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Cas exceptionnel289 dans le domaine de l'événementiel des arts contemporains à composante

284Jean-Jacques LEBEL « Happening et cinéma, Le laboratoire vivant. », Propos recueillis par Nicole BRENEZ et Christian LEBRAT, Paris, avril 1999, p. 236 in Nicole BRENEZ, op. cit.

285 Entretien avec Carine LE MALET

286 URL : http://lecube.com/fr/concert-audiovisuel-de-holly-herndon_2284

287 Entretien avec Carine LE MALET 288 Entretien avec Cédric HUCHET

289« A l'échelle européenne j'ai l'impression que c'est un cas assez unique, où tu as des gens qui à la fois produisent et

aident la diffusion et sont les commissaires et les financeurs [...] », Propos recueillis en entretien auprès d'un

numérique en France, Némo est la vitrine d'un organisme régional dont la vocation est de soutenir des structures culturelles et des artistes grâce à des aides financières ou en conseil.

« Originellement conçu pour présenter les œuvres aidées par la Région IDF via le Thécif (aujourd’hui devenu Arcadi) » , le festival Némo a très tôt commencé à s’intéresser, dès l’année 2000, aux « nouvelles images », notamment à travers un programme en partenariat avec Repérages intitulé A Shape of Film to Come. Dès l’année suivante, une section à part entière, baptisée Next, intégrait la manifestation et se posait déjà comme la principale plate- forme festivalière en France défrichant l’expérimental de demain. En 2004, cette section a englobé toute la manifestation, désormais entièrement consacrée aux expériences qui « proposent une continuation du cinéma par d’autres moyens. »290

Le cumul des fonctions de production et de diffusion qui fait la spécificité de Némo est constitutif de son identité. A l’origine, Némo devait exclusivement présenter des films aidés en production ou en post-production par Thécif. Programmer des œuvres étrangères au parcours d’accompagnement de l’agence régionale n’allait donc pas de soi. Le pourcentage d’œuvres ayant été soutenues en production par Thécif ou Arcadi a même diminué depuis les premières éditions de

Némo. Sur les trente films présentés en 1998, dix-sept avait bénéficié d’une aide de Thécif (aide à la

réalisation ou aide à la post-production), soit 57%. L’année suivante, le pourcentage avait déjà diminué à 43% (hors cartes blanches). Il s’effondre de moitié (24%) en 2001 avec l’introduction des « Découvertes internationales » et la multiplication des cartes blanches ; seuls 15 films programmés sur soixante-deux ont bénéficié de l’aide la post-production de Thécif. En 2003, date de création d’Arcadi, ils sont disséminés dans les « Découvertes » (7%) ou rassemblés dans un programme intitulé « Rétrospective Thécif » (53%). Même ce dernier ne leur est pas exclusivement consacré puisqu’ils sont présentés à côté de courts métrages québécois. La même année, les quatre films interactifs ont reçu l’Aide à la Création Multimédia Expérimentale (ACME) mise en place avec l’avènement du nouvel établissement de coopération culturel. Avec la multiplication des « Panorama internationaux » qui remplacent les « Découvertes » et « Découvertes internationales » et la rediffusion de programmes établis par des festivals de cinéma expérimental partenaires, les œuvres ayant bénéficié d’un accompagnement par le service numérique d’Arcadi (soutien ou coproduction), désormais uniquement des pièces interactives, des installations ou des performances audiovisuelles, sont minoritaires : 3% en 2004, 2005 et 2009, 7% en 2006, 2% en 2008.

Les missions du service numérique consistant à sélectionner les projets « art numérique » accompagnés par Arcadi et à organiser Némo, peuvent pourtant sembler incompatibles :

« Némo, il y avait un autre souci […]. Le Dicréam aide des festivals qui ont des multi-

financements et c'est vrai que Némo il n'y avait que Arcadi en général et d'autres apports en nature. C'était un budget qui était un peu spécial et il y avait une ambiguïté, c'est-à-dire que quelque part ils étaient juge et partie. [Le Dicréam] finançait un opérateur qui disposait aussi d'un fond d'aide et qui avait des liens avec le CNC puisque effectivement le gestionnaire du Dicréam au CNC a assisté en observateur aux commissions d'aide d'Arcadi. C'est vrai que c'était un peu bizarre. »291

Cette double fonction nuirait à la représentativité que devrait manifester une entreprise collective financée par l'argent public. La même critique avait été faite à propos de Documents par Pierre d’Espezel qui regrettait que le magazine soit davantage le reflet de l’état d’esprit de Georges Bataille que celui de la réalité saisie par ses objets292. Là aussi, les observateurs peuvent avoir le

sentiment que « quelque chose n’est pas à sa place ». Le caractère fondamentalement hétérogène du « moi dans le tout métaphysique » est choquant : le désir de singularité entache l’idéal d’une philosophie pure et universelle. Comme l'écrit Bataille, c'est « une mouche sur le nez de l’orateur »293.

Aux yeux de certains, Némo gagnerait en légitimité si le comité composé de curateurs, esthètes et critiques d’art des éditions des années 2000 était restauré ou si un commissaire extérieur différent était invité chaque année. Cette configuration est la norme dans les grands événements d’art contemporain classique ou à composante numérique. C’est le cas à Transmediale à Berlin, à Ars Electronica à Linz, à l’ISEA qui se tient chaque année dans une ville différente. Mais, comme il a été remarqué « il n'ira peut-être pas chercher dans les œuvres financées par Arcadi »294.

Né d'une double initiative, institutionnelle et individuelle, Némo cristallise inévitablement des tensions entre ces deux pôles. Il semble donc être engagé dans un double jeu de résistances. L'idéal d'autogestion et de performance qui domine la manifestation pourrait l'éloigner de la praxis de résistance propre aux espaces publics oppositionnels qui proposent une offre culturelle véritablement alternative. Némo serait-il pris dans la « valse à trois temps » capitaliste décrite par Gilles Deleuze, rapportée par Pierre Ansay : « d’abord des codes à briser, puis la libération d’un flux désirant et enfin le recodage marchand » ?295. Le pouvoir d’absorption de la culture dominante

est si puissant que la marge intègre la norme en la transformant. Dans La condition postmoderne, 291Propos recueillis en entretien auprès d'un professionnel de la culture (anonyme)

292 Denis HOLLIER, « La valeur d'usage de l'impossible », Préface à Documents, Vol. 1, p. 117 293 Ibid.

294Propos recueillis en entretien auprès d'un professionnel de la culture (anonyme) 295Pierre ANSAY, op.cit.

Jean-François Lyotard soutient que « Les décideurs essaient pourtant de gérer ces nuages de sociabilité sur des matrices d’input/output, selon une logique qui implique la commensurabilité des éléments et la déterminabilité du tout. Notre vie se trouve vouée par eux à l’accroissement de la puissance. Sa légitimation en matière de justice sociale comme de vérité scientifique serait d’optimiser les performances du système, l’efficacité. L’application de ce critère à tous nos jeux ne va pas sans quelque terreur, douce ou dure : Soyez opératoire, c’est-à-dire commensurables, ou disparaissez. […] »296.

Dans un processus similaire à celui qui fonde la contre-culture, son caractère alternatif rencontre une opposition. Dans ce rapport de force, la marge qui ne se revendique pas comme telle – puisqu'elle tente d'intégrer la norme pour la faire évoluer – est créée de l'extérieur par la culture « classique » et les autres formes de pensées alternatives qui la rejettent. « L'artiste occidental voit souvent dans l'Internet un outil parfait pour abattre les hiérarchies et amener l'art au peuple. Moi au contraire, en tant que sujet postcommuniste, je ne peux que comparer Internet à un appartement communautaire de l'époque stalinienne : il n'y a aucune intimité, tout le monde s'espionne, on fait toujours la queue à la porte de pièces communes comme la cuisine et les toilettes. » écrivait Lev Manovich dans un e-mail destiné à la liste de diffusion Rhizome297. Étouffé par la force du réseau,

le débat reste timide alors même que l'agora est souvent prise comme modèle du web.

« Une institution diffère toujours d’une discussion en ce qu’elle requiert des contraintes supplémentaires pour que les énoncés soient déclarés admissibles en son sein. Ces contraintes opèrent comme des filtres sur les puissances de discours, elles interrompent des connexions possibles sur des réseaux de communication : il y a des choses à ne pas dire. Et elles privilégient certaines classes d’énoncé parfois une seule, dont la prédominance caractérise le discours de l’institution : il y a des choses à dire et des manières de les dire. »298 affirmait Jean-François

Lyotard. Il ajoutait que l'opposition à la libre parole par l'institution s'établissait dans un jeu de stratégies de langage à l'intérieur et en dehors de celle-ci. Les limites de l'ancienne institution sont ainsi susceptibles d'être déplacées. Si elles sont fondées et argumentées, les réactions provoquées par Némo du côté de ses partisans comme de ses détracteurs peuvent être riches pour la manifestation et, plus généralement, pour la réflexion sur les conditions de production et de diffusion des arts contemporains à composante numérique. Les questionnements et les critiques contribueraient à penser l'évolution et la structure de festivals comme Némo dans un contexte

296Jean-François LYOTARD, op.cit., p. 8 297Lev MANOVICH, op.cit., p. 19 298Jean-François LYOTARD, op. cit., p. 34

donné. « Les nouveaux médias attirent les personnalités innovantes, les iconoclastes et tous ceux qui aiment courir des risques. » écrit Mark Tribe. Cette audace ne devrait-elle pas aussi s'exercer dans le commentaire et l'analyse des pratiques gestionnaires et artistiques du numérique ?