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On a déjà évoqué les désaccords qui opposent assistantes sociales et médecins hospitaliers quant à la polyvalence des premières, les seconds regrettant de ne pas avoir une assistante sociale spécifiquement affiliée à chacun de leurs services. Ce regret est particulièrement vif au CISIH, dont les patients connaissent souvent une grande précarité et nécessitent un suivi continu et rapproché que seule une assistante sociale rattachée au service pourrait leur fournir124. Il faudrait une assistante sociale pour suivre de près toutes les démarches du patient, par exemple en rappelant régulièrement la sous préfecture ou la CGSS et en anticipant les besoins de renouvellement de droits : le suivi social est crucial pour l’accès à une

123Ils ne traduisent que ce qu’ils considèrent pertinent, voire perturbent les séances par leurs réflexions (par

exemple, « les préservatifs, c’est nul parce que tu ne peux pas avoir d’enfants ») ou encore choisissent les villages à visiter avec des critères que les animateurs découvrent ne pas être toujours en adéquation avec l’objectif de la mission (par exemple, visite d’une bonne amie, refus de passer dans un village parce qu’il n’est pas de leur clan (boni versus ndjuka)). On déplore leur inconstance : ils refusent de partir au moment du départ en mission ou disparaissent toute une journée avec les cantines, en cours de mission, sans prévenir l’animateur. (17, 61)

124 A l’hôpital de Cayenne, une même assistante sociale suit tous les patients séropositifs de l’hôpital traités à

couverture maladie125, un titre de séjour, mais aussi pour le bénéfice de l’allocation adulte handicapé (AAH)126 ou l’amélioration des conditions de logement127.

Ce médecin (59) met en avant l’argument médical (les antirétroviraux ont un coût et une exigence d’observance élevés) pour justifier le besoin de prise en charge sociale : celle-ci doit être débutée dès le début de la prise en charge médicale, pour optimiser cette dernière. A l’appui de ses déclarations, il compare avec la situation métropolitaine. Il donne les exemples de deux de ses patients orpailleurs. L’un a été évacué à Paris où il est resté quatre mois. Il y a bénéficié d’une prise en charge socio-sanitaire importante, avec assistante sociale, infirmière spécialisée, associations. Quand il est rentré, il parlait à peu près le français et aujourd’hui il connaît parfaitement son traitement. L’autre n’a jamais été correctement pris en charge socialement : il revient toutes les six semaines pour des infections opportunistes.

BUTON (2002) ajoute que la prise en charge sociale permet d’améliorer la prise en charge médicale via l’adhésion aux prescriptions médicales, mais également, dans certains cas, en rendant « captif » le patient (jouant le rôle de « carotte » grâce à l’accès à divers droits sociaux (titre de séjour, CMU, AAH, etc.), on y reviendra à propos du suivi des demandes de titres de séjour pour soins).

En l’absence d’assistante sociale affiliée au CISIH à Saint Laurent, le personnel du CISIH s’investit sur la dimension sociale de la prise en charge128 : le CISIH est ainsi à la fois le pilier de la prise en charge médicale mais également sociale du VIH.

L’association AIDES Saint Laurent est l’unique association investie sur le VIH à Saint- Laurent129. Trois salariées permanentes (une coordinatrice (travailleuse sociale), une agent d’animation-prévention, et une secrétaire-agent d’accueil) y sont secondées par une petite dizaine de bénévoles. A l’annonce d’une séropositivité, le suivi et l’accompagnement par AIDES sont quasiment systématiquement proposés, en alternative avec celui par une assistante sociale de l’hôpital.

125 Il faut une assistante sociale pour anticiper l’expiration des droits des patients de façon à relancer la procédure

avant qu’ils n’en aient plus, sinon ils arrivent tout au bout et tout s’arrête et on doit tout reprendre à zéro. Or ces renouvellements sont particulièrement contraignants dans la mesure où la CGSS ne délivre des droits CMU que pour un an aux étrangers porteurs d’un titre de séjour lui-même de un an. Les patients préfèrent eux-mêmes confier leurs dossiers à un professionnel en raison de leurs difficultés dans leurs relations avec la CGSS : On les

fait revenir dix fois pour un papier qu’ils avaient déjà dans leur pochette. Ca, c’est classique. Non, c’est une catastrophe. (59)

126 Là aussi, une assistante sociale pourrait vérifier que tous les patients qui peuvent y prétendre (c’est à dire la

grande majorité des patients suivis à Saint Laurent : enfants à charge, habitat insalubre, etc.) ont engagé la demande.

127 On a des patients sous trithérapie qui vivent entre quatre planches et deux tôles, ils n’ont pas l’eau et

l’électricité, ça fait réfléchir, quand même, sur l’observance thérapeutique, sur l’efficacité des traitements.

La plupart des patients touchent l’AAH, et souvent leur est versé au départ un an d’arriérés (pour cause de délai de traitement des dossiers), somme qui pourrait leur permettre de se faire construire une petite maison, d’une simplicité extrême, mais dont les quelques fonctionnalités métamorphoseraient leurs conditions de vie : au sec, avec l’eau et l’électricité. (59)

128 Le médecin ou l’infirmière du CISIH, à chaque consultation VIH, demandent à voir attestation CMU et carte

de séjour pour en vérifier les dates d’expiration. Quand je dis que je fais un boulot d’assistante sociale (…) une

partie de la consult, c’est ça, on vide le sac : « alors, où on en est ? Vous avez fait ci, vous avez fait ça ? Non ? Alors il faut aller chercher ça », etc. (59)

129 A la suite de l’enquête, AIDES Guyane (qui a également une antenne à Cayenne) s’est séparée de AIDES

L’activité la plus importante de AIDES est l’aide dans les démarches administratives, et en particulier à la régularisation du séjour sur le territoire, étant donné la forte proportion de séropositifs étrangers. C’est d’ailleurs le premier motif de venue des usagers. (5) Mais cet investissement de AIDES se fait aux dépends du secret médical, puisque chaque dossier suivi par l’association est estampillé d’un tampon sida130.

La seconde activité la plus importante est humanitaire, une part élevée des usagers étant en situation de grande précarité économique : beaucoup de colis alimentaires sont donnés, et notamment des dons de lait et de couches, en raison des taux élevé de grossesses dans le cadre de la séropositivité. Des médicaments peuvent être achetés.

Le médecin du CISIH aimerait obtenir un poste d’assistante sociale pour le CISIH ou au réseau ville-hôpital, laissant alors AIDES se réorienter sur ses fonctions d’accompagnement psychologique, de militantisme (aucune revendication politique n’émane actuellement de l’association, telle que la remise en cause de pratiques administratives ou médicales), information, prévention131 et se décharger des tâches administratives et sociales. En effet, en l’absence d’assistante sociale « VIH » et de service social de secteur (cf. infra), AIDES joue le

rôle d’assistante sociale pour le CISIH. (59) Pour BUTON (2002), cette position

« d’auxiliaire de la médecine » de l’association dans le dispositif de lutte contre le sida n’est pas propre à AIDES Saint Laurent, elle s’applique également à AIDES Cayenne (malgré la présence d’une assistante sociale au CISIH de Cayenne et d’un service social de secteur) puisque l’essentiel de son activité est également consacré au soutien matériel et administratif de patients en situation de grande précarité sociale, en l’absence d’action politique. Selon BUTON (2002), les responsables eux-mêmes de l’association justifient cette absence par la très forte stigmatisation dont la maladie fait l’objet en Guyane.

Notons enfin que l’activité de l’association, très importante ces dernières années, s’est ralentie en raison de remaniements de l’équipe, problème récurrent de l’activité associative en Guyane132.

Couverture maladie

60% des patients de la file active VIH de Saint Laurent bénéficient d’une couverture maladie (67), proportion à peu près semblable à celle de l’ensemble des patients hospitalisés dans cet hôpital. Mais les patients séropositifs connaissent plus fréquemment que d’autres des situations de précarité socio-économique, et c’est au prix de l’investissement particulier sur le plan social de l’équipe du CISIH 133 qu’est obtenu ce taux de couverture.

La file active de Cayenne jouit d’un bien meilleur taux : 70% des patients y étaient déjà couverts avant les réformes législatives qui ont encore considérablement facilité l’accès à une

130

(…) mais petit à petit on en est venu à tant pis : on passe outre, c’est à dire qu’on abandonne ce principe absolu d’anonymat et de confidentialité parce que quand on met dans la balance l’urgence sociale, ça ne pèse pas lourd. (59)

131 Des actions de prévention sont réalisées : information tout public (au local et interventions extérieures),

distribution gratuite et gestion des points de vente de préservatifs à 1 Franc.

132 Le changement de personnel a impliqué une discontinuité dans les manières de faire, notamment dans la

complémentarité avec les assistantes sociales de l’hôpital, complémentarité qui avait fait l’objet de mises au point avec l’équipe associative précédente.

133 Le médecin du CISIH reconnaît suivre de plus près la situation sociale de ses patients séropositifs que celles

couverture maladie : la loi dite Chevènement en 1998 et la réforme CMU-AME de 1999134. Cet écart de couverture entre la file active de Saint Laurent et celle de Cayenne est attribué aux situations sociales plus souvent compliquées des patients de la seconde (notamment celles des Noirs Marrons vivant sur le fleuve) mais aussi aux défaillances de l’organisation du service social à l’hôpital de Saint Laurent, que l’on a dites plus haut.

Titre de séjour pour soins

L’infection à VIH a motivé 56% des demandes de titres de séjour pour soins en Guyane pendant l’année 2001135. 145 des 146 demandes en matière de VIH ont été acceptées cette année-là (les conditions d’obtention de ces titres sont présentées dans le chapitre sur la légitimité des soins des étrangers).

En Guyane, l’ensemble des personnes bénéficiant d’une autorisation de séjour pour soins représente 20% de la file active hospitalière. A Saint Laurent, cette proportion atteindrait 50%. (59)

La procédure

- un médecin (un médecin de ville agréé par la DSDS ou tout médecin de l’hôpital) rédige un certificat médical

- une assistante sociale (ou un agent de AIDES) constitue le dossier administratif : photocopies de l’acte de naissance et du passeport, attestation de résidence (une facture ou une quittance de loyer, ainsi qu’un certificat d’hébergement le cas échéant avec photocopie de la pièce d’identité de l’hébergeant, avis d’imposition (sur lequel est notée l’adresse)) et lettre motivée du patient adressée au sous-préfet

- elle envoie au MISP de la DSDS ce dossier administratif (destiné à la sous-préfecture), incluant, dans une enveloppe fermée et confidentielle, le certificat médical (destiné au MISP). Celui-ci

- émet un avis, qu’il transmet à la sous-préfecture, en y joignant le dossier sous- préfecture que lui a envoyé l’assistante sociale

- envoie un courrier à l’assistante sociale, l’informant des dates auxquelles le dossier a été reconnu complet et transmis à la sous-préfecture136.

134 La loi dite Chevènement permet la régularisation du séjour des étrangers malades. La réforme CMU-AME

permet l’obtention d’une couverture maladie à ceux qui n’en avaient pas avec le système antérieur (les étrangers en situation irrégulière surtout) et une complémentaire à ceux qui en avaient déjà une de base (couverts

désormais à 100% pour tout grâce la CMU complémentaire (et plus uniquement pour le VIH)) (pour les étrangers en situation régulière et les Français).

135 Les demandes de titres de séjour pour soins, pour l’année 2001 émanaient de ressortissants d’Haïti (56%), du

Surinam (27%), du Guyana (9%) et du Brésil (8%).

136 Pour les patients suivis à Cayenne, les dossiers sont adressés à la préfecture (et non la sous préfecture), en

revanche c’est le même MISP à la DSDS qui gère les dossiers de tout le département.

Notons par ailleurs que cette procédure n’est pas celle préconisée par la législation : les dossiers devraient être envoyés directement à la préfecture. Celle-ci adresserait ce qui le concerne au MISP pour qu’il donne son avis médical. La plupart des acteurs interrogés justifient la procédure guyanaise par sa plus grande rapidité, la réduction des risques d’égarement des pièces par limitation des nombres d’envois.

Remarquons enfin ce curieux commentaire de la DSDS dans son bilan 2001 : « Ce faible pourcentage [un avis défavorable de la DSDS a été donné pour 12 demandes sur 259] par rapport à celui observé en métropole s’explique par le fait que les dossiers de demandes sont envoyés d’abord à la direction de la santé. ». Il est donc sous-entendu que la procédure joue in fine sur le résultat de la démarche ??

Le sous-préfet, quand il reçoit son dossier et l’avis du MISP, convoque l’étranger malade et charge la gendarmerie de réaliser une enquête137, systématique pour les premières demandes, visant à vérifier la réalité du domicile, l’absence d’antécédents judiciaires (troubles de l’ordre public) et le degré d’intégration138. Il prend sa décision au vu de l’avis du MISP et des éléments de l’enquête gendarmerie (notons que les gendarmes interrogés (64) regrettent que les conclusions de leurs enquêtes semblent fort peu prises en compte par la sous préfecture). La nécessité d’une enquête de gendarmerie au domicile de la personne peut décourager l’éventuel hébergeant de rédiger un certificat d’hébergement, si pour une raison ou une autre (comme un séjour irrégulier), il ne veut pas voir les gendarmes arriver chez lui139, ou bien encore s’il comprend à cette occasion de quelle pathologie est atteint le patient et refuse alors de le garder chez lui. (83) Les gendarmes interrogés (64) se plaignent de rarement trouver la personne au domicile qu’elle a indiqué140, ce qui peut être dû à un changement d’adresse en cours de traitement du dossier (situation fréquente chez ces étrangers en grande situation de précarité (maladie, séjour irrégulier) (5).

Les décisions de la sous-préfecture

Le MISP de la DSDS traite rapidement et donne un avis favorable à la grande majorité des demandes qu’il reçoit. Au niveau de la sous préfecture en revanche, la procédure prend du temps, il faut rappeler, demander où en est le dossier, rester vigilant quant aux réponses données. Il faut compter au moins deux mois pour qu’une demande aboutisse141. Surtout, les professionnels soignants et sociaux et les membres de AIDES contestent la régularité de certains refus142. Des réunions ont été organisées avec les agents de la sous-préfecture pour discuter de la procédure générale comme de dossiers particuliers (d’où l’importance que AIDES adopte une attitude plus militante) même si, sur les trois dernières années, une bonne centaine de dossiers ont été acceptés (plus de 50% de la file active de VIH était composée d’étrangers en situation irrégulière, file active s’élevant près de 200 patients lors de l’enquête).

137 A Cayenne, il n’y a pas d’enquête. (82)

138 Les gendarmes remplissent un questionnaire : la personne est-elle bien intégrée, parle-t-elle bien français, est-

ce qu’elle a des enfants scolarisés, etc. (64)

139 Par exemple, une femme refuse de signer l’attestation d’hébergement (une croix) pour la femme qu’elle

héberge sur un hamac, car elle a hérité de son terrain à la mort de son mari, or cette propriété est contestée par la mairie qui lui demande de payer une lourde amende .. bref, elle ne veut pas avoir plus d’ennuis qu’elle en a déjà. Ce n’est que grâce à l’intervention de la médiatrice culturelle et du kabiten qu’elle acceptera de signer

l’attestation d’hébergement. (66)

140 Il s’en suit alors soit le refus du dossier, soit le dépôt par les gendarmes d’une convocation (demandant à la

personne de se présenter à son domicile à une date ultérieure), soit encore la délivrance d’un titre de séjour de trois mois, suivi d’un nouveau passage des gendarmes. (59, 64)

141 Pour un médecin (49), les délais ne posent pas de réel problème puisque du point de vue médical, les frais

sont couverts par l’AME (qui est demandée en urgence) et du point de vue du séjour en France, les médecins du CISIH remettent à leurs patients en attente d’une carte de séjour un certificat attestant de leur suivi au CISIH. Ces étrangers, quand ils sont arrêtés et placés en centre de rétention, présentent ce certificat aux agents de la PAF, lesquels appellent alors le CISIH, et libèrent les malades une fois que leur suivi leur a été confirmé. On verra que ce n’est cependant pas toujours le cas.

142 Le préfet a un droit de réserve par rapport à l’avis du médecin de la DSDS et quand il refuse le titre alors que

Voici quelques exemples de ces refus considérés irréguliers :

- Après successivement trois cartes de séjour pour soins d’un an, l’étranger devrait obtenir une carte de résident de dix ans. Il arrive qu’au lieu de celle-ci, des cartes de trois mois lui soient successivement délivrées. Et pour ces titres de séjour de trois mois, la CGSS refuse d’ouvrir des droits à une CMU, ce qui est illégal143.

- Une demande de renouvellement de titre de séjour pour soins est refusée au motif que l’intéressé n’était pas détenteur d’un visa lors de son entrée sur le territoire : il a pourtant déjà bénéficié de trois titres de séjour pour soins successifs et se trouve donc en situation régulière depuis trois ans. (2)

- Des arrêtés d’expulsion sont envoyés à des patients porteurs d’un titre de séjour pour soins. (67)

143 C’est le cas de Mme M, guyanienne, qui en est à son cinquième titre de séjour de trois mois, sans que

personne ne sache pourquoi. il n’y a aucune raison : elle a un domicile, le document médical en bonne et due

forme, elle a toutes les pièces qu’on peut imaginer, elle a déjà eu des titres de séjour, elle a même eu une fois un titre de séjour qui n’était même pas pour soins, je ne sais plus quelle était la cause, réfugiée, j’en sais rien, elle est bardée de titres de séjour, cette femme, elle ne fait que demander, depuis le temps qu’elle en a, qu’on lui file pour dix ans, il serait peut-être temps ! Non ! Un cinquième de trois mois. (59) Tous les trois mois, il lui faut

recommencer toutes les démarches Assedic, titre de séjour, CMU, AAH … alors qu’elle est malade et fatiguée. Quand le MISP appelle la sous préfecture pour savoir ce qui se passe (AIDES n’appelant pas pour éviter la reconnaissance du VIH), des raisons différentes lui sont données à chaque fois (les gendarmes n’avaient pas trouvé la personne à l’adresse indiquée, ils s’étaient apparemment trompés de numéro de rue ; il faut attendre, etc.) (22).