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Deux médecins généralistes de Saint Laurent interrogés (26, 34) déclarent ne pas toujours faire payer à leurs patients non couverts les frais de la consultation et surtout ils leur remettent des échantillons pharmaceutiques donnés par des visiteurs médicaux pour leur éviter d’acheter des médicaments en pharmacie. En cas de nécessité d’examen complémentaire, ils les adressent à l’hôpital (où on a vu la faiblesse du taux de paiement), ou à la PMI pour le suivi des femmes enceintes (tout y est gratuit sauf les trois échographies obligatoires).

Les patients non couverts représentent cependant une infime minorité de la clientèle des médecins libéraux depuis la réforme CMU. On a vu qu’on peut pourtant supposer qu’une partie importante de la population de l’Ouest guyanais, et notamment sa fraction étrangère en situation irrégulière, ne bénéficie d’aucune couverture maladie. Il est probable que certaines de ces personnes se présentent en cabinet médical avec une carte d’assuré social qui n’est pas la leur (et les médecins libéraux interrogés déclarent d’ailleurs les accepter même en connaissance de cause). Ces personnes dépourvues de couverture maladie sont par ailleurs prises en charge par l’hôpital de Saint Laurent et malgré les incitations à se faire ouvrir des droits, on a vu que nombre d’entre elles ne pourront pas être couvertes à l’issue de leur séjour hospitalier, ne paieront pas leurs soins car sont insolvables et ne seront le plus souvent pas inquiétées.

Mais beaucoup d’entre elles vivent à distance de l’hôpital, et c’est aux centres de médecine collective qu’elles ont d’abord recours.

Dans les centres et postes de santé sont reçus tous les patients, quelle que soit leur situation au regard de la couverture maladie, de leur séjour en France ou de leur lieu de résidence (même si théoriquement les centres sont sectorisés). Consultations et médicaments y sont gratuits. Le personnel des centres déclare ne pas avoir le temps d’aider à faire les démarches d’accès aux droits à une couverture maladie. (16, 37) Certes, la question de la couverture maladie se pose dès qu’est nécessaire la sortie vers le reste de l’offre de soins : pour la réalisation d’examens complémentaires réalisés en libéral113 (comme les échographies prénatales qui ne sont pas réalisées à l’hôpital en cas de grossesse non pathologique), la délivrance de médicaments plus spécialisés tels que les antirétroviraux ou la prise en charge par un médecin spécialiste. Il s’en suit des restriction, par les médecins des centres, des orientations ou des prescriptions. Pour les évacuations sanitaires en urgence, il n’y a cependant pas de problème (l’hôpital accepte les non assurés sociaux). (35)

Certains médecins se plaignent d’une forte affluence constituée pour partie de « bobologie », c’est à dire de demandes de consultations médicalement immotivées, sans qu’elle puisse être mise sur le compte de la réforme CMU, comme en médecine de ville, puisque l’accès y a toujours été gratuit114. D’autres modèrent cette appréciation : les centres sont si éloignés les uns des autres qu’il faut souvent parcourir de grandes distances pour y arriver, ce qui décourage les venues pour rien115. (37)

Parce que leur accès est indifférent à la situation au regard de la couverture maladie, les postes et centres de santé représentent, selon certains professionnels, le point d’achoppement d’un système (le secteur libéral et le secteur hospitalier) dont un objectif est l’incitation à l’ouverture de ces droits : la brèche que constituent les centres ne ruine-t-elle pas ces efforts ? On parle par exemple de patients venant consulter dans un centre de santé, même depuis Saint Laurent ou ses environs, pour s’épargner la peine de se faire ouvrir des droits à une couverture maladie. (8)

Mais d’autres professionnels rappellent que les centres représentent avant tout le seul accès aux soins possible pour des populations dépourvues de tout moyen financier et incapables de se faire ouvrir des droits à une couverture maladie.

L’absence de couverture maladie s’inscrit en effet chez ces populations le plus souvent dans une inexistence civile plus générale : absence de pièce d’identité voire d’enregistrement de la naissance sur un état civil, de titre de séjour, d’adresse, d’où l’inaccessibilité à quelque prestation sociale que ce soit. Leurs ressources sont générées essentiellement par le troc,

113 Pour les examens biologiques, les prélèvements sont adressés à l’hôpital de Saint Laurent si le patient est

assuré social, à celui de Cayenne sinon (et même si le centre est beaucoup plus proche de Saint Laurent que de Cayenne), grâce à une convention avec l’hôpital de Cayenne, mais seul un bilan minimal peut alors être demandé. (78)

114 Quand une offre de soins libérale se met en place, la partie curative du centre est fermée, seule la préventive

reste ouverte. Sur le fleuve Maroni, les centres de santé représentent en 2002 encore l’unique offre de soins, mais l’ouverture d’une pharmacie payante à Apatou et d’une autre à Maripasoula est en projet. Sur le littoral de l’Ouest guyanais en revanche, un seul poste, celui d’Organobo, est encore gratuit.

115 Le périmètre d’attraction du centre de santé d’Organobo a un rayon de 50-70 km, pour une file active

constituée de quelques Amérindiens et surtout de Noirs Marrons. Or de l’avis du médecin, seuls 15% de ces Amérindiens, et 1% de ces Noirs Marrons possèdent un véhicule.

l’orpaillage ou la culture vivrière. Or les possibilités d’évolution de leur situation sont minces puisqu’elles n’ont quasiment aucun contact avec des professionnels sociaux et administratifs. Ainsi, plus aucune permanence CGSS n’est assurée sur le fleuve, celles du littoral sont rares (en dehors des trois villes) ; il n’y a qu’une seule assistante sociale de secteur pour tout l’Ouest guyanais. Même l’hôpital, seul relais significatif à la CGSS, est en échec : une matinée d’observation dans le centre d’Organobo a été l’occasion de rencontrer plusieurs grandes multipares accouchées chaque fois à l’hôpital de Saint Laurent, qui déclarent qu’on ne leur y a jamais proposé d’entamer de démarches pour obtenir une AME116, ni n’y avoir non plus jamais été inquiétées avec des factures.

Dépourvues donc de moyens financiers et de couverture maladie, ces populations n’ont d’autre alternative que l’offre de soins des centres : les centres de santé au Surinam sont déficients, la médecine traditionnelle est chère et de toutes façons ne concerne pas toujours les mêmes problèmes.

Ajoutons enfin que les étrangers en situation irrégulière peuvent préférer consulter dans ces centres, parce qu’ils sont situés à distance de Saint Laurent, ce qui leur permet d’éviter les abords de la ville, souvent contrôlés part les gendarmes (c’est donc une autre interprétation de le venue dans les centres de santé plutôt qu’à Saint Laurent, après celle des patients trop paresseux pour faire leurs démarches d’accès aux droits). (37, 39)

Pour l’ensemble de ces raisons, plusieurs médecins exerçant en centre de santé estiment que l’introduction du paiement dans l’accès aux soins des centres de santé provoquerait un véritable retour en arrière, avec une dégradation importante de l’état de santé de la population qui s’était considérablement élevé, depuis quinze ans, grâce précisément à l’activité de ces centres117. (35, 37)

Est-ce l’absence de besoin d’une couverture maladie qui n’incite pas aux démarches de la population consultant dans les centres, ou bien est-ce que les centres font converger les populations qui ne peuvent pas avoir accès à ces démarches ? … toujours est-il que le taux de couverture effectif de cette population détonne, même dans le contexte guyanais : le médecin du centre d’Organobo évalue à 4% la population couverte, celui de Grand Santi en a compté 5% (c’est à dire les employés de la mairie, la gendarmerie, des écoles et du dispensaire). (35, 37)

116 Qu’on ne leur en ait effectivement pas parlé, ou qu’on leur en ait parlé et qu’elles n’aient pas compris

(comme l’une d’elles, qui porte dans son sac un formulaire des agents des admissions, formulaire dont elle n’a aucune idée de la teneur) importe peu : l’important est que l’objectif de l’hôpital d’inciter les patients à faire leurs démarches n’est pas atteint.

117 Un exemple.

La population consultant au poste d’Organobo (dans la forêt, à distance du fleuve), en grande majorité noire marronne surinamienne en situation irrégulière, est en grande précarité sociale, plus encore que celle du fleuve, car privée des liens familiaux que perpétuent les va et vient entre les deux rives. La plupart de ces « déplacés » (ils sont arrivés pendant la guerre) ne sont pas francophones, ne scolarisent pas leurs enfants par incapacité à payer le bus de ramassage et la cantine scolaires. Leurs habitations sont disséminées dans l’épaisseur de la forêt, bénéficiant pour à peine la moitié d’entre elles de l’eau courante. Déjà peu en relation les uns avec les autres, ils n’ont aucun contact avec des services sociaux ou administratifs (une permanence CGSS se tient deux fois par mois à Iracoubo, ce qui représente jusqu’à 150 km de route pour certains d’entre eux, or quasiment aucun ne possède de véhicule motorisé). Le médecin estime qu’environ 4% de la file active du centre (2000 personnes) ont une couverture maladie, et la plupart de ces bénéficiaires, en cas de refus d’un médecin traitant de prendre leur CMU ou AME, ne savent pas compléter et envoyer leur feuille de soins à la CGSS. Ils ont déjà bien du mal à trouver les 45 euros nécessaires pour payer l’unique échographie obstétricale par grossesse que leur prescrit le médecin du centre (à 22-23 SA), plus le trajet jusqu’à Saint Laurent à cette occasion, alors comment pourraient- ils payer les soins quotidiens ? (37)