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L'autonomie de l’œuvre d'art de la modernité répond au désir contestataire de ne pas se soumettre à un idéal de beauté extérieur. « Toutes ces lois [de symétrie, d'harmonie et d'agrément]

499 Jean-Jacques LEBEL, op.cit, p. 231 500 Ibid., p. 234

501« […] Le montage stylistique ne s’est manifesté pleinement que dans les années 1990, lorsque l’ordinateur est devenu le terrain de rencontre de plusieurs générations de médias du XXe siècle, comme les films en 35mm et en 8 mm, la vidéo amateur et professionnelle et les premiers formats de films numériques. Alors que les cinéastes travaillaient précédemment avec un seul format pour l’entièreté d’un film, le remplacement accéléré des formats analogiques par les formats numériques depuis les années 1970 a fait de la coexistence d’éléments stylistiques divers la norme plutôt que l’exception dans les objets néomédiatiques. », Lev MANOVICH, op.cit., p. 300-301

502PN. No. 5, 2003, p. 13 503PN. No. 5, 2003, p. 20

ont semblé à l’œil moderne une violence illégitime infligée à l'autonomie de l'image, de la musique ou du texte. […] Et l'idée s'est peu à peu imposée qu'une œuvre devait être estimée à l'aune de son propre principe. L'esthétique moderne a consisté à rapporter le plus possible une œuvre ou une situation à leurs règles internes plutôt qu'à des conventions imposées de l'extérieur. »504 écrit Tristan

Garcia. Selon l'Ikonotekst Groupe la singularisation fait partie des concepts postmodernes. Devant la difficulté de réaliser une synthèse après la fin des Grands récits, il ne reste plus qu'à accentuer la spécificité de chaque entité. La programmation de Némo, volontairement composite, formerait donc une mosaïque selon un expression empruntée à Claude Faure pour désigner « la relation entre les arts et les technologies »505. Elle reflète l'accentuation des individualités et des pratiques dans nos

sociétés occidentales individualistes. Ainsi, la manifestation a met en avant les artistes grâce à des interviews, des portraits filmés de réalisateurs et des documentaires, des « Focus artistes » et les « Focus société de production ». En 2009, Patrick Bokanowski – artiste dont la recherche se situerait « à la frontière des arts optiques et plastiques, dans un « entre-deux » toujours à créer »506

présentait différentes œuvres l'ayant fortement influencé dont le film de Norman McLaren,

Mosaic507 (1965). Dans a lignée de l'Op Art cette vidéo expérimentale montre des petits carrés qui

se divisent et se multiplient selon un rythme syncopé marqué par des battements sourds, formant une mosaïque colorée et bruitiste. Près de cinquante ans plus tard, il nous semble reconnaître un procédé similaire dans Timée508 de Guillaume Marmin ; des faisceaux lumineux et des claquements

jouent une symphonie comparables à ceux des formes de la vidéo obtenues grâce à des effets spéciaux .

De nombreuses rétrospectives sont également réalisées : Valérie Mréjen, Sylvie Laliberté, Michel Gondry, Tim Hope, D-Fuse, Pascal Lièvre et Benny Nemerofsly Ramsay, LAb[au], Tal Rosner, Hextatic, etc. A ceux qui pourraient déplorer une déshumanisation de l'esthétique à l'ère du numérique, Christiane Paul explique que l'individualité de l'artiste est primordiale dans les arts intégrant le médium numérique même si, comme dans les formes d'art qui font appel à un médium technologique (le cinéma, la vidéo ou la photographie), elle ne se manifeste pas toujours par le biais d'une intervention physique directe : « Le concept, tous les éléments du processus de composition, l'écriture de logiciels et bien d'autres aspects de la création numérique demeurent des formes

504Tristan GARCIA, op.cit., p. 17

505 « Mosaïque, parce qu'à propos de la relation entre les arts et les technologies, si je jette un coup d’œil en arrière sur les six ou sept dernières années de contacts, d'archivage, de projets, ce coup à demi réussis et de coups à demi manqués, c'est le premier mot qui vient […]. Claude FAURE, « Mosaïque », ArtPress 2. Le numérique . Anthologie

et perspectives (1991) 2015-16, p. 24

506URL : http://www.sonore-visuel.fr/artiste/patrick-bokanowski

507URL : https://www.youtube.com/watch?v=0yJRWUAKgnY

d'expression hautement individuelles qui portent la signature esthétique d'un artiste. »509. Les

programmes/catalogues de Némo présentent d'ailleurs une évolution confirmant la singularisation des identités artistiques : alors qu'il était d'abord organisés en rubriques et programmes (« Next », « Panorama », « Découvertes », etc.) puis en fonction des lieux de la manifestation510, il est

structuré depuis 2012 de manière à faire apparaître les noms des artistes participants.

Les studios du Centquatre permettent de montrer isolément des œuvres robotiques ou audiovisuelles. Ces espaces d'exposition permettent de montrer dans des « black boxes » des pièces qui ne pourraient autant s'apprécier dans une exposition collective en raison des nuisances lumineuses et sonores émises par les autres œuvres ou les visiteurs... Ils correspondaient parfaitement à la manière dont étaient présentées les œuvres de Prosopopées : « ici, disait Manuel Gonçalvès, toutes les installations ou presque aspirent à la solitude, à s’échapper de toute relation. »511. Cette question est récurrente dans les expositions de vidéos et de pièces audiovisuelles

qui requièrent d'être expérimentées dans leur solitude. L'Arsenal étant particulièrement lumineux, certaines heures de la journée étaient plus propices que d'autres pour voir les vidéos sur écran présentées sur les cimaises de l'exposition Automata organisée dans le cadre de la BIAN Elektra 2016. Même si cela démontre une volonté de se rapprocher des normes expographiques de l'art contemporain, Men at Work du Français Julien Maire (des projections de cinéma analogique) et

What do Machine Sing of ? (un karaoké robotique et numérique) de l'Allemand Martin Backes,

étaient présentées dans des renfoncements adjacents à la première salle de cet ancien entrepôt industriel. Démontrant une fois de plus la proximité d'esprit entre les deux manifestations, l'exposition montréalaise se présentait comme une autre réflexion sur le sujet très actuel de la singularité technologique (ou numérique).

En nous apportant de nouveaux moyens techniques, le numérique modifie notre outillage conceptuel. Comme les pixels512 se combinent pour former une image numérique matricielle, les

individualités constituent un « assemblage […] de petites pièces rapportées […] dont la combinaison forme un dessin »513. La fragmentation de la programmation de Némo et la

valorisation des individus serait à l'image de la « mosaïque humaine » de nos sociétés postmodernes dont l'idéal est de se réaliser pleinement et indépendamment des contraintes extérieures. A cet

509 Christiane PAUL, L'art numérique, Paris, Thames & Hudson, coll. L'univers de l'art, 2004, p. 60 510 Depuis 2010

511José-Manuel GONÇALVÈS, propos recueillis par Laurent DIOUF, MCD. Prosopopées, quand les objets prennent

vie, Hors-série, No. 15, p. 5

512Le pixel est le point élémentaire d'une image numérique matricielle. Il est l'unité de définition d'une telle image. 513Claude FAURE, Ibid.

égard, la manifestation serait un archétype d'un anti-musée. Résistant, hétérogène et informe, il serait un des témoins des changements en cours dans notre société.