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Nous venons de brosser très succinctement les contours de l’altérité tels qu’ils apparaissent dans les discours tenus sur l’accès aux soins.

Mais les relations interethniques sont façonnées par un ensemble complexe de rapports sociaux, économiques, etc. et la présentation qui précède aurait pu être mise en relief par la confrontation à des discours tenus dans d’autres domaines de la vie sociale (l’accès au logement, à l’emploi, à l’instruction, etc.), que n’ont pas explorés nos entretiens, limités au thème de l’accès aux soins150.

Il semble en revanche indispensable de s’arrêter sur la configuration historique de ces rapports interethniques151. Comment l’analyse qui précède peut-elle s’inscrire dans le cadre évolutif des rapports qu’entretiennent et ont entretenus les Créoles avec les trois sous-groupes identifiés : l’Etat, les minorités « du pays » et les étrangers152 ?

149 De la même façon, sont mis en présence sur le sol guyanais des étrangers, des Guyanais, mais aussi des

Métropolitains. L’analyse doit tenir compte de ce que les discours recueillis s’adressaient à une Métropolitaine, donc peu ou prou représentante de cet Etat et investie dès lors d’une mission de témoignage (il faut « faire remonter »).

150 Par exemple, des entretiens menés sur la situation de l’emploi aurait pu présenter les étrangers non pas

comme des assistés dont on déplore le coût social mais comme des concurrents sur le marché de l’emploi.

151 Les propos développés ici s’inspirent des travaux suivants : BONNIOL (1992) ; CHERUBINI (1986) ;

COLLOMB & JOLIVET (2001) ; FAUQUENOY (1990) ; GALLIBOUR (1996) ; LINGIBE (1998) ;

MARCHAND-THEBAULT (1987) : MAM-LAM-FOUCK (1987)) et tout particulièrement ceux de JOLIVET (depuis 1982).

152 DE RUDDER et al (2000) rappellent combien le contenu de l’ethnicité et son importance dans l’interaction

sont tributaires de l’histoire. Modes d’organisation collective, identifications et les traits culturels qui en forment les attributs sont variables, mais les situations qui président à la différenciation ne le sont pas : l’infériorisation, l’inscription dans des relations inégalitaires et un ordre hiérarchique se font sur le long terme.

La segmentation raciale blanc-noir

La compréhension de ce phénomène, incontournable pour toute étude s’intéressant aux relations interethniques dans une société issue d’un système esclavagiste, nous ramène aux débuts de l’histoire guyanaise.

Dans la seconde moitié du 17ème sicle, le peuplement européen ne progressant pas, démarre l’importation d’esclaves en provenance des colonies d’Afrique.

Le système esclavagiste va perdurer deux siècles. Mais peinant à prendre pied dans un milieu naturel hostile (« l’enfer vert »), isolée du trafic des armateurs (courants et vents sont défavorables à l’accès de ses côtes, et surtout elle offre peu de ressources intéressantes pour les commerçants), et enfin présentant peu d’intérêt aux yeux de sa métropole (sinon qu’en tant que soutien logistiques pour les colonies antillaises), la colonie guyanaise reste peu développée démographiquement et économiquement. Un cercle vicieux se dessine : les colons étant trop pauvres pour acheter des esclaves, leurs plantations ne peuvent pas s’enrichir.

Une autre spécificité de la plantation guyanaise tient dans la moindre prégnance de la segmentation raciale dans la société qu’elle va engendrer. Comme dans les autres plantations, les maîtres sont blancs et libres, les travailleurs sont noirs et esclaves, et la segmentation raciale devient peu à peu la clé de voûte du système (en témoigne l’évolution du Code Noir153), elle se juxtapose à la stratification sociale (maîtres/travailleurs) et à la coupure juridique (libres/esclaves) pour donner au système son troisième « verrouillage » (BONNIOL, 1992). Son empreinte marquera cependant moins nettement qu’ailleurs - notamment dans les Antilles voisines - la structuration de la société créole guyanaise qui s’épanouira après l’abolition de l’esclavage. Pourquoi cette moindre rémanence ? Plusieurs explications sont avancées.

Certaines s’inscrivent dans le passé esclavagiste. On a dit les difficultés du développement des plantations guyanaises. Dans la plupart d’entre elles (400 sur 500), on compte moins de dix esclaves, qui partagent souvent les conditions de vie, misérables, de leur maître154 : la dichotomie des statuts s’en trouve peut-être amoindrie.

Les autres, plus convaincantes, intéressent la suite de l’histoire guyanaise. Retenons-en trois. Après 1848, les libérés refusent de rester travailler sur les plantations, ils se dispersent sur le vaste territoire guyanais, défrichent des lopins de terre, installent leurs habitations (au sens, désormais, de petites maisons créoles abritant généralement la famille nucléaire). Là, ils mettent en œuvre une agriculture de subsistance, au moyen d’une technique apprise auprès de leurs anciens maîtres, qui la tenaient eux-mêmes des Indiens, à savoir l’abattis, pratique

153 Le Code Noir, promulgué en 1685, définit la condition juridique des esclaves, êtres meubles qui peuvent, par

l’affranchissement, jouir des mêmes droits que les personnes nées libres. Ce texte oppose simplement des hommes libres à des esclaves (certes noirs). Même si la race n’y apparaît toujours pas en tant que catégorie juridique, la seconde version du Code Noir (qui s’impose en Guyane en 1741), oppose désormais des Noirs ou des Nègres, libres ou esclaves, à des Blancs, les premiers, mêmes libres, ne pouvant plus jouir des mêmes droits que les seconds : sous la pression des colons, les textes juridiques font dorénavant correspondre distinction de statut et distinction de couleur, de façon à ce que ceux qui ont le statut juridique des Blancs mais qui sont de couleur (les affranchis, leurs descendants, les métis, voire comme à Saint Domingue les Blancs s’étant « mésalliés » avec un conjoint de couleur) ne puissent être traités comme des Blancs. (BONNIOL, 1992 ; LOCHAK, 1992).

154 Ces habitations ne représentent certes qu’une minorité des esclaves puisque ces derniers sont majoritairement

agricole itinérante sur brûlis. Les plantations vont rapidement disparaître, incapables de faire face à la fuite de leur main d’œuvre, ni d’en faire venir suffisamment d’ailleurs (les travailleurs engagés d’Inde, etc.). Le groupe des colons blancs va s’éteindre avec elles, à la fin du 19ème siècle (ils sont nombreux à être repartis en métropole, les autres se sont métissés) : il n’y a donc plus de pôle blanc créole, contrairement aux sociétés antillaises (on a vu ci-dessus qu’en Guyane, le terme de « créole » ne se réfère qu’aux Noirs nés sur place). En effet, aux Antilles à l’inverse, les libérés ne peuvent pas massivement quitter les plantations car ils ne jouissent pas du même espace qu’en Guyane. La plupart d’entre eux étant contraints de rester sur les terres de leurs anciens maîtres155, le rapport de domination antérieur se perpétue.

Ensuite, la ruée vers l’or, dont le coup d’envoi est donné moins de dix ans après l’abolition de l’esclavage, permettra à chacun de tenter sa chance sous la forme du travail solitaire des placers perdus dans la forêt. Même si le rapport dominant- dominé subsistera, à travers la dépendance des orpailleurs (plus souvent noirs) envers les commerçants et les colporteurs du littoral (plus souvent blancs), l’illusion de l’autonomie, nourrie par l’individualisme naissant qui caractérisera par la suite la société créole, peut expliquer la moindre persistance de la segmentation raciale.

Enfin, il ne faut pas oublier le « triste spectacle » (JOLIVET) que le bagne (1852-1938) offre au regard créole : les bagnards (blancs pour la plupart) sont tous plus miséreux que le plus pauvre des Créoles. Certains travaillent même au service de ces derniers. L’impact idéologique fort probable de la déportation pénale - enclenchée juste après l’abolition, terminée juste avant la départementalisation, soit près d’un siècle plus tard - doit malgré tout être relativisé, puisque même pendant cette longue période, les dominants sont restés des Blancs et, hors de ce cadre précis, c’est par des Créoles qu’est encore occupé le bas de l’échelle sociale.

L’assimilation

Entendons-nous bien. Le paragraphe ci-dessus ne vise pas - évidemment - à démontrer une indifférence des Créoles guyanais à la couleur de la peau. Il tente plutôt d’expliquer pourquoi cette perception n’a pas servi, comme en Martinique par exemple, de moyen exclusif de différenciation sociale. La « barrière de couleur »156 en Guyane n’est pas aussi prégnante qu’ailleurs. Ainsi en témoignent par exemple deux absences : pas de terminologie complexe pour décrire les différentes nuances de la coloration de l’épiderme, pas d’attention minutieuse portée aux généalogies.

Mais si le processus de conditionnement idéologique enclenché par le système esclavagiste guyanais ne s’attache pas, ou moins qu’ailleurs, aux aspects phénotypiques, il n’est pas pour autant absent de la société créole : c’est sous la forme de l’assimilation, au sens où l’entend JOLIVET d’occidentalisation, qu’il l’imprègne toute entière. Une assimilation d’abord contrainte, du temps de l’esclavage (christianisation et inculcation de valeurs morales telles que celle du travail)157, qui a pris de la puissance pendant la ruée vers l’or (les Créoles

155 JOLIVET (2000) modère cependant cette assertion, en référence à la thèse de Christine Chivallon, « Espace

et identité à la Martinique. Paysannerie des mornes et reconquête collective 1840-1960 », Paris, CNRS éditions.

156 Tous les métis rejoignent les Noirs dans le groupe de couleur, le groupe blanc restant non métissé.

157 Côté Surinam au contraire, la politique aux 17 et 18èmes siècles était de renforcer l’opposition culturelle entre

les colons blancs et les esclaves : on a poussé les Africains, non pas à assimiler les valeurs occidentales, mais au contraire à maintenir leur culture originelle, jusqu’à l’émancipation. Résultat, Noirs Marrons et Créoles

aspirent à quitter l’austérité des placers pour rejoindre les rangs des commerçants, sur le littoral) et s’est épanouie avec la départementalisation et l’importation qu’elle a impliquée, via les fonctionnaires métropolitains entre autres, du mode de vie occidental.

Le rapport aux autres

L’étude du processus d’assimilation nous semble ainsi potentiellement plus heuristique que celle de la segmentation raciale. Déroulons-en le fil, en prolongeant notre retour historique, pour mieux saisir les enjeux des positionnements identitaires des Créoles vis à vis des trois groupes de protagonistes qui nous intéressent, à savoir les Noirs Marrons, les étrangers et l’Etat.

Les premiers, avec les Amérindiens, se sont vus attribués les positions les plus basses de la hiérarchie sociale inspirée par le processus d’assimilation. Les Créoles ont en effet non seulement adopté les valeurs et les ambitions de la société occidentale, mais ils ont aussi, dans un même mouvement, marqué leur séparation d’avec les exclus de cette dynamique158(une exclusion d’ailleurs pas seulement imposée, Noirs Marrons et Amérindiens n’affichant pas de désir d’intégrer ladite société et vivant entre eux dans l’Intérieur).

Cette exclusion a trouvé une traduction concrète avec le partage administratif de la Guyane en deux arrondissements en 1930. A la bande côtière du Nord s’oppose l’immense territoire de l’Inini au Sud, qui couvre les 9/10ème du pays et où résident principalement Noirs Marrons et Amérindiens, populations dîtes « tribales » (selon la terminologie couramment employée à l’époque, qui avait succédé à celle de « primitives » qui elle-même s’était substituée à celle de « sauvages », toutes chargées des mêmes connotations péjoratives). Lorsqu’en 1947 est lancée la départementalisation, seul le littoral est concerné, le territoire de l’Inini se voit attribué l’ambigu statut de « nation indépendante sous protectorat ».

Vingt ans plus tard, si les élus guyanais (créoles) demandent l’intégration de l’Inini au département de la Guyane, ce n’est probablement pas par solidarité avec les peuples qu’il abrite. Bien plutôt, les réserves en bauxite, or et bois que recèle ce territoire éveillent des intérêts politiques. Les subventions publiques versées aux communes étant proportionnelles à leurs populations respectives, les Amérindiens et les Noirs Marrons de l’Inini sont tout volontiers enregistrés sur les registres d’état civil (depuis, les temps ont changé, on y reviendra dans le chapitre sur les jugements déclaratifs de naissance).

L’Etat français, heureux d’en finir avec les relents coloniaux du statut de l’Inini, accepte de supprimer celui-ci. La Guyane, désormais département français dans l’intégralité de son territoire, fait alors l’objet d’un nouveau découpage administratif en deux arrondissements, Est et Ouest.

Il faut encore attendre une vingtaine d’années avant que les populations « tribales » ne se voient revalorisées au sein de la hiérarchie sociale créole. Plusieurs facteurs expliquent ce retournement progressif de situation.

(descendants des esclaves émancipés) surinamiens partagent conceptions et pratiques, au sein d’un ensemble culturel afro-surinamien. (VERNON, 1992)

158 On peut dresser un parallèle avec les Antilles des 18-19èmes siècles, où les mulâtres se démarquent des Noirs

pour mieux se rapprocher des Blancs. « (…) un mulâtre hait son père et méprise sa mère. » (Schoelcher cité par BONNIOL (1992)) (car dans les colonies, le métis est quasi systématiquement l’enfant d’une mère noire et d’un père blanc.)

Le principal est une remise en cause, par les Créoles, du processus d’assimilation. Celui-ci était soutenu par l’espoir de chacun de connaître une promotion sociale, pour lui-même ou pour ses enfants. Mais les tentatives successives de décollage économique départemental se sont toutes soldées par des fiascos, et bien qu’elle soit plus instruite que la précédente, la jeune génération doit faire face à un chômage important. La prise de conscience progressive de l’échec de ces projets économiques conduit à une remise en cause de l’idéologie dans laquelle ils s’inséraient (l’occidentalisation). Se détournant de l’idéal occidental, les Créoles interrogent alors leur propre identité culturelle. Ces interrogations sont à l’origine d’un renversement d’attitude vis à vis des minorités comme des étrangers.

D’une part, la quête de leurs racines guyanaises conduit les Créoles, par effet d’inversion, à regarder en direction de ceux qui étaient jusqu’à présent tenus à l’écart du système de valeur occidental. Peuvent alors se voir inclus dans un mouvement identitaire « guyanisant » les Noirs Marrons, pour « l’authenticité » africaine supposée de leurs mœurs (la longue période pendant laquelle leurs communautés, sitôt nées, se sont tenues à l’écart des Blancs, serait censée leur avoir permis de préserver les éléments culturels importés d’Afrique, et ce d’autant plus que la plupart des esclaves marrons étaient bossales159), ainsi que les Amérindiens, pour la légitimité que leur octroie leur statut d’autochtones. Précisons que parallèlement à cette revendication de la créolité, sont apparues des revendications identitaires chez les Amérindiens, en particulier ceux de la côte, qui ne coïncident justement pas avec l’approche créole160.

D’autre part, la recherche d’une culture « authentique » - la créolité - met à mal le processus de créolisation161. Et avec ce dernier, c’est l’intégration des étrangers qui se trouve en panne, une intégration qui était déjà menacée par les difficultés économiques départementales dont on leur fait porter la responsabilité. L’immigration importante des dernières décennies a en effet réduit les Créoles à l’état de minorité, contribuant à leur volonté de se définir une identité ethnique en propre. Les Haïtiens par exemple ont fait les frais de ce repli identitaire, victimes ces vingt dernières années d’un violent rejet, eux qui sont pourtant créoles parfois francophones et donc a priori bien placés pour se fondre plus ou moins rapidement dans la société créole guyanaise - même s’il est évident qu’un processus d’intégration (de créolisation, en l’occurrence) implique d’autres dimensions qu’une langue et une couleur de

159 nés en Afrique.

160 Le panamérindianisme porte à l’échelle du continent tout entier la revendication de droit des peuples

autochtones, en contradiction avec les mouvements créoles qui pourraient demander une autonomie guyanaise basée sur le territoire strictement guyanais.

Simultanément, sur le territoire guyanais lui-même, le découpage en communes autorise l’expression des communautés autrefois marginalisées, conduisant par exemple à la scission de la commune d’Awala-Yalimapo (amérindienne) d’avec celle de Mana (créole), aux dépends, donc, de la représentation politique créole. Les Hmong demandent d’ailleurs, de la même façon, l’autonomisation de leurs villages. Les Créoles, notamment par la voie de Christiane Taubira, s’opposent à ces velléités, rappelant qu’il est hors de question de faire des

« communautés ethniques » … feignant d’ignorer que les communautés en Guyane sont toutes « ethniques » de fait (les Noirs Marrons d’un côté, les Hmong d’un autre …

161 Les concepts de créolisation et de créolité désignent deux moment d’un même phénomène - sa construction

et son état final - la créolité commençant là où la créolisation s’arrête. La créolisation procède par ouverture, accueil et entraînement des nouveaux-venus. La créolité est un phénomène de fermeture, qui nie les principes qui lui ont donné naissance et est avant tout une défense propre aux situations de minorité.

« A la dynamique du processus de créolisation se substituent ainsi la statique et la rigidité d’une conception plus substantialiste de l’identité : on entre dans le règne de la créolité. » (JOLIVET, 1997, p. 827)

peau communes : les facteurs politiques et économiques, pour ne citer qu’eux, ont évidemment leur rôle à jouer dans cette dynamique éminemment complexe.162

Vis à vis de l’Etat, enfin, l’amertume vis à vis des échecs de la départementalisation s’inscrit sur une longue relation de dépendance, basé sur un rapport de dominé à dominant, de la colonie envers la Mère Patrie, puis du département envers l’Administration, ce qui d’ailleurs ne change pas fondamentalement les choses : « l’Administration, incarnation du savoir et du pouvoir des Blancs en même temps qu’émanation de cette entité toute puissante que demeure la « Mère Patrie » » (p. 13, JOLIVET, 1982). On attend de l’Etat qu’il garantisse l’intégrité et l’unité du territoire guyanais et apporte son soutien face à la crise économique163.

Mais cette dépendance à l’égard de la métropole peut aussi être vectrice de ressentiment. Au- delà de son impact objectif en terme démographique, l’immigration est rejetée par les Créoles car elle touche une corde sensible, une blessure encore ouverte, le sentiment de ne jamais s’être franchement libéré de la métropole (contrairement aux Noirs Marrons), cette dernière se permettant d’implanter Ariane et des Hmong164 quand bon lui semble, ou « laissant faire » l’arrivée en force des Surinamiens. ... sentiment de ne pas avoir de pays propre car le territoire qu’ils occupent l’est aussi par d’autres.

Au total, suivre le fil du processus d’assimilation des créoles guyanais nous amène à mieux comprendre leur rapport à l’égard des Noirs Marrons et des Amérindiens (méprisés car moins assimilés, mais nécessaires à la revalorisation d’une identité créole qui « se cherche » depuis que déçoit l’idéal occidental), des étrangers (accusés des difficultés économiques départementales et porteurs de menace pour cette identité créole) et de l’Etat (envers lequel on attend, non plus peut-être les développements économiques promis, mais au moins qu’il réserve son secours à ceux qui le méritent, c’est à dire les Créoles guyanais).

162 Ainsi, Saintes Luciens et Martiniquais, bien qu’également créoles d’origines géographiques proches, n’ont-ils

pas connu les mêmes destinées, en terme d’intégration, les premiers venant prendre les places, sur le marché de l’emploi, que les Guyanais étaient heureux de leur laisser, tandis que les seconds sont considérés comme de sérieux concurrents quant aux postes administratifs, pour leur nationalité française et leur niveau d’instruction proche de celui des Guyanais. (JOLIVET, 1990)

163 Pour JOLIVET (1982), le « cas Galmot » illustre les deux dimensions du rapport créole aux Blancs : la

domination et la dépendance.

Jean Galmot était un Blanc, député et homme d’affaire, qui, dans les années 1910-1920, a réclamé l’amélioration des conditions de vie des ouvriers guyanais et demandé que ces derniers profitent des richesses de leur pays, tout en défendant l’intérêt des petits entrepreneurs (blancs et créoles) (les ouvriers profitant de la prospérité de leur patron). Il était un mythe pour les Créoles, qui l’appelaient le « Protecteur », le « Libérateur », le « Père », « Papa Galmot » : il exerçait sur eux une domination paternaliste. Aujourd’hui , les Créoles attendent qu’un autre Père vienne prendre les choses en main, les protéger, tandis qu’eux, ils démissionnent.

Ce n’est pas un hasard si c’est un Blanc qui a entretenu le rapport le plus paternaliste dans l’histoire de la Guyane. Ce rapport de dépendance et de domination envers les Blancs s’est construit à partir de l’esclavage et de