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Très peu de dépistage VIH est réalisé dans ces centres et le suivi VIH n’y est pas assuré.

Les commentaires portant sur cette question reprennent les principales caractéristiques attribuées à l’ensemble de l’offre sanitaire, à savoir l’inadaptation du système national et le racisme des professionnels créoles.

Inadaptation du système national

Les distances

L’exercice médical est compliqué par l’isolement des centres363. On a dit la complexité du transport des prélèvements sanguins jusqu’à un laboratoire d’analyse et les risques qu’elle implique pour la fiabilité des examens biologiques. Cette complexité explique en partie pourquoi si peu de tests de dépistage du VIH sont réalisés sur le fleuve. Un médecin du fleuve en aval de Maripasoula qui doit envoyer ses prélèvements à Saint Laurent en pirogue d’où ils sont acheminés par route à Cayenne déclare n’avoir aucune confiance dans la fiabilité des analyses réalisées sur les prélèvements qu’il effectue auprès des femmes enceintes, et constate d’ailleurs qu’il ne reçoit jamais de résultat positif, alors qu’à Maripasoula, des tests reviennent positifs … or de Maripasoula, ils partent directement en avion à Cayenne, ce qui leur assure une bien meilleure fiabilité. Ces difficultés liées aux distances sont exacerbées par l’insuffisance des moyens alloués par le Conseil Général.

363 En cas d’urgence de nuit, il n’y a aucune possibilité d’évacuer, ni en pirogue, ni en hélicoptère. (35)

La pharmacie la plus proche du poste d’Organobo est à 70 km de route, or celle du poste est restreinte (exemple : en ce début de matinée d’observation, il ne reste plus que deux boîtes de doliprane, qu’il va falloir réserver aux femmes enceintes). (37) Plus généralement, les médecins doivent tenir compte de l’impossibilité dans laquelle sont leurs patients de se faire délivrer des médicaments dans une pharmacie ou de bénéficier d’examens complémentaires, tant en raison des distances géographiques que du défaut de couverture maladie et de ressources financières pour y pallier.

Au retour d’une évacuation sanitaire à l’hôpital de Saint Laurent ou de Cayenne, les patients n’ont avec eux aucun courrier médical pour expliquer ce qui s’est passé, en revanche ils ont une ordonnance ... pour des médicaments non disponibles localement. (57)

Autre difficulté liée aux distances qui séparent les centres de santé des pôles urbains et en particulier hospitaliers, c’est l’absence de prise en charge par la CGSS des transports pour les consultations des patients séropositifs pour le VIH suivis à l’hôpital, hors évacuation sanitaire. Or le suivi des patients séropositifs vivant sur le fleuve ne peut être actuellement s’effectuer qu’à l’hôpital, celui de Cayenne ou celui de Saint Laurent. Cette absence de prise en charge des transports semble aberrante, au vu des soins de moindre importance vitale, comme les cures thermales, qui sont remboursés en métropole : c’est une discrimination envers les malades de cette pathologie et envers les gens du fleuve : ça coûte cher, et les gens n’ont pas

de sous sur le fleuve, on est dans la discrimination la plus totale, la plus absolue. Pour une situation cent fois moins discriminatoire, on descend dans la rue en France. (17)

Incompétence des médecins (métropolitains) en poste sur le fleuve

Au-delà des difficultés de recrutement des médecins du centre (chaque centre doit disposer d’au moins un médecin curatif et un préventif, mais il manque souvent l’un des deux), se pose la question de la compétence de ces derniers pour assurer le suivi du VIH. Tous les acteurs métropolitains interrogés sur cette question, y compris les médecins du fleuve eux-mêmes, reconnaissent que l’accompagnement d’un test de dépistage et le suivi d’une séropositivité nécessitent des compétences spécifiques que n’ont pas les médecins en poste sur le fleuve. Leurs avis diffèrent pourtant sur la possibilité de la tenue de tests de dépistage et d’un suivi des patients séropositifs dans ces centres de santé du fleuve.

Certains professionnels (des médecins et un membre d’une association de lutte contre le sida) mettent en avant les effets négatifs en terme de dépistage et d’efficacité thérapeutique de cette absence de prise en charge sur le fleuve et appellent de leurs vœux un changement rapide. D’autres (médecins) sont beaucoup plus réservés, insistant sur l’importance des changements dans l’organisation des centres et la formation des médecins qui y exercent, préalables indispensables avant de pouvoir envisager toute prise en charge sur place.

Pour ces derniers, les problèmes actuels tiennent surtout dans le défaut de confidentialité des données médicales dans les centres et le manque de formation des médecins, ces deux points s’ajoutant à la complexité des circuits d’acheminement des prélèvements sus-décrite.

L’absence de compétence des médecins est soulignée à propos tant du dépistage (non formés au dépistage, ils sont incapables d’expliquer aux gens pourquoi c’est intéressant de

faire un dépistage (59) et ne rendent pas les résultats, ni négatifs ni positifs, adressant

simplement les patients séropositifs à l’hôpital pour qu’on leur y annonce leur séropositivité) que du suivi lui-même, avec notamment la possibilité de prescrire ou du moins d'assurer le renouvellement des antirétroviraux : la manipulation de ces derniers est complexe, tout bricolage est interdit en la matière, le déplacement d’un patient jusqu’à l’hôpital, même mensuel, est préférable à de l’à peu-près (37). Un médecin (59) déclare que si les médecins ont tous le droit de renouveler une ordonnance d'antirétroviraux, il espère qu’ils sont assez

lucides et conscients de leurs limites pour ne pas le faire s'ils ne connaissent pas les antirétroviraux, s'ils ne savent pas à quoi ça sert, s'ils ne savent pas les surveiller, s'ils ne connaissent pas les effets secondaires. Il ajoute que si une collaboration a pu s’installer entre

lui-même, médecin hospitalier, et certains médecins de ville, c’est parce que ces derniers ont pris la peine de se former à la question (il a lui-même mis en place un réseau ville-hôpital)364,

364 Ces médecins de ville qui se sont formés suivent aujourd’hui certains de ses patients, dont ils renouvellent les

traitements : moi, c’est les yeux fermés, je dis au patient : « vous avez bien fait d’aller voir le Dr M », parce que

je sais qu’il sait surveiller le traitement, il sait ce que c’est, il s’y intéresse, il prend le temps de s’y intéresser, et les choses sont faites parfaitement, d’ailleurs en ce moment, je commence à basculer des patients de l’hôpital

ce que n’ont pas fait les médecins des centres de santé. Au-delà de la question de leur compétence, les médecins des centres de santé ne disposent d’aucun moyen pour suivre ces patients, hormis l’examen clinique : ils toussent, ils crachent ... c’est tout. Dès qu’une infection intercurrente nécessite un examen, le patient doit donc de toutes façons revenir à l’hôpital.

Le deuxième obstacle à la prise en charge du VIH sur le fleuve est le défaut de confidentialité des données médicales qui figurent dans les dossiers médicaux. On l’a déjà évoqué, rappelons en particulier les réticences d’un médecin de CISIH à adresser des courriers aux médecins des centres en raison du risque de rupture du secret médical.

Les tenants de la mise en place d’un suivi au niveau du fleuve relativisent ces obstacles et mettent en avant les difficultés que l’absence actuelle engendre pour les patients.

Le médecin d’un centre de santé (35) reconnaît ne pas maîtriser l’usage des différents tests qui permettent d’évaluer l’évolutivité de la maladie et donc ne pas pouvoir assurer la prescription initiale d’antirétroviraux, mais se déclare désireux de renouveler les prescriptions. Il conteste de plus les affirmations sur l’absence de confidentialité des données médicales, affirmant qu’il peut fermer son bureau à clé et déplore n’apprendre que par hasard la séropositivité de l’un de ses patients (en l’absence de courrier du CISIH l’en informant).

L’impossibilité d’avoir accès aux antirétroviraux sur le fleuve dans le cadre d’un suivi nuit à l’observance (comment imaginer que les patients ne soient pas tentés de faire des interruptions thérapeutiques s’ils doivent faire plusieurs heures de pirogue pour obtenir le renouvellement de leur traitement ?) et conduit à des situations aberrantes (15) (une femme enceinte a du être hospitalisée à Cayenne, trois mois avant l’accouchement, tout simplement pour la prise du traitement prophylactique).

Considérant que cette situation est anormale en France (C’est absolument insupportable,

insoutenable, bien sûr, c’est ... là, pareil, on est où, là ? On est dans un département français ou on est au fin fond de je ne sais trop quoi) (46) et théoriquement modifiable365, un médecin du CISIH travaille avec le médecin chef des centres de santé à la mise en place du suivi de la prise en charge dans les dispensaires, en lien avec les urgences de Cayenne : gestion sur place les prophylaxies (avec des kits), des traitements, des examens, des consultations et prise en charge du transport par la CGSS quand une consultation hospitalière est requise.

Carences des professionnels créoles

On a vu les nombreux dysfonctionnements des centres de santé, interprétés comme autant de signes du désintérêt du Conseil Général pour le service médical apporté aux populations

vers la ville, et je le fais sans inquiétude. Ce sont les patients, qui sont inquiets, parce qu’ils n’ont pas l’habitude, mais moi je le fais sans inquiétude.

Il reverra ces patients une fois par an ou plus si le médecin traitant repère une complication, et là, le deal il est

comme ça, je suis le référent hospitalier, je suis disponible et on m’appelle si les prises de sang se modifient, s’il y a un truc limite un peu bizarroïde ... je trouve ça très bien. Mais les centres de santé, ils sont absolument incapables de faire ce genre de choses, le VIH, pour eux, j’allais dire c’est virtuel, non, ils ont vu mourir un ou deux patients du sida, mais ...

365 La prescription doit être hospitalière pour le traitement initial et les renouvellements au moins annuels. Dans

ces intervalles annuels, les prescriptions peuvent être faites en ville. De toutes façons, tous les médecins de dispensaire sont des médecins hospitaliers puisque les dispensaires dépendent désormais du centre hospitalier de Cayenne, ils sont donc théoriquement habilités à initier les traitements.

noires marronnes et amérindiennes du fleuve et on a dit déjà les déséquilibres induits au sein des centres par ces carences du Conseil général366.

Ce désintérêt se double ici de son refus de s’investir sur la question du sida, les responsables du Conseil Général déclarant se désintéresser du sida, compétence de l’Etat.

Concrètement, cette indifférence se traduit notamment par les absences du médecin censé assurer l’activité de la CDAG de Maripasoula. Celle-ci relève en effet du centre de prévention, le CPV, or le médecin du CPV n’est jamais à son poste : parce qu’il a un territoire très important à couvrir, mais surtout parce que dès qu’un médecin manque à la PMI de Cayenne, il y est envoyé : Parce qu’il n’y ait pas de médecin à Maripasoula tout le monde

s’en fout, c’est des Marrons, hein, le Conseil Général s’en tape, par contre il ne faut pas qu’il manque un médecin à Cayenne. (46)

Le mépris dont sont victimes les Noirs Marrons vient exacerber les insuffisances de l’offre de soins, puisque, étant dans l’impossibilité de se faire un suivre sur le fleuve, ils sont alors contraints de venir à l’hôpital, où ils sont exposés aux traitements discriminatoires du personnel créole.

366 On a déjà dit que devant les insuffisances de la gestion du Conseil Général, la tutelle de la partie curative a été

confiée à l’ARH (agence régionale d’hospitalisation), via l’hôpital de Cayenne, la préventive (vaccinations, dépistage MST, suivi de grossesse) restant au Conseil Général. Ce passage à l’ARH s’est accompagné d’une revalorisation des salaires et de l’amélioration des moyens attribués, mais uniquement du côté curatif. Le déséquilibre qui en résulte engendre des tensions entre les médecins curatifs et préventifs d’un même centre. (43, 67, 78)