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Les obstacles à l’accès aux soins habituels en Guyane sont ici exacerbés. Ils tiennent aux caractéristiques de la population et à celles de l’offre sanitaire.

Les premières sont d’abord d’ordre socio-économiques : précarité économique (1 patient sur 4 suivis au CISIH de Saint Laurent a un travail déclaré en 1999-2000, de nombreux patients sont en situation irrégulière (du moins au début de leur prise en charge, puisque après ils peuvent se faire régulariser au titre de leur maladie), les difficultés matérielles s’associant à la crainte des déplacements par peur des arrestations.

Elles sont ensuite d’ordre culturel : barrière de langue (aggravée en cas d’illettrisme (gêne à la compréhension du traitement), représentations de la maladie et du soin, de la maternité (réticences à la césarienne). Les patients peuvent additionner explications et remèdes biomédicaux et traditionnels sans contradiction, accroissant à leur vue les chances de guérison119, les seconds pouvant entraîner ou non des retards à la prise des premiers120. Une

118 L’épidémie est en particulier moins dramatique sur l’autre fleuve transfrontalier de la Guyane, l’Oyapock, où

les populations amérindiennes, à l’instar des Noirs Marrons du Maroni, vivent de part et d’autre du fleuve. La prévalence dans l’Amapa (Brésil), Etat frontalier de la Guyane, y est en effet moindre qu’au Surinam (plus de campagnes de prévention) et le Brésil dispose, en théorie, d’antirétroviraux. Cependant la situation est susceptible de s’aggraver. On estime qu’environ 20 000 Brésiliens vivent en situation irrégulière en Guyane, dont une grande partie sur les sites clandestins d’orpaillage, où les risques d’infection au VIH ont été soulignés. En outre, l’évolution brutale du mode de vie des Amérindiens (avec alcoolisme, violences, etc.) peut également favoriser la progression de l’épidémie. (CONSEIL NATIONAL DU SIDA, 2003)

119 Une enquête réalisée en 2001 sur un échantillon randomisé de 114 patients séropositifs, dont 73% traités par

trithérapies, parmi les patients suivis dans les hôpitaux de Cayenne et de Saint-Laurent en 2001, révèle que le taux de patients utilisant un traitement traditionnel à base de plantes est bien supérieur à Saint Laurent qu’à Cayenne, avec plus souvent à Saint Laurent l’objectif de traiter le VIH :

- le taux de patients utilisant un traitement traditionnel à base de plantes est de 73% (62% à Cayenne, 88% à Saint Laurent, p<0,01) : peros (82%) et/ou par application cutanée (36%).

spécificité de l’offre de soins guyanaise est d’ailleurs la présence d’un médiateur culturel dans les services de médecine hospitaliers affectés au VIH, depuis 1996 à Saint Laurent, 2000 à Cayenne.

Au total, les conditions de vie socio-économiques et les données culturelles dans l’Ouest Guyanais apparentent la situation guyanaise plus à celles que connaissent les pays voisins en voie de développement (le Surinam et le Guyana) qu’à celle de la France, alors que son lien politique assure une prise en charge gratuite et en particulier un accès gratuit aux trithérapies. Le CISIH de Guyane s’est saisi de cette double appartenance pour proposer en 2002 une étude sur les déterminants de l’observance thérapeutique121 auprès d’une population présentant des

caractéristiques proches de celles des pays non industrialisés, permettant alors ensuite l’extrapolation aux populations africaines et caribéennes quand elles pourront à leur tour bénéficier de l’aide internationale en matière de traitement antirétroviral. (CISIH, 2002)

Il s’agit ensuite de l’offre de soins, concentrée à l’hôpital de Saint Laurent quand le territoire de l’Ouest est vaste et caractérisé par des difficultés de circulation.

A Saint Laurent, le pôle essentiel de la prise en charge est le CISIH (Centre d’Information et de Soins de l’Immunodéficience Humaine), dont la fonction est la mise en cohérence des actions de lutte contre l’épidémie, la prise en charge des malades et l’analyse de l’évolution de l’épidémie grâce à ses rapports annuels.

La file active de séropositifs suivis à l’hôpital de Saint Laurent est de 180 patients mi-2002 (128 mi-2000), contre 450 à Cayenne. Outre cette file active, le service de la maternité prend en charge le traitement et l’accouchement des grossesses des femmes séropositives pour le VIH (28 en 2001) et celui de pédiatrie le suivi des enfants séropositifs (10 en 2001). Par

- 33% des patients qui utilisent un traitement traditionnel le destinent à soigner l’infection à VIH (15% à Cayenne, 50% à Saint Laurent).

- 60% des patients traités par trithérapies utilisent un traitement traditionnel, 68% des autres (différence non significative).

(COUPPIE et al, 2002)

Un médecin de Cayenne déclare d’ailleurs : « ici la véritable trithérapie sera de faire cohabiter la biomédecine avec la médecine traditionnelle et le vécu magico-religieux des malades». (FARINE, 2002)

120 JOLIVET (2002) décrit comment, en matière de prévention de la contamination par le VIH, le port du

préservatif est freiné par des paradigmes communs à la culture noire marronne et à l’occidentale, comme la crainte que les préservatifs altèrent la puissance sexuelle masculine et le plaisir. Mais il l’est aussi en raison de représentations plus particulières à l’appréhension noire marronne de la maladie. L’apparition d’une nouvelle maladie entraîne toujours la nécessité de la comprendre, pour s’en protéger ou la guérir. Ici, le système

nosologique noir marron, cumulatif (il a beaucoup emprunté aux diverses cultures en présence) a intégré le sida en l’associant à une catégorie déjà répertoriée (le kandu), dont on se protège avec un obia (remède traditionnel), tandis que les préservatifs prônés par les campagnes de prévention ne sont pas utiles. Ces obia peuvent aussi guérir.

Cependant le recours à l’accès aux soins est lui aussi cumulatif, et consulter un obiaman de son clan n’empêche pas d’aller en consulter un d’un autre clan, ou un thérapeute haïtien comme un dispensaire bio-médical.

121 Le traitement du VIH pose des problèmes particuliers d’observance (médicaments nombreux, pas toujours

bien tolérés, à prendre quotidiennement à vie même sans symptôme, etc.) alors même que les exigences en la matière sont élevées. Si en effet pour les maladies chroniques, une observance supérieure à 80% est

généralement considérée suffisante, il semble que pour le VIH il lui faut atteindre 95% pour éviter l’apparition de souches virales résistantes. L’accès au Brésil de traitements génériques gratuits s’accompagne ainsi du développement d’une forte résistance virale. L’observance est en effet cruciale tant pour obtenir une efficacité maximale que pour éviter la sélection des souches virales. Elle dépend de la situation socio-économique mais aussi des représentations sur la santé, la maladie, le traitement, le rapport soignant-patient, etc. (CISIH SAINT- LAURENT, 2002)

rapport à l’ensemble de la file active guyanaise, celle de Saint Laurent est plus jeune, avec des proportions supérieures de femmes (64% contre 57%), d’étrangers (environ 75% contre 60% ; 1 patient sur 2 est surinamien), de personnes dépourvues de toute couverture maladie (40%) et de patients non traités par des antirétroviraux. La file active de Saint Laurent exacerbe ainsi les caractéristiques de la file active départementale.

Quand ils sont hospitalisés, ces patients le sont dans le service de médecine qui comporte 20 lits. En 1999, les patients VIH occupaient 8% des lits d’hospitalisation et représentaient plus de la moitié des consultations externes en médecine. Environ 600 tests sont réalisés par an à la CDAG (Consultation de Dépistage Anonyme et Gratuit).

4 professionnels interviennent au CISIH :

- un PH (également en poste au service de médecine) prend en charge les consultations et les suivis de patients hospitalisés ;

- une infirmière CISIH à plein temps réalise les prélèvements sanguins de dépistage et l’information des patients et du personnel à l’infection par le VIH ;

- une anthropologue qui étudie depuis de nombreuses années les sociétés noires marronnes et en particulier les représentations du corps chez les Ndjuka assure la médiation culturelle (poste créé en 1996, d’abord subventionné dans le cadre du CISIH, puis intégré au budget de l’hôpital et mis à disposition de tous les services de l’hôpital) ;

- une coordinatrice des actions de prévention santé (non spécifiquement au VIH) dans l'Ouest guyanais.

L’équipe en poste aimerait se voir complétée d’un psychologue et d’une assistante sociale. L’analyse des prélèvements sanguins dans le cadre du dépistage du VIH est réalisée par le service de biologie de l’hôpital depuis 1987 et le calcul de la charge virale l’est depuis 1995. Un réseau ville hôpital pour le sida et les hépatites a été créé en 2001. Médecins de ville, infirmières libérales, personnel hospitalier, membres d’associations, personnel de la PMI et du CMS (centre médico-social) assistent à des séances d’information générale, tandis que des échanges d’information sur des patients particuliers s’instaurent entre les médecins de ville et le PH du CISIH, les premiers commençant à prendre le relais du second pour une prise charge globale122.

L’EMIPS est une équipe mobile d’intervention et de prévention mise en place par l’hôpital et financée par la DSDS, qui organise des séances d’information sur le fleuve. Centrée initialement sur le VIH, son activité s’étend désormais aux autres MST et aux questions d’hygiène. A l’image de la plupart des autres associations en Guyane, sa jeune existence (moins de trois ans) a déjà été marquée par plusieurs remaniements de personnel. Se sont relayés au poste d’animateur un médecin, un pharmacien et enfin aujourd’hui une sage femme (bientôt secondée d’une infirmière), après six mois de vacance du poste.

Les séances se tiennent dans des villages du fleuve, elles durent une heure environ et sont suivies d’une demi-heure de questions. Les missions sont mensuelles, d’une durée de 10 à 12 jours (y compris le temps de transport), chacune centrée sur une région particulière du fleuve.

122 A Cayenne, le réseau ville-hôpital s’est centré sur la prévention de la transmission mère-enfant, étant donné

les caractéristiques de l’épidémie locale (transmission hétérosexuelle, proportion importante de femmes séropositives, avec un taux élevé de naissances d’enfants infectés), mais maintenant fait défaut un relais de ville pour les adultes séropositifs (un seul médecin généraliste est compétent en la matière). (46)

Le territoire couvert s’entend jusqu’au territoire amérindien (à l’exception d’Antecume Pata, par refus de la communauté locale).

L’animateur est accompagné de deux piroguiers noirs marrons, qui outre le transport, assurent la traduction et une certaine médiation culturelle. Cette nécessaire dépendance envers un personnel non qualifié en matière sanitaire pour réaliser l’objectif-même de la mission crée d’ailleurs quelques malaises. La direction hospitalière refuse de tenir compte de cette dimension de leur activité dans leur rémunération. Deux des animateurs interrogés dans le cadre de cette enquête expriment leur regret de devoir s’en remettre à eux alors qu’ils ne font pas toujours preuve de professionnalisme123.

Enfin, dernière particularité associée au contexte guyanais, cette activité ne peut être réalisée qu’en coopération avec les actions menées parallèlement sur l’autre rive du fleuve. Par exemple, les séances de l’EMIPS se tenant dans des villages de part et d’autre du fleuve, elles peuvent mettre en porte à faux l’équipe de prévention surinamienne qui vend des préservatifs alors que l’EMIPS les donne, l’équipe surinamienne se retrouvant avec des stocks d’invendus. En outre, les préservatifs donnés côté français peuvent être revendus côté Surinam. (61, 24) La DSDS a mis en place un programme d’intervention pour la période 2002-2005, les commissions de programmation régionale pour le sida. Des groupes de travail se sont réunis, pour réfléchir à une approche plus diversifiée de la prévention : la communication, le dépistage, les jeunes, la prévention en milieu de nuit, les quartiers (surtout pour Cayenne) et l’Ouest guyanais.

Le centre de santé d’Albina, situé en face de Saint Laurent, dont les soins sont gratuits pour la fraction la plus pauvre de la population, ne dispose pas de consultations de spécialistes, de traitement anti-rétroviral ni même de test de dépistage du VIH.