1. Nous parlerons aussi de PCI pour Projets Collaboratifs d'Innovation
projet, en tentant d'y injecter un peu de souplesse. L'exercice de notre métier s'appuie principale- ment sur un ensemble de savoirs opérationnels, d'intuitions, d'exemples, de bonnes pratiques, et il doit beaucoup aussi à notre connaissance empirique des institutions de l'innovation, une connais- sance concrète des rouages des financements, des appuis aux innovateurs et à leurs projets. Au dé- but de cette thèse, nous avons donc la conviction que l'on peut et que l'on doit mieux comprendre la marche de tels projets si l'on veut mieux accompagner et soutenir cette marche.
Pour explorer cette question, nous nous appuyons dans cette thèse sur l'étude empirique du proces- sus MEMORY, un processus qui nous est familier, puisque nous avons participé directement à ce- lui-ci de 2003 à 2007. Ce processus est un matériau d'observation très représentatif du problème ex- posé plus haut : le processus a commencé lors d'un programme de recherche franco-belge fin 2001, il se poursuit dans un laboratoire en PACA, puis dans une Start-up d'Aix en Provence à partir de 2003 et continue sa marche au sein d'un consortium de huit organisations réparties dans quatre pays européens de 2005 à 2008. Le processus "marche", il converge peu à peu vers la fabrication d'un prototype, il agrège de nouveaux partenaires, des brevets sont déposés, des expériences menées. Et ce processus cumule les épreuves au cours du temps : une installation essentielle est démontée, un partenaire historique dépose le bilan, des expériences aboutissent à des résultats décevants. Pour- tant, le processus MEMORY continue, il se perpétue dans le temps, il crée des connaissances, fait évoluer un concept, attire de nouveaux partenaires.
Le processus MEMORY a comme objectif de concevoir un nouveau type de mémoires informa- tiques : des mémoires eMRAM. Ces mémoires cumuleront les avantages des mémoire vives (ra- pides en écriture et en lecture) et ceux des mémoires mortes (elles conservent les informations, même lorsqu'elles ne sont plus alimentées). Notre participation à ce processus, avant et pendant la rédaction de cette thèse, nous a permis d'avoir un accès privilégié à un cas que nous décrivons de l'intérieur, sur une période de quatre années. C'est à partir de ce matériau que les concepts présentés dans ce travail ont émergé et c'est sur ce matériau que la thèse du véhicule a émergé.
Mais cette thèse doit également beaucoup à l'exploration théorique menée durant ces quatre der-
nières années, et à l'encadrement académique dont nous avons bénéficié en tant que doctorant au
Laboratoire d'Economie et de Sociologie du Travail (LEST) à Aix en Provence. Notre recherche
utilise des concepts issus de trois champs particuliers : les théories portant sur le processus d'inno-
vation, la littérature portant sur les collectifs innovants (qu'ils soient vu comme des réseaux ou des
communautés) et des recherches récentes portant sur l'analyse des processus en sciences sociales.
En particulier, nous avons eu la chance de participer de façon régulière à un séminaire scientifique pluridisciplinaire portant sur l'analyse des processus en sciences sociales (séminaire ECI du LEST).
La thèse présentée ici doit beaucoup aux apports théoriques et méthodologiques de ce séminaire.
Dans cette démarche d'exploration hybride, à la fois théorique et empirique, observations sur le ter- rain et exploration de la littérature se sont alimentés dans un processus constant de raisonnement.
Cependant, pour plus de clarté, les éléments théoriques et les éléments empiriques sont regroupés dans des parties distinctes.
La première partie de cette thèse fait donc le point sur les théories que nous avons mobilisées au cours de ce travail de recherche. Cette littérature est regroupée en quatre chapitres distincts, ce qui permet d'aller de la question de départ à un objet de recherche (CH1) que l'on peut situer à la croi- sée de trois champs scientifiques. Ces champs sont explorés séparément dans les trois chapitres sui- vants : les processus d'innovation (CH2), les collectifs innovants (CH3) et l'analyse processuelle (CH4). Cela nous permet de problématiser notre recherche et de faire des propositions de recherche (CH5). Pour restaurer l'importance du dialogue terrain / littérature mené durant cette recherche, les exemple donnés dans cette partie sont souvent issus du cas MEMORY lui même : cela permettra au lecteur de se familiariser avec ce processus collectif d'innovation que nous décrivons dans la deuxième partie.
Dans le premier chapitre, il est rappelé que la question concrète "qu'est-ce qui fait marcher un
projet collaboratif d'innovation" ne constitue pas une question de recherche à part entière. Mais à
partir de cette question, on peut se replacer dans un cadre plus général abordé de différentes ma-
nières dans la littérature. Il faut rappeler, pour commencer, que l'innovation est par définition un
processus, qui voit s'engager dans le temps de multiples acteurs. Le projet d'innovation n'est qu'un
moment et une modalité d'action dans un processus d'innovation. Ensuite, on remarque que les
projets collaboratifs posent nécessairement la question de l'action collective : les collectifs d'indivi-
dus, leurs répartitions, leurs rôles dans de tels processus sont donc essentiels. Enfin, la "marche" de
ces projets peut être vue de deux façons différentes : il y a la question de la coordination de l'activi-
té, souvent abordée. Et il y a la question de la continuité de cette activité, thème plus rarement traité
et qui sera au centre du travail présenté ici. Ce recadrage permet donc, à l'issue de ce chapitre 1, de
délimiter un objet de recherche, qui est celui du développement temporel des processus collectifs
d'innovation.
Dans le deuxième chapitre 2, différents corpus de plusieurs disciplines sont abordés (et en particu- lier la Sociologie de l'Acteur Réseau, la théorie CK de la conception, les travaux du Minnesota In- novation Research Program). Cette approche pluridisciplinaire a l'avantage d'éclairer de façon com- plémentaire l'objet de recherche. Une certaine vision des processus collectifs d'innovation se dessine alors : un processus collectif d'innovation est en grande partie imprévisible, il possède un versant social et un versant cognitif inextricablement liés, et il engage dans le temps des acteurs multiples et divers.
Nous analysons aussi l'apport essentiel des travaux portant sur les collectifs d'individus dans le cha- pitre 3. Malgré le fait que les théories portant sur les processus d'innovation affirment que ce pro- cessus est collectif, il font peu souvent référence aux concepts liés aux réseaux d'innovateurs ou aux communautés. Or, il est essentiel de comprendre la structure de ces collectifs, leurs généalogie, leur transformation et leurs apport tout au long du processus collectif d'innovation.
Le chapitre 4 s'inspire directement des travaux menés au LEST dans le cadre du séminaire ECI sur les processus. En effet, nous avons constaté que la littérature portant sur les processus d'innovation utilise peu les concepts spécifiques à l'analyse processuelle, alors que cet apport est essentiel. Pour comprendre un processus, il faut prendre en compte un contexte large, qui change dans le temps : un processus peut alors être relié à de très nombreux éléments répartis sur diverses échelles d'ana- lyse. Dans ce vaste réservoir, pourtant, certains éléments sont plus prégnants que d'autres. Ils sont mobilisés et assemblés dans le cours du processus. Ce sont des ingrédients. Au cours du processus, l'assemblage de ces ingrédients évolue, sous l'effet de principes génératifs du changement qualifiés de moteurs du processus. Ce chapitre nous fournit donc un ensemble de concepts, une "grammaire", qui va compléter notre cadre conceptuel.
Dans le chapitre 5, nous rapprochons les apports des trois chapitres précédents. Nous pouvons re-
formuler notre questionnement et proposer la question de recherche suivante : "comment expliquer
la continuité du raisonnement de conception, malgré la transformation du réseau socio-tech-
nique dans un processus collectif d'innovation ?" Pour répondre à cette question, nous proposons
le concept du véhicule, c'est à dire l'existence d'un assemblage d'ingrédients sociaux portant le pro-
cessus au cours du temps. Cette thèse, construite au cours de notre exploration empirique, sera pré-
cisée plus tard. Mais elle s'appuie sur trois propositions théoriques, déduites de la littérature que
nous avons abordée et que nous détaillons ici.
Le concept du véhicule n'est apparu qu'après plusieurs mois d'exploration, après que diverses hypo- thèses sur la "marche des PCI" ont été réfutées. Ce concept a été abduit après plusieurs cycles de raisonnement, puis il a été affiné grâce à une mise en forme de notre matériel empirique. La deuxième partie de cette thèse est consacrée à présenter cette démarche de recherche.
Dans le chapitre 6, nous décrivons donc notre méthode de recherche, fondée sur une participation observante dans le processus MEMORY. Nous discutons en particulier de ce statut particulier d'ac- teur / chercheur, qui nécessite de construire une extériorité par rapport à la situation vécue. Nous décrivons aussi quelles abductions nous ont mené par étapes successives au concept du véhicule, et rappelons le rôle des observations empiriques et des apports théoriques pour progresser dans ce qui pourrait être comparé à une véritable enquête. L'ensemble de cette démarche de connaissance peut être qualifiée de pragmatique et s'appuie sur une vision de la réalité inspirée du réalisme critique.
Le chapitre 7 explique comment nous avons traité notre matériel empirique, afin de rendre intelli- gible le développement du processus collectif MEMORY. Nous expliquons donc comment, en pro- cédant à un codage informatique de nos données, nous avons peu à peu isolé sept catégories dis- tinctes d'ingrédients utilisés au cours du processus. Ensuite, grâce à la théorie CK de la conception, nous avons pu retracer le cheminement du processus sur son versant cognitif. Enfin, en procédant à un découpage temporel du processus, nous avons pu décrire les grandes séquences du processus MEMORY et y isoler les moment clé, les moments de changements intenses que l'on nomme des bifurcations.
La troisième partie de cette thèse est construite de façon chronologique. Elle permet de faire le ré- cit du processus MEMORY, de suivre son évolution - et sa continuité - de Février 2003 à Dé- cembre 2006. Chaque chapitre est consacré à un segment temporel particulier du processus. Dans chaque chapitre, on retrace le cheminement cognitif du processus en utilisant la théorie CK de la conception. Ensuite, après avoir exposé le fil des événements, on décrit les principaux ingrédients utilisés dans le segment temporel en question. Ensuite, on montre comment le véhicule de ce seg- ment temporel a été mobilisé dans l'activité collective de conception. Cela nous permet de suivre l'évolution du véhicule tout au long du processus (ce qui change dans ce véhicule et ce qui de- meure), et de montrer l'imbrication entre les versants sociaux et cognitifs du processus.
Le chapitre 8 revient sur les fondations de ce processus, ou comment un concept de mémoire ima-
giné par un chercheur russe devient un brevet déposé par un laboratoire français, porté par une
Start-up à Aix en Provence. A ce stade de MEMORY, le concept est encore peu détaillé et il pose
de nombreuses questions de recherche. Le véhicule qui porte ce processus est relativement "léger", et permet à un collectif de quelques personnes de commencer à concevoir une mémoire informa- tique d'un nouveau genre.
Le chapitre 9 relate comment un consortium d'organisations se constitue en 2004 autour de ce projet, en réponse à un appel d'offre de la Commission Européenne. Le concept MEMORY est enri- chi, il est expansé, on décrit des assemblages de matériaux candidats pour servir de base à la construction d'un futur prototype. Le véhicule s'élargit donc, et de nombreux ingrédients viennent s'assembler au noyau présent dans la séquence précédente. Pourtant, le processus semble s'arrêter durant 5 mois, et entre dans une période de latence. C'est le temps qu'il faut pour que la proposition de projet soit évaluée par la Commission Européenne. Si sur le plan cognitif, le processus évolue peu durant ce suspens, des ingrédients importants du véhicule évoluent, disparaissent, se lient différemment.
Le projet MEMORY ne commence qu'à partir de mars 2005 : Le projet est retenu et sera financé sur trois ans. Dans le chapitre 10, nous montrons comment le concept évolue à nouveau, comment il est décrit avec plus de partitions. Les concepteurs, désormais plus nombreux, proposent diverses pistes pour les matériaux candidats, pour leurs modes de dépôt, pour la conception des prototypes de mémoire, etc. Les tâches de recherche sont lancées, et de nouvelles connaissances apparaissent.
Avec le financement de ce consortium, le véhicule s'est institutionnalisé, les ingrédients sont stabili- sés et couplés plus fortement entre eux.
Le chapitre 11 commence sur plusieurs coups de théâtre : les premiers échantillons de test ont des résultats décevants, et un porteur historique du processus quitte le projet. Pourtant, le processus continue. Après une bifurcation, il s'engage dans une nouvelle séquence de conception. Sur le plan cognitif, il y a eu des conjonctions, des concepts ont acquis un statut. Les concepteurs se consacrent donc à d'autres hypothèses, et de nouveaux prototypes sont programmés. Le véhicule perdure mal- gré ces crises : avec son institutionnalisation, il a résisté au départ d'ingrédients qui étaient essen- tiels en début de processus. Il a désormais les ingrédients nécessaires pour continuer l'effort de conception en cours.
Le but du chapitre 12 est de relire cette étude de cas afin de comprendre la logique de développe- ment du processus MEMORY. Nous utilisons pour cela les notions de moteurs. Nous constatons que, au cours du processus, trois moteurs transforment le véhicule et agissent de façon combinée.
Pour mieux illustrer ce jeu à trois moteurs, nous utilisons la métaphore du voyage de Christophe
Colomb vers les Indes.
Dans le chapitre 13 nous rapprochons les observations empiriques menées sur le cas MEMORY avec les propositions théoriques issues de la littérature. Cela nous permet non seulement de les confirmer, mais aussi de les enrichir. Nous pouvons alors présenter dans le détail une théorie du vé- hicule, en en discuter la valeur. Notre recherche permet aussi de faire des apports aux courants scientifiques qui nous ont inspiré, et en particulier à la Sociologie de l'Acteur Réseau, à la théorie CK de la conception et à l'analyse processuelle. Nous somme donc en mesure de détailler une théo- rie du véhicule
Le chapitre 14 est la conclusion de cette thèse, qui nous permet de faire le point sur les contribu-
tions théoriques et managériales apportées par notre thèse. Nous proposons en particulier une série
de recommandations, destinées aux institutions chargées de mettre en oeuvre des politiques de sou-
tien à l'innovation, ainsi qu'aux praticiens de l'innovation.
Première partie
Le développement temporel de l'innovation : la question de la
continuité du processus
Dans cette thèse, nous avons convergé d'une question simple, managériale, ancrée dans une réalité de praticien, au concept du véhicule de l'innovation. Ce concept a certes été échafaudé en partie sur le terrain, de façon inductive. Mais il s'appuie aussi sur divers champs de la recherche et se réfère explicitement à des travaux existants. Cette première partie est consacrée à faire le compte des ap- ports théoriques que nous avons utilisé ici. Elle nous permet aussi de définir notre objet de re- cherche et de préciser quelle est la question de recherche traitée.
Dans un premier chapitre, nous expliquons comment notre question de départ, "qu'est-ce qui fait marcher un processus collectif d'innovation", nous positionne dans un objet de recherche particu- lier. En redéfinissant terme à terme les principaux concepts de cette question (marcher, projet, col- laboratif, innovation), nous pouvons pointer des question souvent traitées par ailleurs, ce qui nous permet de replacer notre travail dans un objet de recherche mieux balisé : celui du développement temporel d'un processus collectif d'innovation. Nous situons cet objet à la croisée de trois champs théoriques revus un à un dans les trois chapitres suivants : les processus d'innovation, les collectifs innovants et l'analyse processuelle.
Dans un deuxième chapitre, nous faisons la revue de trois courants ayant explicitement abordé l'in-
novation à la fois dans sa dimension collective (l'innovation est le fait d'individus nombreux, agis-
sant collectivement) et dans sa dimension temporelle (l'innovation est un processus qui se déroule
dans le temps). Ces courants sont les travaux du MIRP, la Sociologie de l'Acteur Réseau et la théo-
rie CK de la conception. Malgré les nombreuses différences entre ces démarches, une certaine vi-
sion du processus semble se dégager, et en particulier sur l'imbrication entre une dimension sociale et une dimension cognitive de ce processus.
Dans le chapitre trois, nous faisons une revue des travaux scientifiques portant sur l'analyse des collectifs, vus tantôt comme des réseaux d'individus, et tantôt comme des assemblages de commu- nautés. Le rôle de ces collectifs dans les processus d'innovation est essentiel et a fait l'objet de tra- vaux dont nous devrons tenir compte dans notre analyse : l'innovation est un processus durant lequel des connaissances sont créées, échangées, transformées, et il ne fait plus de doute que la cog- nition est encastrée dans une structure sociale, en particulier dans des collectifs d'individus.
Pour compléter notre cadre conceptuel, nous nous appuyons dans le chapitre quatre sur les travaux récents du LEST portant sur l'analyse des processus en sciences sociales. En effet, bien que la na- ture "processuelle" de l'innovation soit reconnue depuis longtemps, elle n'a pas été souvent analysée avec les outils conceptuels propres aux analyses de processus. Or, un processus d'innovation est avant tout un processus social : il se déroule dans un contexte riche, qui se déploie sur divers ni- veaux d'analyse, non linéaire, il est fait de séquences et son cheminement peut être l'objet de ré- orientations rapides, dites bifurcatives. Ce chapitre nous permet de constituer la grammaire des concepts que nous pourrons utiliser pour décrire l'innovation comme un processus social.
Finalement, le chapitre cinq nous permet situer notre questionnement de départ à la croisée de ces diverses influences, et de le reformuler en des termes issus de la littérature abordée ci-dessus. La question traitée ici est la suivante :
"Comment expliquer la continuité du raisonnement de conception malgré les transformations de l'assemblage des ingrédients mobilisé au cours du processus collectif d'innovation".
Pour traiter de cette question, nous nous appuierons sur trois propositions théoriques issues de la re- vue de littérature présentée dans cette partie. Nous détaillons ici ces propositions.
Graphiquement, la logique de cette première partie peut être présentée comme suit :
Schéma 1: Représentation graphique de la première partie
CH1 - Objet de recherche : le développement temporel d'un processus collectif d'innovation
Projet => Processus Collaboratif => Collectif Marche => Continuité
CH2
Les processus collectifs d'innovation
Le MIRP
La Sociologie de l'Acteur Réseau La théorie CK de la conception
CH4
L'analyse processuelle CH3
Les collectifs innovants
Contexte et analyse processuelle Du contexte aux ingrédients Les moteurs d'un processus
CH5 - Cadre conceptuel et Question de recherche
Les réseaux Les communautés
Question de recherche Propositions théoriques
Chapitre 1. Objet de cette recherche : le développement temporel d'un
processus collectif d'innovation
CH1 - Objet de recherche : le développement temporel d'un processus collectif d'innovation
Projet => Processus Collaboratif => Collectif Marche => Continuité
CH2
Les processus collectifs d'innovation
Le MIRP
La Sociologie de l'Acteur Réseau La théorie CK de la conception
CH4 L'analyse processuelle CH3
Les collectifs innovants
Contexte et analyse processuelle Du contexte aux ingrédients Les moteurs d'un processus
CH5 - Cadre conceptuel et Question de recherche Les réseaux
Les communautés
Question de recherche Propositions théoriques